Thierry Rollat


                                                  


2015

                      

    Chers Amis Internautes, c'est avec grand plaisir que je viens vous présenter mes meilleurs vœux pour vous et vos familles à l'aube de cette nouvelle année. 2014 ferme ses portes et celle-ci aura été une belle année pour Les Regards du Pilat, une franche adhésion, des articles lus et relus : Merci ! C'est des 4 coins du monde que vous venez consulter votre site ; vous êtes en fait 85 % de France et en moyenne ce sont 80 pays chaque mois qui s'additionnent pour arriver à 100%. Cela fait maintenant plus de onze ans que nous vous sommes fidèles et que vous nous le rendez bien. En 2015, nous allons vous proposer tous les deux mois des sujets en Grande Affaire ; c'est le cas aujourd'hui. Parallèlement Les Regards du Pilat continueront de vous régaler chaque mois. Je tiens à remercier tout spécialement Patrick Berlier et Michel Barbot qui à tous les deux ont assuré presque l'intégralité des articles 2014. De nouvelles plumes viennent nous rejoindre, ainsi la diversité, va permettre d'étoffer à travers un panel d'intervenants, les nouveautés qui vous seront présentées. Nous continuerons bien entendu d'avoir un invité tous les 4 mois, une rubrique que vous appréciez particulièrement si l'on en croit les statistiques des visites. 2015 déjà. On en a fait du chemin depuis nos débuts. Sur la Toile, des sites ont disparu, certains se sont littéralement envolés. Internet demeure pourtant un puissant moyen de communication et Le Pilat un formidable support patrimonial et historique ; là est une des clefs de notre longévité. Chers Amis, nous avons toujours été à votre écoute, celle des statistiques naturellement mais aussi en répondant scrupuleusement à tous vos courriels reçus durant ces nombreuses années. Avant de laisser la parole à mes amis et à leurs Contes de Noël, une Tradition des Regards du Pilat, je vous renouvelle mes vœux de bonne santé et de bonheur pour cette année 2015 qui va commencer.


                                                       








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Patrick Berlier


                                                 

    À vous, chers internautes, qui nous suivez depuis le début, fidèles parmi les fidèles, à vous qui nous découvrez aujourd’hui, à vous qui venez en ces pages glaner quelque renseignement, à vous amis de France ou d’ailleurs, je vous souhaite un merveilleux Noël et une bonne année 2015. Que ce nouveau millésime vous apporte la joie, le bonheur, la santé, et une curiosité sans cesse renouvelée, qui nous vaudra le plaisir d’avoir à nouveau votre visite. 

Pour vous j’ai imaginé l’histoire que vous allez lire maintenant. Elle se déroule entre Lyon et Pilat, et sur trois époques à la fois, car c’est aussi une histoire de voyage dans le temps. J’ai choisi pour héros un personnage étonnant sur lequel je me suis penché durant ces deux années écoulées, je veux nommer Monsieur Philippe de Lyon, célèbre guérisseur et thaumaturge qui vécut, soigna, et enseigna, à la charnière des XIXe et XXe siècle. Personnage étonnant que l’on disait être capable de se trouver en deux endroits en même temps, j’ai imaginé qu’il était aussi capable de vivre à deux époques simultanément. Comment, dès lors, ne pas le faire rencontrer les érudits et humanistes de la Renaissance lyonnaise, regroupés autour du magistrat Nicolas de Lange et de sa Société Angélique, à laquelle j’ai consacré plusieurs livres. 

En me rendant à Lyon dans les pas des uns et des autres, j’ai aussi été frappé par l’omniprésence de la Tour Part-Dieu, comme si elle avait été édifiée pour matérialiser certains axes sacrés. Pur fantasme de ma part, sans doute, mais auxquel j’ai voulu donner vie par ce petit conte mêlant réalité et fantastique. Bonne lecture, j’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cette histoire que j’en ai pris à l’écrire. 

Que cette nouvelle année vous soit douce…


                                                 

L’ÉTRANGE NOËL DE MONSIEUR PHILIPPE

 

 

En cette fin d’après-midi du 24 décembre 1898, l’hiver s’était abattu sur la ville de Lyon. Le vent du nord, glacial, soufflait sur les vieux quartiers du cinquième arrondissement, et par la place du Petit Collège il s’engouffrait, comme dans un entonnoir, dans la rue du Bœuf. Des flocons de neige, soufflés par le blizzard, virevoltaient entre les façades Renaissance. Dix-sept heures venaient de sonner à l’horloge de Saint-Jean. Bien peu de passants se risquaient au-dehors. Les habitants, pour la plupart, restaient calfeutrés chez eux et préparaient déjà la veillée de Noël. Quant à leurs invités, il était beaucoup trop tôt encore pour qu’ils vinssent frapper aux portes de leurs hôtes. Seule leur foi indéfectible ferait sortir les Lyonnais de leurs demeures, un peu avant le milieu de la nuit, pour aller, emmitouflés, assister à la messe de minuit, qui à la cathédrale Saint-Jean, qui à l’église Saint-Georges, et qui à l’église Saint-Paul, les trois pôles religieux du Vieux Lyon.

 

La place du Petit Collège aujourd’hui, un soir de Fête des Lumières

 

La nuit s’installait doucement. La porte du numéro 6 de la rue du Bœuf, ancienne annexe du Petit Collège des Jésuites, s’ouvrit pour laisser passer la silhouette replète d’un homme d’une cinquantaine d’années, dont il émanait naturellement une impression de générosité et de bonhomie, soulignée sans doute par son léger embonpoint et ses énormes moustaches, assorties d’un petit toupet de poils sous la lèvre inférieure. L’homme fit quelques pas dans la rue. Les cristaux de neige et de givre, propulsés par le vent, lui piquaient la peau des joues comme autant de fines aiguilles. Il enfonça son chapeau sur les oreilles, et releva le col de son pardessus, qu’il maintint fermé de sa grosse main gantée de cuir, se dirigeant vers la place du Petit Collège.

 

La porte du 6 de la rue du Bœuf s’ouvrit à nouveau, et dans l’encadrement apparut un homme, plus jeune, dont la longue barbe noire paraissait vouloir compenser le crâne dégarni, et qui héla le premier :

— Père ! Vous n’allez pas trop loin, j’espère ? Vous vous souvenez que vous nous avez promis, à Victoire et à moi-même, de passer le réveillon avec nous ?

— Je m’en souviens parfaitement et vous savez, mon cher gendre, que je tiens toujours mes promesses. Surtout celles que je fais à ma fille chérie. Ne vous inquiétez pas, je vais juste saluer quelques amis, et je serai de retour dans une heure, tout au plus, bien assez tôt pour aller ensemble rejoindre Jeanne et Victoire, qui doivent être affairées aux préparatifs de la soirée. Et vous, Emmanuel, vous m’avez promis de venir avec nous à la messe de minuit…

— Mais moi aussi je compte tenir ma promesse. J’irai avec joie assister à l’office de la Nativité en l’église Saint-Pothin. Je vous attends donc ici vers dix-huit heures. Vous allez voir vos amis « de l’autre côté », j’imagine ? Je ne les connais que de nom, mais saluez-les quand même pour moi…

— Ils y seront sensibles, certainement. Je sais que vous adoreriez les rencontrer, mais je ne puis emmener personne avec moi dans ces voyages étranges que le Ciel me permet de faire. À tout à l’heure, cher Emmanuel.

 

Tandis que le gendre refermait sur lui la porte de ce numéro 6 de la rue du Bœuf, sur laquelle était simplement indiqué « Docteur Emmanuel Lalande », le beau-père poursuivit sa progression, à pas mesurés, sur le pavé devenu glissant. À peine avait-il parcouru quelques mètres qu’une femme s’approcha de lui. Son visage protégé par un pauvre châle semblait marqué par le désespoir : elle avait dû pleurer de toutes les larmes de son corps, à tel point que ses yeux rougis semblaient asséchés.

— Maître, Maître, s’écria-t-elle, vous êtes mon dernier espoir. Je suis bien heureuse de vous trouver ainsi, près de votre laboratoire.

Puis, se reprenant :

— Vous êtes bien Maître Philippe, n’est-ce pas ?

— Nizier Anthelme Philippe, pour vous servir. « Maître » est superflu, restons simples et humbles, je vous en prie ; « Monsieur Philippe » suffira amplement. Que puis-je pour vous, chère Madame ?

— Mon fils unique, Maître… Heu… Monsieur Philippe. Il a fait une sorte de transport au cerveau hier, depuis il est paralysé, il ne peut plus bouger, plus parler, et même respirer lui devient difficile. J’ai peur que cela empire encore et notre médecin de famille ne sait plus que faire. Mon pauvre enfant gémit de douleur dès que l’on tente de le déplacer, impossible de le transporter à l’Hôtel-Dieu, cela le tuerait. Oui, Monsieur Philippe, vous êtes mon seul espoir. Vous voulez bien venir le voir, c’est à deux pas, rue de Gadagne…

— Alors allons-y tout de suite, cela ne devrait pas trop me retarder…

 

Nizier Anthelme Philippe, dit Maître Philippe

 

Si cette femme faisait appel à lui, c’est que Monsieur Philippe possédait une solide réputation de guérisseur, mieux même, de thaumaturge. Un don naturel, un cadeau du Ciel disait-il, dont il faisait profiter ses semblables sans en tirer le moindre profit. En deux minutes – la rue de Gadagne étant en effet à deux pas, puisqu’il n’y avait qu’à traverser la place du Petit Collège pour y accéder – le guérisseur fut au chevet du jeune malade. Il lui toucha le front et aussitôt celui-ci donna des signes de meilleure santé. Il retrouva la parole et parvint à remuer un peu. Dès que sa mère l’eût embrassé, il trouva la force de se lever et de marcher.

— Voyez, dit le thaumaturge à la femme éplorée, c’est à travers vous, sa chère Maman, et à travers l’amour que vous lui portez, que je vais achever de soulager votre fils. J’aurais pu le faire sans même me déplacer, mais ma présence vous rassurait, sans aucun doute. Je vais vous quitter maintenant, j’ai des amis qui doivent déjà m’attendre, ensuite avec mon gendre nous allons rejoindre ma femme et ma fille pour la veillée de Noël…

Il devança sa question :

— Non, vous ne me devez rien, rien d’autre qu’un serment : promettez-moi de ne pas dire du mal d’autrui, jusqu’à ce soir à minuit… En particulier de votre mari. S’il s’absente souvent, c’est qu’il travaille dur, pour vous apporter un peu de confort. Ne le soupçonnez pas à tort, il est peu loquace sans doute, mais c’est un bon mari et un bon père.

— Je promets tout ce que vous voudrez, si cela peut me rendre mon enfant… Je ne calomnierai plus personne, pour le reste de ma vie si vous le souhaitez.

— Ne promettez pas ce que vous ne pourriez pas tenir… Jusqu’à ce soir à minuit, cela suffira, et ensuite vous pourrez assister à la messe en compagnie de votre fils et de votre époux. N’oubliez pas de remercier le Seigneur de la grâce immense qu’il vous accorde.

