Juin
2015
|
Balade Virtuelle dans le Pilat
Médiéval
Par notre ami Patrick
Berlier
|
C’est
à un voyage dans le temps que je vous convie aujourd’hui. Si
nous pouvions
disposer d’un drone capable d’aller explorer le passé et d’en
rapporter des
images, nous aurions des photos des châteaux forts du Pilat, et
autres
bâtiments du Moyen-Âge, qui aujourd’hui ne sont plus que
ruines, plus ou moins
importantes, plus ou moins bien conservées. Mais la technologie
moderne,
alliant l’informatique à la photographie numérique,
permet de
« reconstruire » n’importe quelle ruine pour lui
redonner sa fière
allure d’antan. Il suffit d’un bon logiciel de retouche photographique,
pour
créer à partir d’éléments disparates des
images virtuelles, dont les seules
limites sont celles de l’imagination. À condition, bien
évidemment, de disposer
de gravures ou dessins d’époque, ou tout au moins de
descriptions détaillées,
faute de quoi ces reconstitutions ne seraient que fantaisies. CHÂTEAUNEUF Direction
la vallée du Gier pour commencer. Dans le castel de
Châteauneuf vécut la fondatrice
de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, Béatrix de la Tour,
après la
disparition de son époux Guillaume de Roussillon. Nous disposons
pour ce
château de plusieurs dessins anciens. L’un d’eux est hélas
un « faux
ami », c’est celui de Guillaume Revel en 1460, qui ne
représente pas le
« Chasteau Neuf » du Pilat, mais le
« Chasteau Neuf » du
Forez, autrement dit Châtelneuf, près de Montbrison.
Rappelons que le peintre
Guillaume Revel fut chargé par le comte de Forez de
réaliser des dessins de
tous les châteaux, villes fortifiées, abbayes,
situés sur son comté. L’artiste
a exécuté ce travail avec conscience et enthousiasme.
Mais le Châteauneuf du
Pilat n’ayant jamais appartenu au comté de Forez, le dessin de
Guillaume Revel
ne peut pas le concerner. Malheureusement c’est un piège dans
lequel certains
se sont laissés prendre.
En
réalité Châtelneuf, en
Forez Autre
gravure, celle-ci parfaitement fiable, celle de Jean-Jacques de
Boissieu au
XVIIIe siècle. Il donne de Châteauneuf l’image
d’un castel encore
intact, à la fin de l’Ancien Régime. Seul le donjon avait
déjà disparu. Les
bâtiments devaient tomber sous les coups de pioche des
révolutionnaires en
1793, avant de tomber dans l’oubli, recouverts d’une chape de ronces et
de
végétation. Enfin il existe de Châteauneuf plusieurs descriptions. Nous savons donc que ce château se composait d’un donjon carré, contre lequel s’adossaient à l’est plusieurs bâtiments. De gauche à droite : un mur d’enceinte, une petite tour ronde sans fenêtres ni créneaux, une aile rectangulaire avec toit à une seule pente, orientée vers le sud, un bâtiment central rectangulaire à deux niveaux, façade crénelée percée de deux fenêtres et d’une porte, une grosse tour carrée et crénelée à trois niveaux, percée de quatre fenêtres, une tour basse carrée et crénelée. Devant le château, une large terrasse soutenue par un fort mur, renforcé de contreforts. Ensemble complété par une chapelle mais qui n’est pas la chapelle actuelle, laquelle ne date que du XVIe siècle. Puis au bas de ce mur de soutènement un petit bâtiment isolé, dont la fonction reste à déterminer. Tous ces détails se retrouvent sur la gravure de Jean-Jacques de Boissieu.
