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SAINT-GRAAL |
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Par
Christian
Doumergue
|
Le
Haut
Secret de Tréhorenteuc Lorsque
l’on évoque le mythe du Graal, deux régions
s’imposent à l’esprit. Deux régions françaises,
situées à deux extrêmes de
cette terre que l’on voudrait être celle des Lumières et
de la Raison et qui
est, dans sa réalité, à l’exacte opposée de
cela. Dans cette France véritable,
dont les roches chauffées de soleil ou voilées de brumes,
les ruines solitaires,
les grottes obscures, les forêts profondes, sont comme autant de
sources d’où
s’échappent mythes et légendes, deux territoires, l’un
placé sous le signe du
Feu, l’autre sous le signe de l’Eau, réveillent en qui les
parcourt l’image de
la Coupe Sublime. Au sud, l’Aude, l’Ariège, une partie des
Pyrénées-Orientales,
gardent en leurs écrins sauvages les ruines des châteaux
Cathares. Depuis le
XIXe siècle, les ruines de Montségur captent
les rêves des âmes
mystiques qui veulent encore croire, en ces Temps dévorés
par le consumérisme
venu des villes, que le grand idéal chevaleresque n’est pas
mort, et que son
symbole majeur — qu’il fut coupe ou émeraude tombée du
Ciel — peut encore être
retrouvé. Otto Rahn y a laissé l’indestructible empreinte
de son grand rêve, que
l’on voit encore scintiller, aussi, au fond des grottes inlassablement
explorées de la vallée d’Ussat-les-Bains…
Au
nord, en Bretagne, la forêt de Brocéliande est une autre
porte ouverte sur le Royaume perdu du Graal. Il faut se perdre dans
cette forêt,
à l’ombre de ses grands arbres, rêver près de ses
sources et de ses roches,
pour retrouver le spectre de la Coupe Sacrée. C’est un de ces
lieux où souffle
l’esprit. Dans le murmure des feuilles, dans les silhouettes des
roches, dans les
reflets lumineux étoilant la surface de la fontaine de Barenton,
se manifestent
des rêves que l’on croit disparus et qui ne sont qu’endormis. Certains
esprits, ceux que brûle le grand Feu de l’Ame —
magnifique et parfois douloureux bûcher, ont la capacité
de réveiller ces
songes évanouis. Dans les montagnes et les grottes
ariégeoises cette tâche de
grand voyant échue, notamment, à Otto Rahn. Dans la
forêt bretonne, c’est un
prêtre qui fut ce médium entre les deux Mondes :
l’abbé Henri Gillard
(1901-1979).
Il
existe des prêtres maudits, comme il existe des poètes
maudits. Malédiction et vérité sont intimement
liées : celui qui laisse
briller sans le cacher le Feu qui le brûle est rarement
aimé de ses semblables,
que le puissant brasier effraye. La société a du mal
à admettre ce qu’elle n’a
pas défini comme la norme et rares sont ceux qui,
authentiquement, osent la
défier en l’ignorant. Nombreux sont les faux prétendants
à cette tâche. Les
soi-disant « rebelles » ne sont souvent que des
marionnettes abêties
entretenant le système à leur insu. Mais il existe
pourtant, à travers les
siècles, de véritables contestataires. D’authentiques
hommes debout. Debout au
milieu de leurs semblables endormis. Debout et traçant ainsi une
ligne entre le
Ciel et la terre. Les cathares furent de cette race. En
Brocéliande, l’abbé
Gillard le fut aussi. Étrange, singulier
prêtre à qui l’on doit la décoration de la petite
église de Tréhorenteuc. Sa statue se dresse
aujourd’hui devant le petit
sanctuaire. Elle en murmure l’étonnante histoire… L’abbé
Henri Gillard est né le 30 novembre 1901 dans les
murs séculaires du manoir de Trénaleuc en Guégon.
Ordonné prêtre à 23 ans, le
20 décembre 1924, il est nommé vicaire à Plumelec
puis à Crédin. Ce sont des
années difficiles pour lui. L’autorité religieuse ne lui
fait aucune confiance.
