Rubrique
Pilat et Liens

Mars 2018




Par
Patrick Berlier


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LES VIERGES NOIRES

EN VELAY, LYONNAIS, FOREZ ET PILAT

 

 

La sortie de notre nouveau livre Le Pilat Mystérieux, qui consacre un chapitre à la Vierge noire du Pilat, Notre-Dame-soubs-Terre à Pélussin, nous donne l'occasion d'évoquer quelques unes des Vierges noires de notre région, qui en compte un certain nombre, plus ou moins connues. Nous nous limitons aux plus proches du Pilat, en incluant toutefois la Vierge noire du Puy-en-Velay et celle de Fourvière à Lyon.

 

Vierge noire de l'abbaye Saint-Victor à Marseille

 

Les Vierges noires se rencontrent essentiellement en France, et plus particulièrement dans le Massif Central. Leurs origines restent mystérieuses. Ces statues furent le plus souvent trouvées fortuitement en des temps très anciens. Le lieu de la découverte était généralement dans un arbre ou un buisson, au bord de l'eau ou près d'une source. On dit que les Vierges noires résistaient à toute tentative de déplacement, soit en devenant subitement très lourdes, empêchant ainsi leur transport, soit en revenant toutes seules sur le lieu où on les avait trouvées. Comme si leur rôle était de servir de balises pour marquer des points bien précis. Comme elles étaient très vénérées, pour les protéger on a fini par élever en ces lieux chapelles, basiliques, églises, voire cathédrales comme à Chartres ou au Puy-en-Velay.

Il n'est pas impossible que ces statues prises pour des représentations de la Vierge à l'Enfant aient été bien autre chose en réalité. Pourquoi pas, comme à Chartres, une réminiscence de la virgo paritura, la vierge devant enfanter, vénérée par les Gaulois ainsi que le signalait Jules César. À ce sujet il est édifiant de comparer avec la gravure du livre de Sébastien Rouillard Parthénie, ou l'histoire de la très auguste et très dévote église de Chartres (1609). Le mythe de la femme vierge donnant naissance à un enfant est commun à plusieurs civilisations, et fut récupéré par les religions successives.

 

La « virgo paritura » des Celtes
(détail de la gravure du livre de Sébastien Rouillard)

 

LE PUY-EN-VELAY

Au Puy-en-Velay, la statue de la Vierge noire qui trône aujourd'hui dans le chœur de la cathédrale est en réalité la troisième. Le lieu a toujours été un sanctuaire marial. Aux premiers temps du christianisme, une femme qui souffrait de fièvre eut en songe la vision de la Vierge, qui lui ordonna de se rendre au sommet du Mont Anis, sur l'emplacement de la cathédrale actuelle. Ce qu’elle fit dès le lendemain. Avisant le vieux dolmen dressé en ce lieu, elle s’y coucha et s’y endormit. À son réveil, non seulement la fièvre avait disparu, mais la Vierge se tenait là, qui lui fit part de son désir de voir une église s’élever en cet endroit. La brave femme s’en alla voir Georges, le premier évêque du Velay, dans son évêché qui était alors à Ruessio, actuel Saint-Paulien. Le saint évêque, troublé, vint illico sur le Mont Anis. Le sol était couvert de neige, bien qu’on fût pourtant en juillet. Un cerf apparut et gambada dans la neige, dessinant le contour de la future église. Saint Georges planta des branches épineuses pour marquer ce pourtour. Il promit à la femme d’exaucer le vœu de la Vierge, mais il mourut peu après et le temps passa.

Deux siècles plus tard, une nouvelle guérison miraculeuse décida l’évêque saint Vosy à venir sur le Mont Anis. Les branches épineuses plantées par saint Georges étaient devenues des buissons de roses. Vosy partit à Rome pour obtenir l’autorisation de bâtir la nouvelle église. Il revint avec Scutaire, architecte romain, qui se chargea de la construction. Une première basilique fut édifiée entre 415 et 430. Elle contenait naturellement une statue de la Vierge, dont nous ne savons pas grand-chose. Sa renommée attira rapidement pèlerins et malades, et la ville prit rapidement de l’importance, si bien que le siège de l’évêché dut être transféré de Saint-Paulien au Puy-en-Velay, quelques années avant l'an 600.

