RUBRIQUE
R-L-C
Novembre
2011


Par
Patrick Berlier



RENNES-LE-CHÂTEAU

L’HYPOTHÈSE DU TRÉSOR


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L’idée apparemment la plus évidente, lorsque l’on veut tenter d’expliquer la fortune soudaine de Bérenger Saunière, est que notre sulfureux curé ait mis à jour quelque trésor colossal. La thèse officielle du trafic de messes semblant tout de même peu crédible, au regard de l’énormité des sommes mises en jeu, et celle d’un secret fabuleux éventuellement monnayable s’avérant bien obscure, cette hypothèse reste en effet la plus logique, et les recherches de Franck Daffos, relayées par les péripéties très médiatisées de l’été 2011, l’ont remise sur le devant de la scène. Petite chronologie des évènements.


Une idée qui fait son chemin

Peu connue est la publication « Itinéraires en terre d’Aude », éditée en 1936 par le Docteur Jean Girou. Ce médecin aux multiples activités littéraires fut membre de nombreuses sociétés savantes régionales. Fortement impliqué dans le développement touristique de l’Aude, il fut président du Syndicat d’Initiatives de Carcassonne de 1950 à 1963. Il est l’auteur d’un nombre important d’ouvrages, dont cette brochure touristique invitant ses lecteurs à une découverte de quelques coins pittoresques de l’Aude. À la page « Rennes-le-Château » il écrit : « Nous sommes au cœur du pays wisigoth, il nous reste à visiter la capitale du Razès, l’ancienne Rédé, Rhedæ. À la sortie de Couiza, une route monte vivement à gauche, c’est le chemin de Rennes-le-Château ; sur l’arrête du plateau se découpe un décor singulier : des maisons en ruine, un château féodal délabré surplombent et se confondent avec la falaise calcaire, puis des villas, des tours à véranda, neuves et modernes contrastent étrangement avec ces ruines : c’est la maison d’un curé qui aurait bâti cette demeure somptueuse avec l’argent d’un trésor trouvé, disent les paysans ! » Trente ans avant Gérard de Sède, Jean Girou se fait l’écho de la rumeur colportée par les habitants : l’abbé Saunière a trouvé un trésor. Mais cette publication, comme la rumeur qu’elle relaie, restera très localisée et ne franchira pas les limites du département. Les années passent et Rennes-le-Château reste un village perdu.

C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que s’y installe un jeune entrepreneur nommé Noël Corbu, qui cherche à quitter Perpignan et à « se mettre au vert. » Avec son épouse il sait gagner la confiance de Marie Dénarnaud, l’ancienne servante de l’abbé Saunière, qui désormais vit seule dans le grand domaine. Le 22 juillet 1946, Marie Dénarnaud institue par testament les Corbu comme étant ses légataires universels. Selon les dires de Noël Corbu, Marie Dénarnaud lui aurait alors promis de lui révéler le secret de l’abbé Saunière, un secret qui le rendrait riche. Lorsque la vieille femme s’éteint dans la nuit du 30 janvier 1953, elle emporte toutefois son secret avec elle. La perspective d’une fortune mirifique s’étant envolée, Noël Corbu entreprend alors de transformer le domaine de l’abbé en hôtel-restaurant, un projet dont tous les éléments se mettent en place dans les derniers mois de l’année 1953. Il a compris le potentiel d’attraction que pouvait représenter l’histoire du « trésor » de Rennes-le-Château. Il forge alors la légende du « curé aux milliards » en ajoutant aux données qu’il a pu collecter divers détails destinés à frapper l’imagination. Il ne reste plus qu’à diffuser la belle histoire, ce dont se chargera un ami journaliste.

C’est ainsi que dans le courant de l’année 1956 paraissent les premiers articles de presse consacrés aux supposées découvertes de l’abbé Saunière. Le 12 janvier « La Dépêche du Midi » sort un article à sensation titré : « La fabuleuse découverte du curé aux milliards de Rennes-le-Château ». Le sous-titre est tout aussi alléchant : « D’un coup de pioche dans un pilier du maître-autel, l’abbé Saunière met à jour le trésor de Blanche de Castille. » C’est le succès, les clients et les chercheurs affluent à Rennes, ainsi que quelques figures notoires avec lesquelles se lie Noël Corbu.

