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2021










Chers Amis Internautes,

Nous laissons derrière nous une année bien particulière car comment faire abstraction de ce que la Covid19 a provoqué comme bouleversements dans notre vie de tous les jours. Nous espérons vivement que le plus tôt possible les choses entrent dans l'ordre, que nous puissions reprendre une vie normale.

En 2020 les Regards du Pilat sont restés très actifs et vous ont proposé des sujets au même rythme que les années passées malgré la conjoncture sanitaire. Nous avons accueilli plusieurs nouvelles plumes et ce sera encore le cas pour l'année à venir. La pluralité est gage de richesse ; il y a longtemps que nous l'avons compris.

Votre fidélité reste toujours de mise et c'est là notre plus grande satisfaction ; une récompense, pas moins. Les Regards du Pilat sont entrés dans leur 18ème année d'existence ; c'est l'âge de la majorité et pour nous c'est une étape importante. Nos thèmes sont sans cesse renouvelés et 2020 a même vu apparaître une nouvelle rubrique avec les Châteaux oubliés.

Nos articles sont très lus (depuis 6 mois, chaque mois nous dépassons les 7000 connexions) et il en est de même également pour tous les anciens articles. Les statistiques de Free sont précises. Elles renseignent sur bons nombres de critères chaque mois. Par exemple, nous connaissons les 30 articles les plus lus, le nombre de connections journalières, les pays d'où proviennent les internautes ...

Nous remercions toujours et encore tous nos contributeurs et invités sans lesquels les Regards du Pilat n'existeraient pas. Nous sommes bien conscients du travail et de la patience que nécessite la réalisation d'un sujet. Patrick Berlier demeure le fer de lance de votre site favori ; il mérite donc une mention spéciale, des remerciements sincères.

Les Regards du Pilat c'est aussi le site des rencontres et même la naissance d'Amitiés. Effectivement, il n'est pas rare d'être questionné par les internautes, de recevoir des réactions à tel ou tel article. Pour rappel, je mets à disposition mon adresse électronique afin que chacun puisse au besoin s'exprimer, réagir ou demander des renseignements : thierry.rollat2@gmail.com

C'est l'heure des vœux. Que 2021 qui pointe le bout de son nez soit une année agréable pour vous et pour vos proches. Les sorties en groupe sur le terrain nous ont manqué, alors qu'elles reviennent au plus vite en cette nouvelle année. Nous vous souhaitons bien sûr le plus important, c'est à dire, une bonne santé.

A présent je vous laisse en compagnie de Patrick Berlier et Michel Barbot avec lesquels vous allez découvrir leur nouveau conte de Noël respectif. Nos deux Amis vous ont encore concocté des lectures passionnantes faisant la part belle aux rêves mais pas seulement, alors bonnes lectures et encore Bonne Année.

Thierry Rollat






Chers amis internautes,

L'année 2020 qui s'achève aura eu au moins pour mérite d'enrichir la langue française de nouveaux mots. En effet, si confiner et confinement appartenaient à notre langue depuis le XIIIe siècle pour le premier mot, et le XVe siècle pour le second, déconfiner et reconfiner n'existaient pas en bon français, d'ailleurs quand je les écris mon logiciel de traitement de texte les souligne en rouge. Ce sont des néologismes apparus seulement cette année. Aurons-nous droit à redéconfiner ? L'avenir nous le dira !

Il y a un an, je vous offrais des doubles vœux de bonheur en jouant sur les deux zéros de ce millésime 2020. Comment aurions-pu nous douter de ce qui nous attendait ? Certes oui, on commençait bien à nous parler, aux informations, de cette ville chinoise touchée par une mystérieuse épidémie. Mais la Chine, pensions-nous, c'est loin, la maladie ne risquait pas d'arriver jusque chez nous. Pourtant, le hasard malicieux avait glissé un indice – à moins que ce ne fût un intersigne – dans le conte de Noël de notre ami Michel Barbot consacré à l'acteur Noël-Noël. Pour illustrer l'évocation du film Le père tranquille, j'avais trouvé l'affiche correspondante. Je m'aperçois aujourd'hui, et c'était marqué en toutes lettres sur cette affiche, qu'il s'agissait d'une production des films Corona. Étrange... Ce nom aurait aujourd'hui une autre coloration.

Cette année, chacun de nos deux contes de Noël, celui de Michel et surtout le mien, est marqué par cette épidémie de la Covid-19. C'était inévitable. Pour ce qui me concerne, et je l'explique dans mon histoire, j'ai choisi de considérer le mot Covid comme un féminin. Mais la féminisation ne rend pas la maladie plus douce pour autant !

J'espère de tout cœur que cette nouvelle année nous débarrassera du spectre de la terrible maladie. Vaccin efficace et sans effets secondaires, traitement, tout est possible et tout peut arriver. Puissions-nous prochainement regarder à nouveau sereinement le journal télévisé, sans craindre qu'il ne commence par des mauvaises nouvelles concernant la pandémie.

Je veux y croire, 2021 fera à nouveau briller le soleil dans nos cœurs. C'est la grâce que je vous souhaite.

Patrick  Berlier




LE PARADOXE DU PONT-EUXIN

 

Vendredi 7 Août 202o, 11 h 57

Parti de Bretagne aux aurores, le TGV Rennes – Marseille filait à 300 km/h sur la voie qui lui était réservée. Il n'était plus qu'à une centaine de kilomètres de Lyon, où il s'arrêterait pendant quelques minutes. L'heure du déjeuner approchait, et plusieurs annonces avaient déjà signalé la présence d'un espace proposant boissons et collations variées en milieu du train. Quelques voyageurs s'y étaient dirigés. Mais l'homme qui occupait un siège côté fenêtre, dans le wagon pourtant attenant à celui du bar-restaurant, n'avait pas tenu compte de ces annonces, contrairement à ses voisins. Il conserva la tête tournée vers l'extérieur, regardant défiler le paysage. Il savait qu'il descendrait bientôt du train, puisque Lyon était sa destination. Il arriverait donc bien à temps pour aller prendre un vrai repas, avec son ami qui devait déjà l'attendre. Parti très tôt de Nantes, il avait hâte maintenant d'arriver.

D'autres annonces rappelaient, régulièrement, l'obligation de porter un masque. L'homme se dit qu'en d'autres temps il eût été nécessaire de préciser la nature de ce masque, tant ce mot pouvait avoir plusieurs valeurs : masque à gaz, masque de carnaval, masque d'escrime, masque chirurgical, etc. Mais cette indication était devenue inutile, tant l'épidémie du coronavirus, qui depuis le début de l'année empoisonnait la vie de chaque être humain sur terre – quand il ne le tuait pas – était plus que jamais d'actualité. Il glissa machinalement la main dans la poche de poitrine de sa chemisette, se rassurant au contact du petit flacon de gel hydro-alcoolique qu'elle contenait, et dont il devrait se frotter les mains en sortant de la gare, par précaution supplémentaire. La pandémie s'était calmée en France avec l'été, mais on parlait déjà d'une deuxième vague pour l'automne ou l'hiver.

 

Le tristement célèbre coronavirus

 

« Non, jamais je n'aurais imaginé vivre une telle situation, vraiment pas ! Une épidémie comparable aux pestes médiévales, mais à l'échelle planétaire, une catastrophe que personne n'avait réussi à prévoir... Enfin, à moins que... »

Telles étaient les pensées qui agitaient l'esprit de cet homme, lequel n'était autre que le nantais Michel Barbot, répondant à l'invitation de son ami stéphanois Patrick Berlier à venir passer quelques jours à Lyon. Après le confinement du printemps, l'embellie sanitaire de l'été 2020 avait rendu possible ce petit séjour. Le premier ministre n'avait-il pas annoncé que les Français pourraient partir en vacances ? Eh bien ils étaient partis, insouciants, persuadés que l'épreuve était terminée.

« Mais non, il y a deux quatrains, donc il y aura bien une deuxième vague... »

Le ralentissement du train mit fin aux cogitations de Michel, qui se remit à regarder défiler le paysage. Aux vastes étendues campagnardes avait succédé un paysage urbain, révélant l'approche d'une grande ville, Lyon en l'occurrence. Le jingle habituel de la SNCF retentit dans les hauts-parleurs et la voix feutrée de l'hôtesse de bord fit une nouvelle annonce :

« Mesdames, Messieurs, dans quelques instants notre TGV n° 5322 desservira la gare de Lyon Part-Dieu... »

12 h 25

Une fois sorti du train, Michel se dirigea vers les escaliers permettant de descendre dans le grand hall de la gare, situé sous les voies. C'était la première fois de sa vie qu'il venait à Lyon, il fut un peu surpris par l'immensité des lieux et le nombre incroyable de voyageurs qui s'y entrecroisaient en tous sens. Mais aussi grande fut-elle, cette gare ressemblait à toutes les autres gares, et si on prenait la peine de bien lire les informations on ne risquait pas de s'égarer. Et puis il lui suffisait de suivre la foule. Michel essaya de garder ses distances avec les autres voyageurs, mais ce n'était guère possible. Malgré les marquages au sol, la distanciation sociale, prônée par les autorités, n'était qu'une illusion dans une gare bondée, qui plus est en cette période estivale.

Patrick avait dit à Michel qu'il l'attendrait dans le hall, au pied des escaliers, et il était là en effet, fidèle au rendez-vous. Dès qu'il aperçut Michel, il lui fit un geste. Les deux amis se reconnurent malgré leurs masques, et Michel répondit au salut de Patrick. Ils évitèrent de se serrer les mains pour respecter les fameux gestes-barrière.

« – Salut Michel ! Tu as fait bon voyage ?

– Excellent, le TGV est confortable, bien climatisé, mais j'ai dû me lever tôt pour partir de Nantes à 6 heures !

– Sortons vite de la gare, dehors il y aura un peu moins de monde, mais gardons nos masques car nous allons devoir prendre le métro pour aller dans le Vieux Lyon. Quelle peste, cette Covid-19 !

– Tu ne crois pas si bien dire, peste est le mot juste, en effet. Mais je constate que tu fais partie de ceux qui pensent que le mot Covid est féminin ?

– Oui, disons que je me range à l'avis de l'Académie Française. Le mot est l'acronyme de l'anglais COrona VIrus Disease, ce qui veut dire Maladie, ou affection, à Coronavirus, donc c'est féminin. En conséquence l'Académie recommande de dire la Covid, comme on dit la CIA, ou la NASA. Quant au chiffre 19, c'est évidemment celui du millésime 2019, année où fut découvert ce coronavirus.

– Ben... Merci pour la leçon d'orthographe ! OK, je dirai la Covid-19. Mais ils auraient pu choisir un nom à consonance féminine, comme Covidie, ce serait plus facile...

- Oh, ce n'est pas grave si tu continues à dire le Covid, vu que presque tout le monde, hommes politiques, journalistes, médecins, emploie le masculin. Je disais ça juste pour l'anecdote ! »

13 h 15

Michel et Patrick, heureux de se retrouver, étaient attablés en terrasse d'un petit restaurant du Vieux Lyon, un de ces « bouchons » typiques proposant les différentes spécialités de la gastronomie lyonnaise. Enfin débarrassés de leurs masques, ils purent converser sur les sujets qui leur tenaient à cœur.

 

Un coin du Vieux Lyon

 

« – J'ai hâte de visiter la basilique de Fourvière, dont tu m'as parlé longuement dans tes courriers. Nous y allons cet après-midi ? demanda Michel.

– Après le repas nous y monterons directement. Je t'aurais bien proposé de prendre le funiculaire, que les Lyonnais nomment familièrement la Ficelle, mais puisque tu es devenu un grand marcheur nous ferons le trajet à pied, même si la rue du Gourguillon qui est  assez raide à monter te changera sûrement des rues de Nantes !

– OK pour marcher, on ira doucement si ça grimpe trop fort...

– Pas de souci. D'ailleurs nous ferons quelques haltes au niveau des maisons Renaissance, du théâtre antique, du carrefour du bimillénaire, et ainsi nous arriverons tranquillement à Fourvière. Après avoir admiré la vue, visité la basilique, nous descendrons à pied par le versant nord jusque dans le quartier Saint-Paul. Nous aurons même le temps de flâner ensuite dans quelques boutiques – dont celles des bouquinistes et des libraires, je te connais ! Demain nous consacrerons la matinée à la visite du Vieux Lyon avec ses traboules et ses miraboules, la plupart ne sont ouvertes que le matin.

– Les traboules, j'en ai entendu parler, je sais que ce sont des passages traversant les immeubles pour aller d'une rue à une autre. Mais l'autre mot m'est inconnu. »

Patrick expliqua :

« – Le mot traboule, que tu as parfaitement défini, vient du latin trans ambulare, qui signifie passer à travers. Miraboule est un néologisme lyonnais, construit sur le modèle de traboule, pour désigner un lieu qu'il faut simplement « mirer », autrement dit regarder et admirer. Ce sont les cours Renaissance qui sont ainsi désignées. Il y en a qui sont particulièrement belles, comme la galerie de Philibert Delorme, rue Juiverie. Et puis dans cette rue il y a aussi le souvenir de tous les hommes illustres qui y séjournèrent, plusieurs rois de France, Rabelais, sans oublier Nostradamus.

– Ce cher Michel de Nostre-Dame ! C'est vrai que c'est à Lyon qu'il a publié en 1555 ses prophéties pour les siècles à venir, les fameuses Centuries, dont certaines se sont bel et bien réalisées.

 

Première édition des prophéties de Nostradamus, Lyon 1555

 

– Et à ton avis, avait-il prévu l'épidémie de coronavirus ? Un tel événement mondial, il ne pouvait pas ne pas l'avoir pressenti, qu'est-ce que tu en penses ? Je t'en parle, parce que je me suis posé la question. J'ai regardé sur Internet, mais on y trouve tout et n'importe quoi, y compris des fausses prophéties inventées exprès !

– Je me suis posé la question moi aussi, répondit Michel. Et j'ai peut-être la réponse. Enfin... Un début de réponse, parce que je t'avoue que je ne comprends pas tout. Il faudra que je t'en parle en détails un de ces soirs.

– Volontiers, si je peux t'aider...

– Oh... Oui, bien sûr tu pourras peut-être. Mais c'est tellement complexe, que je crois que le seul qui pourrait vraiment m'aider, c'est Nostradamus lui-même ! Si seulement nous disposions d'une machine à explorer le temps, comme celle imaginée par l'auteur anglais H. G. Wells, nous pourrions sans quitter Lyon aller l'interroger pendant l'un de ses séjours.

– J'ai lu le roman de Wells moi aussi... Mais ne rêvons pas trop !

– Oh, c'est juste mon imagination fertile qui s'enflamme... Tu as raison, gardons les pieds sur terre. Et à ce propos, il serait peut-être temps de se mettre en marche, non ? »

Patrick regarda sa montre. Il était près de 15 heures, et il était temps en effet d'entreprendre l'ascension de la colline de Fourvière.

Samedi 8 août 2020, 11 h 40

La journée du vendredi s'était terminée comme annoncé par Patrick. Après la longue descente depuis Fourvière jusqu'au quartier Saint-Paul, les deux amis avaient flâné en rue Saint-Jean, s'attardant dans la librairie bien connue des amateurs de curiosités.