Les premières pierres de la cathédrale actuelle furent posées au XIe siècle. Un siècle plus tard, elle était déjà trop petite, tant était grande l’affluence des pèlerins, le Puy étant devenu l'un des points de départ du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais la place manquait pour agrandir la cathédrale, le terrain étant trop exigu. La seule solution était de lancer audacieusement la nef au-dessus du vide, côté ouest, cette extension étant soutenue par de hautes arches en guise de pilotis. C’est la raison pour laquelle on entre dans la cathédrale non pas par une porte en façade mais par l’escalier passant sous la nef et émergeant directement au centre du bâtiment. Il est ensuite possible de le quitter par les portes situées de part et d’autre du chœur. Ce qui fait dire que l’on y pénètre par le nombril pour en ressortir par les oreilles.

 

Entrée de la cathédrale Notre-Dame du Puy-en-Velay

 

La première statue de la Vierge fut reléguée derrière le maître-autel lorsque la deuxième fut installée. Cette Vierge noire aurait été rapportée d’Orient par Louis VII, qui l’aurait reçue en cadeau du sultan de Jérusalem. Selon une autre version, c’est saint Louis qui l’aurait rapportée d’Égypte, et en aurait fait cadeau à la cathédrale du Puy au retour de la septième croisade. Vénérée pendant des siècles, cette Vierge noire fut brûlée en place publique par les révolutionnaires, en 1794. Le lendemain, on trouva dans ses cendres une petite pierre de jaspe sanguin couverte de hiéroglyphes égyptiens, qui devait sans doute se trouver à l'intérieur de la statue. On connaît précisément l'aspect de cette Vierge noire, car elle avait fait l'objet d'une description précise par le géologue Faujas de Saint-Fond, venu peu de temps avant visiter le Velay. Voici en quels termes il la décrit (avec l'orthographe de l'époque), dans son ouvrage Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay (1778) :

« La statue a deux pieds trois pouces de hauteur, elle est dessinée d’une manière dure & roide, son attitude est celle d'une personne assise sur un siège à la manière de certaines divinités Égyptiennes ; elle tient sur son giron un enfant dont la tête vient correspondre à l’estomac de la statue qui est en bois, paroissant être d une seule pièce, & pesant environ vingt cinq livres ; le fauteuil sur lequel elle repose est détaché je le crois d’un travail moderne. Je dois dire avant de passer à d'autres détails que la statue est de cèdre, on y distingue la couleur & toutes les qualités de ce bois, j'ajoute qu’elle paroît être très ancienne ».

 

L'ancienne Vierge noire du Puy

(gravure extraite du livre de Faujas de Saint-Fond)

 

Puis l'auteur détaille la manière dont la statue est couverte d’une toile fine marouflée et peinte :

« toute la statue est entièrement enveloppée depuis la tête jusqu'aux pieds, de plusieurs bandes d une toile assez fine, très soigneusement & très solidement collée sur le bois à la manière des momies Égyptiennes. C’est sur ces toiles fortement collées sur toute l'étendue du bois, ainsi que je l'ai déjà dit, qu'on a d'abord jeté une couche de blanc à gouache, sur laquelle on a peint à la détrempe les draperies accompagnées d'ornemens de différentes couleurs. »

Faujas de Saint-Fond poursuit, décrivant l’aspect du visage de la Vierge :

« La forme du visage présente un ovale extrêmement allongé & contre toutes les règles du dessein. Le nez est également d'une grosseur & d’une longueur démesurée, & d'une tournure choquante. La bouche est petite, le menton raccourci & rond, la partie osseuse supérieure de l'œil fort saillante, & l'œil malgré cela très petit. »

À propos des yeux, le géologue précise qu’ils sont simplement en verre, de forme convexe et peints à l’intérieur pour dessiner l’iris. Ces yeux donnent à la statue un curieux regard :

 « on ne peut dissimuler que cette figure n'ait un air hagard, & en même temps étonné, qui inspire de la surprise & même de l'effroi ».