 

Vue nocturne de la rue du Bœuf, à l’époque de Monsieur Philippe

(carte postale ancienne)

 

Monsieur Philippe repartit dans la nuit et le froid. Sous un réverbère il sortit sa montre de son gousset. Il n’était que 17 h 20. Rassuré, il poursuivit son chemin. De son côté, la mère bouleversée s’appliqua à respecter sa promesse. « Comment le Maître pouvait-il savoir, pour mon mari ? », se demandait-elle. De fait, elle fit un accueil chaleureux à son époux lorsqu’il rentra, et la guérison miraculeuse de leur enfant acheva de les réconcilier. Noël s’annonçait des plus heureux. Ce soir-là le couple et leur fils bravèrent le froid pour aller prier en la cathédrale Saint-Jean. Monsieur Philippe avait ramené leur enfant à la vie, comme il l’avait déjà fait pour des centaines de malades ou d’infirmes, comme il le faisait chaque jour en son hôtel particulier au 35 de la rue Tête d’Or, dans le sixième arrondissement. Et la renommée de Nizier Anthelme Philippe s’étendait bien au-delà de Lyon. D’ailleurs, il savait déjà que quelques mois plus tard il se rendrait à la Cour de Russie, à la demande du Tsar Nicolas II. Non que l’invitation lui fût déjà parvenue, mais apparemment il possédait aussi la faculté de connaître son propre avenir. Il savait tout, également, du passé de ceux qui venaient le consulter, même leurs actes les mieux cachés n’avaient aucun secret pour lui. On le disait encore doué de bilocation, capacité à se trouver en deux endroits en même temps.

 

Présentement Monsieur Philippe adressait une prière muette au Ciel pour que le fils de cette pauvre femme recouvre durablement la santé. Il eut aussi une pensée pour son gendre, ce médecin venu de Paris deux ans plus tôt et qui, admis dans l’intimité familiale du thaumaturge admiré, était également tombé sous le charme de sa fille unique, et l’avait épousée. Plus qu’un gendre, il était devenu pour le guérisseur un fils et un confident. Quel homme étrange, vraiment, ce Monsieur Philippe de Lyon, que d’aucuns appelaient « Maître », et qui se disait rien de moins que l’envoyé du Père. Une vingtaine d’années plus tôt, il avait vu venir à lui Jeanne Julie Landar, jeune fille condamnée par la médecine, qu’il avait guérie, avant de l’épouser. Jeanne lui avait apporté l’aisance matérielle lui permettant d’exercer son sacerdoce.

 

Plaque commémorative apposée au 6 rue du Bœuf

 

Monsieur Philippe revint vers la rue du Bœuf, et il s’arrêta devant le numéro 1. Avant d’y pénétrer il jeta un dernier coup d’œil vers le numéro 6 quasiment en face, vers cette échoppe acquise l’année précédente par son beau-fils, et dont ils avaient fait un laboratoire, où le thaumaturge mettait au point de mystérieux remèdes. L’espace d’un instant il eut la vision de ce que serait ce même endroit un peu plus d’un siècle plus tard, lorsque s’étalerait en lettres d’or sur la façade l’enseigne COUR DES LOGES. Le vieux bâtiment, où les austères Jésuites avaient éduqué des générations de collégiens, allait devenir un hôtel cinq étoiles et un restaurant gastronomique, un symbole de luxe et d’opulence, qui aurait au moins le mérite de redonner à la maison et à sa magnifique cour intérieure tout le charme suranné de la Renaissance, comme à l’époque où les riches marchands et banquiers florentins avaient fait de Lyon une fastueuse capitale européenne.

 

Le 6 rue du Bœuf aujourd’hui

 

La porte du 1 rue du Bœuf était un lourd panneau de chêne, austère malgré ses jolis ornements de caissons, dont Monsieur Philippe fit tourner le loqueteau de laiton. La porte s’ouvrit sur un couloir, qu’une modeste lampe parvenait à peine à éclairer, donnant accès à une cour intérieure. Le thaumaturge avança d’un pas lent, en habitué des lieux il savait qu’au bout du couloir il lui faudrait descendre quatre marches. Ces degrés franchis, il traversa la cour où brillaient là encore quelques lampes, une à chaque coin. Sur le côté opposé de la cour débouchait un autre couloir. Cette seconde allée était celle du numéro 24 de la rue Saint-Jean. L’immeuble, ayant appartenu jadis à la famille Laurencin, avait donc deux entrées, l’une rue du Bœuf et l’autre rue Saint-Jean, formant un passage d’un côté à l’autre. C’était l’une de ces nombreuses « traboules » qui dans le Vieux Lyon permettaient de passer d’une rue à une autre sans avoir à faire le grand détour imposé par le manque de rues transversales entre les trois rues principales du quartier, disposées de façon parallèle.

 

Sombre traboule

 

La nuit noire s’était installée maintenant, la cour était déserte. Monsieur Philippe prit une profonde inspiration. Alors, inexplicablement, en quelques secondes tout se transforma, les lampes s’éteignirent et l’on passa de la nuit au jour. Le thaumaturge s’engagea dans le second couloir ; arrivé au bout il tira la porte pour sortir dans la rue Saint-Jean, où il fit quelques pas. La rue était animée et, à en juger d’après la tenue vestimentaire des nombreux passants, soit elle était devenue le cadre d’un bal costumé, soit l’époque aussi avait changé, aussi incroyable que cela pût paraître. Des hommes en pourpoint et hauts de chausses saluaient, d’un virevoltant mouvement de leur chapeau emplumé, des femmes élégamment vêtues à la mode de la Renaissance. Si les horloges lumineuses, qui ornent aujourd’hui certaines devantures, avaient existé, elles auraient affiché la date du 24 décembre 1556. On était toujours à la veille de Noël, mais c’était un Noël « au balcon » : le temps était assez clément, presque ensoleillé, la température douce. Le thaumaturge se regarda : lui aussi avait changé d’aspect. Fini le sempiternel costume trois pièces, il portait une cape noire jetée par-dessus un pourpoint indigo à parements argentés, des hauts de chausses d’un bleu céruléen sur des bas de laine assortis, un chapeau plat à plume et une fraise blanche autour du cou. Seul son visage ne s’accordait pas vraiment avec la mode du temps : alors que tous les hommes portaient la barbe, lui continuait à arborer une figure glabre, seulement marquée par ses impressionnantes moustaches.

 

« Si mon gendre me voyait, se dit-il. Et ma femme alors : elle me dirait que je suis en barboteuse ! » Alors très en vogue, ces hauts de chausses, culottes bouffantes allant de la taille jusqu’aux genoux, nous paraîtraient aujourd’hui totalement ridicules. Mais il faut bien vivre avec son temps, et il faut reconnaître que Maître Philippe avait fière allure dans ce costume. Il avait donc choisi de s’intégrer en plein seizième siècle. Mais était-ce vraiment lui qui avait ainsi remonté le temps ? Ou seulement son image ? Ou bien encore tout cela n’était-il que la réminiscence de l’une de ses vies antérieures, auxquelles Monsieur Philippe, fervent chrétien pourtant, croyait fermement ? Difficile de conclure…

 

Rue Saint-Jean aujourd’hui : l’ancienne maison de Nicolas de Lange

 

Il se dirigea vers l’immeuble situé presque en face de la maison Laurencin, une demeure possédée par le richissime magistrat Nicolas de Lange, qui se situe aujourd’hui au numéro 17 de la rue Saint-Jean. Demeure modeste en apparence, mais comme pour la plupart des maisons Renaissance sa vraie richesse était à l’intérieur et ne s’affichait pas côté rue. Le thaumaturge saisit le heurtoir et toqua plusieurs coups contre la porte de chêne à caissons et moulures. Après quelques secondes un domestique vint lui ouvrir, bientôt suivi du maître des lieux. Celui-ci frappait par sa haute stature et sa carrure d’athlète, sa longue barbe lustrée, mais ses yeux bleus exprimaient la douceur, la modestie et l’humanité. Il paraissait avoir une trentaine d’années.

— Ah, Maître Philippéus, fit-il d’une voix forte, nous n’attendions plus que vous…

— Je vous prie de me pardonner, Messire de Lange, j’ai été quelque peu retenu en route…

— Ne vous excusez point mon ami, je sais dans quelle mesure vous êtes sollicité.

Les deux hommes pénétrèrent dans le couloir conduisant vers la cour intérieure et vers les escaliers desservant les étages. Un couloir clair, à voûtes nervurées élégantes, dont les croisées d’ogives étaient ornées de blasons sculptés, vers lesquels le thaumaturge leva les yeux.

 

Nicolas de Lange devina son interrogation et lui précisa :

— Vous reconnaissez bien sûr les blasons qui ornent aussi la façade de la maison Thomassin, sur la place du Change. Il y a l’écusson à trois fleurs de lys, emblème royal de la France, l’autre blason est le parti de France et de Bretagne composé pour moitié du blason à trois fleurs de lys et pour l’autre moitié de mouchetures d’hermines, emblème de la Bretagne. Ces blasons ont été mis en place à la fin du siècle dernier (du quinzième siècle par conséquent, rectifia en pensée Monsieur Philippe) en l’honneur de notre bon roi Charles VIII et de son épouse Anne de Bretagne, au moment où le couple royal résidait à Lyon. Le propriétaire de l’immeuble à l’époque se nommait Claude Le Charron. Ce sont ses héritiers qui l’ont revendu à mon père.

 

Les blasons ornant le couloir, en haut France, en bas France & Bretagne

 

On devinait la passion pour l’histoire et les choses anciennes qui animait Nicolas de Lange. Il aimait la faire partager, et sans être jamais pédant il savait passionner l’auditoire des érudits et humanistes qu’il réunissait chez lui régulièrement, depuis qu’il était revenu à Lyon après de longues études. Il reprit, en montrant les sculptures ornant les retombées de voûtes :

— Admirez aussi mes chers petits anges. Intéressants, n’est-ce pas ? Un souvenir de feu mon père, que je n’ai pas connu hélas.

— En effet… Six anges, rangés en trois paires de part et d’autre du couloir. D’abord une paire d’anges défenseurs, chacun avec un bouclier, puis la paire d’anges dont chacun esquisse un geste de bénédiction ou de prière, enfin la paire d’anges montrant parchemin ou phylactère, les anges enseignants. On passe d’une paire à l’autre, d’un degré à l’autre : Monsieur votre père a bien fait les choses…

— Je reconnais là votre érudition, qui n’a d’égal que votre modestie. Vous êtes digne d’être des nôtres. Mais montons à l’étage, tous nos amis y sont déjà réunis.

 

Deux des anges sculptés dans le couloir de la maison de Nicolas de Lange

 

Maître Philippéus, puisque c’est ainsi qu’il se laissait nommer en ce temps-là, suivit son hôte dans la montée d’escaliers en vis, formant sur la cour une tour polygonale. Au premier palier ils empruntèrent la galerie à voûtes nervurées, ouverte sur la cour, donnant accès à l’étage noble et à son grand appartement, où étaient réunis les invités, autour d’une longue table dressée dans la salle d’apparat, éclairée par trois grandes fenêtres à meneaux. Une clameur de satisfaction les accueillit.

 

Nicolas de Lange s’adressa aux convives :

— Mes amis, il est inutile je pense de vous présenter Maître Philippéus, qui a été précédé par sa réputation. Mais il est peut-être bon que je vous présente à lui, car il ne vous connaît point tous encore. Politesse oblige, je commencerai par les dames. Voici donc, mon cher Maître, notre célèbre poétesse Louise Labé, dont vous avez sûrement lu les sonnets récemment parus.

 

Le thaumaturge acquiesça sans mot dire, troublé par la beauté et par le regard de braise de celle que l’on nommait « la Belle Cordière. » Comment aurait-il pu oublier ces vers torrides où éclatait toute la passion amoureuse de la femme ? Nicolas de Lange continuait les présentations :

— Voici Jacqueline Stuart, qui tient toujours un salon très prisé en sa demeure place du Change, il faudra que vous vous y rendiez un jour prochain. Et puis Jeanne Fournier, ma cousine, qui est aussi l’épouse de Mathieu de Vauzelles, ici présent. Enfin mon épouse Louise de Vinols, petite fille du Seigneur d’Arginy en Beaujolais. Je poursuis par les messieurs… D’abord nos trois princes de la Renaissance lyonnaise, le poète Maurice Scève, le recteur Barthélemy Anneau, et leur compère le peintre Bernard Salomon. Je continue par Mathieu de Vauzelles que je viens de citer, et son frère Jean, grâce à qui notre pays possède désormais le fameux Discours du songe de Poliphile. Voici encore l’historien Guillaume Paradin, Jean Grolier, Guillaume du Choul, grand connaisseur des anciens Romains, son fils Jean, grand botaniste devant l’Éternel, puis l’écrivain Benoît Court, qui lui aussi s’intéresse aux jardins et aux arbres. Et je terminerai par mon très cher oncle Claude Bellièvre, qui bien qu’âgé et souffrant a tenu à se déplacer pour vous rencontrer.