 

Vitrine de la librairie

 

En ce samedi matin, après une nuit de repos bien méritée, suivie d'un copieux petit-déjeuner, ils avaient entrepris la visite du Vieux Lyon avec ses fameuses traboules et miraboules. C'était un véritable labyrinthe, dans lequel Patrick entraînait son ami avec amusement, car le parcours était particulièrement fait pour désorienter celui qui le découvrait. Michel allait de surprise en surprise, émerveillé par les cours Renaissance dont rien ne laissait deviner la magnificence depuis la rue. Ils se trouvaient en cet instant place Saint-Paul, dans le quartier du même nom, formant la partie nord du Vieux Lyon. Sur cette petite place tranquille, rien ne laissait imaginer qu'une nouvelle traboule les attendait, dans l'immeuble occupant le numéro 3. Ce passage offrait la particularité de s'étendre sur deux niveaux, puisqu'il fallait gravir une volée de marches pour accéder au couloir ouvrant finalement sur le numéro 5 de la rue Juiverie.

 

La rue Juiverie

 

C'est après avoir monté ce court escalier, alors que Patrick s'affairait à trouver le bouton commandant l'ouverture de la porte de sortie, que Michel aperçut quelque chose luisant faiblement au sol, dans l'obscurité du couloir. Il se baissa pour ramasser l'objet.

« – Ah ben ça... fit-il. C'est une montre, de femme apparemment si j'en juge par sa taille et son bracelet décoré de motifs floraux, on dirait bien que c'est de l'or. Elle a des aiguilles mais c'est un mouvement à quartz, et ce qui est très curieux c'est que le cadran est gradué en 24 heures. Je n'ai jamais vu ça ! Il y a aussi un affichage digital qui indique le jour de la semaine et la date, jour – mois - année. Tout le pourtour du cadran est formé par une sorte de cristal annulaire légèrement lumineux. C'est ça qui brillait dans le noir.

– Un bel objet en effet, dit Patrick, un instrument de mesure du temps complet et vraiment pas ordinaire. Si personne ne l'a vu avant nous, c'est qu'il ne devait pas être là depuis longtemps. Celle qui a perdu cette montre n'est peut-être pas loin ? »

Mais l'immeuble était désert, de même que la place Saint-Paul, sur laquelle Michel était retourné. La rue Juiverie, où Patrick jetait un coup d'œil, était vide elle aussi de toute présence humaine. Un peu normal en cette heure proche de midi, les touristes étant davantage occupés à chercher un restaurant, or les « bouchons » étaient plutôt concentrés dans le quartier Saint-Jean, dans le cœur du Vieux Lyon. Michel rejoignit Patrick, qui lui demanda :

« – Il n'y a pas de nom gravé au dos de la montre ?

– Non, enfin seulement celui du magasin d'où elle provient : L'horloger de Saint-Paul, 20 rue Juiverie, 69005 Lyon. Apparemment c'est un peu plus loin dans cette rue, non ?

– Oui, c'est à deux pas d'ici, on va y aller. L'horloger saura sûrement à qui il a vendu cette montre.

L'horloger de Saint-Paul, c'est pas le titre d'un film ? Je me souviens de l'avoir vu à la télé, il y a longtemps. C'était avec Philippe Noiret dans le rôle principal, non ?

– Exact, c'est un film de Bertrand Tavernier, il doit dater de 1974. Les extérieurs ont été tournés à Lyon, c'est une boutique d'antiquités rue de la Loge qui a servi pour le film. Les cinéastes avaient redécoré la devanture pour en faire celle d'une boutique d'horlogerie. Ensuite le maître-horloger Zacharie s'est installé à proximité, rue Juiverie, et il a eu l'idée de reprendre le titre du film comme enseigne de sa boutique. C'est un personnage un peu particulier, qui me fait penser, à la fois par son nom et par ses manières, à Maître Zacharius, l'horloger imaginé par Jules Verne dans le roman du même nom. Et à vrai dire, Zacharie, j'ignore si c'est son patronyme, son prénom, ou un surnom, on ne le connaît que sous ce nom-là. Il doit avoir une soixantaine d'années, il a sûrement dépassé l'âge de la retraite, mais il continue à tenir sa boutique, à son rythme, assurant vente et réparation. »

 

Affiche du film

 

Michel et Patrick se pressèrent pour parcourir la rue Juiverie, pas très longue à vrai-dire. Il était presque midi mais la boutique d'horlogerie était encore ouverte. Ils poussèrent la porte, ce qui actionna un carillon mécanique, et le maître-horloger sortit de son atelier pour accueillir les visiteurs. Il parut curieusement consterné à la vue de la montre.

« – Oh, la malheureuse ! fit-il. Elle est irrémédiablement coincée maintenant, pourtant je l'avais bien prévenue...

– Mais de qui et de quoi parlez-vous ? demanda Michel.

– Je parle de la personne pour qui j'ai conçu cette montre... très particulière. Sofia Merlini pour être précis, une amie très chère, d'origine italienne comme son nom l'indique. Mais j'y songe tout à coup... Peut-être a-t-elle perdu sa montre seulement après être revenue... Vous ne l'auriez pas aperçue dans le quartier ? C'est une dame qui a disons... moins de soixante ans. Vous savez, les femmes coquettes ne disent jamais leur âge, elle ne me pardonnerait pas si je vous le donnais. Et d'ailleurs elle en paraît facilement dix de moins. Elle est à la fois très élégante et très excentrique, elle porte une robe imitation peau de panthère.

– Pas très courant... En effet nous l'aurions remarquée ! Mais nous n'avons vu aucune personne ainsi vêtue. À quel endroit pensez-vous qu'elle est restée coincée ?

– Il serait plus correct de dire « à quelle époque ». Voyez-vous, cette montre ne donne pas seulement l'heure et la date, elle ne fait pas que mesurer le temps, elle est aussi capable de s'y déplacer.

– Vous voulez dire... Se déplacer dans le temps ? firent en chœur Michel et Patrick. »

L'horloger réfléchit un moment, avant de répondre :

« – Je comprends que vous ayez du mal à me croire. D'ailleurs je ne sais même pas pourquoi je vous fais cette confidence. Disons que, instinctivement, j'ai le sentiment que je peux vous faire confiance. Vous savez, cela fait des décennies que je me consacre à la mesure du temps, alors c'est une dimension que j'ai appris à connaître, et finalement à maîtriser. À tel point qu'aujourd'hui je suis probablement en avance sur mon temps. Cette montre est couplée à un IST, comprenez un Inducteur de Saut Temporel, de mon invention. Elle associe un mouvement d'horlogerie à quartz à une technologie électronique d'avant-garde. Elle est capable de faire voyager dans le temps toute personne qui la porte à son poignet. »

Patrick, qui s'efforçait de rester rationnel, eut un peu de mal à croire une telle affirmation. Il s'en ouvrit l'horloger :

« – J'ai toujours adoré les histoires de voyages dans le temps, que ce soit des romans, ou des films comme la trilogie Retour vers le futur, que je revois toujours avec plaisir quand elle est diffusée à la télé. Mais tout ça c'est de la science-fiction. Dans le monde réel, les scientifiques n'ont-ils pas déclaré qu'il était impossibles de se déplacer dans le temps ?

– Vous savez, il y a toujours eu des savants pour présenter comme impossible ce que des visionnaires avaient imaginé... Pourtant, « les hommes de science savent parfaitement que le Temps n'est qu'une sorte d'Espace », comme le disait fort justement Herbert George Wells dans son roman magistral La machine à explorer le temps. Cet auteur faisait aussi remarquer qu'il ne peut pas exister un objet instantané, tout corps possède non seulement trois dimensions spatiales mais aussi une durée, en d'autres termes : une dimension temporelle. Malheureusement, notre esprit est comme étriqué, il n'arrive pas à imaginer qu'un déplacement libre dans le temps soit possible, parce qu'il raisonne en trois dimensions, sans intégrer la quatrième. Considérez ce problème simple : pour vous déplacer vers l'avant, vers l'arrière, à gauche ou à droite, autrement dit en deux dimensions, vous n'avez besoin que de vos deux jambes. Un véhicule vous permettra juste d'aller plus vite. Mais pour vous mouvoir de bas en haut, et de haut en bas, vous ajoutez une dimension à votre plan de déplacement, et donc vous augmentez la difficulté d'un cran. Vous êtes obligé d'utiliser un appareil : une montgolfière, un parapente, un hélicoptère, un avion, etc. C'est un peu plus compliqué, mais pas infaisable du tout. Eh bien pour vous déplacer dans le temps, la dimension supplémentaire augmente la difficulté d'un nouveau cran, mais cela reste tout aussi possible. Il vous faut simplement l'appareil adéquat, un IST, et si à l'époque de Wells le voyageur du temps devait prendre place à l'intérieur de sa machine, avec les progrès de l'électronique et de la miniaturisation, cet IST peut aujourd'hui se loger dans une simple montre.

– Ce que je comprends pas, dit Michel, c'est comment votre compagne est restée bloquée dans une autre époque, alors que c'est bien dans notre présent que nous avons trouvé sa montre.

– D'abord Sofia n'est pas ma compagne, juste une amie, disons plutôt comme une sœur. Quant à la montre, elle est programmée pour revenir automatiquement dans son temps d'origine au bout de 24 heures, ce qui est la limite de durée de chaque voyage temporel. Passé ce délai, la montre revient avec son possesseur, s'il l'a toujours au poignet, mais sans lui hélas s'il ne l'a plus. Bien entendu, il est possible de revenir avant l'expiration du délai, mais c'est une sécurité supplémentaire. Vous comprenez, les intégrations dans le passé doivent être les plus courtes possibles, pour éviter d'interférer avec la trame événementielle. Il vaut mieux éviter les paradoxes temporels.

– Alors si j'ai bien suivi, votre amie a dû quitter sa montre bien imprudemment, ou alors elle s'en est fait déposséder d'une manière ou d'une autre, et seule la montre est revenue dans le temps présent au bout de 24 heures. Ce qui signifie que cette dame est restée bloquée dans son temps de destination.

– Oui, c'est exactement ce qui a dû se passer.

– Et puisque vous avez mis au point l'inducteur de saut temporel, ne pourriez-vous pas vous  servir de cette technologie pour aller  récupérer votre amie ?

– Il faudrait pour cela que je connaisse la date précise de son intégration. Or Sofia a oublié de me préciser ce détail... Elle est si étourdie parfois, si désinvolte... Tout ce que je sais, c'est qu'elle voulait rencontrer Nostradamus lors de l'un de ses séjours à Lyon, pour le questionner au sujet de quelques unes de ses prophéties... Or le célèbre astrologue y est venu de nombreuses fois au cours du XVIe siècle. »

 

Portrait de Nostradamus en rue Juiverie

 

Michel ne put retenir une exclamation de surprise :

« – Nostradamus ? Ça alors ! Nous qui rêvions de remonter le temps pour les mêmes raisons !

– Ah ? Vous vous seriez bien entendu avec Sofia Merlini dans ce cas. Mais elle n'est plus de ce monde... Ou plutôt, elle n'est plus de ce temps.

– Vous n'avez vraiment aucune idée de la date à laquelle elle voulait aller ?

– La seule précision qu'elle m'a donnée, c'est qu'elle avait choisi de retrouver le mage huit jours avant sa querelle avec un Sarrasin. Et c'est tout ! »

Patrick intervint :

« – Attendez... Sans vous offenser, je crois que vous avez dû mal comprendre, elle voulait sûrement parler du docteur Sarrazin, de l'Hôtel-Dieu de Lyon, qu'un différent opposa à Nostradamus lors de la peste de 1547, alors que le mage était venu offrir aux Lyonnais le secours de ses remèdes, qui avaient fait leurs preuves en Provence.

– Peut-être... Vous paraissez bien connaître l'histoire de Lyon, mieux que moi en tous cas. Mais je ne vois pas en quoi cela nous avance, à part de connaître l'année.

– Cela nous avance énormément, au contraire ! Parce que la date de cet événement est parfaitement connue, c'était le 25 avril 1547. Huit jours avant, ça donne donc le 17 avril. Disposeriez-vous par hasard d'un calendrier de l'an 1547, pour savoir à quel jour de la semaine cela correspondait ?

– Un calendrier, non... Mais il suffit de regarder sur Internet et nous allons trouver ça en deux minutes. »

L'horloger passa derrière son comptoir pour accéder à son ordinateur. On l'entendit pianoter sur le clavier, puis il revint vers les visiteurs.

« – Voilà, dit-il, le 25 avril 1547 était un lundi, et donc le 17 avril un dimanche, le dimanche après Pâques pour être précis.

– Eh bien nous savons tout, dit Michel. Maintenant, vous n'avez plus qu'à mettre la montre à votre poignet pour voyager jusqu'à cette date et retrouver votre amie.

– Oui, je pourrais... Mais je considère que le destin en a décidé autrement. Le hasard, auquel dans l'absolu je ne crois pas, a décidé que ce soit vous deux qui retrouviez la montre. Elle possède une sorte de vie propre, vous savez, et je pense que, d'une certaine façon, elle vous a « choisis ». C'est vous, et pas moi, qui avez réussi à situer la date de l'intégration de Sofia au XVIe siècle. Et il se trouve que vous rêvez de rencontrer Nostradamus. Eh bien je vais rendre ce rêve possible ! C'est vous qui retournerez en 1547... Vous obtiendrez les réponses à vos questions. Et vous reviendrez avec Sofia Merlini ! »

Ainsi avait décidé l'horloger de Saint-Paul. Et il n'était pas homme à revenir sur ses décisions ! À chacun des deux amis il remit une montre temporelle, modèle homme. L'horloger leur en expliqua le fonctionnement, à vrai dire très simple. Il suffisait de sélectionner la date de destination à l'aide de deux boutons latéraux, puis de faire mouvoir les aiguilles jusqu'à l'heure souhaitée, et ensuite pousser simultanément deux autres boutons pendant 5 secondes pour effectuer le saut dans le temps.

« – Je précise, ajouta l'horloger, que votre déplacement sera seulement temporel, vous pourrez aller dans la période de votre choix – passé ou avenir – mais vous resterez à l'endroit précis où vous aurez actionné l'IST. Une seule montre est nécessaire pour lancer l'impulsion, les deux sont interconnectées, ainsi les deux sauts seront parfaitement synchronisés, à la nanoseconde près.

– Quelque chose me tarabuste, fit Michel, songeur. Nous allons débarquer en 1547 avec nos vêtements de 2020, de plus si le moyen français parlé à l'époque n'est pas si différent du français actuel, sa prononciation n'était sûrement pas la même. Enfin, nous allons nous retrouver à Lyon en plein pendant l'épidémie de peste, il y a déjà bien assez du coronavirus, je n'ai vraiment pas envie de risquer de choper la peste ! »

L'horloger fit un geste d'apaisement. Puis il expliqua :

« – Vos montres vont remédier à tous ces problèmes, soyez sans crainte. Pour votre apparence, elles vont générer autour de vous une sorte d'hologramme vestimentaire, vous ressemblerez à des hommes de 1547 et personne ne pourra discerner votre véritable aspect. Ah ! Pensez quand même à vous habiller un peu plus chaudement, le mois d'avril risque d'être plus frais. Mettez les montres à vos poignets environ une heure avant le saut temporel. Dès que vous aurez serré le bracelet, vous ressentirez une très légère piqûre. En fait ce bracelet est spécial lui aussi, il va vous faire plusieurs micro-injections successives, espacées de cinq minutes. La première sera une petite anesthésie locale, ainsi vous ne sentirez pas les suivantes. La deuxième piqûre vous injectera des nano-robots qui remonteront jusqu'à vos cerveaux. Ils pallieront à votre méconnaissance et vous comprendrez et parlerez le français du XVIe siècle, ainsi que le latin, le grec, et quelques rudiments d'hébreu. Vous pourrez soutenir une conversation même dans les milieux les plus savants. La troisième piqûre vous immunisera contre toutes les maladies connues à l'époque, peste compris. Pas le Covid-19 hélas. Enfin l'ultime injection sera celle d'un anti-fatigue, pour pallier au décalage horaire et au manque de sommeil, car partis en milieu d'après-midi vous allez vous retrouver à l'aube du 17 avril pour être sûrs de ne pas rater Sofia.