Châteauneuf,
détail de la
gravure de Boissieu, XVIIIe siècle Pour
reconstituer une image virtuelle de Châteauneuf, il
n’était pas possible de
« reconstruire » les ruines actuelles, tant il
reste peu de choses du
château, et tant la végétation s’est
développée. Il m’a donc fallu réaliser une
reconstitution de toutes pièces. Je suis parti de la photo d’une
colline en
partie boisée, photographiée au lever du soleil,
située en réalité dans les
Alpes-Maritimes. J’ai supprimé le ciel d’origine pour le
remplacer par un ciel
orageux, car je voulais un fonds plutôt sombre pour faire
ressortir un
Châteauneuf éclairé par le soleil levant. Puis j’ai
restitué les bâtiments du
château en prenant des éléments de ci, de
là. Ainsi le donjon est-il celui de
Lacoste en Provence, les différentes ailes et tours ont
également été piochées
dans des photos de sites provençaux, Lacoste encore, Bonnieux,
ou le Beaucet. Je
me suis inspiré bien sûr de la gravure de Boissieu et de
photos des ruines dans
les années 80, à l’époque où la
façade était encore à-peu-près accessible.
Mais
je ne veux pas vous livrer toutes mes techniques ! À partir
de cette
première image j’en ai conçu une seconde, en ajoutant
dans le ciel la vision de
Béatrix de la Tour, la croix lumineuse entourée
d’étoiles. Cette image-là
figure depuis longtemps sur la page d’accueil du site. Châteauneuf
au XIIIe
siècle – reconstitution virtuelle Ensuite
on peut comparer la gravure de Jean-Jacques de Boissieu, et ma
reconstitution,
avec une troisième image, une gravure de 1830 environ montrant
le premier train
à vapeur circulant sur la ligne de Saint-Étienne à
Lyon. C’est au pied des
ruines de Châteauneuf que l’artiste a choisi d’immortaliser le
passage du
train, avec sa locomotive désuète et ses wagons
chargés de charbon. On voit
qu’il ne reste déjà plus grand-chose des bâtiments
encore intacts au siècle
précédent. La base polygonale du donjon servira de
plate-forme pour la statue
de la Vierge, inaugurée en 1876. Ruines de
Châteauneuf vers
1830 CONDRIEU La
vallée du Rhône pour continuer. Des fortifications de
Condrieu il existe une
gravure ancienne, pas très nette et montrant essentiellement
l’aspect du
donjon, mais heureusement nus en avons des descriptions. Les cartes
postales
anciennes sont également précieuses, elles montrent les
ruines avant qu’elles
ne soient envahies par la végétation. Condrieu fut l’une
des plus grosses
places fortes du Lyonnais. à
la
fin du XIIe siècle, quelques années
après la signature du traité de
Tassin (1173) séparant le comté de Forez de celui du
Lyonnais, et instituant
les archevêques de Lyon comme comtes du Lyonnais, le nouveau
comte et
archevêque Renaud de Forez décida de verrouiller les
accès à Lyon par le nord
et par le sud. Côté nord c’est le château d’Anse, en
Beaujolais, qui joua ce
rôle, côté sud cette mission fut confiée
à la cité de Condrieu, qui fut
considérablement fortifiée pour l’occasion. Une
première enceinte entourait la ville basse, une seconde la ville
haute, une
troisième le château, lui-même prolongé par
un donjon massif, de plan
circulaire, haut de 25 m et large de 15. Contre ce donjon s’adossait
une tour
carrée plus haute. De tout cet ensemble il ne reste pas
grand-chose, hormis une
tour d’angle où se réunissaient les trois enceintes, qui
est devenue la Tour
Garon, du nom d’un de ses anciens propriétaires. Ma
reconstitution s’est faite
également de toutes pièces, à partir d’une colline
du Languedoc sur laquelle
j’ai posé des éléments divers, la plupart venant
de mes photos de la cité de
Carcassonne. Condrieu au XIIIe
siècle – reconstitution virtuelle MALLEVAL Toute
la région du Pilat allant de Chavanay à Bourg-Argental,
que l’on nommait le
Forez Viennois, fit partie de la dot apportée par Alix de la
Tour – la nièce de
Béatrix – à son époux Jean Ier comte de
Forez. Cela se passait en
1296. La seigneurie de Malleval échut à leur fils cadet
Renaud de Forez, qu’il
ne faut pas confondre avec son homonyme l’archevêque de Lyon,
lequel vécut cent
ans plus tôt. C’est Renaud qui au XIVe siècle
fit de Malleval une
ville puissante. Pour reconstituer le château et ses
fortifications, je me suis
fondé sur les vestiges existants, en
« reconstruisant » la cité à
partir de ses ruines actuelles. De
toute évidence le donjon était carré, je me suis
donc inspiré du donjon de
Polignac. Le corps de logis s’élève sur ses ruines
visibles aujourd’hui. Idem
pour la prison, adossée au rocher, et pour les enceintes
entourant le tout. À
gauche, on distingue les ruines du château primitif. Faute de
gravure ancienne
et de description précise, cette reconstitution-là laisse
peut-être un peu plus
place à l’imaginaire. Malleval au
XIVe siècle –
reconstitution virtuelle DOIZIEUX Doizieux
avec un X final, puisque telle est l’orthographe officielle
décidée par le
préfet de la Loire, sans doute sur le modèle de Jonzieux.