 

Maître Philippéus avait compté mentalement : ils étaient dix-sept. La tradition était respectée, depuis le temps où les cénacles qui avaient précédé la Société de Nicolas de Lange réunissaient rituellement dix-sept membres pour monter le soir venu sur la colline de Fourvière. Dix-sept, neuf et huit, soit l’addition du nombre de chœurs des anges et du nombre d’anges dans chaque chœur.

— Mes amis, annonça Nicolas de Lange, j’ai plusieurs nouvelles à vous annoncer. Mais avant tout, ayons naturellement une pensée pour ceux qui nous ont quitté récemment : le grand typographe Sébastien Gryphius, et ma chère mère Françoise Bellièvre. Que Dieu ait leur âme…

Après un instant de recueillement, il reprit sur un ton joyeux :

— Eh bien… Je vous invite à me suivre jusqu’au dernier étage de ma demeure, juste pour admirer la vue…

Intrigués, les invités suivirent le maître des lieux jusqu’au troisième et dernier étage de la maison. Claude Bellièvre arriva le dernier, soutenu par Maître Philippéus, qui était intervenu pour le soulager. Au second étage, ils s’étaient arrêtés quelques instants. Le vieux savant antiquaire avait confié dans un souffle au thaumaturge :

— Je sais que vous pouvez apaiser mes douleurs, et je vous en remercie, mais je ne vous demande pas de prolonger ma vie. Elle a été heureuse et m’a apporté tout ce que souhaitais, je peux me présenter sans crainte devant le Créateur.

— Qu’il en soit alors selon votre désir. Vous avez encore quelques mois à vivre avant que Dieu ne vous rappelle à lui. Je veillerai à atténuer vos souffrances physiques, votre âme pourra ainsi se préparer en toute tranquillité, et je sais que le Royaume des Cieux vous est ouvert. Allez en paix maintenant.

 

Maison de Nicolas de Lange, cour intérieure

 

Par la fenêtre de la tour abritant la montée d’escaliers Nicolas de Lange montrait à ses amis, par-dessus les toits, le sommet de la colline de Fourvière. Puis il poursuivit ses explications :

— Comme vous le savez, je suis en train d’acquérir plusieurs lopins de terre sur le flanc septentrional de la colline. Il y a cinq ans j’ai acheté au chapitre de Fourvière la vieille masure de Crocte-Ronde, avec les terrains autour. J’ai bon espoir d’acheter encore le territoire des Hermières, composé d’une vigne et de la maison attenante. Cela me fera au total un terrain d’une dizaine d’arpents. Je me ferai alors construire, au sommet de mon domaine, une « maison des champs » où je pourrai vous recevoir et ainsi renouer avec la tradition de mes ancêtres maternels, les frères Fournier, qui tenaient à Fourvière les réunions de leur Académie. Je compte donner à mon domaine le nom de L’Angélique ; cela sonnera bien je crois… Pour en revenir à la Crocte-Ronde, notre ami Guillaume du Choul connaît bien cette ruine, n’est-ce-pas ?

— Absolument, c’est un ancien réservoir, précisa le savant. Il date de l’époque où les Romains avaient construit des aqueducs pour alimenter notre cité en eau, laquelle était stockée dans des réservoirs avant d’être redistribuée vers les thermes et les fontaines. Le plus long de ces aqueducs allait capter les eaux de la rivière le Gier, dans les Monts du Pilat, dont mon fils Jean a publié l’an passé une description.

— Nous avons tous lu cet ouvrage savant, qui ne peut que nous donner l’envie d’aller visiter ce Mont Pilat. D’ailleurs j’en viens à la seconde nouvelle que je voulais vous annoncer : suite au décès de ma chère mère, à l’automne dernier, je possède désormais en légitime et pleine propriété différents biens qu’elle tenait de mon défunt père en usufruit. Il y a les deux immeubles attenants à celui-ci, qui ouvrent sur la petite place voisine, que l’on nomme aujourd’hui place Pandalaix.

 

L’historien Guillaume Paradin intervint :

— Tout de même ! Quel nom peu élégant ce Pandalaix, j’espère que nous lui en donnerons rapidement un autre. Le commun a déformé ainsi, par ignorance, l’ancienne appellation place du Grand Palais. L’ignorance, mes amis, est un mal à combattre par tous les moyens, et c’est précisément l’un des buts de notre modeste société que de maintenir et de propager un haut niveau de connaissances.

— Je puis vous rassurer, au sujet de la place Pandalaix, précisa Nicolas de Lange. Le peuple qui se moque de ce nom, et en a fait une injure, commence à la nommer place de la Baleine, à cause d’une enseigne, représentant en réalité un dauphin. Gageons que cette baleine fera couler beaucoup d’encre… et de salive. Mais j’en reviens à mon sujet. Parmi les biens dont je viens d’hériter, il y a aussi la maison forte de la Bernardière, qui appartenait à ma grand-mère paternelle. Elle est située sur la paroisse de Longes, au pied de ces Monts du Pilat dont nous parlait Guillaume du Choul. …

— Par Dieu, nous serons donc voisins, s’exclama celui-ci. Vous savez que nous possédons deux maisons fortes proches de la vôtre, sur la même paroisse : la Jurarie et le Grand Torrépane.

— Je voulais suggérer de nous y rendre tous ensemble, aux beaux jours, pour profiter de la campagne et de la vue sur les Monts du Pilat. Et puis Longes est, de mon point de vue, une paroisse des plus intéressantes. Elle semble avoir été fondée par le centurion Longinus, qui lors de la crucifixion de Notre Seigneur Jésus-Christ perça de sa lance le flanc du Sauveur pour abréger ses souffrances, ainsi qu’avaient coutume de faire les soldats romains. Cette lance toute imprégnée du Sang Divin est à mes yeux aussi importante que le Graal lui-même. Nous avons là une raison supplémentaire et captivante de nous rendre à Longes, et nous irons vous visiter par la même occasion, mon cher Guillaume du Choul.

— Mon fils et moi aurons le plaisir de vous recevoir dans nos maisons et de vous y offrir le gîte et le couvert. D’ailleurs, cela me rappellera le bon vieux temps où, dans ma jeunesse, j’invitais les membres du cercle Sodalitum.

— Grand merci pour votre invitation. Alors c’est décidé, n’est-ce-pas ? Vous seriez des nôtres, Maître Philippéus ?

— Par ma foi, je pense que cela doit pouvoir se faire. Oui, j’accepte avec joie de participer à cette réunion champêtre. Vous me ferez connaître la date et les modalités ?

 

Ainsi fut décidée cette promenade à la campagne, qui devait avoir bien des conséquences, comme le pressentait Monsieur Philippe alors qu’il était en train de regagner son époque et son laboratoire. Il retrouva la nuit, l’hiver et le froid en débouchant rue du Bœuf, vers les dix-huit heures. Son escapade au seizième siècle avait duré bien plus que la quarantaine de minutes de son absence, mais lors de ces « voyages étranges », comme il disait, il avait aussi la possibilité de contracter le temps. À moins bien sûr qu’il n’ait rêvé tout cela…

 

Le même soir, en sortant de la messe de minuit à l’église Saint-Pothin, dans le sixième arrondissement, les couples Philippe et Lalande notèrent avec satisfaction que le ciel s’était éclairci. De fait, ils ne purent que remarquer face à eux, entre les colonnes du péristyle qui donnaient à l’église un air de temple antique, pile dans l’axe, le « phare républicain » qui tournait au faîte de la tour métallique, construite depuis peu au sommet de la colline de Fourvière. Ce pylône se voulait une réponse laïque à la basilique qui s’élevait à peu de distance, et venait de s’ouvrir au culte. « Si Messire de Lange voyait cela, pensait le thaumaturge, que dirait-il de cette espèce de Tour Eiffel qui s’élève en lieu et place de sa belle maison des champs ? Moi j’aimerais construire une colonne, mieux une Tour Philippe, autrement plus élégante, qui servirait à localiser l’ancien domaine de l’Angélique, où nous avons passé tant d’heures heureuses. Dans une prochaine vie, peut-être ? » Tout en regagnant son domicile, Monsieur Philippe se remémorait à présent de d’autres moments passés avec ses amis « de l’autre côté », comme disait son gendre…

 

La tour métallique de Fourvière et son phare, à l’emplacement de l’ancien domaine de l’Angélique

(carte postale  publicitaire ancienne)

 

Le 24 juin 1557 fut une belle journée d’été, ensoleillée à souhait. Tous les membres de la société de Nicolas de Lange, qui allait bientôt prendre le nom de son domaine, L’Angélique, se retrouvèrent très tôt sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean. Généreux comme à son habitude, le riche magistrat avait affrété trois carrioles avec leurs cochers. Tractées par de puissants chevaux, ces véhicules rapides les conduisirent en moins de deux heures jusqu’au confluent du Gier et du Rhône, où s’étalait le village de Givors, blotti au pied de son château Saint-Gérald. Il ne restait plus qu’à le gravir le gradin naturel, séparant le Rhône des premières montagnes du Pilat, sur lequel était bâti le village de Longes. La découverte de cette région commença par la maison forte de la Bernardière, austère et basse demeure de pierres brunes, défendue par plusieurs massives tours carrées. Nicolas de Lange montra à ses amis la clé de voûte au-dessus du portail d’entrée, ornée du blason de la famille de la Bernardière à laquelle appartenait l’épouse de son grand-père.

 

La Bernardière (carte postale ancienne)

 

Puis toute la joyeuse compagnie se rendit ensuite à la Jurarie, maison forte de la famille Du Choul, où le repas de midi lui fut servi. C’était une grande et robuste maison, toute en longueur, joliment exposée, dont l’entrée était défendue par deux tours rondes. Jean du Choul expliqua l’origine du nom Jurarie, composé à partir des mots latins juris et aria, ce qui pouvait se traduire par « autel du droit », en rappel des charges juridiques exercées de père en fils par les maîtres de ce lieu.

 

La Jurarie (carte postale ancienne)

 

Les Choul entraînèrent ensuite leurs amis vers leur seconde maison forte, le château du Grand Torrépane, ainsi nommé non parce que sa vue déclenchait une « terreur panique », ainsi que l’affirmait Jean du Choul en guise de boutade, mais parce qu’il était pourvu d’une « tour à pans », c’est-à-dire de plan hexagonal. Jean du Choul tint à ce qu’ils montassent jusqu’au troisième étage de la tour, pour y admirer la vue qu’elle offrait. Serrés derrière l’unique fenêtre, ils s’extasièrent en effet devant la campagne pilatoise qui s’étendait à leurs pieds, d’autant que l’on apercevait au loin leur chère ville de Lyon. On distinguait en particulier la chapelle de Fourvière.