– Chouette ! fit Michel en s'adressant à Patrick. Je vais enfin comprendre le latin, je n'aurai plus besoin de faire appel à tes services pour les traductions !

– Ne vous réjouissez pas trop vite, répondit l'horloger. Cette faculté sera fugace malheureusement, elle ne durera guère plus d'une journée, parce que les nano-robots ont une durée de vie limitée, d'autant qu'ils risquent d'être malmenés par votre système immunitaire. C'est une des raisons pour lesquelles votre montre reviendra automatiquement dans son temps de départ au bout de 24 heures. Si vous l'avez au poignet, vous reviendrez avec. Je dis bien, au poignet, pas dans la poche, ça ne marcherait pas. En conséquence, gardez bien la montre à votre bras, ne vous en séparez pas, sous aucun prétexte, prenez garde à ne pas vous la faire voler ! Je vous conseille d'ailleurs d'actionner la commande de retour dès que vous aurez eu les réponses à vos questions, et dès que vous aurez retrouvé Sofia. Enfin, le plus important peut-être, par rapport au Covid-19, vous allez devoir impérativement vous faire tester, car il serait catastrophique d'emporter cette maladie en 1547, vous devez bien l'imaginer.

– Vu les files d'attente dans les laboratoires, et le temps d'obtenir le résultat, ça risque d'être compliqué, et de prendre du temps.

– Non, parce que c'est mon voisin et ami le docteur Bertrand, mon frère même pourrais-je dire, qui va s'en charger, et nous aurons la réponse en dix minutes. Il est dans la confidence, pour les voyages temporels. De plus c'est un test absolument fiable qu'il pratiquera, aucun risque de faux négatif. Et oui, je devine votre étonnement, ce test-là n'est pas encore disponible sur le marché. Vous comprendrez plus tard, je ne peux rien vous dire pour le moment. »

Dimanche 17 avril 1547, 7 h 50

La Grand-rue de Lyon, qui n'était pas encore nommée rue Saint-Jean, était quasiment déserte. Vers l'extrémité de la voie, côté cathédrale, la porte d'un immeuble s'ouvrit en grinçant. Deux personnages en sortirent avec précautions, jetant d'abord un coup d'œil avant de s'engager franchement dans la rue. Ces deux hommes étaient Michel et Patrick, visiblement émus et troublés de se retrouver ainsi propulsés en l'an de grâce 1547. Le dépistage du coronavirus s'étant avéré heureusement négatif, ils avaient pu entreprendre leur fantastique voyage. Ils avaient choisi la traboule située aujourd'hui au 68 rue Saint-Jean pour effectuer leur saut temporel vers le passé. L'endroit était peu fréquenté, ainsi personne ne put remarquer leur disparition, lorsqu'ils s'effacèrent du 8 août 2020 à 15 h 30 pour reparaître le 17 avril 1547 à 7 h 45. Patrick avait laissé à Michel l'honneur de lancer l'impulsion à partir de sa montre, et le saut temporel s'était déroulé sans anicroche. À tel point que Michel s'était demandé si cela avait vraiment marché. Le couloir de l'immeuble avait toujours à peu près le même aspect, si ce n'est que l'ampoule électrique qui l'éclairait chichement n'était plus là, signe évident que l'époque avait changé.

Patrick expliqua qu'en ce 17 avril l'année 1547 venait juste de commencer, puisqu'à Lyon le changement de millésime était fixé au jour de Pâques, qui tombait cette année-là le 10 avril. Donc au 9 avril 1546 avait succédé le 10 avril 1547. Cette façon de passer d'une année à l'autre était vraiment très étrange, de plus elle variait selon les régions. Les rois de France n'allaient pas tarder à s'en inquiéter, mais ce n'est qu'en 1564 que serait décidé de fixer pour tout le monde le début de l'année au 1er janvier. Patrick expliqua aussi qu'en ce début du mois d'avril 1547 les Lyonnais venaient d'apprendre la mort du roi François Ier, décédé le 31 mars. C'est son fils Henri qui allait lui succéder, le futur Henri II.

La Grand-rue était déserte. La crainte de la peste, sans doute, amenait les gens à rester chez eux. Pourtant on commençait à entendre divers petits bruits, révélant une certaine activité derrière les volets encore clos. Les deux amis remontèrent la rue vers le nord, dans le but de rejoindre la rue Juiverie où ils auraient le plus de chances de rencontrer Nostradamus. C'est alors qu'un groupe d'une dizaine de personnes, hommes et femmes, l'air grave, déboucha d'une rue transversale.

« – Eh bien les amis, où allez-vous de ce pas ? fit l'un des hommes, celui qui paraissait être l'aîné du groupe. La cathédrale, c'est dans l'autre sens, l'auriez-vous oublié ? Allons, dépêchez-vous, les cloches ne vont pas tarder à sonner. »

Michel et Patrick réalisèrent qu'ils avaient parfaitement compris ces paroles, pourtant prononcées dans un moyen français émaillé de quelques mots en latin. Michel fut même étonné de s'entendre répondre dans le même langage :

« – Pardonnez-nous, Messire, nous ne sommes point de Lyon, et vous nous trouvez à vrai dire un peu désorientés.

– Qu'à cela ne tienne ! Vous n'avez qu'à nous suivre, ainsi vous ne manquerez pas la messe célébrée à 9 heures en la cathédrale Saint-Jean pour le salut de l'âme de notre bon roi François Ier. Tout Lyon y sera, mais les premiers arrivés seront les mieux placés. Même le grand médecin et apothicaire Michel de Nostre-Dame, qui réside ces jours-ci en nos murs, sera présent. On dit qu'il a apporté de sa belle Provence des remèdes souverains contre la male-peste qui nous afflige. »

Michel et Patrick se regardèrent. C'était l'occasion rêvée pour rencontrer Nostradamus, ils n'auraient pas besoin de le chercher, ni d'aller toquer à la porte de sa résidence, rue Juiverie. Ils emboîtèrent donc le pas au groupe, et se dirigèrent vers la cathédrale.

 

Intérieur de la cathédrale Saint-Jean

 

Arrivés très en avance, ils purent s'installer près du chœur, aux premières loges si l'on peut dire. Petit à petit, des centaines de personnes affluèrent, et bientôt toute la population de la ville fut réunie dans la cathédrale. Michel s'adressa au doyen du groupe qu'ils avaient suivi :

« – Le roi François Ier était vraiment populaire à Lyon, si j'en juge par la foule qui se presse pour assister à la messe. Pourtant on dit qu'il avait pris la ville en dégoût, après que son fils aîné y eut trouvé une mort suspecte.

– C'est vrai, mais onze ans après nous ne pouvons plus lui en tenir rigueur. D'autant qu'avant de quitter Lyon pour toujours, il nous a accordé le privilège de tisser la soie. Grâce à lui notre ville est en train de connaître un essor économique sans précédent, il va y avoir du travail pour tout le monde, il n'y aura plus ni famine ni révoltes.

– Dieu vous entende, Messire ! Et, dites-moi, toute la population étant présente dans la cathédrale, personne ne craint d'attraper la peste, en se mêlant ainsi à une foule entassée dans un espace restreint et clos ?

– La cathédrale est un sanctuaire, la maison de Dieu, Satan n'y pénétrera pas pour y répandre son mauvais mal ! »

Michel admira la confiance aveugle de cet homme. Lui venait d'un autre temps, marqué au fer rouge par la pandémie du coronavirus, et où un pareil rassemblement, sans aucun respect des règles d'hygiène élémentaires, aurait irrémédiablement conduit à une réaction en chaîne catastrophique.

8 h 50

Dans la foule, chacun parlant avec son voisin, même à voix basse, l'ensemble de ces centaines de conversations roulait sous les voûtes tel un grondement de tonnerre lointain. L'entrée de l'archevêque mit fin au brouhaha, et la messe put commencer. Michel et Patrick cherchaient Nostradamus des yeux, puis ils finirent par le localiser, assis parmi les chanoines dans le chœur de la cathédrale, à la place d'honneur. Les portraits existants de lui, dont celui réalisé par son fils César, étaient suffisamment fidèles pour que l'on puisse l'identifier, même si présentement il avait quitté son célèbre chapeau de médecin et restait tête nue.

 

Portrait de Nostradamus par son fils César

 

« – On ne le quitte pas des yeux, chuchota Michel à Patrick. Dès que la messe est finie, on lui met le grappin dessus. »

Patrick opina, mais l'office religieux dura plus de deux heures. Chacun voulant recevoir la communion, la procession, même parfaitement réglée, des fidèles devant la balustrade séparant la nef du chœur, où les hosties consacrées étaient distribuées par une kyrielle de prêtres, prolongea considérablement la durée de la messe. Ne voulant pas se faire remarquer, nos deux voyageurs du temps firent comme tout le monde, et quand leur tour arriva ils se déplacèrent pour aller communier. Mais quand ils revinrent à leurs places, Nostradamus n'était plus à la sienne... La messe reprit son cours, et l'archevêque prononça finalement la fameuse formule Ite missa est (allez, la messe est dite). Mais le célèbre astrologue n'avait pas reparu. Entrés parmi les premiers, Michel et Patrick sortirent de la cathédrale parmi les derniers. Ils s'immobilisèrent un moment sous la voûte de la porte centrale, inspectant la foule du regard, mais en vain. Alors qu'ils se demandaient comment ils allaient procéder pour retrouver celui qu'ils étaient venu rencontrer, ils furent rejoints par un homme qui se tenait emmitouflé dans une ample robe de bure sombre, la capuche sur la tête.

« – Venez avec moi, nobles voyageurs du temps, leur lança-t-il d'une voix feutrée, nous serons plus à l'aise dans ma demeure. »

Tout en leur tenant ces propos, il avait légèrement relevé sa capuche, suffisamment pour être reconnu par ses deux interlocuteurs. C'était Nostradamus en personne ! Il avait dû profiter de l'agitation provoquée par la communion pour emprunter l'habit d'un chanoine, s'en couvrir et sortir discrètement de la cathédrale. Mais comment avait-il pu repérer les voyageurs du temps, et surtout les identifier comme tels ? Ces questions trouveraient sans doute leurs réponses très prochainement. Quittant la foule toujours rassemblée sur la grande place devant la cathédrale Saint-Jean, Michel et Patrick suivirent Nostradamus jusqu'en rue Juiverie, où ils pénétrèrent dans un immeuble dont la façade était percée de nombreuses fenêtres à meneaux. Patrick précisa à Michel qu'il s'agissait de l'Hôtel Paterin, connu aujourd'hui sous le nom de Maison Henri IV, suite au séjour qu'y fit ce roi en décembre 1600 lorsqu'il vint à la rencontre de Marie de Médicis, qu'il allait précisément épouser à Lyon. Au terme d'un long couloir éclairé par des torches accrochées aux murs, ils montèrent par un escalier en vis et entrèrent dans un appartement situé au premier étage sur cour. Dans une première pièce Nostradamus se débarrassa de son froc, puis il fit signe à ses invités d'entrer dans une seconde pièce, une grande salle au centre de laquelle était dressée une longue table, entourée de chaises et de fauteuils. Dans l'un d'eux était assise une femme, vêtue d'un chandail jaune passé sur une robe imitation peau de panthère.

« – Sofia Merlini ! S'écrièrent d'une seule voix Michel et Patrick. »

C'était bien elle, fidèle à la description qu'en avait faite l'horloger de Saint-Paul. Mais il avait oublié de leur dire à quel point Sofia était aussi une très belle femme, ne paraissant pas son âge effectivement. Une plastique irréprochable, une chevelure mi-longue d'un noir de jais aux reflets auburn, encadrant un visage à l'ovale parfait, au teint halé, magnifié par des yeux d'un bleu intense, au fond desquels brillait une lueur à la fois malicieuse et pleine de promesses informulées... Ce regard fascinant avait dû faire tourner la tête de plus d'un homme. Michel en était d'ailleurs tout remué !

 

Sofia Merlini

 

« – Je gardais au fond de moi l'espoir que quelqu'un vienne me chercher, dit Sofia en se levant pour venir saluer les nouveaux arrivants, qui se présentèrent.

– Nous avons mille questions à vous poser, vous vous en doutez, ainsi qu'à notre hôte... »

C'est Patrick qui s'était exprimé ainsi, Michel, troublé par le regard de Sofia, ne parvenant plus à prononcer un mot. Nostradamus intervint :

« – Il est près de midi, nous allons d'abord nous restaurer, pendant le repas nous aurons tout le temps pour conférer. »

12 h 15

Des serviteurs venaient de déposer sur la table les mets, chauds ou froids, constituant la collation. Chacun se servait sans façon, et selon son goût, pour composer son assiette. Nostradamus et ses hôtes reprirent leur conversation. Sofia expliqua :

« – Jeune retraitée de l'enseignement – j'étais professeure d'histoire – étant célibataire j'ai décidé de consacrer tout mon temps aux passions qui m'habitaient depuis mon plus jeune âge, mais que je n'avais jamais eu la possibilité d'approfondir. Je m'intéresse à l'histoire bien sûr, surtout quand elle est mystérieuse, teintée d'ésotérisme ou de symbolisme. Les prophéties en particulier m'ont toujours fascinée. L'alchimie également, ou encore la kabbale, qu'elle soit hébraïque ou chrétienne, mais j'avoue que j'ai quelques lacunes dans ce domaine.

– Vous avez là un spécialiste en la matière, dit Patrick en désignant Michel. Zacharie avait raison, tous les deux vous êtes bien faits pour vous entendre. Mais racontez-nous comment vous êtes restée bloquée ici, ou plutôt à cette époque.

– Grâce à l'appareil inventé par mon ami Zacharie, l'horloger de Saint-Paul, j'ai voyagé dans le temps, pour rencontrer Nostradamus et l'interroger au sujet de quelques unes de ses centuries. Partie le 8 août 2020 un peu avant midi, je suis arrivée – mais il serait plus correct de dire j'arriverai – demain lundi 18 avril 1547.

– Pourtant vous avez dit à Zacharie que vous vouliez vous intégrer huit jours avant la querelle qui doit opposer Nostradamus au docteur Sarrazin, donc aujourd'hui dimanche 17 avril, fit observer Patrick.

– Oui, bon, huit jours ou une semaine, c'est la même chose, non ? »

Sofia Merlini était bien la personne désinvolte décrite par l'horloger. Elle poursuivit son récit :

« – Arrivée donc lundi 18 avril à 9 h du matin, je n'ai pas réussi à trouver Nostradamus. Pourtant j'y ai consacré une bonne partie de la journée.

– Demain, je compte aller visiter mes malades et leur administrer mon traitement, précisa le médecin. Je vais parcourir la ville en tous sens, et à moins de me rencontrer par hasard vous ne risquerez pas de me trouver.