 

Vierge noire du Puy-en-Velay, hier et aujourd'hui
(la statue du XIXe siècle)

 

La référence à l'Égypte est intéressante, puisque selon l'une des versions la statue aurait été rapportée d'Égypte par saint Louis. Beaucoup pensent que les Vierges noires étaient en fait à l'origine des statues égyptiennes représentant Isis et son enfant Horus. Cela expliquerait la couleur sombre ou franchement noire de la peau, et l'aspect du visage. La comparaison entre les représentations d'Isis mère, de la virgo paritura, et des Vierges noires chrétiennes, est particulièrement troublante. En fait toutes ces œuvres ne sont que des déclinaisons de la déesse mère primitive. On peut ajouter que la deuxième Vierge noire du Puy, comme beaucoup d'autres, avait le visage noir mais les mains blanches, en signe de pureté. La statue actuelle est une œuvre du XIXe siècle, l'artiste s'est inspiré de diverses Vierges noires existantes pour la réaliser.

 

Statue d'Isis et Horus

 

NOTRE-DAME DE FOURVIÈRE

Direction Lyon pour la suite de notre tour d'horizon des Vierges noires régionales. Sur la colline de Fourvière, qui domine le Vieux Lyon, il y aurait eu très tôt une chapelle édifiée sur les ruines du forum romain. Cet oratoire primitif paraît plus relever de la légende que de l'histoire. La première chapelle dont l'existence soit certaine fut construite vers 1170. Elle était consacrée à saint Thomas Becket, qui aurait séjourné à Lyon quelques années auparavant. Constituée d'une nef unique, la chapelle était adossée à un clocher-tour carré dont la base formait une chapelle dédiée à la Vierge, communiquant avec la première par une petite porte. En 1192 la chapelle de Fourvière fut élevée au rang d'église collégiale. Elle attira très vite une intense dévotion, qui dura plusieurs siècles.

En 1562 les protestants se rendirent maîtres de la ville de Lyon, et pour tenir leur position ils firent appel à leur armée. C'est alors qu'intervint le sinistre baron des Adrets, qui décida de se livrer au pillage et au saccage des églises lyonnaises, en commençant par le symbole le plus ostensible, l'église de Fourvière, qui resta en ruines pendant plus de vingt ans.

En 1586, profitant d'une accalmie dans les guerres de religion, les lyonnais reconstruisirent leur église chérie, et la consacrèrent entièrement à Marie. Pour l'occasion fut mise en place une nouvelle statue de la Vierge à l'Enfant, en bois de poirier, qui s'assombrit rapidement et fut requalifiée en Vierge noire sous le nom de Notre-Dame de Bon Conseil.

 

La Vierge noire de Fourvière jadis
(carte postale ancienne)

 

En 1630 elle reçut la visite du roi Louis XIII et de son épouse Anne d'Autriche. Le couple, sans enfant, implora la Vierge de lui donner une descendance. Leur prière finit par être exaucée, mais c'est seulement en 1638 que naquit le futur Louis XIV. Entre temps le couple royal avait visité d'autres sanctuaires, vénéré d'autres statues, en particulier celle de sainte Anne dans la cathédrale d'Apt, en Provence, mais pour les Lyonnais seules les prières à leur Vierge noire furent efficaces.

En 1643 une épidémie de peste décimait la population lyonnaise. On comptait plusieurs dizaines de milliers de morts. Les échevins (édiles municipaux) promirent d’offrir une pièce d’or et des cierges blancs à la Vierge si l’épidémie cessait. Le fléau s’arrêta en effet quelques semaines plus tard. Le 8 septembre, fête de la naissance de Marie, les échevins montent à Fourvière pour tenir leur promesse, avec à leur tête le prévôt des marchands (maire). La tradition de « monter » à Fourvière chaque 8 septembre fut poursuivie par ses successeurs puis par les maires après la Révolution, et elle perdure aujourd’hui encore, quelles que soient les croyances religieuses, philosophiques, ou les colorations politiques des premiers magistrats de la ville.