 

Le château du Grand Torrépane – tour à pans à gauche

(carte postale ancienne)

 

Maître Philippéus restait songeur. Lui qui connaissait l’avenir, puisqu’il venait du futur, savait que cette chapelle n’avait plus que quelques années devant elle, avant d’être détruite par les protestants, lors des guerres de religion qui n’allaient pas tarder à se déclencher. Cinq ans encore à savourer la paix, et le pays serait déchiré pendant plusieurs décennies. Il faudrait attendre bien longtemps pour voir une nouvelle et grande basilique se dresser sur la colline chérie des Lyonnais. « Avec sa couleur blanche éclatante, on la verra bien d’ici, par temps clair, se disait le thaumaturge. Mais il sera nécessaire que la ville de Lyon, dans son expansion grandissante, se dote d’un autre amer, tout aussi visible de loin. Oui, il faudra vraiment que j’y travaille… Dans une prochaine vie… »

 

Huit ans avaient passé. La guerre entre catholiques et protestants s’était estompée, pour un temps. Le 7 janvier 1565, c’était un dimanche, Nicolas de Lange, veuf depuis peu, épousait en secondes noces Louise Grolier, une petite cousine de Jean Grolier, célèbre collectionneur qui avait fait partie, en son temps, des amis du magistrat. Louise avait pour sœur Anne, épouse de Claude Camus, Seigneur d’Arginy, invité bien évidemment à la noce. C’était un cousin de Louise de Vinols, première épouse de Nicolas de Lange, qui restait ainsi lié, pour quelque obscure raison, aux possesseurs du château d’Arginy. Parmi les convives se trouvait aussi Maître Philippéus. En fin d’après-midi, renouant avec l’antique tradition, les membres de la société montèrent à Fourvière pour y accompagner leur Amphitryon et sa jeune épouse. La nuit tombait mais des torches éclairaient la façade de L’Angélique, la belle maison de plaisance que leur hôte venait de construire. Des colonnes encadraient le portail d’entrée et la lumière dansante des flammes semblait donner vie à leurs chapiteaux sculptés.

 

— Ne sont-ils pas beaux, mes hermès et mes moustachus ? fit Nicolas de Lange, en montrant le chapiteau de gauche.

À chacun de ses angles, des petits personnages émergeant de gaines végétales, qu’en architecture on nomme des hermès, tendaient les bras en arrière pour tirer les énormes moustaches des têtes centrales, dont la surprise se lisait sur leurs visages aux yeux écarquillés et aux bouches bées.

— Vos hermès sont fort hermétiques, observa Jean du Choul. Et ces têtes donc, avec leurs longues moustaches que s’amusent à tirer les hermès, comme s’ils leur tiraient les vers du nez. Tout cela est très bachique… N’empêche ! Ces moustaches démesurées me font penser à celles de Maître Philippéus.

 

Monsieur Philippe et l’un des « moustachus » de l’Angélique

 

La remarque fit sourire tout le monde, mais Nicolas de Lange signala :

— J’avoue que je me suis un peu inspiré de vous, cher Maître, lorsque j’ai fait réaliser ces sculptures. Vous n’êtes point choqué, j’espère ?

— J’en suis flatté, au contraire ! Je suis digne de Bacchus le Brumeux, car voici mes bacchantes figées pour l’éternité… Quant au chapiteau de droite, ne dirait-on pas que ses quatre petites têtes, bouches ouvertes, sont en train de crier les quatre syllabes de mon nom : Phi – li – ppé – us ?

Tous rirent de cette répartie, et la soirée se poursuivit par les traditionnelles agapes fraternelles. La joie régnait dans les cœurs en ce jour de fête. Mais Maître Phillippéus semblait absorbé par quelque pensée sombre. Une vision de l’avenir, peut-être…

 

En ce samedi 5 août 1905, l’église Saint-Paul de Lyon était trop petite pour contenir la foule des fidèles venus rendre un dernier hommage à Monsieur Philippe. Littéralement crucifié par le décès brutal de sa fille Victoire, l’année précédente, le thaumaturge s’était éteint le 2 août au Clos Landar, le beau domaine que son épouse possédait dans la petite ville de L’Arbresle, où il aimait tant aller se reposer. Après une première cérémonie dans l’église de cette bourgade, le matin, une seconde messe était célébrée en début d’après-midi en l’église Saint-Paul. Le convoi funèbre se dirigea ensuite vers la « ficelle », terme lyonnais désignant familièrement un funiculaire, qui depuis la place Saint-Paul permettait de monter à Fourvière. En passant devant la gare, grand bâtiment formant l’un des côtés de la place, le disciple de Monsieur Philippe, Jean Chapas, ne put retenir son chagrin. Il se souvenait avoir été photographié, en ce même endroit, en compagnie de son Maître bien aimé. Seuls les proches allaient assister à l’inhumation, néanmoins le funiculaire fut presque trop petit pour contenir tout le monde. On dut se serrer, la montée étant courte heureusement. À Fourvière, au débouché du tunnel, un quai servait à passer du funiculaire au tramway assurant le transfert vers le cimetière de Loyasse. Ironie du sort, à quelques mètres de là s’élevait l’ancienne maison de L’Angélique, devenue magasin de piété, mais toujours ornée de ses chapiteaux et de leurs têtes moustachues. À quinze heures tout était fini, le corps de Nizier Anthelme Philippe reposait pour l’éternité dans sa dernière demeure. Son corps seulement…

 

Arrivée du funiculaire se Saint-Paul à Fourvière (à droite)

et départ du tramway de Loyasse (à gauche)

(carte postale ancienne)

 

Un nouveau Noël étrange… En ce début d’après-midi du vendredi 24 décembre 1971, le conseiller municipal Philippe de Saint-Nizier, un homme d’une quarantaine d’années, grand et athlétique, descendait à pied depuis les pentes de la Croix-Rousse. Il se rendait à la réunion de la commission urbanisme qui se devait se tenir en l’Hôtel de Ville de Lyon, dans le bureau de son maire Louis Pradel. L’urbanisme était le dada de ce maire sans étiquette, en poste depuis 1957, que l’on qualifiait volontiers de « bétonneur. » Tandis que le jeune conseiller marchait d’un pas assuré, des souvenirs affluaient à sa mémoire, venus des mêmes lieux mais d’un autre temps. Souvenirs de l’époque où il résidait place Croix-Pâquet, ou encore montée du Griffon. Lui ou plutôt un de ses avatars, car né dans le Dauphiné il y avait passé toute sa jeunesse et ne résidait à Lyon que depuis une quinzaine d’années. Nizier Anthelme Philippe, tel était, lui semblait-il, le nom qu’il portait dans cette autre vie, ou dans cet autre univers. Il en avait gardé un certain goût pour le port des moustaches, même si elles étaient désormais courtes et fines. Il se souvenait de son désir de construire un amer pour la ville de Lyon, projet qu’il n’avait pu réaliser dans cette vie précédente, mais qui allait enfin se concrétiser. Il pressa le pas pour ne point arriver en retard.

 

Louis Pradel prit la parole :

— Mes chers amis, tout d’abord je vous remercie de votre présence en cette veille de Noël ; nous essaierons d’aller vite en besogne pour vous libérer au plus tôt. Notre réunion d’aujourd’hui, comme vous le savez, a pour but de finaliser notre grand projet de réhabilitation du quartier de la Part-Dieu. À la place de l’ancienne caserne de cavalerie nous allons construire un vaste ensemble administratif, culturel et commercial. Il y aura des bureaux, la nouvelle bibliothèque municipale, un auditorium, une gare internationale, un centre commercial qui sera le plus vaste d’Europe. Mais j’ai voulu que s’y élève aussi une construction qui devra avoir pour ambition de devenir l’emblème de Lyon. Je veux parler d’une tour, l’une des plus hautes de France, dont les plans ont déjà été tracés par les architectes en charge du projet, et qui sont présents parmi nous aujourd’hui.

Le maire observa une courte pause, puis reprit :

— Mesdames et Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter Monsieur Araldo Cossutta, du cabinet d’architecture new-yorkais Araldo Cossutta & associates, qui va construire la tour proprement dite, et Monsieur Stéphane du Château, architecte franco-polonais spécialiste des structures pyramidales, qui se chargera de la pyramide de verre et d’acier destinée à coiffer notre tour. Le cabinet Cossutta a bien voulu réaliser pour nous une maquette de ce building, je vais vous la dévoiler maintenant.

 

Louis Pradel, dans un geste théâtral, tira le drap de soie blanche recouvrant la maquette. Apparut alors le modèle réduit d’une haute tour cylindrique, terminée en pointe par une pyramide.

— On dirait un gros crayon, fit observer un conseiller hilare.

— Va pour le crayon si vous voulez, je ne doute pas en effet que ce sera le surnom que les Lyonnais lui donneront. Monsieur Cossutta va vous fournir quelques détails techniques.

L’architecte prit la parole. Il s’exprimait en français mais avec un léger accent italo-américain.

— La tour aura quarante niveaux, elle mesurera cent soixante cinq mètres de haut. Son sommet sera donc sensiblement à la même altitude que l’esplanade de la basilique de Fourvière. Nous l’avons conçu comme si c’était une troisième colline pour Lyon. Sa couleur rouge brique est destinée à se confondre avec celle des toits de la ville. L’immeuble sera essentiellement occupé par le Crédit Lyonnais, qui cofinance le projet, mais les derniers étages seront réservés pour un hôtel, qui deviendra le plus haut d’Europe. Au trentième étage sera un bar panoramique. Quant à la pyramide sommitale, c’est en fait une verrière destinée à éclairer le puits central des étages supérieurs, au niveau de l’hôtel.

— Notre volonté, reprit le maire, est de marquer l’axe d’ouest en est selon lequel se développe désormais notre ville. Il nous reste juste un point de détail à décider aujourd’hui : le quartier de la Part-Dieu est vaste, il nous faut déterminer à quel endroit précisément sera construite la tour. Mes chers amis, qui a une idée ?

 

La Tour Part-Dieu, vue de Fourvière

 

Depuis un moment, Philippe de Saint-Nizier examinait le grand plan de Lyon occupant tout un mur du bureau. Plan qui avait été rectifié pour intégrer la future configuration urbaine du quartier de la Part-Dieu. Il mesurait certains axes à l’aide d’une règle et d’un rapporteur de maître d’école, posés en permanence sur une tablette. Voyant l’hésitation des autres conseillers, il demanda la parole, en montrant du doigt un point précis sur la carte.

— Si je puis me permettre, Monsieur le Maire, vous comme l’avez dit cette tour sera un symbole, il sera essentiel qu’elle apparaisse aux voyageurs dès leur sortie de la gare. Aussi je serais d’avis de la construire ici, en bordure de la rue Servient. Mais cette tour emblématique devrait aussi matérialiser certains axes, des lignes de visée.

Parcourant du doigt une longue rue, presque nord – sud, le conseiller reprit :

— Voyez, elle serait dans le prolongement de cette rue-là, ce qui ouvrirait une perspective saisissante sur la tour depuis les abords du Parc de la Tête d’Or ; c’est la rue du même nom, justement. De plus, puisque Monsieur Cossutta évoquait Fourvière, vue depuis cette colline, et je viens de le calculer rapidement, la tour indiquerait le lever du soleil au 10 octobre, jour anniversaire de la fondation de notre ville. Vous ne l’ignorez pas, Monsieur le Maire, vous qui avez inauguré le 10 octobre 1958 la stèle commémorative, à l’endroit même où Lucius Munatius Plancus s’était livré aux rites de fondation, deux mille ans plus tôt. Oui, répéta-t-il, pour moi c’est le meilleur emplacement.

L’acquiescement fut général, et tous admirèrent les connaissances de leur collègue. Louis Pradel paraissait enchanté par cette idée.

— Eh bien mon ami, fit-il d’un ton joyeux, cette tour de la Part-Dieu sera donc une véritable Tour Philippe !

— Ma modestie en souffrirait, Monsieur le Maire. Disons que ce sera pour Lyon un point remarquable, un « amer » comme disent les marins.