Dans le département
du Rhône, Condrieu résiste encore à la mode
d’ajouter un X aux noms en IEU. Le
donjon a été restauré récemment. Ces
travaux ont permis de constater que la
tour pouvait bien s’entourer de hourds permettant d’accroître sa
défense en cas
de danger. Les trous des hourds, rebouchés depuis longtemps
à l’extérieur,
existaient encore à l’intérieur. À l’occasion de
cette restauration, on a
prélevé de petits échantillons des pièces
de bois incluses dans la maçonnerie,
servant intérieurement de linteaux aux meurtrières. Une
analyse par
dendrochronologie a permis de les dater de 1296. C’est l’année
où le comte de
Forez accrut considérablement son domaine par son mariage avec
Alix de la Tour.
Doizieux, en Lyonnais, étant comme on le sait frontalier avec le
comté de
Forez, le construction du donjon était donc dictée par la
prudence : on
avait encore en mémoire les guerres des siècles
précédents entre Forez et
Lyonnais. Pour
le reconstituer je suis parti d’une photo du donjon tel qu’il est
aujourd’hui,
et j’ai seulement gommé les fenêtres et ajouté des
hourds, qui sont ceux du
château comtal de Carcassonne. Le donjon de
Doizieux à la
fin du XIIIe siècle – reconstitution virtuelle ARGENTAL Le
château d’Argental appartint aux Pagan du Vivarais, et
même, dit une certaine
tradition relayée par plusieurs auteurs, à Arthaud de
Pagan qui était le propre
frère de Hugues de Pagan, fondateur et premier Grand
Maître de l’Ordre des
Templiers. Il en existe un dessin, inséré dans le livre
de Jean Antoine de la
Tour-Varan « Chroniques des châteaux et abbayes ».
Cette
gravure nous montre un corps de logis de plan rectangulaire, aux angles
pourvus
de poivrières, adossé à un haut donjon polygonal.
Château et chapelle sont
entourés de plusieurs lignes d’enceinte, épousant les
formes du rocher. Gravure ancienne
du château
d’Argental Je
me suis donc servi de cette gravure pour reconstituer Argental à
partir des
vestiges actuels. Le donjon, qui n’est plus que ruines informes au ras
du sol,
est reconstruit de toutes pièces à partir du donjon de
Doizieux. Les murs du
corps de logis sont « empruntés » aux murs
de la chartreuse de
Sainte-Croix-en-Jarez. Les poivrières sont celles du
château d’Yvoire en
Haute-Savoie. Les tours secondaires sont celles de
Sainte-Croix-en-Jarez, ou de
Carcassonne, idem pour les murailles. Par rapport au dessin, j’ai
décalé l’une
des tours et modifié les murailles en fonction des vestiges
encore visibles. Bien
évidemment, il m’a fallu gommer toute trace d’occupation
actuelle :
maisons, poteaux télégraphiques, lignes
électriques, route, etc. le résultat
est, je pense, assez bluffant. Argental au XIVe
siècle – reconstitution virtuelle ROCHETAILLÉE À
l’origine possession des seigneurs de Saint-Chamond, lesquels rendaient
hommage
aux comte de Forez pour ce château. Il en existe un dessin datant
de 1550,
document précieux, malgré les défauts de
perspective qui sont encore courants à
cette époque. Cette gravure nous montre un château
protégé par trois tours
massives : une tour d’angle sans créneaux, mais avec de
larges ouvertures
qui devaient servir à passer sur les hourds, une tour
avancée servant de
barbacane, avec créneaux et mâchicoulis, au fond une
seconde tour d’angle,
haute, avec créneaux et mâchicoulis mais pas de toit. Les
façades du corps de
logis sont pourvues d’un chemin de ronde avec créneaux et
mâchicoulis. Le château
de Rochetaillée
en 1550 – gravure ancienne Pour
reconstituer le château, je suis évidemment parti d’une