– C'est bien ce que j'ai pensé, reprit Sofia. Je savais que mon temps m'était compté, et qu'au bout de 24 heures la montre me ramènerait en 2020. J'avais appris que le dimanche matin il y aurait une grande messe à la cathédrale, et que Nostradamus y assisterait. Je savais qu'il quitterait sa demeure de très bonne heure, pour arriver avant tout le monde. Aussi j'ai décidé de faire un nouveau saut dans le temps, et pour ne pas le déranger aux aurores j'ai remonté jusqu'à la soirée du samedi 16 avril, hier soir donc. J'avais ainsi plus de chances de le trouver chez lui. Sauf qu'en émergeant dans la traboule entre la place Saint-Paul et la rue Juiverie, juste en face de l'Hôtel Paterin, je me suis trouvée nez à nez avec trois individus passablement éméchés. En me voyant surgir de nulle part, ils s'en sont pris à moi, me traitant de sorcière, m'ont malmenée, à tel point que l'hologramme vestimentaire s'est interrompu et je suis apparue telle que vous me voyez. Cela n'a fait que redoubler la fureur de mes agresseurs, et l'un d'eux a alors remarqué la montre, bien visible sur mon bras. Il s'en est emparé et les autres ont voulu la lui reprendre. Ils se sont querellés et j'en ai profité pour m'éclipser. Je n'ai eu qu'à traverser la rue pour me réfugier chez maître Michel de Nostre-Dame, à qui je me suis présentée sans rien cacher de mon origine, et notre hôte – qui d'ailleurs ne parut pas spécialement étonné de ma visite – m'a fort aimablement recueillie et protégée. »

Michel, qui avait retrouvé ses esprits, proposa une explication :

« – Il est probable que pendant l'altercation vos assaillants ont échappé la montre, qu'ils avaient dû prendre pour un bijou, et qu'elle est restée dans le couloir. C'est là que nous l'avons trouvée, quelques minutes sans doute après qu'elle fût revenue automatiquement dans son temps d'origine, le 8 août 2020 un peu avant midi. Nous l'avons rapportée à l'horloger de Saint-Paul, qui nous a fourni le moyen de voyager dans le temps à notre tour, dans l'espoir de vous retrouver. Et nous voici !

– Et puisque vous êtes là, fit Sofia sur le même ton enjoué, cela signifie que nous allons pouvoir tous les trois retourner en 2020. Mais comme nous avons un peu de temps devant nous, le moment est sans doute venu d'exposer à notre hôte les raisons qui nous ont fait ainsi remonter les siècles pour le rencontrer. Quelque chose me dit que vos motivations sont précisément les mêmes que les miennes. Le coronavirus, non ? Le quatrain XCI de la IXe centurie ?

– Quand j'étais encore en activité, répondit Michel, j'avais coutume de dire, lorsqu'on me posait une colle : « je travaille dans le vin mais je ne suis pas devin ». Vous pourtant vous êtes une vraie devineresse !

– Je voudrais bien... Mais c'est juste un peu de jugeote. Qu'est-ce qui peut motiver un homme de 2020 à rencontrer Nostradamus, sinon ce fichu virus ? Allez Michel, je vous laisse la parole, Nostradamus est impatient de vous écouter, et entre deux Michel, le courant devrait passer ! »

Toujours troublé par la personnalité de Sofia, autant que par la présence de Nostradamus, Michel dut se concentrer, rassembler ses idées, mais il parvint tout de même à commencer son exposé.

« – J'ai remarqué deux de vos quatrains, Maître, qui paraissent évoquer la terrible épidémie qui frappe la terre entière à l'époque d'où nous venons. Mais j'ai du mal à les interpréter, surtout le second. Mon imagination ayant toujours été très féconde, je me voyais remonter les siècles pour venir vous en parler, mais bien évidemment je ne pensais pas que cela pût devenir une réalité. Me voici pourtant devant vous, et bien impressionné, croyez-le.

– Je le conçois aisément, consentit à répondre Nostradamus. L'épidémie à laquelle vous faites allusion, il y a longtemps que je la pressentais. Puis d'autres visiteurs du temps me l'ont confirmé. Oui, si je ne suis pas surpris par votre arrivée, c'est que des frères venus d'un lointain futur viennent régulièrement me visiter, et qu'ils m'ont donné le moyen de reconnaître les voyageurs temporels. Mais poursuivez, je vous en prie...

– Le premier texte que j'ai relevé, tout comme Sofia, est le quatrain XCI de la IXe centurie :

« L'horrible peste Perynte & Nicopolle,

Le Chersonnez tiendra & Marceloyne,

La Thessalie vastera l'Amphipolle,

Mal incogneu, & le refus d'Anthoine »

– Je vous arrête tout de suite, dit Nostradamus. Ce quatrain-là, je n'en suis pas l'auteur. Ou plutôt, je ne l'ai pas encore écrit ! Voyez-vous, mes Centuries, si j'y travaille depuis longtemps, sont loin d'être terminées et ne seront pas éditées avant plusieurs années. En conséquence ces vers me sont totalement inconnus, même si certains termes me sont familiers. Vous comprendrez que dans ces conditions il me sera bien difficile de vous dire si l'interprétation que vous en ferez sera juste, ou pas.

– Je comprends, Maître, et j'en suis navré. Moi qui espérais tant de ce voyage temporel... Si je puis tout de même résumer la teneur de ce quatrain, il est question d'une horrible peste, qualifiée de mal inconnu, ce qui pourrait être une manière de désigner la pandémie. La Thessalie, c'est une région de Grèce. Nicopolle et Amphipolle, je suppose que ce sont des noms de villes, peut-être dans la même région, si l'on admet que les deux L ne sont que l'une de ces fantaisies que vous affectionnez. »

Nostradamus restant silencieux, c'est Sofia Merlini qui exposa ses propres recherches concernant le quatrain.

« – Vous avez raison, Michel. Enfin... presque ! En fait, ce que le Maître nomme Perynte, Nicopolle et Chersonnez, avec cette orthographe approximative qui lui est chère, sont des villes qui sont toutes situées en périphérie de la Mer Noire. La Thessalie, il ne faut pas seulement voir derrière ce nom celui d'une région de Grèce, mais plutôt ce qu'il représente, son symbolisme. Or la Thessalie c'était le pays des sorciers et des magiciens, donc ce nom doit ce comprendre comme l'évocation d'un véritable ensorcellement, ou maléfice, qui vastera – dévastera en moyen français – l'Amphipolle. Pour ce nom, je soupçonne une nouvelle fantaisie du Maître...

– En effet, observa Michel, on peut y voir le grec amphi, « des deux côtés, autour », suivi de pole, qui en apparence vient du grec polis « ville ». L'Amphipolle paraît donc désigner une ville qui s'étend sur deux côtés. Mais pole peut aussi venir du grec polos, « pôle ». L'amphipolle désigne alors les deux pôles, et par extension la terre entière, d'un pôle à l'autre, les deux hémisphères. J'y vois une confirmation avec Marceloyne, une autre fantaisie, qui doit se comprendre Macédoine. Comme pour la Thessalie, il ne faut pas rester sur le nom géographique mais sur ce qu'il évoque, or la Macédoine, c'était le nom donné à l'empire d'Alexandre composé de pays très divers.

– C'est pour cette raison qu'au XVIIIe siècle on a nommé « macédoine » le mets composé d'un mélange de légumes divers et variés, précisa Sofia. En résumé le maléfice – la pandémie – touchera divers pays et circulera sur les deux hémisphères.

– Quant à Anthoine, reprit Michel, je pense qu'il s'agit de saint Antoine, le Grand pour être précis, qui refusa de prendre la tête de la communauté d'ermites qui s'était formée autour de lui, et s'enfonça encore plus profondément dans la Thébaïde pour y vivre en solitaire. J'y vois une allusion au confinement, seule parade trouvée pour enrayer la pandémie. Enfin on peut noter que si l'on ajoute tous les chiffres des nombres associés à la prophétie, le 9 numéro de la centurie et le 91 numéro du quatrain, on obtient 9+9+1 = 19, le millésime de la Covid.

– Si j'ai bien compris les explications données par chacun de vous, intervint Patrick, ce quatrain doit s'interpréter ainsi :

« L'horrible peste tiendra Perynte, Nicopole, Chersonnez

et divers pays dans le monde,

le maléfice dévastera la terre entière d'un pôle à l'autre,

imiter le refus d'Antoine et se confiner

sera le seul moyen de se protéger de ce mal inconnu »

– Oui, je suis d'accord, dit Michel, ton interprétation rejoint tout-à-fait la mienne. J'espère seulement que nous avons bien compris le quatrain du Maître.

– Ne comptez pas sur moi pour vous le confirmer, répondit Nostradamus. Je le répète, ces vers ne signifient rien pour moi. Mais continuez, approfondissez, vous allez trouver d'autres pistes. En attendant, dites moi ce qu'est exactement ce virus que vous redoutez. Pour moi, virus est un mot latin, c'est un poison, le le suc venimeux de certaines plantes. Et coronavirus, ce serait donc un virus en forme de couronne ? »

Comme Michel et Sofia, perdus dans leurs pensées, ne répondaient pas, Patrick le fit à leur place. Mais il s'aperçut très vite qu'il n'arrivait pas à exprimer en moyen français certains mots propres à son époque. Microbe, microscope, électronique, étaient évidemment des termes inconnus en 1547. Il dut les remplacer par les mots grec qui constituaient leurs étymologies.

« – Dans l'époque d'où nous venons, commença-t-il, le mot virus désigne un... un mikrobios infiniment petit provoquant diverses maladies infectieuses.

– Mikrobios... petit et vie, en grec. Je comprends que c'est un organisme plus petit que le plus petit des insectes. On ne peut donc pas le voir ? Peut-être avec des verres de loupe très grossissants ?

– Cela serait bien insuffisant, il faut un instrument nommé, heu... mikros skopeîn, dont le pouvoir grossissant est fourni par des éléments, que je pourrais exprimer par le grec êlektron, et que seul notre siècle connaît. Il m'est très difficile de vous l'expliquer avec les mots de votre époque. Mais avec cet appareil, il est possible de voir cet organisme qui appartient à ce que nous nommons les coronavirus. Oui, c'est du latin, un virus ressemblant à une couronne.

– Quelle chose très étrange ! Vous pourriez m'en faire un dessin ? »

Nostradamus invita Patrick à utiliser le nécessaire pour l'écriture, feuilles de papier, encrier et plumes, déjà disposé sur la table. Patrick prit une feuille, une plume qu'il trempa dans l'encre, et il commença à tracer l'aspect aujourd'hui bien connu du coronavirus, une boule entourée de sortes de tiges terminées par des petites billes, comme des antennes. Mais en 1547 si le papier existait déjà, il était moins lisse et glissant que celui que nous connaissons aujourd'hui, et Patrick n'avait pas l'habitude de dessiner avec une plume d'oie. Il commença à tracer un cercle, mais la plume buta à plusieurs reprises sur des aspérités du papier, puis dérapa, et Patrick finit par tracer un ovale improbable, ressemblant plutôt à une pomme de terre, autour duquel il répartit, tant bien que mal, quelques unes seulement des tiges avec les billes à leurs extrémités.

 

Le dessin de Patrick

 

« – Voilà, dit-il, c'est loin d'être un chef-d'œuvre, et je n'ai tracé qu'une partie des antennes, mais le virus ressemble à peu près à cela, en plus rond bien sûr.

– Intéressant, marmonna Nostradamus dans sa barbe, on dirait le pont... »

La fin de sa phrase resta inaudible. Pendant ce temps, Sofia et Michel avaient conversé à voix basse, les yeux dans les yeux, la main de Sofia effleurant souvent l'épaule de Michel. Ces deux-là s'étaient vraiment bien trouvés. Michel était sur un petit nuage, le célibataire, bien que non endurci qu'il était commençait à fondre littéralement au contact de Sofia. Patrick les houspilla, en leur rappelant que Maître Nostradamus leur avait demandé de développer d'autres idées. Michel reprit la parole :

« – Eh bien justement nous étions en train d'envisager diverses hypothèses, je pense qu'il doit être possible d'affiner l'interprétation, d'y trouver des sens secondaires, des associations d'idées. Par exemple, la Macédoine est remplacée par ce Marceloyne, nom dans lequel nous retrouvons le prénom Marcel. Pour les Hermétistes, Marcel évoque MARS SCEL ou SCEL DE MARS, le SCEAU DE MARS ! Soit le FEU INCARNÉ ou FEU DIVIN. Et par cette modification, Nostradamus fait rimer Marceloyne avec Anthoine, autrement dit saint Marcel et saint Antoine. »

Sofia Merlini rebondit aussitôt sur cette hypothèse :

« – Le prénom Antoine, tout comme celui de Marcel, n’est pas étranger à l’univers des hermétistes. Antoine, ceci est bien connu, évoque l’Antimoine. Le refus d'Antoine, c'est le refus du moine, donc l'antimoine. Quelque part l’antimoine a créé une véritable fracture dans le monde très fermé des alchimistes. Nostradamus et son contemporain Rabelais seront les témoins vivants de cette « querelle de l'antimoine ». Elle vit s’opposer d’un côté la Faculté de Paris, qui défendait les idées traditionnelles, et de l’autre l’Université de Montpellier qui, en faisant valoir sa plus grande ancienneté, était favorable aux idées nouvelles amenées par les chimistes arabes et les médecins juifs chassés d’Espagne. »

Michel buvait les paroles de Sofia et les approuvait en hochant la tête. Il enchaîna :

« – Et moi je vois dans ce « refus d'Antoine » une autre solution encore. Au XIVe siècle, en route pour Jérusalem un groupe de chevaliers venus du Hainaut, autrement dit de Belgique, se trouva encerclé par les Turcs. Ils implorèrent saint Antoine, lui promettant de se vouer à lui si jamais ils parvenaient à s'échapper, ce qui arriva en effet. Une fois rentrés chez eux, ces chevaliers décidèrent de fonder l'ordre de Saint-Antoine-en-Barbefosse. Le pape Clément VII, quand ils lui demandèrent son accord, leur imposa de d'obtenir d'abord l'aval de l'ordre de Saint-Antoine en Viennois. Or les Antonins refusèrent... Nouveau refus d'Antoine ! Les chevaliers décidèrent quand même de consacrer leur vie à soigner les malheureux atteints du « mal des ardents », tout comme les Antonins du Viennois. Au final c'est une issue heureuse, et un espoir de guérison. D'ailleurs on peut noter aussi que Nicopole c'est, étymologiquement parlant, la « ville de la victoire », en l'occurrence peut-être la victoire sur le coronavirus, donc là encore un espoir.

– Puisses-tu dire vrai ! fit Patrick.

– Maintenant, il y a un autre quatrain qui a attiré mon attention, reprit Michel. Il fait partie des Présages qui forment le suite des centuries proprement dites. Chacun de ces présages est associé à un mois de l'année. Voici ce que dit le Présage LXXXIII Avril :

« En debats Princes & Chrestienté esmeuë.

Gentils estranges, siege à Christ molesté.

Venu tresmal, prou bien, mortelle veuë.