Ainsi fut-il décidé. La construction menée rondement, la tour fut inaugurée en 1977. Louis Pradel, décédé en 1976, ne la vit pas achevée. S’il inaugura le centre commercial de la Part-Dieu, c’est son successeur Francisque Collomb qui coupa le ruban tricolore de la tour.

 

L’histoire que je viens de vous conter est imaginaire bien sûr, ce n’est qu’un conte de Noël, même si les lieux sont réels, ainsi que la plupart des protagonistes, et aussi certains évènements ; j’ai juste voulu rendre hommage, à ma façon, à ce personnage étonnant qu’était Monsieur Philippe. Encore que, selon les principes de la physique quantique, le fait d’avoir imaginé cette histoire l’ait rendue tangible dans un univers parallèle.

 

La tombe de Monsieur Philippe dans le cimetière de Loyasse

 

En ce 8 décembre, jour de la Fête des Lumières, je déambule dans les rues de Lyon. Ce matin je suis monté à Fourvière, avant que le funiculaire ne soit pris d’assaut par les touristes. Je suis allé jusqu’au cimetière de Loyasse pour déposer un bouquet sur la tombe de Monsieur Philippe, et sur celle, voisine, de Jean Chapas. Puis je suis descendu à pied par la montée Nicolas de Lange, qui longe l’ancien domaine de L’Angélique. Sa maison n’est plus que souvenir. La propriétaire actuelle m’a gentiment ouvert les portes. C’est une dame discrète, mais qui n’ignore rien du passé de sa demeure. Il flotte encore en ce lieu une « atmosphère », comme les effluves d’un temps révolu. Parvenu en bas, au niveau de la montée des Carmes Déchaussés, je n’ai pu que remarquer « le crayon », la Tour Part-Dieu comme on la nomme aujourd’hui, pile entre les deux clochers jumeaux de l’église Saint-Nizier. Ce qui signifie qu’à l’inverse, pour les privilégiés allant boire un verre au bar du trentième étage de la tour, les clochers de Saint-Nizier désignent le domaine de L’Angélique.

 

La Tour Part-Dieu, entre les clochers de Saint-Nizier,

vue de la Montée des Carmes Déchaussés

 

Et cet après-midi, devant le numéro 35 de la rue Tête d’Or où Maître Philippe exerça ses talents, j’ai observé, fasciné, que cette même tour s’élève pile dans l’axe de la rue. Comme un signe de piste voulu par le thaumaturge : « montez dans la tour, et Nizier vous montrera la voie angélique. »

 

La rue Tête d’Or et, dans l’axe, la Tour Part-Dieu

À gauche, emplacement de l’hôtel particulier où Monsieur Philippe a vécu, soigné, enseigné


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Michel Barbot

                                         

Chers Amis Internautes, c’est avec un réel plaisir que je viens vous présenter pour 2015 mes meilleurs vœux, pour vous et votre famille.

C’est en 2006, il y a quelques huit années que Thierry m’ouvre les portes des Regards du Pilat. Nous avons fait depuis un beau voyage. Ce voyage se poursuit grâce aux remerciements ou encouragements renouvelés de Thierry et de Patrick Berlier. Je puis dire aujourd’hui que j’ai intégré une bonne équipe.

Je ne puis que remercier Thierry ainsi que Patrick qui aime collaborer, à sa façon, à mes Dossiers. Il n’est pas rare que je découvre après la mise en ligne de mon article, une photo inconnue que l’ami Patrick a glissé dans le texte pour affirmer plus encore mes propos. Très souvent je découvre pareillement un montage dont Patrick a le secret. Il m’est arrivé de demander à Patrick d’ajouter son nom sous la photo, voir le montage, mais non, le Stéphanois ne ressent pas le besoin de le faire. Je ne peux bien, au travers de ces vœux adressés aux Internautes que le remercier. Puissions-nous continuer encore cette collaboration dès plus enrichissante.

Merci enfin, à vous, Chers Amis Internautes, car je vous sais de plus en plus nombreux à faire une pause sur les Dossiers mis en ligne dans Les Regards du Pilat.

L’année 2015 se veut pour Les Regards du Pilat mais aussi pour le second site, La Grande Affaire, une année pleine car les projets sont toujours bien présent. Le second site quelque peu mis en sommeil va, tel le Phénix, renaître de ses cendres et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Le conte de Noël qui va suivre, reprend et prolonge d’une certaine façon, ce petit conte rédigé en 2007 pour Les Regards du Pilat. Dans ce court récit, j’évoquais notamment le récit d’Arthur Machen « Le Grand Retour ». J’indiquais pour cet évènement l’année 1917. Je commettais une erreur, me basant sur un texte de Jacques Bergier. Dans le conte qui suit, je rectifie cette erreur que je n’ai d’ailleurs découverte que très récemment en préparant cette suite.  L’édition française de ce conte que je possède, ne comporte curieusement aucune date de parution pour ce texte et ceux qui l’accompagne.

Je vous souhaite une bonne lecture dans laquelle vous aurez, je l’espère, plaisir à suivre les « aventures » de nos amis Thierry et Patrick, ou Pat et T… Enfin, je ne sais plus… Tout simplement bon voyage et surtout bonne année 2015.

                                         


ET MELCHIOR CHANTA

 

24 décembre 2014 – Sept années se sont passées depuis la Rencontre… Patrick Berlier et Thierry Rollat se souviennent avec émotion de ce réveillon fantastique, sans nul doute le plus étrange auquel il leur fut donné de participer. Plus jamais ils ne regarderont le Crêt de la Perdrix de la même façon.

Leurs souvenirs, très précis et les photos prises par Patrick avec son appareil numérique affirment la réalité de cet évènement. Les journaux locaux n’avaient-ils pas évoqué cette étrange rencontre. LE PROGRÈS affirmait qu’il s’agissait, assurément, d’une fête organisée par quelque magnat du pétrole. Dans les hautes sphères de l’état, on enquêta. Le résultat de ces investigations est resté à ce jour TOP SECRET. Bien que les noms du Stéphanois et du Pélussinois apparaissent dans ces enquêtes, jamais ils ne furent interrogés par quelque commission que ce soit.

Cet incroyable réveillon avait remis en lumière l’étrange évènement de Llantrisant relaté par Arthur Machen. Les Trois Prêtres Rouges de l’Ordre de Melchisédech avaient célébré dans cette petite cité du Pays de Galle, la Messe du Saint-Graal. Jacques Bergier dans son livre « Les maîtres secrets du Temps » situait cet évènement en l’année 1917. Le célèbre ingénieur chimiste et espion, se trompait. Il apparaît que « Le Grand Retour », titre du récit d’Arthur Machen, est paru en fin d’année 1915… L’évènement relaté par le romancier et journaliste Gallois, se passe au mois de juin pendant la Grande Guerre. L’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois, le 28 juin 1914, permet d’affirmer que les évènements de Llantrisant se déroulèrent en juin 1915, soit deux années avant la date formulée par Jacques Bergier.

 

24 décembre 1919 – Quatre années et six mois se sont passés, la petite cité galloise de Llantrisant sise dans le Comté de Rhondda Cynon Taf n’en finit pas de se remettre des évènements extraordinaires dont elle fut le théâtre, quatre années plus tôt.

 

St lltyd, St Gwynno et St Dyfodwg

(L'église paroissiale, Llantrisant)

http://parishofllantrisant.org.uk/_churches.html

 

Les Trois pêcheurs dans l’église des Trois Saints ont fait tinter la cloche d’argent, fragment de paradis, venue de Sion. Des miracles eurent lieu dans la région de Llantrisant. L’évènement annonçait le Temps des Grands Chants.

ET MELCHIOR CHANTA !

En cette matinée de veille de Noël, le train venant de Cardiff rentre en gare. Les auberges de Llantrisant annoncent complet pour la Nativité. Les évènements survenus en juin 15 sont en grande partie responsables de cet afflux. Chacun veut comprendre ce qui s’est véritablement passé dans la petite cité. Dans cette foule où se mêlent anonymes et célébrités, deux silhouettes remontent la rue principale de la cité et se dirigent vers l’Hôtellerie des Trois Saints. L’imposant Pat McBerling, venu tout droit de son Irlande natale n’est plus à présenter. Le Druide, ainsi qu’on le surnomme, est connu et reconnu comme un expert dans les domaines touchant au mystérieux inconnu. Muni de son chevalet, il réussi à traduire par le pinceau ou le crayon, l’autre côté du miroir. Armé de sa plume il prolonge dans ses livres ce décryptage laborieux des brumes ancestrales. La colline de Tara, capitale mythique et centre de l’Irlande (la Cinquième province) n’a aucun secret pour lui. Il pourrait parler des heures durant des Hauts Rois de l’île dont la Souveraineté était affirmée par la Lia Fail ou Pierre du Destin. D'après la légende, si un homme digne de la royauté suprême s'assoit dessus, la Pierre crie. Pat McBerling, de par ses origines, aurait pu, c’est certain faire crier ou chanter la pierre… En effet, l’illustre ancêtre venu du Royaume de France en cette Verte Érin, avait pris pour femme, la fille du Ard rí.

 

La Pierre du Destin

 

Le Druide dans la rue principale de Llantrisant marche de concert avec son vieil ami le fougueux Terry FitzRollingSt. Terry revendique ses origines écossaises. À l’aise dans son kilt, il est descendu tout droit de ses Highlands natales et réside à Édimbourg. À ses heures perdues, il arpente les chemins mystérieux perdus dans les brumes épaisses montant des ténébreux marais. On le connait comme un libraire et éditeur de livres… ce genre d’ouvrages vendus sous le manteau ou dans l’enfer d’une librairie. Les ouvrages de Pat McBerling figurent en bonne et due place sur les étagères de sa librairie d’Édimbourg que d’aucuns nomment L’Officine. Nul ne connaît véritablement la vie de Terry FitzRollingSt, le fougueux Highlander ô combien mystérieux. Il s’est offert la coquetterie d’ajouter à son nom un « St » bien intriguant. Quand on le questionne sur le sujet, il répond invariablement : « J’ai les pieds bien plantés et j’aime la musique des pierres qui chantent… » Comprenne qui peut !

 

Noël Premier – An -6

C’est par une belle journée de printemps que Melchior arrive à Bethléem, la Maison du Pain. Les bergers faisaient paitre les moutons dans les champs de Judée. L’étoile tant attendue s’était levée et Melchior, le Roi Mage avait suivi la Route de l’Étoile. C’est dans l’ultime étape de ce très long périple, qu’il rencontra deux autres Rois Mages : Gaspard et Balthazar partis eux aussi pour adorer l’Enfant. 

C’était la période du recensement, les habitants de Judée, de Samarie et de Galilée montaient à Jérusalem. Il n’y avait plus de place à l’hôtellerie de Bethléem mais Melchior et ses honorables confrères n’en avaient cure. Soudain… l’étoile descendit au-dessus d’une étable. Se pouvait-il, ainsi que le pensait, Melchior, qu’un Fils de Dieu, puisse naître dans une étable ? Le murmure d’un chant accueilli les trois Rois Mages. C’était le chant des Anges descendus des cieux pour adorer le divin Enfant. Émus, Melchior et ses compagnons s’approchèrent de la crèche où reposait le Messie tant attendu. Marie sa mère et Josèphe l’époux de sa mère, le servaient. Un âne et un bœuf soufflaient sur l’Enfant et le réchauffaient de leur haleine.

D’angéliques Alléluias furent entonnés autour de la crèche. Melchior le Grand Druide de la Celtide se sentait comme dans un rêve. L’antique prophétie transmise par les Druides dans le secret de l’épaisse forêt gauloise devenait réalité. La Virgo Paritura : la Vierge qui doit enfanter… venait d’enfanter l’Enfant-Roi !