 

La Vierge noire de Fourvière aujourd'hui

 

L'église de Fourvière fut agrandie en 1740, et pourvue d'un nouveau clocher en 1852. On décida de le coiffer d'une statue de la Vierge dorée à l'or fin. L'œuvre fut commandée au sculpteur officiel du diocèse, Joseph Hugues Fabisch. La cérémonie d'inauguration, prévue pour le 8 septembre 1852, dut être annulée à cause de l'orage terrible qui s'abattit sur la ville ce jour-là. Elle fut reportée au 8 décembre, jour de la Conception de Marie. Le soir venu, les Lyonnais allumèrent « spontanément » des milliers de lumignons qu'ils alignèrent sur les rebords de leurs fenêtre, perpétuant en réalité une coutume ancestrale. L'habitude a perduré, elle est devenue aujourd'hui la très prisée Fête des Lumières.

Fourvière connut un considérable regain de ferveur, à tel point que l'église devint bien trop petite. L'archevêque de Lyon décida d'élever une autre église, beaucoup plus grande, à côté de la première, et il fit appel pour cela à un architecte talentueux, Pierre Bossan. Celui-ci avait déjà conçu plusieurs églises dans la région lyonnaise, dont à Lyon l'église Saint-Georges au pied de la colline. Il imagina une grande basilique, très richement décorée à l'extérieur comme à l'intérieur. Elle fut financée par les grandes familles lyonnaises, et ouverte au culte en 1896. La basilique de Fourvière, dont la silhouette blanche caractéristique se dresse dans le ciel au-dessus de la cité, ne fait pas l'unanimité, mais elle ne laisse personne indifférent. Elle voisine toujours, en communiquant avec elle, la chapelle de la Vierge noire Notre-Dame de Bon Conseil.

 

La basilique Notre-Dame de Fourvière

 

NOTRE-DAME DE BONSON

Nous arrivons maintenant dans le Forez. La petite bourgade de Bonson, établie sur la rivière du même nom, est bien connue pour sa chapelle rurale construite un peu à l'écart du village, au bord de la rivière. On y venait en pèlerinage à cause d'une statue de la Vierge à l'Enfant, jugée miraculeuse, qui faisait l'objet d'une grande vénération. On dit qu'elle fut découverte dans un tronc d'arbre, par un enfant qui menait ses bêtes boire à la rivière. Le gamin courut au village pour conter sa découverte. Les habitants incrédules vinrent juger par eux-mêmes, persuadés que l'enfant avait menti ou avait mal vu. Mais ils durent convenir que c'était bien la statue d'une Vierge qui trônait dans l'arbre. Ils décidèrent alors de la transporter dans leur église, où elle serait mieux à sa place. Le lendemain, la Vierge avait disparu. Elle était revenue dans son tronc d'arbre. Une seconde fois on la transporta au village, et une seconde fois elle revint dans son arbre. Alors on décida de la laisser en place, puisque visiblement elle se plaisait là. Puis au XIe siècle on éleva une chapelle romane à cet emplacement, et on y plaça la statue. Apparemment cela lui convenait puisqu'elle y resta.