Mort Orient peste, faim, mal traité. »

Nostradamus prit un air désolé, et expliqua que ce quatrain-là aussi lui était inconnu. Les voyageurs du temps commençaient d'ailleurs à se demander s'il était sincère, ou s'il avait adopté cette version pour éviter de leur donner les éclaircissement qui leur faisaient cruellement défaut, surtout pour ce nouveau passage. Michel reprit la parole :

« – Ce quatrain-là me paraît moins évident à interpréter que le premier. Néanmoins il parle bien d'une peste mortelle venue d'Orient, suscitant des débats entre les chefs d'états.  Pour le reste, ce n'est vraiment pas simple. Il y a trop de mots qui peuvent avoir des sens multiples. Je le retiens quand même à cause du mois d'avril qui lui est associé, c'est le mois du pic de l'épidémie, qui eut lieu le 8 avril précisément. Le numéro du présage, 83, nous l'indique peut-être, si on multiplie les chiffres qui le composent : 8 x 3 = 24 et 2 x 4 = 8. Ou alors il faut comprendre 8 + 3 = 11, le 11 avril correspondant au moment où la courbe a commencé à s'inverser. Et le 11 avril, c'est la date de mon anniversaire ! Mais trêve de plaisanterie, il y a quelque chose qui m'interpelle dans ce quatrain, c'est l'expression gentils estranges. À mon avis ça peut se comprendre de deux façons au moins, parce qu'il y a bien souvent chez Nostradamus une lecture à tiroirs. En moyen français, le mot gentil désigne un noble, et estrange ou estranger des personnes n'appartenant pas à l'église catholique romaine. Donc ces nobles non-chrétiens seraient eux aussi en discussion avec les responsables des pays du monde chrétien, autrement dit ce sont les chefs de tous les états de la terre qui sont concernés. Mais le mot « gentil » peut aussi désigner des Compagnons membres du Devoir. Or en découvrant à la suite ce mot « estrange », j’ai de suite pensé à autre chose, disons un autre tiroir. Je veux parler du Rite Estrange des mystérieux Compagnons, les Estrangers, placés sous la sainte protection des Quatre Couronnés soit en latin Quatuor Coronatorum !

– Bien vu ! s'exclama Sofia. Et de coronatorum à coronavirus, il n'y a qu'un peut-être qu'un petit pas... Mais vous avez piqué ma curiosité. Vous pouvez m'en dire plus sur ces Compagnons Estrangers ?

– Oui, j'ai lu il y a quelque temps un livre qui en parlait, Les tours inachevées de Raoul Vergez. D'après cet auteur, Compagnon lui-même, des « estrangers » du Saint-Devoir furent entraînés par les Templiers dans les déserts de Syrie. Les Compagnons de cette corporation oubliée furent les maçons employés par le Temple pour construire des forteresses. Il existe un curieux chant compagnonnique, l’Alléluia des tailleurs de pierres, dont je me souviens de quelques vers :

« Dans la barque de Saint Pierre

Buvons le vin de Noé.

Le vin des tailleurs de pierre

Du Saint-Devoir estranger. »

« On reconnaît dans ce chant une étrange proximité entre les Estrangers et le Barque de Pierre, l’Église de Rome. Par ailleurs, les dictionnaires du compagnonnage nous apprennent que le mot gentil fut un qualificatif longtemps attribué aux Compagnons membres du Devoir.

– Les gentils estranges de Nostradamus seraient donc peut-être des Compagnons, observa Sofia en conclusion aux explications de Michel.

– Ils sont associés au siege à Christ molesté. J'ai d'abord pensé que cela désignait le Saint-Siège, le Vatican, molesté c'est-à-dire tourmenté, choqué, par cette pandémie. L'Italie est l'un des pays qui a été le plus touché au printemps 2020. Mais le qualificatif « molesté » s'applique peut-être au Christ plutôt qu'au siège... Il y a un poème de Clément Marot, assez connu, qui parle du « Christ qui souffrit moleste ». Il dit que le Christ « laissa jadis le haut trône céleste, et habita cette basse vallée, pour retirer nature maculée de la prison infernale et obscure », autrement dit pour sauver l'humanité. Nous serons donc peut-être sauvés une nouvelle fois, non plus de nos péchés mais de la terrible pandémie.

– Oui, le quatrain se termine par mal traité, il faut comprendre que le mal sera traité, on trouvera un vaccin, ou un traitement efficace. »

C'est sur ces mots optimistes que se termina l'entrevue avec Nostradamus, rencontre extraordinaire par delà les siècles. Il était temps pour les voyageurs temporels de regagner leur époque. Michel et Patrick avaient naturellement emporté avec eux la montre de Sofia, que Zacharie avait synchronisée avec les leurs. C'est dans le couloir de l'Hôtel Paterin, où résidait le médecin et astrologue, que s'opéra la translation temporelle.

Mercredi 25 décembre 2080, 11 h 45

Après être revenus à leur époque d'origine, à la date du 8 août 2020, Sofia, Michel et Patrick étaient d'abord allés jusqu'à la boutique de Zacharie, afin de le rassurer sur leur sort. L'horloger, particulièrement soulagé de revoir son amie Sofia, leur avait immédiatement proposé un nouveau voyage temporel, mais vers le futur cette fois. Après être montés d'un étage dans l'immeuble, ils s'étaient retrouvés au même endroit, mais 60 ans plus tard. Les lieux n'avaient pas changé. Le Vieux Lyon, protégé par son inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, était resté identique à ce qu'il était, tout au moins le morceau de la rue Juiverie que l'on pouvait voir par les fenêtres, mais il en était sûrement de même pour tout le reste du quartier. En revanche, si les amis à nouveau réunis avaient pu monter à Fourvière, nul doute que la vue qu'ils auraient eu sur Lyon eut été bien différente de celle qu'ils connaissaient.

« – Il est temps que je vous fasse certaines révélations, annonça Zacharie. Sofia et moi, ainsi que le docteur Bertrand, et vous deux aussi bientôt j'espère, nous appartenons à une Fraternité qui est née en 2020 pendant la terrible épreuve du coronavirus. Des hommes et des femmes ont voulu se rassembler pour lutter contre l'adversité et conduire l'humanité vers un monde meilleur. Cet appartement où nous nous trouvons était le mien à l'époque, c'est ici que le cénacle se réunissait, et aujourd'hui il appartient toujours à cette fraternité. Cet après-midi nous procéderons à la cérémonie de votre intronisation, Michel et Patrick.

« Grâce à l'Inducteur de Saut Temporel que j'ai mis au point, j'ai pu visiter quelques unes des périodes du passé. J'aurais pu aussi aller vers le futur, mais découvrir l'avenir me paraissait dangereux. Mes incursions ont été timides au début, et très brèves. Il faut dire que ma première montre IST était loin d'offrir les mêmes perfectionnements que celles que nous portons actuellement. Toutefois, mes voyages ne sont pas passés inaperçus, parce que les sauts temporels laissent des traces dans la structure même du Temps, traces que les hommes seront capables de détecter dans l'avenir. Alors un jour j'ai fini par recevoir la visite de visiteurs venus du futur. Pour eux j'étais un précurseur, et ils n'ont pas hésité à m'inviter à découvrir leur époque. C'est de ce temps que j'ai rapporté les technologies qui m'ont permis d'améliorer les possibilités de ma montre, en particulier le système de micro-injections géré par le bracelet. Les nano-robots, les vaccins à effet instantané, vous vous en doutiez peut-être, viennent directement du futur. Il en est de même pour les tests réalisés par le docteur Bertrand.

« Et à propos du Covid-19, je vous ai un peu menti, les montres vous ont également immunisés contre cette maladie. Vous êtes désormais protégés, mais vous comprendrez que cette mesure est exceptionnelle. J'aimerais faire bénéficier la terre entière de ce vaccin, mais comment expliquerais-je son origine ? Nos semblables devront hélas attendre la suite naturelle des événements, qui verront le vaccin arriver sans doute en 2021. Pour ce qui vous concerne, vous pourrez retourner dans votre présent de 2020 sans avoir à vous soucier des gestes barrière et de la distanciation sociale. Mais continuez quand même à porter un masque pour ne pas vous faire remarquer, il serait trop bête qu'un policier zélé vienne vous verbaliser. »

L'annonce fut évidemment accueillie avec joie. Sofia et Michel furent particulièrement ravis par cette nouvelle. Ils ne purent résister au plaisir de se prendre par la main, en attendant mieux... beaucoup mieux... lorsqu'ils seraient enfin seuls.

« – Avant de fêter dignement Noël et de faire honneur au repas, dit Sofia, je voudrais revenir sur notre rencontre avec Nostradamus. Je vois que la bibliothèque de cette salle possède un bel atlas, à la fois géographique et historique, alors je voudrais vous montrer la carte de la Mer Noire avec les villes en périphérie correspondant à celles citées par le fameux quatrain 91 de la 9e centurie. »

Michel, Patrick et Zacharie purent alors situer les cités de Perynte, Nicopolle et Chersonnez évoquées par la prophétie. Certains noms étaient d'ailleurs communs à plusieurs villes différentes, avec des variantes légères dans l'orthographe, selon les pays.

 

Carte de la Mer Noire

 

Patrick étudia longuement la carte, puis il fit observer :

« – Ce qui est curieux, c'est que Nostradamus ait choisi cette région du monde pour évoquer la pandémie, alors qu'elle n'est pas, et de loin, celle qui a été le plus touchée. De plus le coronavirus est apparu en Chine, un pays que rien n'évoque dans la prophétie.

– Oui, tu as raison, répondit Michel, mais à vrai dire je n'ai pas trouvé d'explication à ce choix curieux de la Mer Noire pour évoquer, semble-t-il, la Covid-19.

– Tu finiras sûrement par trouver la solution, assura Patrick. Tiens, puisque cet atlas est également historique, voyons à quoi ressemblait la même région du monde à l'époque de Nostradamus. »

Patrick tourna quelques pages pour remonter à la carte du XVIe siècle.

« – Ah, curieux ! la Mer Noire n'avait pas le même nom, observa Michel.

– Bien sûr, précisa Sofia, autrefois on la nommait le Pont-Euxin. »

Le visage de Patrick s'éclaira soudain, et il s'écria, heureux comme un gamin à qui on aurait donné une sucette :

« – Le Pont-Euxin ! Le Pont-Euxin ! Mais oui, c'est ça le pont !

– Tu peux être plus clair ?

 Quand Nostradamus m'a demandé de lui dessiner le coronavirus, j'ai fait un croquis bien médiocre, parce que ma plume a dérapé sur le papier, et mon virus avait plus l'air d'une patate entourée de ses germes que d'un coronavirus. Nostradamus n'a pas pu faire la même comparaison, puisque la pomme de terre n'existait pas à son époque. Alors il a trouvé que cela ressemblait au pont. Je n'ai pas saisi ce qu'il avait voulu dire, mais en voyant cette carte je comprends tout ! Mon dessin ressemblait en effet à la carte du Pont-Euxin, et les villes de Périnthe, Nicopole (ou Nikopol) et Chersonèse, avec les fleuves qui les relient à la mer, figurent les antennes qui couronnent le virus. Oh bon sang ! C'est moi qui suis à l'origine du quatrain ! Un beau paradoxe temporel...

 

Comparaison de la carte de la Mer Noire et du dessin de Patrick

 

Michel réalisa à quoi son ami faisait allusion :

« – Tu veux dire que... Oui, tu as raison, pour décrire à mots couverts l'aspect du coronavirus, Nostradamus n'a pas trouvé mieux que d'évoquer la Mer Noire, ou Pont-Euxin, entourée des villes dont les noms se répètent, toutes situées sur des fleuves qui les relient à la mer. Une patate avec ses germes ! L'image est parlante. Comme la Thessalie et la Macédoine ne sont pas loin, il a utilisé ces noms pour les symboles qu'ils véhiculent. Et c'est bien de ton dessin dont il s'est servi.

– Je réalise tout d'un coup une évidence, ajouta Sofia. Par « tiendra » il faut comprendre « tiendra de », autrement dit « ressemblera à ». Oui, le coronavirus ressemble aux différentes villes de Périnthe, Nicopole et Chersonnèse entourant la Mer Noire ou Pont-Euxin. Tout au moins c'est ce qu'a cru Nostradamus en voyant le dessin raté de Patrick. »

Tout en devisant sur ce paradoxe, les quatre amis firent honneur au repas de Noël, et aux vins qui l'accompagnaient. Plus tard, quand vint l'heure de retourner dans leur présent de l'été 2020, Michel et Sofia avaient le cœur un peu serré.

« – Nous allons devoir revenir chacun à nos vies respectives, dit Sofia, mais c'est momentané. Nous resterons en contact, et nous retrouverons, n'est-ce pas Michel. Et c'est ensemble que nous affronterons la deuxième vague de la pandémie, que l'on nous annonce pour l'automne. »

Naturellement, cette histoire se passe dans un univers, ou plutôt dans une ligne de temps, parallèle. Sinon, comment aurais-pu pu parler de moi à la troisième personne ? Dans notre ligne de temps, l'horloger de Saint-Paul ne se nomme pas Zacharie. La photo de Sofia Merlini a été composée à partir d'images de plusieurs personnes différentes (qui ont toutes aux alentours de 60 ans mais en paraissent beaucoup moins!) pour créer un personnage semblant réel mais qui ne l'est pas. Quant à l'interprétation des quatrains de Nostradamus, peut-être est-elle la bonne, mais peut-être pas. Aussi ai-je choisi la forme d'un conte, d'une histoire imaginaire, pour en parler. Et comme il n'y a pas de conte sans une fin heureuse, j'ai voulu qu'il en soit de même pour mon histoire.





Vœux 2021 aux Internautes

Amis Internautes, l’heure est venue pour nous de quitter l’année 2020 pour l’année 2021. Cette année 21 pourrait s’annoncer comme les 21 coups de canons présidentiels. Non les artilleurs de l’esplanade des Invalides à Paris ne devraient pas effectuer un tir en salve de 21 coups de canon pour saluer cette nouvelle année, ainsi qu’ils ont coutume de le faire pour l’élection du nouveau président de la France depuis que le général de Gaulle réduisit les 101 coups de canon à 21.

Le général n’était pas étranger à l’ésotérisme politique, voir même maçonnique et il se dit qu’il aurait choisi ce nombre de coups de canons, d’une part, par souci d’économie de temps et d’argent mais d’autre part, parce que le nombre 21 développe le 7, symbole de la création dans son ensemble, transcendée par le 3, symbole de l’esprit sans lequel le monde ne peut subsister.

Puisse cette nouvelle année, après un baptême dans le vin ou vingt, devenir pour homme, une nouvelle création transcendée par l’esprit vivifiant.

Bonne et heureuse année 2021 à vous, Chers Amis Internautes. Artilleurs des Regards du Pilat nous continuerons cette année encore à tirer les 21 coups du canon fraternels jaillissant des 7 Arts Libéraux que sont le Quadrivium et le Trivium.

Bonne année à tous. 

Michel Barbot



 

Voyage vers le futur entre la Ténèbre et la Lumière

 

La lumière naissante du jour se devinait à travers les volets mi-clos de la chambre à coucher. L’homme allongé dans le lit différa quelque peu son lever. Rentré tard dans la soirée, après un voyage en Provence, il se dit – une fois n’est pas coutume – qu’il pouvait prolonger encore de quelques minutes cette nuit de repos salutaire.

Mais soudain la porte d'entrée de l'appartement s’ouvrit et la lumière illumina la pièce. Un homme d’une quarantaine d’années fit irruption dans la chambre. Une voix, tout à la fois chaude et impressionnante, brisa le silence :

« - Eh l’ami ! Que fais-tu dans ma chambre, et qui plus est dans mon lit ? » 

Curieusement l’occupant du lit n’eut pas peur. Il en fut lui-même surpris, surtout lorsqu’il s’entendit rétorquer du tac au tac :

« - Et toi que fais-tu chez moi ? Là, dans ma chambre ? »

Et l’intrus de répondre :

« - L’appartement où tu es entré illégalement est le mien, depuis la mort de mon père en 2150, il y a dix ans déjà. Mon nom est Ange Berlier et je puis t’assurer que je suis bien ici chez moi, contrairement à toi. À présent sors de mon lit et raconte-moi ce que tu fais ici, où je t’emmène voir la maréchaussée ! »

L’occupant du lit ne se fit pas prier deux fois pour sortir du lit.