Melchior était heureux, des larmes de joie coulaient sur son visage. De son sac il sortit l’Or des Gaules qu’il offrit à l’Enfant. Par cet acte, Melchior affirmait la Royauté messianique de Yéshouah.

Melchior s’écria : « Loué soit le Dieu de mes ancêtres, par cet Enfant, le Monde est sauvé ! Les Fils des Ténèbres sont contraints aujourd’hui à entamer le recul face à l’avancée des Fils de la Lumière. »

Incliné devant l’Enfant, Melchior prophétisa : « Ô toi mon Maître, un jour… des jours… nous nous retrouverons ! »

ET MELCHIOR CHANTA !

 

Le Nouveau Soleil (Noël) environ -2000 ans avant la naissance du Messie – Ce jour Abram qui bientôt prendra le nom d’Abraham va rencontrer Melchisédech le Roi-Prêtre de Salem, la futur Jérusalem. Celui qui deviendra le Père des Nations est béni par le prêtre d’El-Elyon, le Dieu très-Haut. Plus tard le Psalmiste clamera : « Tu es prêtre pour toujours selon l’Ordre de Melchisédech », phrase que les Chrétiens vont reporter à Jésus. Cet épisode biblique riche de seulement trois petits versets apparait curieusement placardé entre deux versets évoquant la rencontre d’Abram avec le roi de Sodome. La rencontre du Patriarche et du Roi-Prêtre aurait eu lieu sur le Mont Moryah ou plus tard le roi Salomon édifia le Temple. L’épisode Melchisédech ne semble à première vue, pas à la place qu’il devrait occuper dans le Livre de la Genèse, si tant est, qu’une place pourrait lui convenir... Mais ainsi que l’indiquent les Maîtres du Rabbinisme, la triple bénédiction de Melchisédech consacre spirituellement la victoire d’Abram sur les rois du Nord commandés par le roi Amraphel.

 

Amraphel

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Suivant les exégètes juifs, Amraphel procède tout à la fois d’Hammourabi et de Nimrod souverains babyloniens contemporains d’Abraham. Son nom biblique aurait pour origine le sumérien Amar-Pil, « Splendeur du Feu », mais il acquiert en langue hébraïque deux sens complémentaires.

Le premier sens est « annonceur de ténèbres » ou « celui qui parle d'une manière sombre ». Les secrets de ce diseur de ténèbres appartiennent au monde de la nuit. La tradition voit dans celui qui parle des choses des ténèbres, un destructeur qui apporte les ténèbres sur le monde.

Le second sens retenu dans son nom le rapproche tout d’abord par la première partie : « Am », du terrible Amalek, le mal absolu. Am signifie « Peuple ». Raphel, la seconde partie de son nom a été rapprochée de Rapha : « apparition », « fantôme » dont le pluriel Rephaïm évoque des êtres fantomatiques ayant vécus sur Terre dans les marais primordiaux. Les Rephaïm désignent aussi les créatures angéliques ou les enfants de ces derniers, nés des Filles de l’Adam. Ils sont frères des Néphilim, les tombés du ciel.

 

24 décembre 1919 – Ce soir Pat McBerling et Terry FitzRollingSt iront à la messe de minuit. Après les évènements de juin 15, le sermon du Révérend Protestant de Llantrisant aura, à n’en pas douter, une saveur toute particulière.

En attendant, un bon déjeuner s’impose. Terry aurai aimé manger le haggis, la panse de brebis farcie, son plat préféré. Servi avec une purée de pomme de terre et une purée de rutabaga, le tout accompagné d’un verre de whisky, le top du top pour notre Scottish. Mais non l’Auberge des Trois Saints ne propose pas le plat favori de l’Écossais. Pat quant à lui est ouvert à toutes les cuisines et le plat du jour lui sied parfaitement. Aujourd’hui l’auberge affiche saucisse galloise, servie avec une sauce gravy. Le dessert se compose de Welsh Cakes, sortes de pancakes en plus sucrés et avec des raisins secs. Le repas fut copieux, nos deux amis sortirent de table rassasiés et joyeux.

La pendule en bois de chêne de la grande salle de l’Auberge des Trois Saints égrenait plutôt rapidement les heures. L’heure du Rendez-vous approchait à grand pas. Car oui, si l’Irlandais et l’Écossais sont venus pour assister à la messe de minuit du Révérend ils sont venus aussi et principalement pour la Rencontre de 17 heures. Une heure pour prendre un thé, certes, un thé qui sera le bien venu après ce copieux repas de la mi-journée, mais une heure pour une rencontre très spéciale avec un hôte ô combien spécial. Cet hôte n’est autre que le célèbre et tout à la fois méconnu : Melchior le Roi Mage. Cette rencontre pourrait paraître improbable. Ce peut-il qu’un Druide ayant vécu dans l’ancienne Gaule, puisse voyager physiquement dans le Pays-de-Galle du XXème siècle ?

Le rendez-vous, tout comme le lieu précis du rendez-vous doivent rester secret. Les deux amis, à 17 heures tapantes, pénètrent dans un living-room où se tient le Roi Mage. La tenue du Mage n’évoque en rien le Druide ou le Mage qu’il était et qu’il est toujours. Pat et Terry ont devant eux Monsieur tout-le-monde, vêtu du dernier cri, à la mode de ces années 20 qui se profilent.

Melchior se présente comme un membre de l’Ordre de Melchisédech. « L’Ordre, dit-il, travaille dans le temps. » Avant d’ajouter : « Nostradamus l’avait bien compris, et pour cause, lorsqu’il composa le quatrain VIII-99 et tout particulièrement le premier vers : Par la puissance des trois Rois Temporels. »

 « J’ai intégré l’Ordre, poursuivi Melchior, dans la lointaine Canaan où je suis né. Mon Maître Melchisédech me donna un nouveau nom. Je devins Melchior, soit en hébreu Melchi-Or : Mon Roi est Lumière.

« Mon Roi, en hébreu Melchi ouvre le nom de Melchisédech Roi de Salem. Mon Maître m’envoya dans ce pays qui plus tard, fut appelé la Gaule. Lorsque les Celtes pénétrèrent ces contrées de l’Ouest, j’intégrais le Collège Druidique qui, une fois l’an se réunissait au sommet du Crêt de l’Aralez ainsi que vous le savez. Très vite, le Mage Melchior fit place en Gaule au Druide Mael-Korr : le ‘’ Prince des Nains ‘’, référence aux mystérieux Korrigans, gardiens de trésors aurifères. Quelques 120 années avant l’incarnation de Jésus le Messie, le lieu annuel des rencontres celtes fut déplacé. Ce fut en territoire Carnute, dans la future cité de Chartres, sur le Tertre où se dresse aujourd’hui la célèbre cathédrale, que le Grand Collège officia.

« Les Druides attendaient et préparaient dans la crypte secrète du Tertre, ainsi qu’ils le faisaient déjà dans la crypte secrète de l’Aralez, la naissance de l’Enfant mais aussi sa venue sur le Tertre même… Ainsi que vous le savez, Jésus est venu en Gaule mais aussi en Grande-Bretagne et ce au moins à deux reprises. Je l’ai rencontré en terres celtes, pour la première fois dans cette région-ci au Pays-de-Galles. Enfant, il voyageait avec son oncle Joseph d’Arimathie qui venait jusqu’à Glastonbury chercher l’étain de la contrée. Des traditions bien affirmées que nul ne conteste, existent dans cette terre galloise depuis le Haut Moyen-Âge. Ces traditions sont confirmées en maints endroits par des noms hébreux qui marquent les visites de Jésus enfant.

« Le témoignage le plus ésotérique, parce que codé, relatant certains mystères liés à la venue du membre influent du Sanhédrin et de son neveu, reste la Prophétie de Melkin ou Melchini datée de 540. Le Druide Melkin intégra sa prophétie rédigée en latin dans le Livre de Melkin jadis présent sur la bibliothèque de l’abbaye de Glastonbury. On voit généralement dans Melkin un nom remontant au moyen-anglais. Ce nom est bien sûr apparenté à celui de Mon Maître, Melchisédech, et au nom de votre serviteur : Melchior. Il peut signifier en hébreu : ‘’ la Plénitude du Nid ‘’ mais aussi : ‘’ Mon Roi chantera ‘’. Du Nid d’Oiseau, suivant la tradition doit venir et même revenir – pour les Chrétiens – aux Temps des Grands Chants, le Roi-Messie. Melkin, membre de l’Ordre de Melchisédech, vivait à Glastonbury entouré d’élèves avec lesquels il élabora certains de ces textes aujourd’hui disparus. Dans sa Prophétie il fait allusion au Dieu Très Haut mais aussi à Salem au travers d’un curieux jeu de mots : Iudioalem. L’ombre de Melchisédech, roi de Salem plane dans son poème. La phrase la plus énigmatique de la prophétie reste assurément celle-ci : ‘’ Abbadare, potens dans Saphat, nobilissimus paganorum, cum centum et quatuor Milibus domiicionem ibi accepit. ‘’, soit : ‘’ Abbadare, puissant dans le jugement, la plus noble des païens, est endormi là avec 104.000 autres (ou 104 chevaliers) ‘’ Abbadare : le Serviteur de Ara : la Lumière est puissant dans Saphat : Jugement. Jeu de mots sur Josaphat, la Vallée de Josaphat du Jugement dernier et sur Tsarphat, nom hébreu de la France. L’heure, le temps n’est pas encore venu pour que l’on puisse totalement révéler le contenu crypté de cette prophétie.

 « Je voudrais à présent revenir aux signes annonciateurs de la naissance du Dieu-vivant. Lorsqu’ils se mirent en place, l’Ordre de Melchisédech et le Grand Collège Druidique, décidèrent que je serai auprès l’Enfant-Roi  et de La Virgo Paritura le représentant de l’Occident et puis, ne l’oublions-pas, mes racines se trouvaient dans cette terre d’Orient.

« Taliesin, ‘’ Front brillant ‘’, le Penn-Bardd Gallois du VIème siècle, évoqua sous forme d’énigme, dans son poème « LES VIES ANTÉRIEURES », ma présence à Bethléem :

J’étais avec Mon Roi

Dans la mangeoire de l’Anesse.

« Oui Mes Frères, ainsi que certains Maîtres, tout au long des siècles, aiment à le rappeler :

ET MELCHIOR CHANTA !

 

24 décembre 2014 – Dans un Hôtel historique du vieux Saint-Étienne dont nous tairons le nom, Patrick Berlier et Thierry Rollat ont rendez-vous avec Melchior.  Le représentant de l’Ordre de Melchisédech les reçoit dans salle ornée de riches tapisseries. Un feu vivifiant, crépite dans la cheminée géante surmontée d’hermétiques armoiries rappelant qu’il fut un temps ou les Adeptes de l’Art d’Hermès y travaillaient le métal.

 

Un hôtel historique du vieux Saint-Étienne…

 

Melchior expliqua à nos deux amis que La mission cosmique de l’Ordre de Melchisédech fut en partie révélée par les Esséniens. Les fameux manuscrits de Qumram ont fait couler et font encore couler, avec raison, beaucoup d’encre. Dans la liste des manuscrits de la Mer Morte, l’un des moins connus, reste assurément le mystérieux Testament d’Amram ou Visions d’Amram.

« Les exemplaires de ce rouleau de Qumram, indique Melchior, sont hélas bien incomplets, mais l’Ordre possède un exemplaire complet. Amram est considéré comme le père de Moïse, Aaron et Myriam. Mais derrière ce nom se cache ceux que les Esséniens nomment les Fils de la Lumière dont la mission est de combattre et d’anéantir les Fils des Ténèbres. Le nom Amram apparait comme un prolongement de celui d’Abram… Ou plus précisément Ab-Ram, « Père Élevé» se prolonge, se développe, pourrions-nous dire, dans Am-Ram, « Peuple Élevé ». Ramim, le pluriel de Ram « Élevé » désigne une catégorie d’Anges. Le peuple de Ram, les Ramim, combat les Fils des Ténèbres. Noël le Nouveau Soleil, affirme pour nous la victoire future tant espérée.