 

La chapelle Notre-Dame de Bonson

 

On ne sait rien de plus de cette statue primitive. Par ses caractéristiques – découverte au bord de l'eau, dans un arbre, refus de changer de place – tout indique que ce devait être une Vierge noire. Au XVe siècle elle fut remplacée par une nouvelle statue, en bois sombre de poirier ou de tilleul. Cette statue a résisté à toutes les tourmentes, guerres de religion comme révolution. Pendant la Terreur, elle fut remisée dans une cachette sûre, enfermée dans un coffre construit tout exprès, lequel fut enterré au pied d'un arbre. L'orage passé, on la remit dans son sanctuaire. Hélas, le zèle de la population à protéger sa Madone n'a pas perduré au fil des siècles. La statue fut honteusement dérobée dans les années 90. Il en existe heureusement des cartes postales anciennes, des photographies, des descriptions. Grâce à elles, nous savons qu'elle mesurait environ 30 cm de hauteur, socle compris. Ce socle était en réalité un reliquaire, une vitre permettant de voir un morceau d'étoffe présenté comme un fragment du suaire de la Vierge. Voici en quels termes émus l'abbé Signerin, curé de Saint-Rambert-sur-Loire, décrivait la statue dans son livre consacré à Notre-Dame de Bonson :

« La Vierge porte une couronne adhérant à la tête, avec bandeau très saillant, uni et surmonté de denticules dépourvues de fleurons. Le front est haut et découvert, le visage est ovale et montre des traits empreints d'une grande amabilité mêlée de tristesse ; sous des sourcils bien arqués, les yeux s'ouvrent à demi, et semblent jeter des regards de compassion ; le nez est droit et fort ; les lèvres, bien dessinées, esquissent un sourire dont la douceur se marie à la pitié […] Une abondante chevelure disposée en nattes nombreuses est répandue, non seulement sur les épaules de la Vierge, mais encore sur ses bras. Ramenées ainsi en avant, ces nattes ondulées font un cadre des plus gracieux à son doux et maternel visage […] La tête de la Vierge ne porte pas le voile traditionnel des femmes juives ; mais un ample manteau, aux plis nombreux et bien distribués, jeté avec grâce sur ses épaules, descend jusqu'à ses pieds et va, dans un élégant drapé, dérober le bas de la robe. De la main droite, la douce Madone relève les deux pointes extrêmes de ce manteau, comme pour laisser à découvert le médaillon creusé à ses pieds [le reliquaire] pendant que, de la main et du bras gauche, elle soutient l'Enfant-Dieu. Celui-ci appuie affectueusement une de ses mains sur l'épaule de sa divine Mère ; et, dans l'autre, presse un fruit, croyons-nous. »

La tête de l'Enfant Jésus était détachée du reste de la statue, et fixée sur elle grâce à un pivot, comme si la statue originelle avait été décapitée, et la tête de l'Enfant remplacée par une nouvelle. Le trait était d'ailleurs malhabile, le nez en particulier donnait au visage une allure de personnage de bande dessinée.

 

Notre-Dame de Bonson (photo ancienne)

 

Après le vol qui spolia la chapelle de sa Vierge vénérée, la municipalité de Bonson décida de la remplacer. Elle lança un appel d'offre, et plusieurs artistes proposèrent des projets. C'est finalement celui du Roannais Michel Granger qui fut retenu. Ce n'est pas une statue mais une dalle en verre de Saint-Just, d'un bleu pailleté, dans laquelle l'artiste a découpé la silhouette de la Vierge à l'Enfant, laquelle apparaît par un jeu de lumière en blanc éblouissant, comme une apparition. L'artiste n'a pas voulu remplacer la statue ancienne par une nouvelle, mais plutôt symboliser son absence, tout en rendant hommage au savoir-faire des maîtres verriers de la région. On est ainsi passé d'une Vierge noire bien matérielle à une Vierge blanche virtuelle et éthérée.