« - Je…  Je m’excuse, mais ce qui m’arrive est extraordinaire… !  Je suis moi-même un Berlier… Patrick Berlier. Si, si ! Crois-moi ! 

- Je voudrais te croire mais j’ai du mal ! Personne dans la famille ne se prénomme Patrick. Mais c’est vrai, maintenant que je te regarde, que tu ressembles comme deux gouttes d’eau à un lointain cousin, l’ancêtre érudit de notre parentèle. Raconte-moi. Mais attention, j’ai l’habitude de par ma profession, de reconnaître un homme qui me ment… ou pas ! Parle, je t’écoute !

- Mon nom est donc – ainsi que je viens de te le dire – Patrick Berlier. Je suis rentré hier soir d’un voyage en train qui m’avait emmené en Provence, précisément à Lamanon, entre Alpilles et Luberon. Je… »

Celui qui affirmait se nommer Ange Berlier, l’interrompit net :

« - Tu quoi… ! Viens, suis-moi dans la salle de séjour ! »

Les deux hommes sortirent de la chambre pour passer dans la grande salle de séjour de l'appartement. Ils se dirigèrent vers le coin bureau, où se trouvaient les ordinateurs, et dont tout le mur était décoré d'une grande carte en relief.

« - Regarde cette carte. Il s’agit de la carte de la France – oui de la France – mais la France du XXIIe siècle. Non plus Hexagone Extrême-Occidental du continent européen mais un archipel formé par les anciens reliefs du pays. À la belle saison, les Stéphanois se baignent dans les eaux de la Mer Forézienne qui dessine de nos jours la belle île dont la cité stéphanoise est le port principal. Autrement-dit, la Provence où tu te trouvais, soi-disant hier… est bel et bien rayée de la carte… et ce depuis 55 ans ! Seuls émergent encore les anciens sommets des Alpilles, du Luberon, de la Montagne Sainte-Victoire et celle de la Sainte-Baume, qui sont devenus autant d'îles nouvelles de la mer Méditerranée. Mais entre ces îles, toutes les villes qui s'étendaient dans les plaines, comme Avignon, Cavaillon, Arles, Aix-en-Provence, Marseille, et bien d'autres, sont noyées depuis longtemps, et avec elles toute la basse Provence. Alors, avec ton voyage à Lamanon, tu repasseras ! N’est-ce pas bizarre mon cher cousin ? »

Patrick Berlier n’attendit pas que son cousin, fusse-t-il du XXIIe siècle, poursuive son réquisitoire :

« - Tu as dit bizarre, mon cher cousin, comme c’est bizarre effectivement ! Non non, je ne me moque pas de toi – je ne me permettrais pas, oh non ! – mais je n’ai pu m’empêcher de citer approximativement une célèbre réplique d’un très vieux film de cinéma. Enfin, passons… Je suis bien ce Patrick Berlier du XXIe siècle. Un instant j’ai eu l’impression que tu me croyais et l’instant d’après j’ai vu que ce n’était pas vraiment le cas. Quelque part je comprends, comme j’ai moi-même vraiment du mal à croire que j’ai pu faire un bond dans le temps. Cet appartement est bien mon appartement, même si je reconnais qu’il y a quelques petites différences principalement au niveau de la déco. Il est certain, par exemple, que cette carte n’était pas là hier au soir. J’ai presque envie de dire que, mon appartement, cette salle précisément, ressemble plus à un musée... un musée qui me serait consacré ! »

Ange Berlier reprit la parole :

« - Tu dis juste, mon cher cousin, car oui, il me paraît raisonnable de penser que tu es mon cousin, un cousin venu du passé et pas n’importe lequel… J’ai été marié pendant plus de dix ans, mais ma femme ne supportait pas la vie que j’avais choisie. Je suis détective privé à mes heures et il m’arrive très souvent, comme aujourd’hui, de passer mes nuits dehors. À la mort de mon père j’ai poursuivi son œuvre qui visait à transformer en musée l’appartement où vécut l’érudit de la famille… Mais à la vérité, après mon divorce il m’a fallu trouver un logement et le musée est devenu privé… Non, les questions seront pour plus tard. À présent nous allons descendre dans la rue. Oui enfin… il serait bien avant de descendre que je te trouve des habits convenables. Le pyjama risquerait de faire jaser ! »

Quelques minutes plus tard les deux cousins se trouvaient sur la chaussée. Patrick put constater qu’elle avait quelque peu changé… Ange invita Patrick à s’attarder sur la plaque indiquant le nom de la rue.

« - Que lis-tu ? »

Et Patrick de répondre :

« - Rue Patrick Berlier… Wah ! Je ne suis pas peu fier, c’est vrai, mais le pauvre *** ***, ainsi dépossédé de sa rue, mériterait sans nul doute sa propre rue. Ami de Victor Hugo, de Nerval, de Théophile Gautier ou de Baudelaire, il fut peut-être un membre de la Société Angélique parisienne. »

Cousin Ange reprit la parole :

« - Rassure-toi, une importante artère du centre-ville porte aujourd’hui ce nom et ce n’est que justice ! Quant à la Société Angélique, initialement lyonnaise, elle n’est pas étrangère à mon prénom. Ce fut mon père qui choisit mon beau prénom Ange, en hommage à ladite société. Regarde bien à présent l’Auberge devant laquelle tu passais et passeras encore, quasi quotidiennement… 

« - Mais c’est vrai, s’écria Patrick, je n’avais pas remarqué, et pourtant je suis juste devant ! L’Auberge *** est devenue la Taverne Berlier. Là, par contre, je n’en demandais peut-être pas tant ! 

« - En fait, reprit Ange, je suis copropriétaire de la Taverne avec mon frère. Nous y organisons régulièrement des repas-conférences sur les sujets qui te se sont chers, qui nous sont chers. »

Patrick était quelque peu troublé par ce futur qu’il découvrait, bien que ce futur lui apparaissait, somme toute, proche à bien des niveaux…

« - Rentrons dans la Taverne, nous serons plus tranquilles pour discuter. »

Un homme veillait à la bonne préparation du repas du midi. Les clients du restaurant n’étaient pas encore arrivés. L’homme qui les accueillit n’était autre que Séraphin, le frère d’Ange. Patrick osa cette question :

« - Je suppose que là aussi, la Société Angélique et votre père, ne sont pas étrangers à l’attribution du prénom ? »

La réponse était bien sûr affirmative. Séraphin entraîna son frère et Cousin Patrick, dans son bureau. Ange se trouva dans l’obligation de résumer l’étrange découverte faite le matin même dans sa chambre, découverte qui avait nom… Patrick Berlier. Ange dut déployer toute sa persuasion avant que Séraphin n’accepte l’incroyable vérité.

L’heure du déjeuner se précisait. Ange invita Patrick et son frère à partager son repas qu’il prenait dans une salle privée à l’arrière de la Taverne. Il ne fallait surtout pas que les clients reconnaissent l’hôte des deux frères, dont le visage n’était pas inconnu des habitués de la Taverne…

Le repas fut, on ne peut plus succulent ! Patrick dégusta un savoureux poisson, le loup de mer, pêché la nuit même dans la Mer Forézienne au large du Phare de Saint-Étienne.

« - Ce poisson, foi de Patrick Berlier, n’avait rien à envier à celui pêché dans l’Atlantique au XXIe siècle ! »

Ange et Séraphin Berlier affirmèrent à Patrick qu’ils n’avaient aucune idée, du comment, en l’espace d’une nuit, il avait fait un saut – depuis son lit !? – de plus d’un siècle ! Mais par contre, il se pourrait qu’ils aient une idée du pourquoi, il avait effectué ce saut. Mais avant d’évoquer ce pourquoi, ils lui demandèrent ce qu’il éprouvait en découvrant que la ville de Saint-Étienne était à présent devenue une cité maritime. Patrick répondit :

« - À la vérité, je ne suis guère surpris, de vielles légendes évoquent en un passé antérieur aux Romains, la ‘’MARE NOSTRUM’’, Notre Mer, non pas la Méditerranée mais la mer forézienne popularisée par Honoré d’Urfé. Lorsque j’étais enfant, mon père me racontait cette histoire. J’aurais aimé découvrir les anneaux où les marins des temps jadis amarraient leurs navires. Je ne crois plus depuis longtemps à cette histoire, mais j’ai idée qu’aujourd’hui je pourrais les découvrir, bien que je doute que l’on m’ait fait venir pour cela ! Cette tradition se retrouvait à la Tour-en-Jarez dans les écrits de Jean-Marie de la Mure. Il évoquait l'existence d'une tour marquée de figures solaires au sommet de laquelle était érigée une pyramide. Un feu servant à guider les nautes foréziens y était entretenu. Un phare, s'il vous plaît, pour guider la barque des seigneurs de Saint-Priest vers leur château.

https://www.forez-info.com/encyclopedie/memoire-et-patrimoine/194-la-legende-des-siecles-foreziens.html

« Cette mer transposée dans le futur, a fait l’objet à mon époque d’une très curieuse BD, Les îles d’Auvergne, ainsi que d’un film cinématographique, Lost City Raiders, dans lequel il est mentionné que le Secret du Monde Englouti se trouverait non loin de Saint-Étienne ! Donc non, cette nouvelle géographie de la France ne me surprend guère. »

Ange et Séraphin orientèrent à nouveau la conversation vers l’affaire qui était, semble-t-il, à l’origine de la venue de Patrick. Ange reprit la parole :

« - Il y quelques semaines, j’ai été approché par un homme plutôt mystérieux. Il réside dans un manoir de la Côte Sauvage qui borde la calanque d'Aurec. Cet homme m’apparut tel un Puritain Anglais du XVIe siècle, habillé d'une grande cape noire et coiffé d'un immense chapeau tout aussi noir. Si le port des armes n’eut été prohibé, je l’aurais bien vu portant rapière au côté ainsi qu’un long pistolet sur les hanches. Rien ne me dit d’ailleurs que, dans ses recherches archéologiques secrètes, il ne se protège ainsi.

« Il se présenta sous le nom Robert Kane, descendant d’un certain Solomon Kane, personnage qui inspira en fait une création du romancier Américain Robert Erwin Howard. Cette ascendante romantique, cadre parfaitement avec le personnage que j’ai pu rencontrer. Il avait fait, ainsi qu’il me l’apprit, une énigmatique découverte, au fond de la Calanque d'Aurec, à la hauteur de Saint-Paul-en-Cornillon. Voici ce qu’il me le raconta :

« - Au fil des années, de nombreuses tempêtes ont régulièrement poussé les eaux de la calanque au pied des collines qui succèdent à l'ouest aux Monts du Pilat. C’est ainsi que dans ce périmètre, le terrain est devenu très instable. En octobre dernier, un glissement de terrain avait fait resurgir les ruines d’une vieille bâtisse. Rapidement informé, je me rendis sur les lieux et effectuais de rapides recherches qui me démontrèrent qu’il s’agissait de l’ancienne maison de mes aïeux. Cette habitation n’était pas aussi ruinée que l’on me l’avait fait entendre. Protégée par une couche de limon, je découvris près de la porte d’entrée, sur le mur, une énigmatique inscription ainsi rédigée :

 

L'inscription

 

« - Énigmatique inscription, en effet, répondit Patrick Berlier, mais je ne vois pas trop en quoi je pourrais être concerné. LE GUIDE DE LA MONTAGNE pourrait – éventuellement – me concerner en partant du fait que je suis effectivement Guide du Pilat mais pas l’unique Guide non plus ! »

Les deux frères étaient plutôt d’accord avec Patrick pour cette première réflexion mais ce n’était pas tout ! Une fois l’entrée totalement dégagée de l’ancienne bâtisse, Robert Kane avait réussi à pénétrer à l’intérieur. La toiture plus toute jeune, avait été volontairement protégée ! Une terrasse avait été bétonnée au-dessus, telle une mezzanine, le tout recouvert de terre sur plus de deux mètres. On aurait voulu conserver en l’état l’habitation que l’on ne s’y serait pas pris autrement.

Ange apprit à Patrick que Robert Kane avait fait une seconde découverte, qu’il lui avait expliqué ainsi :

« - Je découvris, près de la grande cheminée, son couronnement habituellement placé au-dessus du faîtage. Il était surprenant de le trouver à l’intérieur de la maison. Il était obstrué d’un bouchon que je ne tardais pas à retirer. Et, surprise, je découvris une seconde inscription ! La netteté de l’inscription, de ses couleurs, me permet de penser qu’elle devait se trouver initialement à l’intérieur de la maison, bien à l’abri... Lorsque le dernier de mes ancêtres quitta cette maison, il descendit assurément la couronne de la cheminée, afin d’y sceller l’inscription, bouchant ensuite le tout.

« Cette inscription apparaît d’autant plus curieuse, qu’elle a été rédigée en deux alphabets distincts. Le premier, très classique correspondait à l’alphabet latin. Le second, après recherche s’avère correspondre à l’alphabet Braille, l’alphabet des aveugles ! Notez que dans la première inscription, sont évoqués les CHEVALIERS AVEUGLES. Voici l’inscription après reconstitution :

 

Seconde inscription

 

Patrick fut soudain pris de vertige. Il reconnaissait, là un symbole, là une expression… des clefs qu’il ne parvenait pas, pour l’heure, à remettre dans l’ordre. Il se contenta d’écouter son cousin.

« - Suivant les explications fournies par Robert Kane, le texte est rédigé en alphabet Braille. Ainsi qu’il me l’expliqua, à partir de 6 points en domino, Louis Braille créa une écriture pour les aveugles, mais une écriture basée sur l’écriture utilisée par les voyants ! Cette écriture ne comporte pas moins de 64 combinaisons donnant toutes les lettres de l'alphabet, les voyelles accentuées, les chiffres, la ponctuation, la notation mathématique et la musicographie. La somme de ce remarquable travail fut publiée en 1829 par son créateur. Il apparaît que ce nombre hautement symbolique de 64 combinaisons, ne soit pas arbitraire. Certaines de ces combinaisons – bien que peu nombreuses – se retrouvant dans les lettres, chiffres, voire les ponctuations, ont permis l’usage de quelque code à l’intérieur même de cette écriture. Mais il ne semble pas, heureusement pour nous, que Paul Kane, l’ancêtre de Robert Kane, soit allé en ce sens. L’alphabet Braille dont voici quelques lettres ou chiffres, nous permet de valider la lecture effectuée par Robert Kane :

 

Alphabet Braille

 

Note de l’auteur : Voir : http://ophtasurf.free.fr/lebraille.htm Le 0 n’apparaît pas sur cette liste. Voir aussi https://www.lexilogos.com/clavier/braille.htm (ne pas utiliser l’outil « conversion » proposé…). D’autres variantes apparaissent sur le Net et compliquent le tout pour un débutant, créant notamment la confusion entre les « chiffres Braille » et les « chiffres Antoine » qui prennent place tout naturellement aux côtés, notamment, des « lettres Braille ».

 

Après décryptage le texte Braille de l’inscription de Paul Kane apparaissait ainsi : 

 

Décryptage du texte Braille

 

Le Stéphanois tout droit venu du XXIe siècle reconnaissait à présent que le « Guide de la Montagne » de la première inscription lui correspondait totalement, ce que confirmait la seconde inscription.