« Dans Le Testament d’Amram le père de Moïse, à l’approche de sa mort en sa 136ème année, l’an 152 de l’exil d’Israël en Égypte, raconta la vision qu’il avait eu bien des années auparavant : ‘’ Voici que deux faisaient un jugement sur moi […] et ils engageaient à mon sujet une grande dispute. Je les interrogeais : < Depuis quand avez-vous pouvoir sur moi de cette manière ? > Et ils me répondirent et me dirent : < Nous avons reçu pouvoir et nous avons pouvoir sur tous les hommes. > Et ils me dirent : < Lequel d’entre-nous choisis-tu ? > Je levais mais yeux et regardais : l’un d’entre eux avait l’aspect terrifiant, comme un serpent, et son habit était teint de couleurs, et sombre de ténèbres […]

« L’homme serpent était aussi sombre que ses habits, tandis que l’autre personnage était souriant de visage. Et savez-vous mes chers amis qui était, suivant le Testament d’Amram, le personnage souriant de visage ? Et bien je vais vous le dire. Il s’agissait de Mon Maître, de Notre Maître Melchisédech qui se présentait ici en qualité de Roi de l’Armée de Lumière.

Les deux amis interrogèrent de suite Melchior pour connaître l’identité de l’homme serpent. Le Mage répondit : « Il s’agissait de Melchiresha, le Roi de l’Armée des Ténèbres. Il est surprenant, je vous le concède que cet être néfaste porte un nom commençant, tel celui de Notre Maître et tel le mien par le titre pourtant honorifique « Melchi » : Mon Roi. Mais ce roi est roi de Resha : la Méchanceté.  Il vit pour et par les Ténèbres. Dans la symbolique mais une symbolique ô combien réelle, Amram est celui qui a choisi son Maître : Melchisédech. Amram lutte contre Amraphel, celui qui parle des choses des ténèbres et ne vit que par et pour les ténèbres.  Pour les anglo-saxons, Amraphel l’ennemi de Abram et de Amram, désigne le Peuple Spawn. Ce dernier mot évoque en anglais un œuf de poisson, voir de serpent, le frai mais aussi une engeance des ténèbres, de l’enfer : « Hell Spawn ». Cette armée de ténèbres, les Spawns seraient descendus sur Terre avant que l’homme ne sorte du limon. Certains chercheurs pensent qu’il s’agit des démoniaques créatures hantant les récits d’Howard Phillips Lovecraft. Cet auteur de la Nouvelle-Angleterre assimila ces créatures démoniaques aux Fomoire de la tradition irlandaise qui occupaient les marais des premiers âges. Cette théorie fut d’ailleurs partagée par deux de nos membres, l’Écossais Terry FitzRolling plus connu sous le nom à rallonge de Terry FitzRollingSt et l’Irlandais Pat McBerling. Ces deux noms ne vous rappellent-ils pas deux autres noms ? » Bien sûr les deux amis avaient immédiatement réagis en entendant le Mage prononcer ces deux noms. « Oui bien sûr, ces noms ne sont qu’une transposition de vos propres noms. Ces deux anciens membres de l’Ordre étaient vos cousins. » Patrick et Thierry se regardèrent en souriant, mais d’un sourire qui accusait une certaine perplexité. Ils n’avaient l’un comme l’autre, jamais entendu parler durant toute leur existence d’une telle parenté. Le moment était venu pour Melchior d’expliquer cette bien curieuse parenté : « Terry et Pat – ces deux prénoms ne vous rappellent-ils pas deux autres prénoms… les vôtres ?! – Terry et Pat sont vos cousins à la mode de Bretagne, où devrais-je dire, à la mode celtique, ce qui est du pareil au même. Terry ou Thierry c’est étymologiquement le Roi du Peuple et Pat, c’est le Père, allusif à saint Patrick, patron d’Irlande : le Druide. Un titre qui vous sied bien, je pense, Mon Cher Patrick ? Terry et Pat – que Dieu ait leur âme – sont venus par le passé à Saint-Étienne avant de gravir les Monts du Pilat... Telle la fée Clochette ils ont soufflé sur votre berceau, aussi ne soyez plus surpris du destin qui est le vôtre. La cloche de saint Télo venue de Sion, le fragment de paradis, a résonné pour vous. Le son qu’elle émet, ainsi que le révèle Arthur Machen, dans The great return, était comme le cœur éternel des ANGES.

« Sept années se sont passées depuis la Rencontre du Crêt de la Perdrix. Ce merveilleux Noël fut pour vous le Rendez-vous Premier. Vos pas vous ont amené à différentes reprises dans les Hôtels du vieux Saint-Étienne, tout comme aujourd’hui, ou dans la pénombre des mystérieuses traboules du vieux Lyon où rugissent encore les crinières des 12 lions de Juda. Ces sept années ont fait de vous des membres de l’Ordre de Melchisédech. Je devrais même ajouter que vous l’avez toujours été car on ne devient pas membre de l’Ordre on l’est de haut lignage.

 

Lion dans une traboule lyonnaise

 

Ces dernières paroles surprirent une fois encore Patrick et Thierry qui ne revendiquaient dans leur ascendance, aucunement de haut lignage.

« Ce haut lignage, poursuivit Melchior, n’évoque pas précisément un quelconque sang bleu même si certains de nos membres, pourraient le revendiquer. Si votre ascendance privilégie assurément votre appartenance à l’Ordre, elle ne la rend pas légitime pour autant. La vie que vous menez, les voies que vous suivez, sont primordiales. Si vous eussiez été des bandits de grands chemins, vous seriez resté des bandits et nous ne nous serions jamais rencontré.

« Ce haut lignage apparait dans le nom que vous portez ! » Et se tournant vers Thierry Rollat, Melchior, l’interrogea sur la signification de son nom. Thierry c’était intéressé à l’origine de son mon, aussi ne fut-il pas en peine pour répondre : « Deux théories s’affrontent : la première veut que les Rollat, bien présents dans la région lyonnaise et les Pyrénées-Orientales, viendraient du Bourbonnais et ce nom désignerait celui qui est originaire de la localité, ou région, appelée Rollat, nom que l’on retrouve dans les communes de Saint-Rémy-en-Rollat et Saint-Didier-en-Rollat (aujourd'hui Saint-Didier-la-Forêt). La seconde théorie fait venir mon nom du vieux-français rollet, roulet, roulat ou role dont la signification est ‘’ rouleau de papier ‘’. À titre d’exemple, on parlait au Moyen-Âge du Roulet de Salomon… Rollat serait le surnom de scribe et j’ai le désir de penser que cette hypothèse est celle qu’il me faut retenir. »

Melchior reprit la parole et confirma les propos de Thierry. « Mon Cher Thierry votre choix, est le bon. Savez-vous quelle était la profession de votre cousin Terry FitzRollingSt ? » Non bien sûr, Thierry ne pouvait le savoir et c’était bien naturel. Aussi Melchior poursuivit : « Il était libraire et éditeur à Édimbourg. Vous-même n’êtes-vos à votre façon… éditeur ? Vos ancêtres médiévaux exerçaient, vous le savez, le métier de scribe avec tout ce que cela comportait à l’époque… les Rollat venus dans le Pilat, tout comme les FitzRolling, la branche cadette, partie dans les Highlands, étaient des scribes de l’Ordre. Au XVIème siècle votre lointain aïeul Anselme Rollat était imprimeur-éditeur ici-même à Saint-Étienne. Ami de Gryphe le ‘’ prince des libraires lyonnais ’’ il était membre actif de la Confrérie des Griffarins qui se réclamait de Griffon et donc de Sébastien Gryphe. »

Thierry, qui avait de bonnes raisons de penser que Melchior évoquerait la mémoire d’Anselme Rollat l’illustre ancêtre, avait glissé dans une sacoche quelques documents dont une reproduction sans doute assez fidèle à l’original aujourd’hui perdu de  la griffe, le monogramme de son ancêtre. 

 

La griffe d’Anselme Rollat

 

Thierry profita de l’occasion pour commenter le monogramme, les armes de l’aïeul Lyonnais : « Anselme Rollat était propriétaire, rue de la Ville, ici à Saint-Étienne, de la librairie-imprimerie ‘’ Au Rollat d’Or ‘’. Ce lieu était un lieu de rencontre. De hauts personnage aimaient à s’y arrêter, certains même y trouvaient le gîte et le couvert : ‘’ Au Relais on dort ‘’… Les lettre A. R. sont bien sûr les initiales de Maître Anselme Rollat mais elles évoquaient aussi pour le personnage un vieux mot d’origine sémitique : AR qui désignait la ‘’ lumière ‘’ ou le ‘’ feu ‘’. Patrick en parlera assurément tout à l’heure. Le 4 évoquait tout à la fois le Chiffre de Quatre, emblème notamment de la Société Angélique née à Lyon. Mais c’était aussi une allusion que peu d’hommes étaient en mesure de comprendre, au signe de la planète Jupiter qui se nomme en hébreu Tsédeq ou Sédech, nom dans lequel certains Maîtres ont reconnu Melchisédech ! »

Melchior reprit la parole en apportant quelques développements appropriés puis se tourna à présent vers Patrick et lui demanda, tout comme il l’avait fait précédemment à Thierry d’évoquer pour lui l’origine du nom de famille qui était le sien ; ce que le Stéphanois fit avec un réel plaisir :

« Le nom Berlier était à l’origine un nom de métier, ‘’ cultivateur de berle ‘’, le mot berle – en latin berula – venant du gaulois et signifiant ‘’ cresson ‘’.  Cela dit la berle n’a rien du cresson, c’est une ombellifère qui ressemble au céleri, et qui était cultivée pour sa racine nourrissante.

« Dans le Dossier « DOIZIEU UN VILLAGE SINGULIER… & PLURIEL » publié par Thierry, je consacre quelques lignes à la légende de la Roche du Suaire à Doizieu. Au XIIIème siècle, le seigneur Roger Plantevelu part avec son host en croisade contre les Albigeois. Durant son absence, sa fille, la belle Blanche est séquestrée dans une geôle de bas étage du donjon du château par le félon sire de Saint-Paul, seigneur de Farnanches. S’en revenant de croisade, le seigneur Plantevelu fait une mauvaise chute de cheval. La providence veille sur lui, un solide gaillard du crû va lui sauver la vie. Plantevelu, escorté de son host, rentre à Doizieu. Averti des très fâcheux évènements survenus durant son absence, lui et ses hommes délivrent le château. Blanche retrouve ainsi la liberté. Plantevelu n’oublie pas son sauveur, qui a pris une part ardente à la bataille. Pour le remercier il l’installe sur ses terres, lui donnant en mariage une suivante de sa fille. Dans son lointain pas, l’homme cultivait une plante comestible, la berle, il exerçait donc le métier de berlier. Ce nom deviendra son patronyme. C’est ainsi que les Berlier on fait souche à Doizieu, en un lieu toujours nommé la Berlière. Ils ont depuis bien essaimé dans la région…

« La légende est belle, les Berlier dont je suis ici le représentant, sont les ‘’ fils ‘’ de Plantevelu et de Blanche… Une tradition présente Plantevelu, seigneur de Doizeu, comme un homme réputé ‘’ planter velu ‘’, c’est-à-dire celui qui ‘’ engendre des enfants velus », autrement-dit… Plantevelu est un Mérovingien !