L’histoire parvient à la connaissance d’un chercheur de trésors nommé Robert Charroux. L’homme n’a pas encore atteint la célébrité que lui apporteront ses best-sellers consacrés à l’histoire mystérieuse, en particulier « Histoire inconnue des hommes depuis cent mille ans. » Mais en 1962 il publie « Trésors du monde », livre consacrant un long chapitre à Rennes-le-Château et au possible trésor de l’abbé Saunière. Arrive alors dans la région un certain Pierre Plantard, qui s’était fait remarquer pendant la guerre pour avoir fondé le mouvement « Alpha Galates », clairement pétainiste, nationaliste, antisémite et antimaçonnique. En 1956 il a créé à Annemasse une association loi de 1901 intitulée « Prieuré de Sion. » Cette fois, Plantard se targuait du soutien du Général de Gaulle ! Le but de l’association, justifiant son appellation, était de construire sur la montagne de Sion, dans les Alpes, un prieuré qui servirait de centre d’études, projet qui n’a jamais vu le jour. Les publications de Pierre Plantard ont pris depuis une tournure ésotérique, et il finit par se rapprocher du journaliste Gérard de Sède. De leur collaboration naît d’abord le livre « Les Templiers sont parmi nous » paru en 1962.

À partir de 1965, avec son compère Philippe de Chérisey, Pierre Plantard dépose à la Bibliothèque Nationale, sous des noms d’emprunts, divers écrits visant à asseoir le mythe d’un trésor mérovingien. En réalité, Pierre Plantard entreprend de détourner à son profit l’histoire de Rennes, n’hésitant pas à produire de fausses généalogies, le voyant héritier de la dynastie royale, et transformant le Prieuré de Sion en un ordre de chevalerie secret mais historique. Autant de désinformations qui sévissent encore aujourd’hui et engluent l’affaire de Rennes-le-Château dans une mélasse adipeuse dont il est bien difficile de se dépêtrer. La collaboration avec Gérard de Séde se poursuit, et se traduit par la publication du best-seller « L’or de Rennes » en 1967, qui connaît un succès international et sera réédité en format poche deux ans plus tard sous le titre « Le trésor maudit de Rennes-le-Château. » Cette publication révèle la teneur des parchemins prétendument découverts par l’abbé Saunière - dans une version forgée en réalité par le couple Plantard - Chérisey - sans en donner le décryptage.

Il faut attendre cinq ans, et la publication d’un article co-signé par Gérard de Sède et Jean Pellet - l’un des premiers chercheurs - pour voir révélé partiellement le décryptage des parchemins. Le message secret ne sera publié dans sa totalité qu’en 1978 par Franck Marie dans son livre « Rennes-le-Château - étude critique. »

Dans les années quatre-vingt, l’hypothèse du trésor se voit relayée par une idée encore plus sulfureuse : Jésus et son épouse Marie-Madeleine ont eu une descendance, qui a donné naissance à la dynastie mérovingienne, théorie mise en avant en particulier en 1983 par le livre à succès de Lincoln, Leigh et Baigent, « L’énigme sacrée. » Toute une gamme de variantes verra le jour, et l’idée que les Corbières aient pu servir de cadre au tombeau du Christ fait lentement son chemin. Bien entendu, l’abbé Saunière aurait découvert ce secret fabuleux, capable de saper les bases de la religion catholique, qu’il n’aurait eu aucune peine à monnayer en échange de son silence.

Il faut attendre 2005 et l’entrée en scène d’un certain Franck Daffos pour voir relancée la thèse du trésor. Ce chercheur publie le résultat de ses travaux aux éditions de l’œil du Sphinx, sous le titre « Le secret dérobé. » Le ton y est péremptoire et affirmatif. Au XVIIe siècle un trésor fabuleux a été mis à jour dans les Corbières par le jeune berger Ignace Paris, dépôt dans lequel ont puisé (entre autres) Blaise d’Hautpoul, seigneur de Rennes, Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, Nicolas Fouquet, surintendant des finances, et finalement Louis XIV pour la construction du château de Versailles. Le secret de la cache est révélé de manière cryptée par Nicolas Poussin dans son célébrissime tableau « Les bergers d’Arcadie » et par quelques toiles beaucoup plus modestes disséminées dans les églises des environs. L’abbé Saunière, peut-être téléguidé par d’autres ecclésiastiques, aurait profité de la manne, dont une grande partie resterait enfouie dans sa cache mystérieuse. En 2008 Franck Daffos peaufine sa théorie dans un nouvel ouvrage, « Le secret dérobé », paru aux éditions Pégase.