« - Tout ceci est bien curieux en effet ! Il est vrai que l’on me surnomme le Druide du Pilat. Je note que seul le millésime 2160 est nommé L’AN DE DIEU. En quoi cette année serait-elle plus divine que l’année 2020 ? Cent quarante années séparent ces deux millésimes. La France, mais également le monde, sont entrés en 2020 dans une période noire qui durera apparemment au moins 140 ans ? Je ne connais pas l’histoire des ces 140 années mais je doute qu’elles furent édéniques. L’année 2020 reste l’année de la COVID-19, année noire assurément car elle a été marquée par la mort de dizaines de milliers de personnes. Le Président Macron n’hésitait pas à parler de ‘’guerre’’ ! »

Les deux frères reconnaissaient que Patrick était dans le bon pour ses réflexions. La France avait bien changé durant toutes ces années. La Grande Inondation l'avait isolée et affermi le pouvoir des Forces Noires qui portaient le Gouvernement. Un Gouvernement dictatorial s’était installé à Clermont, sur les hauteurs de ce qui avait été Clermont-Ferrand, ville partiellement disparue, depuis que Paris était englouti sous les eaux. Le Pouvoir se trouvait à la solde d’une dangereuse organisation, contre-initiatique.

Ange décida qu’il devait cet après-midi même, se rendre en compagnie de Patrick au Manoir de Robert Kane :

« - Séraphin sera bien occupé au restaurant, il ne pourra nous accompagner. Je sortirai la barque, nous nous rendrons au Manoir en longeant la Côte Sauvage que d’aucuns nomment la Côte Royale… Il te faudra ramer, mon Cher Cousin… Mais non ! Je plaisante ! Il y a un moteur dans ma barquette et plus encore ! »

Patrick n’en revenait pas ! N’était-il pas en train de rêver et n’allait-il pas tarder à se réveiller ? N’avait-il jamais fait un tel rêve ? Il n’osait aborder ces questions avec Ange. Il allait de soi, que s’il était dans un rêve, Ange lui répondrait que non. Et peut-être était-ce la vérité. Mais si c’était la vérité, pourquoi était-il arrivé en ce siècle dans un lit !? Il y avait certainement un côté amusant, cocasse même dans l’idée, mais c’était tout de même à l’insu de son plein gré !

 

Entrée de la Calanque d'Aurec, sous le château d'Essalois

 

La Côte Sauvage était vraiment… Sauvage ! Les eaux de la Mer Forézienne remontaient jusqu'à Aurec par les anciennes gorges de la Loire. Au milieu du XXe siècle, elles avaient déjà été partiellement noyées par la mise en eau du barrage de Grangent, mais maintenant la mer passait largement au-dessus dudit barrage. Les gorges étaient devenues une calanque, ou un fjord. Les eaux avaient sculpté le rivage de façon bien étrange et ce, en très peu d’années ! La cité stéphanoise s’était considérablement agrandie ! Bien que la navigation ne fût pas encore terminée, Ange accosta.

« - Nous sommes loin d’être arrivés, je voulais juste que tu touches enfin l’un de ces énormes anneaux auxquels les Nautes de la Mer Forézienne des premiers temps de la terre, amarraient leurs embarcations. Ces anneaux sont restés le plus souvent invisibles à l’homme car ils étaient très souvent recouverts par les différentes strates de la sédimentation. L’anneau que tu touches a été fondu dans un acier inaltérable. Il s’agirait d’après les spécialistes d’orichalque le plus pur, connu des Atlantes suivant Platon. »

 

L'anneau des Nautes de la Mer Forézienne

 

Les deux cousins reprirent la mer. Bientôt le littoral de Saint-Victor fit place à une calanque profonde. Une fois passé le goulot du Pertuiset, moins étroit cependant que jadis, on distinguait au sud-ouest, dans l'échancrure formée par l'enfilade des parois encaissées du fjord, le Mont Fyn, devenu une île. Cette colline était jadis réputée pour la vue qu'elle offrait sur les gorges de la Loire, aujourd'hui c'était pour la vue sur la calanque. Le voyage fut pour Patrick un émerveillement. Il lui fut difficile de reconnaître les lieux tant ils avaient changé. Voici que la Calanque d'Aurec se rétrécissait, au niveau de l'ancien village de Saint-Paul-en-Cornillon, disparu sous les eaux. Sur une colline émargée se dressait le vieux château de Cornillon, désormais au bord de l'eau ce qui, Patrick le reconnaissait volontiers, ajoutait à son charme.

 

La Calanque d'Aurec au château de Cornillon

 

Ange fit accoster la barque, puis ils continuèrent à pied. À peu de distance, se dressait le manoir des Kane, bâtisse battue par les vents, offrant une vue magnifique sur le site de Cornillon. Robert Kane vint à leur rencontre. Il retira son grand chapeau noir, salua Ange Berlier, puis se tournant vers le Stéphanois tout droit venu du XXIe siècle, s’exclama :

« - Monsieur Patrick Berlier, je présume ? »    

- Vous présumez bien Monsieur Kane ! 

- Entrez je vous attendais ! Nous allons discuter dans la bibliothèque. »

Mon Dieu, quelle bibliothèque, Patrick n’en revenait pas ! Il y avait là des raretés mais il n’eut pas le loisir de s’attarder sur ces trésors. Il était là pour une toute autre raison, bien qu’il eût pour l’heure du mal à la saisir, cette raison !

Le Maître des lieux fit servir des boissons à ses hôtes, puis entama la conversation :

« - Bien ! Par où allons-nous commencer ? J’imagine que Messieurs Ange et Séraphin Berlier, vous ont fait part de mes découvertes ? »

Le hochement de tête de Patrick, accompagné d’un oui plutôt bref, lui permit de poursuive :

« - La maison que j’ai découverte non loin d'ici, accompagné de trois de mes employés, était en fait celle où demeurait mon ancêtre Paul Kane. Cet homme pour notre famille est une légende comme vous l’êtes également pour la famille Berlier. N’est-ce pas Ange ? Paul Kane est celui qui a fait entrer la famille Kane dans la légende. Elle nous a bien servi, je l’avoue. Tout ce que vous voyez autour de moi, je le dois à la légende… Ce manoir fut bâti en pierre de lave de Volvic, ainsi que le fut au Moyen Âge la cathédrale Notre-Dame de l’Ascension de Clermont. La pierre volcanique a la réputation non usurpée d’apporter force et protection contre les attaques des sorciers et autres magiciens noirs.

« Pour ce qui est de nos recherches dans la maison de Paul Kane, elles ont été réalisées dans le plus grand secret. Il ne s’agissait pas que les sbires de notre gouvernement en soient informés. Rien n’empêche d’ailleurs qu’ils ne le soient pas à présent, ainsi que je le crains aujourd’hui. C’est pourquoi il nous faudra agir et ce, le plus rapidement possible.

« Bien ! Monsieur Patrick Berlier vous connaissez à présent, le contenu des deux inscriptions. Que vous inspirent-elles ? » 

Patrick revint sur ses premières réflexions formulées à brûle-pourpoint dans le restaurant de Séraphin Berlier. Le Maître des lieux hochait la tête, se contentant d’émettre quelques « Bien, bien, bien ! » Puis il conclut :

« -Vos réflexions sont très intéressantes. Ces 140 années furent en effet, une période noire pour la France. La période des CHEVALIERS AVEUGLES. Mon ancêtre, et plus précisément le groupe auquel il appartenait, ont lutté dès l’année 2020 contre cet ennemi maléfique. Ces chevaliers noirs voulaient et veulent encore emprunter le CHEMIN DE RAMON qui mène vers la LUMIERE. Leur but était de pervertir ce lumineux chemin… Que pensez-vous Monsieur Patrick Berlier de l’expression CHEMIN DE RAMON ?

- Ce que j’en pense ? Eh bien, je note tout d’abord que votre ancêtre, ou plutôt l’un de vos ancêtres, avant de quitter définitivement l’ancestrale maison pour ce manoir, a su mettre bien en évidence la cheminée. Bien que le nom latin de la cheminée, camina, désigne l’âtre, ou le foyer, il est reconnu que le vieux français cheminee, a subi l’influence du mot chemin. Le CHEMIN DE RAMON, m’apparaît ainsi comme le CHEMIN DU RAMONeur. Il y a comme très souvent dans la symbolique de la cheminée, une ambivalence. Voie de communication mystérieuse avec l’Autre Monde, elle est empruntée dans les légendes, par les sorcières juchées sur leur balai, ou par le Père Noël ainsi que les parents aiment à le raconter aux enfants, tout au moins, à mon époque… Cet axe reliant l’Autre Monde apparaît comme un sujet récurrent dans les romans fantastiques, voire même de science-fiction. Certaines cheminées permettraient, suivant les romanciers, d’accéder à l’Autre Monde des Celtes. Mais tout ceci n’est que légende.

« Je note pareillement que votre ancêtre, celui qui a quitté la maison ancestrale, a descendu de la toiture, sans la briser, la couronne de la cheminée.

- Bien, très bien même ! reprit le Maître des lieux, Et donc qu’en déduisez-vous ? 

- J’en déduis qu’il y aurait de la part de votre ancêtre, la volonté d’orienter notre recherche vers la Royauté. Pour arriver chez vous nous avons longé la Côte Sauvage et Ange m’a dit que ce littoral est aussi nommé par certains, Côte Royale… 

« L’inscription que vous avez découverte dans cette couronne, indique que le DRUIDE APPORTERA LA LUMIERE DU 4 MAI. Sachant que dans le siècle qui est le mien, je suis surnommé le Druide du Pilat, j’en déduis et mes nom et prénom écrits en alphabet Braille, le confirment, qu’il s’agit bien de moi ! Ma présence en ces lieux et temps me le confirme ! »

Le Maître des lieux interrogea une fois encore Patrick :

« - Et cette LUMIERE DU 4 MAI que vous apporterez, de quoi s’agit-il à votre avis ?  

- Dans l’ancien dialecte de Saint-Étienne, apparaît le mot Mouleyre et plus précisément Lou furo de mouleyre. Bien que le mot furo restait obscur pour le Professeur Eugène Veÿ, le mot mouleyre devait-être, pour ce célèbre linguiste, rapproché du vieux provençal molada, « suie, noir de fumée » qu’il convient disait-il, de rapprocher aussi du vieux français molée, dit aussi noir de chaudière. Ce nom est aussi donné à la poudre de pierre et de fer qui tombe de la meule des taillandiers et qui servait de teinture. Pour cet éminent dialectologue, agrégé de l’université à Saint-Étienne, Lou furo de mouleyre devait désigner le ‘’ramoneur’’. Il avait assurément raison.

« L’inscription relève tout à la fois du cryptogramme et de la prophétie, sauf si bien sûr Paul Kane, votre ancêtre, serait tout comme moi, venu à votre époque… Cette inscription est postérieure de quelques 110 ans à l’étude du Professeur Eugène Veÿ, mais elle me donne à penser que nous aurions ici une allusion à quelque Ramoneur de Saint-Étienne. Le centre primitif de la cité avait nom Sanctus Stephanus de Furano. Le Furan qui donna son nom à la cité, est la rivière qui descend des Monts du Pilat. Certains érudits ont voulu reconnaître dans son nom le latin fur, évoquant le ‘’voleur’’ ! Georges Dumézil y a également vu, une racine indo-européenne désignant les sources et les puits, attestée par le nom de Furrina, déesse des eaux souterraines et patronne du creusement des puits.

« L'orthographe Furens, parfois usitée, est totalement usurpée et due à la latinisation abusive du nom Furan qui est d'origine gauloise. Le suffixe an-on, et son féminin ane-one, sont des hydronymes typiquement celtiques. Néanmoins l’étymologie populaire a reconnu dans ce Furens un mot latin, le Furieux. Bien entendu, Jules César l’aurait d’ailleurs baptisé ainsi ! Cette étymologie tout autant que la nature de cours d’eau, torrent à ses heures, a le mérite d’évoquer l’aspect fuégien de ses eaux. Joachim Du Bellay dans l’un de ses poèmes écrivait ‘’le feu tournoyast furieux’’. Auguste Callet, évoquait dans sa Légende des Gagats, les vertus presque magiques des eaux du Furan pour la trempe des aciers. 

« Et LOU FURO DE MOULEYRE, me direz-vous, à quoi va-t-il correspondre dans l’inscription ? Petite parenthèse, des familles d’origine bretonne portent le nom de Fur, Le Fur, etc… Ce nom que l’on trouve en gallois et que l’on trouvait déjà en vieux cornique signifie ‘’Sage’’ mais il s’agit en fait d’une déviation sémantique car il est issu du latin fur signifiant… ‘’Voleur’’ ! »

Robert Kane qui jusqu’à présent écoutait religieusement Patrick Berlier l’interrompit, non s’en s’excuser :

« - Permettez-moi, s’il vous plaît, à ce moment précis de votre excellent commentaire, de vous donner quelques explications concernant ce FURO. Il se trouve que ma famille se nomme Kane. Suis-je vraiment le descendant de Solomon Kane ? Il m’est difficile de l’affirmer, bien que j’aimerais, comme devait aimer à le penser mon ancêtre Paul Kane, que notre famille ait un tel ancêtre. Robert Howard puisa dans les vieilles légendes galloises, écossaises et irlandaises pour rédiger son œuvre littéraire foisonnante. Mes lointains ancêtres les Kane de la première génération, étaient originaires du Devonshire. Ils ont combattu pour le roi de France et se sont ensuite installés à Saint-Étienne. Je ne vais pas vous raconter leurs aventures et mésaventures, toujours est-il, Kane Ier, tout au moins le premier à avoir quitté définitivement la Grande-Bretagne, est arrivé en France au XVIIIe siècle. Il était accompagné par les deux frères Fur, des Gallois.

« L’aîné, peu porté sur les armes, bien qu’il trempât lui-même les rapières de notre ancêtre, s’installa rapidement à Furan. On venait de loin voir Maître Fur le Sage, dit aussi Fur de Furan. Tout près de sa forge résidait son frère que l’on surnomma rapidement Lou Furo de Mouleyre, car oui il était ramoneur et son nom ou plutôt son surnom est passé à la postérité.

« Il connaissait le chemin de la lumière. Cette lumière, de tradition était symbolisée par la ‘’bûche de Noël’’ que l’on faisait brûler dans la cheminée. Dans le Christianisme cette lumineuse bûche symbolisa l’Enfant Jésus, Lumière du monde… Mais je vous en prie Monsieur Patrick Berlier, finalisez votre propos concernant cette LUMIERE DU 4 MAI.

- Très bien Maître. Je me rappelle enfant, que les ramoneurs, bien qu’étroitement associés dans la symbolique au temps de Noël, vénéraient tout particulièrement saint Florian (la Sainte Fleur de l’inscription) dont la fête si je me souviens bien, se place précisément le 4 mai. Florian, le ‘’Florissant’’, le ‘’Resplendissant’’, le ‘’Brillant’’, guide LOU FOURO DE MOULEYRE, dont il est le saint patron.

- Si je comprends bien l’inscription, je suis sensé apporter cette année même, LA LUMIERE DU 4 MAI. Autrement-dit, cette ‘’lumière’’ que je n’ai assurément pas emmenée durant ce premier voyage. J’imagine que je l’emmènerai lors de mon second voyage qui aurait lieu, donc, cette année même et j’ose l’espérer, cette fois-ci non à l’insu de mon plein gré car je ne suis pas sûr de bien comprendre !!! J’espère d’ailleurs que vous m’expliquerez... Car je n’en doute pas à présent, vous n’êtes pas étranger à ma venue. J’en reviens donc à cette ‘’lumière’’, elle permettra à Lou Furo de Mouleyre (le descendant actuel de Fur le Ramoneur) sous la houlette de la SAINTE FLEUR et de l’ANGE de parvenir AU-DELA. La SAINTE FLEUR correspond à saint Florian et aux différentes corporations qu’il patronne : les pompiers, les charbonniers ou les ramoneurs. Bien que je ne sois pas un spécialiste, le symbole représenté à droite sur le document est la croix de saint Florian. Sur cette croix apparaît très souvent l’inscription rédigée en différentes langues : Saint Florian priez pour nous.