 

Doizieu, l’ancien donjon restauré

 

 « Blanche, la blanche lumière, fut enfermée dans une geôle de bas étage du donjon. Cette geôle était une crypte aujourd’hui oubliée. Pendant plusieurs décennies, l’ancien donjon servit de mairie et Doizieu offrit la particularité d’être la seule commune de France dont le cachet officiel ne représentait pas la République, mais un chirat planté de sept pins, droits comme des cierges. L’image du chandelier à sept branches, la Ménorah, visible sur un vitrail pilatois de Véranne, s’y décalquerait parfaitement… Sous le chirat de grosses pierres entassées, apparaissait la mention « Le Mont Pila ». Sans T final… La commune finit par rentrer dans le rang, et adopta comme tout le monde le tampon républicain. L’ancien cachet est cependant précieusement conservé par la mairie, et je me permets d’en montrer ici l’image, témoin d’un temps révolu :

 

L’ancien cachet de la commune de Doizieu

 

Melchior n’interrompait pas ce long et pertinent exposé de Patrick car ils servaient totalement ses propos. Aussi Patrick poursuivit :

 « Mes ancêtres, égard aux fonctions mystérieuses qui étaient les leurs, ont porté un blason présentant un pal chargé d’un croissant. J’ai bien sûr apporté si une représentation de ces armoiries :

 

Armoiries des Berlier et lettre arabe Ba

B~RELIE EST A L’OURE RELIE

 

« – D’Argent au Pal de Sinople chargé d’un croissant d’argent. Devise : B~RELIÉ EST À L’OURE RELIÉ. Bien que non présents sur cette représentation du blason : Cimier – un buste d'homme barbu. Soutiens – Deux branches de berle.

« De tradition familiale, le croissant représente la lettre arabe B, et le pal exprime l'idée d'une liaison du ciel à la terre, ce pouvait être un blason parlant, en langue des oiseaux : B relié, soit Berlier. Dans la symbolique arabe, Ba, la lettre correspondant à notre B désigne la vache, animal lunaire. Cette origine symbolique remonte à Sumer où la lune était ornée de deux cornes de vache, et ou la vache était représentée comme un croissant de lune. Un texte sumérien disait : ‘’ La blancheur de la Vache, un clair de lune qui monte… ‘’ Je me suis longtemps posé la question : ‘’ Roger Plantevelu, parti en pays lointain, faisait-il réellement croisade en Pays Albigeois ? Et cet autochtone, le grand ancêtre, qui l’aurait suivit jusqu’à Doizieux, était-il un homme du Pays Albigeois ? ‘’ J’ai bien une idée sur le sujet, notamment en ce qui concerne la lecture de la devise des Berlier mais j’aimerai que, vous Maître Melchior, m’apportiez quelques lumières sur le sujet.

Melchior qui jusqu’à présent écoutait avec intérêt le long discours de Patrick, reprit la parole : « Tout d’abord, je voudrais saluer le savoir dont venez de nous gratifiez car ce savoir est capitale à la lumière de notre combat que nous menons depuis des millénaires contre les Fils des Ténèbres.

« Les armoiries de vos ancêtres tournent autour des mots berle, berlier et relier…  Votre lointain ancêtre venait de Terre Sainte où il vécut auprès du grand Abraham. Berlier n’était pas véritablement son nom, où justement il le deviendra pour ses lointains descendants vivant dans la France médiévale. BERLIER 1er, si je puis m’exprimer ainsi, tout au moins présentement, vivait dans la cité d’Ur que l’on prononce Our, dans le Pays de Sumer et appartenait à la caste des Kasdim. Ce mot qui apparait dans la Bible est associé à Our : Our Kasdim et non Our en Kaldée, expression absente du texte hébraïque. Au centre de la cité se trouvait ‘’ la Montagne des Gradins ‘’, la ziggurat d’Our. Cinq temples étaient placés en demi-cercle autour de la ziggurat du roi Ur-Nannu. ‘’ Notre Lumière ‘’ ou ‘’ Notre Feu ‘’, telle était la signification du nom de ce mythique roi sumérien. Cette lumière, Our, donna son nom à la cité ‘’ Our-Kasdim ‘’, le ‘’ Feu des Magiciens ‘’. Ces magiciens, les Kasdim n’étaient pas de simple magiciens, le nom ne correspond aucunement à celui donné aux simples magiciens. Ceux d’Our-Kasdim avaient des fonctions très diverses  dont la plus étrange était celle de  savants, des savants d’Our : le Feu/Lumière dont la couleur était verte, d’où la couleur du pal du blason des Berlier. Dans les temples d’Our étaient vénérés le dieu de la Lune ainsi que la déesse Lune : Nin Gal dont le nom, ainsi que l’a noté Robert Graffin dans son livre ‘’ Les Fils de Ram et les Fils d’Abraham (les Gallos-Galiléens) ‘’ signifie, notamment ‘’ Descendant du tas de pierres ‘’ et pour ma part, j’ajouterai : ‘’ du chirat ‘’… Car oui, la lumière du ‘’ chirat ‘’ est OUR ! Le Feu des Magiciens.

‘’ Le grand ancêtre des Berlier était un Kasdi. Il travaillait, utilisait, vivait avec Our le Feu/Lumiière que l’on qualifiait de lunaire, bien que ce ne soit pas totalement vrai. Le Livre de Job évoque la venue des Kasdim et la mort qu’ils apportèrent dans la Maison de Job. Un ‘’ feu de Dieu ‘’ le Esh Élohim, tomba (Naphéla) du ciel et détruisit les brebis et les serviteurs. Le verbe ‘’ tomber ‘’ ici utilisé, est de grande importante. Ce mot hébreu est apparenté à néphila, la ‘’ chute ‘’ et à ‘’ Néphilim ‘’, nom que la Bible donne aux anges descendus sur Terre avant le Déluge, les Fils d’Élohim…

« BERLIER 1er citoyen d’Ur-Kasdim parlait tout comme son compagnon Abram, l’araméen, la langue que parlait Jésus. Le nom qu’il portait était un nom araméen : Ber-Léor, variante de Bar-LéOur : le Fils de la Lumière ou le Fils d’Our. Le temps passa et Ber-Léor  à la demande d’Abram et de Melchisédech monta à bord d’un navire phénicien qui l’amena au-delà de Tarshish, la Tartessos d’Espagne, jusque dans le Pays des Druides où arriveront plus tard les Gals nommés également Kaldes. Un nom très proche, n’en doutez pas, de celui des Kaldéens dont la forme première et véritable est Kasdim  ?

« Le blason des Berlier et la devise d’Our aux couleurs blanche et verte, pérennisent ce lointain passé de la riche cité du Croissant fertile, jadis baignée par les eaux du Golf Persique.

« Oui, B~RELIÉ EST À L’OURE RELIÉ. Il faut savoir qu’au Moyen-Âge, RELIER ou RELIEF était un droit payé par un vassal pour relever son fief. Et vous pouvez le croire, les Berlier du Pilat ont bien relevé leur fief, leur primitif fief. Sur cette Terre de France, ils ont pérennisé l’OUR dans le B~RELIÉ. L’Oure, le temps, l’heure – en ancien-français – était venu. ‘’ Relief et serment ‘’, disait-on jadis dans la Vieille-France, lorsque l’on parlait d’un serment. Les Berlier ont bien rempli le rôle qui leur incombait. « relief de fief » : foi et hommage.

Le grand Hiéronymus Berlier, contemporain du non moins grand Anselme Rollat s’en vient avec quelques chevaliers portant bannières et penons devant le mystérieux roi Plantevelu. LA CHRONIQUE À L’OURE RELIÉ écrite et imprimée par son vieil ami de Saint-Étienne, indique que le descendant de Ber-Léor ‘’ Fit son relief ‘’ au Roi Plantevelu, puis s’en retourna en son lieu.

« Un dernier mot sur le cimier du blason qui ainsi que vous nous l’avez rappelé, Mon Cher Patrick était un buste. Hors savez-vous, Mes Chers Amis, que ce buste d’homme barbu couronnant les armoiries des Berlier,  n’était pas un quelconque buste, il s’agissait d’un Relief de marbre. D’aucuns prétendaient que ces ‘’ reliefs ‘’ possédaient une vie. Ne les a-t-on pas comparés aux téraphim bibliques dont le nom serait araméen ? Les Rabbins prétendent qu’ils rendaient des oracles et découvraient l’avenir. Le Rabbin David de Pomire dit qu’elles avaient la forme humaine, et que, quand elles étaient élevées, elles parlaient et rendaient des réponses à certaines heures et sous certaines constellations, par l'influence des corps célestes, et cette influence leur était communiquée par l'art de celui qui les faisait d'un certain métal, avec certains caractères, et sous certain aspect des astres. 

« Hiéronymus Berlier était un curieux personnage. Il vivait au XVIème siècle mais la science qu’il affirmait détenir les secrets, remontait aux Kasdim de l’antique cité d’Ur. Son ami Anselme Rollat écrivit dans la CHRONIQUE À L’OURE RELIÉ que le Maître Hiéronymus Berlier avait relié l’Our(e) à la recherche du Téraph. Courageux il était, car l’époque choisit pour sa destination, par delà les couleurs du temps, ou devrais-je dire les couloirs du temps, était celle durant laquelle la cité d’Our était dirigée par le roi Nemrod, le ‘’ Diseur de Ténèbres ‘’. Un auteur du XXème siècle, Jacques Attali, n’a-t-il pas écrit dans « La Vie Éternel, Roman », en parlant du jour libérateur, jour que l’on peut raisonnablement rapprocher du grand jour de la victoire des Fils de la Lumière, sur les Fils des Ténèbres, oui n’a-t-il pas écrit : ‘’ Cet évènement sera nommé l’UR jusqu’à la fin des temps… ‘’. Maître Hiéronymus Berlier savait assurément ce qu’il faisait ainsi que son retour pourrait nous le démontrer…

« Mes Chers Frères, je vous le dis, vous le savez, nous rentrons dans l’UR, l’Ur est relié : le B~RELIÉ.

« Nous venons, Chers Amis de passer, un bon, un très bon après-midi. Mais l’heure est venue de se quitter. Il n’y a si bons amis qui ne se quittent, aussi je vous invite à présent à retourner chacun en son lieu. Le mien n’est pas d’ici et il me tarde en cette veille de Noël d’y retourner. Puisse Dieu nous permettre un jour de nous réunir une fois encore. L’Ordre décide et je suis son serviteur… Je vous souhaite un bon et joyeux Noël.

« Il est de coutume de dire depuis que Brid’oison le chanta en 1784 à la toute fin de la pièce ‘’ Le Mariage de Figaro ‘’ de Beaumarchais : ‘’ Tout finit par des chansons ‘’. Permettez, Amis très Chers que je vous chante un très vieux chant de Noël.

ET MELCHIOR CHANTA !

 

Les deux amis Patrick et Thierry quittèrent presque à contrecœur cet Hôtel du vieux-Saint-Étienne car ils savaient avoir vécu, une fois encore un moment unique. 

Thierry allait reprendre le chemin de Pélussin. Il proposa à Patrick de prendre place dans sa voiture et de passer le réveillon avec sa femme et ses deux enfants. Mais Patrick déclina l’offre, bien qu’il lui ait été agréable de prolonger durant ces fêtes de Noël la troublante aventure dont ils avaient été les acteurs. Patrick était, ainsi qu’il l’indiqua à son ami, invité chez les cousins. Mais Thierry, qui lui aussi aurait aimé prolonger ces instants magiques, proposa à Patrick de monter à Pélussin pour la Saint Sylvestre.  Le Druide, fils des Kasdim accepta l’invitation du petit-petit fillot de Maître Anselme Rollat. Les deux amis s’échangèrent un Joyeux Noël, concédant que ce Noël 2014 avait commencé de bien belle façon !

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