photo de ses ruines
actuelles, que j’ai « reconstruites » en les
remontant pierre par
pierre, ou presque ! Les hourds de la tour d’angle sont ceux du
château
comtal de Carcassonne, les mâchicoulis des deux autres tours sont
ceux du
château de Poisieu en Isère, les toits viennent aussi de
Carcassonne. Pour les
créneaux, qui sont construits de toutes pièces, j’ai ma
petite astuce… J’ai
toujours été étonné par la position de la
porte de ce château : comment y
accédait-on ? La gravure ancienne montre une sorte de plan
incliné,
protégé par un avant-mur, mais dans la
réalité il serait trop raide pour être
gravi. La logique voudrait qu’il y ait eu des escaliers, bien qu’il
n’en reste
aucune trace. Peut-être étaient-ils en bois, et
amovibles ? Dans le doute
j’ai quand même intégré à mon image des
escaliers en pierre, qui sont ceux du
château de Saint-Montant en Ardèche. Le château
de Rochetaillée
en 1550 – reconstitution virtuelle CHAPELLE
DES TEMPLIERS Sur
la commune de Marlhes, près du hameau de Marlhette, les
Templiers avaient
établi une commanderie, dépendant de celle du
Puy-en-Velay, dont il ne subsiste
rien, hormis le nom donné à ce lieu : le Temple.
Après l’arrestation des
Templiers et l’abolition de leur ordre, ce sont les Hospitaliers qui
occupèrent
le site. Cette commanderie avait naturellement sa chapelle,
démolie pendant la
révolution, dont les pierres furent dispersées. C’est
ainsi qu’une partie du
linteau de la porte a été réutilisé,
à l’envers, comme linteau d’une porte dans
une ferme du hameau du Rozet, toujours sur la commune de Marlhes. On
remarque
une accolade, pointe en bas et donc retournée, qui devait
coiffer une petite
porte, à côté d’une plus grande couverte par
l’autre partie du linteau. Ancien linteau de
la porte
de la chapelle des Templiers – hameau du Rozet. En dessous, le
retournement de
cette pierre donne une première idée de son aspect
originel J’ai
eu alors l’idée de recréer l’aspect que pouvait avoir la
porte de la chapelle
des Templiers. C’est une reconstitution laissant évidemment une
large part à
l’imaginaire, le seul vestige visible étant le linteau. Donc je
suis parti
d’une façade de maison ancienne, dans la même
région, en considérant qu’elle
devait quelque peu ressembler à la chapelle des Templiers. J’y
ai intégré le
linteau récupéré sur la photo du Rozet,
convenablement retourné. Puis je l’ai
copié, inversé et raccourci pour créer l’autre
partie. Manquait la clé de voûte
que j’ai dû « fabriquer » à partir
du linteau. Pour les montants j’ai
dû créer des images de synthèse. Vous seriez bien
étonnés de savoir comment…
Restait la porte, les portes plutôt. Impossible de savoir
à quoi elles
ressemblaient. Alors j’ai utilisé l’une des portes de la
cathédrale du
Puy-en-Velay, en me disant que, datant de la même époque,
elle devait offrir un
air de famille certain. Quelques brins d’herbe à dessiner,
quelques ombres à créer,
et voici le résultat… Porte de la
chapelle des
Templiers – reconstitution virtuelle Avec
ces reconstitutions, je n’ai pas la prétention d’avoir fait
œuvre d’historien.
J’ai bien conscience que l’imagination y joue quand même un
certain rôle. Mais
elles donnent quand même une bonne idée de ce à
quoi devaient ressembler nos
châteaux, places fortes, chapelles. Elles apportent aussi leur
lot de regrets,
ceux que ces merveilles ne soient pas préservées, tant
elles constitueraient
aujourd’hui un attrait touristique supplémentaire pour le Pilat. |