Mais Franck Daffos ne semble être que la partie visible de l’iceberg, un personnage médiatique choisi peut-être pour sa facilité d’écriture et d’élocution, son verbe haut et son sens de la répartie cinglante. On devine que d’autres personnages se cachent derrière sa carrure imposante. Il y a bien sûr Michel Vallet, alias Pierre Jarnac, auteur bien connu et éditeur de l’excellente mais défunte revue « Pégase », qui l’a placé sous le feu des projecteurs et a édité son second livre. On devine l’existence d’un troisième homme, dans l’ombre.

Celui-ci se révèlera en 2011. Il a pour nom (véritable) Didier Héricart de Thury, c’est un chercheur totalement inconnu, bien que présent à Rennes dès le début de la médiatisation de l’affaire. Suite à un différend avec Michel Vallet, Franck Daffos et lui publient, aux éditions Arqa, « L’or de Rennes - quand Poussin et Teniers donnent la clef de Rennes-le-Château », révélant quelques éléments inédits de leurs recherches, afin de couper l’herbe sous le pied de leur ancien compère. Le lecteur reste néanmoins sur sa faim, car l’essentiel reste tenu secret.

La réaction de Michel Vallet ne se fait pas attendre. Excédé, fin juillet 2011 il publie sur divers forums Internet des posts révélant la localisation très précise de la cache au trésor, au flanc du Pech d’en Couty, sur la commune de Sougraigne. L’affaire va faire grand bruit, et sera même relayée par le journal de 20 h de TF1. Mais après cette médiatisation, les choses se calmeront d'elles-mêmes.








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PISTES POUR UN TRESOR

La région a été le théâtre de luttes, de passages en tous genres, et sa topographie avec son relief karstique se prête naturellement à toutes sortes de cachettes possibles. Trésor des Wisigoths, des Mérovingiens, des Templiers, des Cathares, on peut tout imaginer. Petit tour d’horizon des principales pistes.

La piste Blanche de Castille

C’est la version imaginée dans les années cinquante par Noël Corbu, qui n’hésite pas à affirmer avoir retrouvé à l’évêché de Carcassonne des documents la confirmant. Blanche de Castille est l’épouse du roi Louis VIII le Lion, et la mère de Louis IX, assurant d’une main de fer la régence du royaume durant l’enfance du jeune souverain, ou lorsqu’il part aux croisades. Selon une rumeur, vraisemblablement sans fondement historique, elle vient en 1250 dans la forteresse de Rhedæ, futur Rennes-le-Château, pour mettre en sûreté le trésor de France, durant la révolte des Pastoureaux. Elle meurt deux ans plus tard avant d’avoir pu le récupérer, emportant dans sa tombe le secret de la cache. Cette version-là n’aura qu’un succès éphémère, Pierre Plantard se chargeant d’en proposer une autre arrangeant mieux ses affaires.

La piste des Mérovingiens

Le « petit parchemin » proposé par Plantard et publié par Gérard de Sède présente plusieurs lettres surélevées, ce qu’un œil exercé remarque rapidement. Ces lettres mises bout à bout forment la phrase : « A Dagobert II et A Sion est ce trésor et il est la mort. »

Petit-fils de Dagobert Ier, Dagobert II (652 - 679) est le dernier roi mérovingien du royaume d’Austrasie. Il est le fils de Sigebert III, assassiné en 656 sur ordre du maire du palais Grimoald, qui veut asseoir sur le trône d’Austrasie son propre fils Childebert. Il laisse la vie sauve à Dagobert II mais l’abandonne à son sort en Irlande. Là, celui que l’on nommera « le roi perdu » est recueilli par saint Wilfrid, futur évêque d’York, qui l’emmène en Angleterre. Selon une rumeur, Dagobert II devenu adulte quitte l’Angleterre et se cache en Septimanie (l’actuel Languedoc, terre appartenant alors aux Wisigoths), où il devient l’époux de la fille de Béra II, comte du Razès. En 674 il rentre en Austrasie pour réclamer sa souveraineté. Il sera assassiné en 679. De son mariage, Dagobert II a un fils, Sigebert IV, et quatre filles.