Elle redoute le contenu de ses sermons. Il est surveillé,
suspecté et se
réfugie dans l’étude. Quelque chose le brûle de
l’intérieur, et c’est cette
flamme qui inquiète l’Église. Pour
éviter qu’il ne nuise, en 1942, il est nommé recteur de
Tréhorenteuc. C’est une paroisse délaissée. On n’y
accède à l’époque que par
des chemins de boue. Il y a peu d’habitants, et ceux-ci sont pauvres.
Son
église est dans un piètre état. Pour beaucoup de
membres du clergé, c’est une
tombe. Mais dans la démarche initiatique, la tombe est
l’instrument de la
résurrection. La petite église perdue et
méprisée va être ce Seuil pour l’abbé
Gillard. Tréhorenteuc
est le lieu où une nouvelle vie va commencer pour
lui. À présent recteur, il n’a plus de compte à
rendre à sa hiérarchie, et n’a
plus l’obligation de faire relire ses sermons. Il peut, enfin, exprimer
devant
tous ces résonnances de l’Infini qui le brûlent depuis
longtemps. En outre, profitant
du temps que lui offre l’éloignement du monde des hommes,
l’abbé se plonge dans
l’étude des légendes du Graal. Il se laisse
pénétrer par les grandes voix qui
émanent de la forêt…
Lorsque
le prêtre y arrive, la forêt de Paimpont a
définitivement été identifiée à la
forêt de Brocéliande des romans arthuriens. L’une
figure sur les cartes, l’autre non. C’est par son entremise que
l’Étrange se
manifeste. Que le modeste prêtre devient l’Émissaire
terrestre d’un antique
secret. L’atmosphère jette sur lui un invisible
envoûtement. Il se plonge dans
une étude ardente du mythe du Graal. Se met à parcourir
la forêt de
Brocéliande, mais aussi de nombreuses églises bretonnes.
Dans son esprit, des
conjectures, des hypothèses, se formulent. Il est peu à
peu persuadé de
retrouver dans la décoration de certaines églises le
témoignage d’un langage
perdu. Une langue symbolique, basée sur un complexe
système analogique, où le
zodiaque occupe une place centrale ! Le
soir, dans le silence, l’abbé Gillard consigne le
résultat de ses recherches. Le jour, il consacre son
énergie à son Grand Œuvre,
la rénovation de la vieille église où il officie.
Possédé par l’image du Graal,
il va la transformer en véritable temple
« Arthurien ». En faire
l’expression extérieure de sa quête intérieure. À
travers trois vitraux, il raconte l’histoire de la Coupe,
du dernier repas du Christ à sa redécouverte par les
Chevaliers de la Table
Ronde réunis au complet. Il fait, également,
réaliser des tableaux évoquant les
légendes de Brocéliande : le Val sans retour et la
Fontaine Barenton se
font face dans le chœur. Troublantes
visions que celles-ci. Transportant dans un
monde qui n’est pas celui de l’Église. Dans sa robe blanche,
« la belle,
l’éblouissante Viviane », pour reprendre les mots du
recteur, se découvre dans
toute son animale carnalité. Sous le voile translucide de sa
robe,
transparaissent les touches colorées de ses secrets atours.
Aréoles rose chair
de ses seins. Obscur reflet de sa toison. La beauté charnelle et
sacrée de la
femme païenne, des antiques déesses, surprend le regard du
pèlerin. Elle lui
indique — comme un doux murmure de femme — qu’il y a quelque chose de
non
chrétien ici. Cela, l’abbé Gillard en a lourdement
payé le prix. La
décoration de l’église, comme les courts ouvrages qu’il
signe, attirent régulièrement sur l’abbé Gillard
les foudres des autorités
religieuses. Celles-ci dénoncent le caractère non
orthodoxe de ses propos. Il
reçoit des lettres anonymes qui l’accusent de tous les maux.
Certaines se
révèlent être écrites par des prêtres.