 

Le vitrail de Notre-Dame de Bonson
(photo Forez-info)

 

NOTRE-DAME DE VALFLEURY

Nous voici dans le Jarez. Le modeste village de Valfleury doit sa célébrité au sanctuaire marial qu’il abrite, fondé suite à la découverte d’une statue de la Vierge noire aux alentours de l’an 800. Un soir de Noël, des bergers eurent leur attention attirée par un bouquet de genêts miraculeusement fleuris dans la neige. Et au cœur de ces genêts, près d’une source, les attendait une petite statue de la Vierge, en bois sombre. Ils la rapportèrent chez eux, à Saint-Christo, où elle trouva sa place dans l’église. Mais le lendemain la Vierge était retournée dans son vallon sauvage. Alors on décida d’élever un oratoire à cet endroit. Bien vite quelques chaumières vinrent l’entourer. Ainsi est né le sanctuaire du val fleuri, devenu le village de Valfleury. Puis rapidement la réputation de sa Vierge et de sa source draina vers lui les chrétiens des environs, les premiers miracles s’accomplirent. Le parallèle avec la Vierge de Bonson est à relever.

 

Découverte de la Vierge noire
(vitrail de la basilique de Valfleury)

 

Ce sont les Lazaristes, installés à Valfleury depuis la fin du XVIIe siècle, qui ont relancé un pèlerinage un peu tombé dans l’oubli. Son succès doit beaucoup à James Lugan, supérieur de la congrégation et curé de la paroisse, qui à partir de 1840 passa 28 ans de sa vie à Valfleury. C'est lui qui fit construire la nouvelle église, s’adressant à celui qui allait devenir le maître d’œuvre de Notre-Dame de Fourvière à Lyon, Pierre Bossan. C’est le style néogothique, alors très à la mode, qui fut adopté pour la nouvelle église. La première pierre fut bénite le 22 mai 1853. Antoine Nicolle, successeur de James Lugan, obtint en 1860 du pape Pie X le couronnement de la Vierge de Valfleury, insigne honneur accordé aux statues miraculeuses, qui relança la piété et favorisa de nouveaux financements. Toutes les grandes familles d’industriels de la vallée du Gier et du bassin de Saint-Étienne y adhérèrent. Le Père Nicolle supervisa la construction de la nef et de la façade, et pour les sculptures il fit appel bien entendu à Joseph-Hugues Fabisch, le sculpteur officiel du diocèse de Lyon. L’église fut consacrée en 1866. Joseph Courtade, qui succéda à Antoine Nicolle de 1871 à 1873, s’occupa des aménagements intérieurs, les boiseries en particulier. Il fallut attendre 1880 pour voir commencer à s’élever le clocher, et 1885 sa haute flèche en pierre terminée. Mais les travaux se poursuivirent en réalité jusqu’en 1899.

 

La Vierge noire de Valfleury, hier et aujourd'hui

 

SAINT-PRIEST-EN-JAREZ

Toujours dans le Jarez, au nord de Saint-Étienne se dresse une colline occupée par un village perché aux allures provençales : c'est le crêt de Saint-Priest-en-Jarez. Au Moyen-Âge un puissant château fort s'y élevait, dont il ne reste quasiment plus rien. Une double enceinte entourait le château, et une troisième ligne de remparts protégeait le village et son église. Très pentu, le site fut abandonné au XIXe siècle au profit d'un nouveau bourg et d'une nouvelle église, plus commodes car construits sur un replat de terrain à mi-hauteur de la colline. Mais le vieux village n'est pas mort pour autant, car il a su attirer de nouveaux occupants, séduits par son charme et par sa vue, qui ont su le sublimer.

Sur la place principale du nouveau bourg, devant l'église, s'élève une haute croix de pierre érigée en 1875. Croix typique de la fin du XIXe siècle, elle n'aurait rien de bien intéressant, si au croisillon un médaillon ne représentait pas une Vierge noire. Non seulement son visage est noir, mais des deux mains elle entrouvre son vêtement pour montrer son thorax et son cœur, eux aussi noirs. Seules les mains sont blanches, comme celles de la Vierge noire du Puy, ce qui ne fait qu'accroître le mystère. Car s'il ne s'agit pas là d'une statue, néanmoins elle doit faire référence à une vraie Vierge noire, mais on ne sait pas vraiment laquelle. Aujourd'hui la teinte noire du visage et du corps de la Vierge n'est plus guère visible, il n'en reste que quelques traces. Encore quelques années et la Vierge noire sera devenue blanche.