Au cours des années soixante, une série d’opuscules apocryphes déposés à la Bibliothèque Nationale va asseoir le mythe du trésor mérovingien. Le 28 août 1965 est déposé Les descendants mérovingiens ou l’énigme du Razès wisigoth, d’une certaine Madeleine Blancassall. Puis le 13 mai 1966 paraît Un trésor mérovingien à Rennes-le-Château, d’un dénommé Antoine l’Ermite. Suit la prétendue réédition partielle du pseudo ouvrage d’Eugène Stüblein Pierres gravées du Languedoc. On y prétend que la « dalle des chevaliers », découverte dans l’église par l’abbé Saunière lors de ses premiers travaux, est la pierre tombale de Sigebert IV, le fils de Dagobert II. En 1967 paraissent les Dossiers secrets d’un prétendu Henri Lobineau. Derrière ces publications se cachent Pierre Plantard et ceux qui quelques années plus tôt se sont assemblés sous le nom de Prieuré de Sion.

La piste des Wisigoths

Rennes-le-Château est l’ancienne capitale des Wisigoths, peuple germanique d’origine scandinave, convertis à la religion chrétienne arianiste, l’une des composantes des peuples dits « barbares » (ne parlant pas le latin) qui déferlent sur la Gaule à la fin de l’occupation romaine et se partagent son territoire. Les Wisigoths s’installent donc dans ce qui sera le Languedoc. Leur roi Alaric se rendra célèbre en 410 par le sac de Rome, au cours duquel ses troupes amasseront un prodigieux butin, composé entre autres des richesses prises trois siècles plus tôt par Titus dans le Temple de Jérusalem, dont la célèbre Menorah, le chandelier à sept branches, ou même l’Arche d’Alliance. Son successeur Athaulf l’aurait rapporté dans la région de Rennes si l’on en croit diverses rumeurs. C’est ce trésor qu’aurait mis à jour le berger Paris, selon la thèse de Franck Daffos, trésor dont une partie dormirait toujours au fond de la chatière de Sougraigne.

Poussin, Teniers, Delacroix

Ces trois célèbres peintres auraient dissimulé les clefs du trésor de Rennes-le-Château dans leurs tableaux. C’est le décryptage du « grand parchemin » prétendument retrouvé par l’abbé Saunière qui fait référence à ces artistes. Ce décryptage utilise les lettres supplémentaires intercalées dans le texte, auxquelles il faut associer deux clefs successives données par la pierre tombale de la Dame d’Hautpoul (selon la méthode de Blaise de Vigenère), pour découvrir une nouvelle suite de lettres, qu’il convient ensuite de disposer sur un échiquier sur lequel on fait courir un cavalier, lequel par sa course particulière va révéler le message final : « BergEre pas de tentation que Poussin TEniers gardent la clE Pax DCLXXXI Par la croix et ce cheval de Dieu j’achEve ce Daemon de Gardien A midi pommes bleues. »

Une partie de ce message reste obscure mais les noms de deux peintres y sont révélés clairement : Poussin et Téniers. Le premier, associé à « bergère », évoque le célèbre tableau « Les bergers d’Arcadie », maintes fois cité dans l’affaire. Quant à Teniers il doit être associé à la formule « pas de tentation » pour désigner l’une de ses nombreuses « Tentation de saint Antoine », et plus précisément une tentation qui n’en serait pas une, en l’occurrence et selon la thèse de Didier Héricart de Thury et Franck Daffos, un tableau conservé par le musée du Prado.

Delacroix apparaît de manière plus subtile, grâce à la formule « par la croix », qui doit être associée au « cheval de Dieu » pour évoquer la fresque de l’église Saint-Sulpice « Héliodore chassé du Temple », où un cheval envoyé par Dieu chasse Héliodore venu piller le Temple de Jérusalem.

Ces références à des peintres et à des œuvres picturales précises ont été interprétées de mille façons, mais il reste l’allusion au trésor du Temple de Jérusalem.


EN CONCLUSION…

Cet aperçu très succinct nous montre toute la complexité de l’affaire qui, quoiqu’on en dise, n’est sans doute pas prête d’être résolue. D’ailleurs, le voudrait-on seulement ? Le mystère de l’abbé Saunière et de sa fortune fait rêver toute une cohorte de « chercheurs », et vivre tout un village qui ne serait sans doute aujourd’hui qu’un coin perdu des Corbières, sans intérêt touristique. Le mystère doit rester, le rêve est à ce prix.

Patrick BERLIER







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