Les mots utilisés, les moyens employés,
atteignent Gillard au plus profond. Malgré sa force de
volonté, il cède à la
souffrance humaine. C’est un mystique, mais c’est aussi un homme. En
1962, il
quitte Théorenteuc pour Paris, espérant pouvoir y vivre
plus sereinement sa
mission de prêtre. Mais la grande ville le rejette. La Bretagne
le rappelle. Sa
hiérarchie le maintient alors farouchement à
l’écart de l’église de
Tréhorentuc. Il faut que sa voix cesse d’y résonner. Que
son âme n’y soit plus
la porte par laquelle passent les anciens dieux ! Mais ses
paroissiens
s’insurgent et finissent par obtenir son retour. Il ne quittera
dès lors plus
le solitaire village breton, où il s’éteindra en juillet
1979. Il sera alors enterré
dans son église. Une église dont il avait fait la
gardienne du Secret vers
lequel l’avaient conduit ses inlassables recherches. Et qui conserve,
intact
mais voilé, un bien singulier message…
Car
au-delà des troublantes figures de Viviane et de Morgane,
au-delà de la lumineuse image du Graal aux reflets
d’émeraude, l’église de
l’abbé Gillard garde un de ces
Hauts Secrets qui ne peuvent se formuler clairement. Pour la
transmission
desquels il faut inventer un nouveau langage. Un secret qui seul,
certainement,
peut expliquer la force intérieure qui anima le prêtre sa
vie durant. Dans
les décors végétaux, au bas du grand vitrail du
Graal,
l’œuvre majeure qui se dresse derrière l’autel et figure
l’apparition du Graal
à Joseph d’Arimathie, le prêtre a fait figurer deux
lapins. L’un murmure quelque
chose à l’oreille de l’autre. Il
place
une patte devant sa gueule pour dissimuler sa parole. C’est
comme un sceau posé sur l’église. Un sceau qui
révèle que
le petit sanctuaire garde un message que seuls quelques-uns pourront
entendre. C’est
le Seuil d’un singulier labyrinthe constitué par les vitraux,
les tableaux,
d’infimes détails ornementaux, et le chemin de croix… Tous
gardent dans un
pieux silence de singuliers détails, dont certains ne peuvent
être compris
qu'au regard des écrits de l’abbé Gillard. Ce
Chemin damné évoque celui qu’il avait suivi jusqu’en sa
lumineuse issue. Celle qui l’avait rendu insensible aux avis de sa
hiérarchie.
Celle qui pouvait le pousser à écrire à propos des
Cathares : « Battus
à Montségur, leur dernière citadelle, ceux d’entre
eux qu’on appelait les
Parfaits ont évacué le Saint-Graal. Mais dans leur
esprit, ce Saint-Graal
n’était pas un objet matériel. C’était le souci
farouche de poursuivre la
perfection… » Lignes
surprenantes, et même impossibles, pour un prêtre
catholique. Qu’est-ce qui avait alors pris possession de sa main pour
lui faire
écrire cela ? L’abbé Gillard aimait à dire
« Ne vous arrêtez pas aux
apparences. Réfléchissez. » C’est avec cette phrase
qu’il faut entrer dans son
église. Sur la voûte qui accueille le pèlerin, une
inscription souffle :
« La Porte est en dedans. » Celui qui veut
retrouver le chemin perdu
de la Grande Quête, ne peut que s’interroger devant cette
formule. Que
signifie-t-elle ? Pris dans un sens
philosophique, c’est une invitation au voyage intérieur.
À cette plongée en soi
même de laquelle peut naître l’illumination. Mais la
formule peut tout aussi
bien dire qu’il y a une porte à trouver dans la petite
église. Une porte
ouvrant sur un insoupçonnable secret… Cette porte existe. Une
étoile la désigne.
Notre Ami
Christian DOUMERGUE est l’auteur de Voyage dans la
France Magique (éditions
de l’Opportun) qui paraîtra
le 2 juin 2016. Voici
le Lien Amazon < ICI
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