 

La Vierge noire de Saint-Priest-en-Jarez telle qu'elle était visible
dans les années 80 - Détail du croisillon

 

NOTRE-DAME-SOUBS-TERRE À PÉLUSSIN

Le Pilat enfin, pour terminer notre tour d'horizon. L'église de Pélussin, dans la partie basse du village, est historiquement parlant la première église de la paroisse. La légende veut que des chrétiens fuyant les persécutions à Lyon en l'an 177, soient venus se réfugier dans le Pilat, creusant dans la roche une première chapelle pour abriter la statue de la Vierge qu'ils avaient réussi à sauver. Au XIe siècle une église s'éleva par-dessus, la chapelle primitive devenant la crypte de cette église. Menaçant ruine, elle fut démolie à la fin du XIXe siècle et remplacée par l'église actuelle. La crypte a heureusement été conservée ainsi que sa statue, même si le décalage de l'édifice a obligé à changer son orientation. On venait dans la crypte Notre-Dame-soubs-Terre pour tenter de ramener à la vie des enfants morts-nés, le temps de les baptiser, selon une pratique répandue que l'on retrouve un peu partout en France. Les chapelles ou églises où ce culte se pratiquait sont dits sanctuaires de répit.

Les anciens de Pélussin ou du Pilat se souviennent que jadis cette statue était celle d'une Vierge noire, ce que confirment les rares photos anciennes. Faisant exception à la règle, elle n'est pas en bois mais en pierre. Cependant son aspect « sédentaire » est bien celui d'une Vierge noire : on raconte qu'un jour on voulut la déplacer vers l'église des Croix, mais la statue parut soudain peser des tonnes et les hommes chargés de ce travail durent la remettre en place. Puis dans les années 70 la Vierge noire est devenue subitement blanche, suite semble-t-il à un nettoyage un peu poussé. Vous trouverez dans notre livre Le Pilat Mystérieux tous les détails sur l'histoire de cette statue, des églises successives, et des croyances populaires qui lui sont attachées.

 

La Vierge noire de Pélussin, hier et aujourd'hui

 

LA MADONE DE CHAVANAY

Il y aurait une Vierge noire à Chavanay ? Oui... et non... Sur la colline qui domine le village, près du hameau d'Izeras, la Madone est une Vierge placée sur un piédestal maçonné en moellons de granite du pays, haut de 17 m. La statue elle-même est en pierre de Volvic, et de fait cette Vierge-là, de par la couleur de cette pierre, est bien noire, même si elle n'en possède pas les caractéristiques habituelles. Certes il est tentant de remarquer que du hameau d'Izeras à la déesse Isis il n'y a qu'un pas... mais il serait quand même bien risqué de le franchir !

 

La Madone de Chavanay
(photo Altituderando)

 

Cependant cette Madone noire vaut tout de même que l'on s'y arrête, et pas seulement pour la vue magnifique qu'elle offre sur Chavanay et la vallée du Rhône. Elle semble en effet présenter la particularité d'annoncer une guerre lorsqu'elle est frappée par la foudre. Érigée en 1861, une première fois en 1870 lors d'un orage un éclair tomba du ciel et lui cassa un bras. Aucun souvenir n'a été rapporté pour l'année 1914, mais en 1939, pendant la nuit de la déclaration de guerre, la foudre la frappa à nouveau et emporta un autre morceau. Réparée en 1956, elle résista vaillamment jusqu'en 1992. En janvier, à la veille de la guerre du Golfe, la foudre lui cassa à nouveau un bras et fit voler sa couronne en éclats. On fit les reprises nécessaires. Mais pour ne pas risque de devoir réparer la Madone à nouveau dans l'avenir, la municipalité de Chavanay décida d'investir dans un paratonnerre. La Vierge est désormais protégée, le paratonnerre lui donnant l'impression d'avoir une antenne au-dessus de la tête, mais la prochaine guerre se déclenchera sans qu'elle nous ait avertis...



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