« J’ai d’ailleurs pu observer dans cette salle une belle représentation de ce saint :

 

Saint Florian

 

Certains tableaux le représentent éteignant l’incendie avec son seau. D’autres, tel celui-ci, représentent l’ANGE son compagnon, éteignant lui-même l’incendie. Il y a dans cette représentation quelque chose de La Melencolia § I (mais sans la Mélancolie…) de Dürer. Chez Dürer, le putto ou petit ange, est penché sur une meule. Sur cette représentation, le petit ange vide son sceau d’eau auprès de la meule. Le feu destructeur est éteint, bientôt l’ange fera tomber du ciel la meule, ainsi qu’indiqué dans l’Apocalypse de Jean. Lorsque la meule sera jetée dans la mer, Babylone la Grande, la grande prostituée, périra. Dans la Bible la prostitution représente le culte des faux dieux avec ses prostituées sacrées. La Grande Babylone apparaît dans la première inscription sous les traits des Chevaliers Aveugles. L’ANGE associé à la Sainte Fleur représente aussi la Société Angélique. Ce qui me permet d’affirmer que cet autre symbole figuré sur le document, représente l’Étoile du Matin ou Morgenstern, arme blanche contondante terminée par une masse… le symbole de la Société Angélique.

« L’inscription date de l’année 2020. J’ai des doutes sur la survivance à cette époque de la Société Angélique. Certains auteurs ont osé l’avancer, je ne contredis pas mais ne l’affirme pas non plus. De lyonnaise, la Société Angélique est devenue parisienne. Certains auteurs affirment même qu’elle perdura un temps en Belgique. Mais perdura-t-elle au XXIe siècle personnellement je n’en sais rien ! Voilà, Maître ce que m’inspirent les deux inscriptions. J’ai idée que les illustrations placées au haut et bas de l’inscription ne sont pas étrangères à ma mission mais je vous laisserai à présent m’éclairer sur mon rôle dans cette histoire.

- Bien, bien, bien ! Je vais donc vous éclairer – car c’est bien de lumière qu’il s’agit ici. Je vais vous mettre au parfum quand au rôle qui sera, qui est le vôtre ! Permettez-moi tout d’abord de vous félicitez pour vos commentaires avisés – mieux – éclairés. Vos réflexions me montrent que vous être bien l’homme qu’il nous faut. Je vais être franc avec vous, nous avons besoin au sein de la Société Angélique, d’un Vaguemestre entre votre époque et notre époque… entre mon ancêtre que vous rencontrerez dès votre retour et la Société Angélique d’aujourd’hui dont je suis l’un des membres. Le cénacle a perduré dans l’ombre tout au long des siècles. Vos cousins Ange et Séraphin, tout comme leur père et le père de leur père, étaient et en sont membres. Vous-même l'avez été, ou plutôt le serez rapidement.

« Mon ancêtre s’est longuement interrogé, bien qu’il n’en fût pas le décisionnaire, sur la personne qui pourrait remplir une telle mission. Il s’est avéré que vous étiez l’homme de la situation. En ce qui vous concerne, vous aviez déjà pratiqué. Je connais votre rencontre avec le grand Jules Verne… Le Jump ainsi que nous appelons le saut vers le passé ou vers le futur est devenu interdit depuis que le Gouvernement, suite à la Grande Inondation, s’est installé à Clermont… Oui, que souhaitez-vous dire, Monsieur Patrick Berlier ?

- Vous parlez de ‘’jump’’. Je n’ai pas souvenir d’un jump pour ma venue en ce siècle ! Je me suis fait sonner le réveil dans mon lit – tout au mon je pensais être dans mon lit – par Ange. Tout cousin qu’il soit… je n’ai guère apprécié le procédé. Ceci ressemble plus à un bizutage militaire ! Encore heureux que l’on ne m’ait pas réveillé avec un lit en cathédrale ! Vous auriez tout de même pu me faire venir en ce XXIIe siècle de façon moins cavalière !

- Sache mon Cher Patrick, je te le répète, je n’étais pas au courant, se défendit Ange. Je comprends d’ailleurs tout à fait ! De par mes fonctions de détective privé, il m’arrive d’avoir des réactions on ne peut plus expéditives et j’aurais pu réagir différemment ! »

Le Maître du Manoir reprit la parole :

« - En fait, j’avais envoyé Ange enquêter à Clermont auprès de nos indics sur l’avancée des Chevaliers Aveugles dans la capitale. Notre meilleur détective ne devait rentrer que demain mais sa mission qu’il me relatera ultérieurement s’est avérée plus courte que nous le pensions. Vous retrouver dans votre lit était, pensions-nous, la façon la plus calme de vous accueillir en notre siècle. L’un des nôtres avait pour mission de vous accueillir lorsque vous auriez quitté votre lit… Que dites-vous… De vous cueillir… Non, de vous accueillir dans la sérénité. 

« Lorsque le savoir, les connaissances scientifiques sont devenues propriété exclusive de l’État Français, de vives protestations au sein des diverses échelons de la société de sont élevées. Une opposition, dont je suis l’un des maillons, c’est rapidement constituée. Les maillons clandestins de cette chaîne de résistance existent sous le nom de Chevaliers de la Côte du Roi. Le Manoir où vous vous trouvez actuellement, recouvre le Q.G. des chevaliers. »

Patrick eut droit à une visite guidée de ce laboratoire souterrain, haut-lieu du savoir où œuvraient des scientifiques de renom. Robert Kane expliqua à Patrick que depuis ce laboratoire, des scientifiques avaient opéré son jump ou saut dans le temps. La visite se termina dans la Bibliothèque des Chevaliers de la Côte du Roi, dont une partie était réservée à l’Histoire et plus précisément à l’Histoire secrète du Pilat.

Patrick n’en croyait pas ses yeux. Devant lui, autour de lui, s’étalaient des dizaines de milliers de livres parmi lesquels ses propres livres dont certains n’étaient pas encore rédigés, ce qui provoqua en lui une étrange sensation de vertige. Il aurait payé cher pour pouvoir passer quelques heures dans cette bibliothèque mais le temps passé en ce lieu, était compté.

Le Maître du Manoir, dit à Patrick :

« - Nous avons dans cette bibliothèque des livres insoupçonnés ! Des livres introuvables et pourtant il nous manque une pièce majeure… LE LIVRE de LOU FURO DE MOULEYRE.

 

Le livre de Lou Furo de Mouleyre

 

Lou Furo de Mouleyre, le Ramoneur, dans le secret de la forge de son frère Maître Fur le Sage, dit aussi Fur de Furan, rédigea en 1764, son livre d’Adepte : EAU & FEU OU LA LUMIERE. La détention de ce livre nous permettrait – nous permettra ! – de vaincre les Chevaliers Aveugles de Clermont. Nous avons découvert où se trouve ce livre, la seconde inscription nous l’indique. Il se trouve à votre époque dans la célèbre bibliothèque de l’abbaye de Saint-Florian, en Haute-Autriche. Le blason représenté sur l’inscription est celui de la cité de Sankt Florian où se trouve l’abbaye. Votre mission, Cher Monsieur Berlier, si vous l’acceptez, sera d’aller chercher le livre et de nous le rapporter… »

Patrick déglutit sa salive :

« - de vous la rapporter… rien que cela. Vous rigolez, je ne suis pas Sean Connery ! Cette mission impossible n’est pas pour moi, elle rentre plus dans les cordes d’un détective privé, comme Ange !

- Mais rassurez-vous, Ange partira aussi avec vous.

- Hein ! Je pars avec Patrick… au XXIe siècle !?

- Effectivement, vous êtes l’homme de la situation. Vous êtes tous deux les hommes de la situation, comme le sont – et je le dis respectueusement – Sherlock Holmes et le Docteur Watson.

- Oui, ou comme Berlier et Berlier, ajouta Ange !

- Oui, ou comme Dupont et Dupond, renchérit Patrick. Non, laissez, il faut être de mon époque pour connaître... et d’ailleurs Berlier et Berlier… ça me plaît !

- Quoiqu’il en soit, reprit le Maître des lieux, nous sommes le 23 novembre 2160. Vous avez effectué votre jump ce même 23 novembre mais depuis l’année 2020. Votre retournerez à votre époque aujourd’hui même. Vous serez de retour le 24 décembre… avec le livre – l’échec est impensable. À présent l’heure est venue de préparer votre départ. Je vous laisse entre les mains de ces personnes que voici, elles vous expliqueront votre mission. »

Quelques heures plus tard les agents Berlier et Berlier effectuèrent le jump et se retrouvèrent dans l’appartement de Patrick en l’année 2020. Les tenues arborées à présent par les deux agents correspondaient à celles portées par Monsieur Tout-le-Monde en cette période de l’année.

Après un rapide dîner, Patrick laissant Ange face aux infos diffusées par une chaîne du câble, se dirigea vers son ordinateur. Durant la rapide formation qu’il avait eu avant son jump, l’un des instructeurs lui avait donné le précieux sésame qui lui permettrait d’accéder à de précieux renseignements. Patrick réfléchit un instant :

« -…Ah oui, c’est ça, la lettre initiale du prénom de mon père associée au mot latin que je préfère… puis la lettre initiale du prénom de ma mère, associée à ma seconde région de cœur… Ils sont plutôt bien renseignés ! »

CF N – B.C.S. – Id. ********* C-A **********

Coffre-Fort Numérique – Banque Crédit Stéphanois – Identifiant… et code d’accès... Enter et le miracle se produisit.

Patrick pensait trouver des renseignements ultra-secrets. Surprise, il n’y avait que (mais là devait être le secret) l’adresse de Monsieur Paul Kane, avec ces quelques mots :

« Messieurs Patrick et Ange BERLIER, je vous attends mardi 24 novembre à 15 heures » …

… Pile à l’heure, le taxi déposa les deux cousins devant la maison de l’ancêtre de Robert Kane dans la commune de Saint-Paul-en-Cornillon.

Une petite cloche actionnée par Ange, prévint l’occupant des lieux, de la venue des deux cousins. Les présentations furent rapides. L’homme aux origines britanniques, les reçut dans son salon au coin du feu, ce qui était de circonstance…

Les deux cousins aperçurent dans le fond de la pièce, les deux inscriptions retrouvées par le descendant du Cornillanais quelques 140 ans plus tard. La seconde inscription était à peine terminée… qu’importe elle le serait le moment venu.

« - Votre présence en ces lieux, me démontre que tout s’est passé comme prévu. Je suis, vous le savez membre de la Société Angélique. L’affaire dans laquelle nous avons été emportés nous dépasse de beaucoup mais elle reste, en ce qui nous concerne, Dieu merci, à hauteur humaine. J’ai été contacté par les Eldila, les membres du Cercle intérieur de la Société. Je sais, mon Cher Patrick que ce nom ne vous est pas inconnu... J’ai lu vos aventures dans le récit : Noël Ourifique pour Maître Hiéronymus Berlier et Anselme Rollat.

Les Eldila luttent depuis des siècles contre les Chevaliers Aveugles ou Eldila noirs, des êtres œuvrant dans la Ténèbre. Ces Supérieurs Inconnus s’affrontent dans l’espoir de dominer la Terre. Il est difficile de bien comprendre ces luttes suprahumaines mais il en va ainsi depuis des milliers et des milliers d’années. Mon aïeul Solomon Kane qui inspira à Robert Erwin Howard un cycle épique, a combattu les Chevaliers Aveugles. Moi-même versé dans les arcanes de cette lutte, j’ai été contacté par le Cercle des Eldila… Les inscriptions que voici sont celles qui vous permettront ou qui vous ont permis, de vous déplacer dans le temps.

- Encore que, reprit Patrick Berlier, pour ma part, j’étais déjà là ! Et pour le coffre-fort numérique… Votre adresse et même notre rendez-vous, j’imagine qu’il aurait été possible de faire plus simple ?!

- C’est vrai que vous étiez-là mais Monsieur Ange Berlier n’y était pas ! Et c’est vrai que le coffre-fort numérique n’était pas nécessaire, mais ce qui est vrai, c’est qu’il est appelé à resservir et là, il sera nécessaire pour nous, comme pour vous !  Pour en revenir à votre première remarque, bien que je n’aie pris sur ce sujet aucune décision, il importait que vous vous rendiez au XXIIe siècle, comme il importe que vous y retourniez rapidement.

« Je vous ai fait préparer une chambre pour cette nuit. Bien entendu, ce soir nous dînons tous les trois ensemble. Demain nous allons à Lyon et nous ‘’montons’’ à Fourvière dans l’ancien Hôtel*** où se réunissent aujourd’hui les membres de la Société Angélique. Oui, Cher Monsieur Berlier, nous y monterons, ainsi qu’y montaient au XVIe siècle les adeptes. »

Le lendemain matin, les trois personnages furent reçus dans les salons de la Société Angélique. Ange Berlier n’était en rien impressionné, ceci faisait partie, peut-être pas de son quotidien, mais tout au moins de son existence, néanmoins pas toujours angélique… Patrick, quant à lui savourait chaque instant, comme il savoura une fois encore l’angélique repas du midi.

 

Menu du déjeuner angélique

 

L’angélique repas terminé, Patrick Berlier fut invité à se présenter devant le sergent-fourrier de la Société Angélique. Patrick à sa grande surprise fut revêtu de l’habit d’apparat des Anges du premier grade. De belliqueux profane, le bélistre, il allait devenir le drôle, l’enfant de cœur dit aussi le crapaud ou le varlet. Son initiation au premier grade faisait de lui, le mari de l’aurore. Les esclops ou sabots dont il était à présent chaussé, la ceinture de peau qu’il portait à la taille, la trique au côté droit, son costume palé blanc et rouge et les deux bosses de son chapeau troussé ou toque, ne lui laissaient aucun doute, il deviendra aujourd’hui un Ange du Neuvième Cercle.

Le Président lyonnais du cénacle fit irruption dans le dressing-room. Un instant il lui sembla discerner l’émotion naissante du Stéphanois.

« - Oui mon Cher Ami, savourez ce jour comme l’un des plus beaux de votre vie. Laissez monter au-dedans de vous la fierté légitime car aujourd’hui vous allez devenir l’un des nôtres. Je vous invite à présent à me suivre dans le cabinet de réflexion où commencera votre initiation angélique. Vous resterez ensuite seul, face à vous-même, avant de pénétrer, lorsque l’heure sera venue, dans la Lumière. Sachez que votre poulie fixe, figure légendaire de l’Angélisme, s’est permis de déroger en ce jour de la Sainte-Catherine, à la règle séculaire du cénacle qui veut : ‘’Une poulie folle, une poulie fixe’’. Nous aurons ‘’Deux poulies folles, une poulie fixe’’. »

L’heure de la ‘’montée en loge’’ ou ‘’retour au bercail’’ était venue pour le futur impétrant à l’initiation. L’heure n’était plus à la parole, mais, surprise… la seconde poulie folle n’était autre que Thierry Rollat dont le costume était, quant à lui, rayé blanc et rouge ! Surprise, Surprise ! dans les regards croisés de Patrick et de Thierry se lisait une certaine perplexité. Mais si surprise il y avait, elle fut de courte durée car soudain leur apparut la poulie fixe ! Le Stéphanois et le Pélussinois n’en croyaient pas leurs yeux, devant eux se trouvait le mystérieux Hiéronymus Berlier, grand ami en son temps d’Anselme Rollat l’honorable imprimeur !!!

Soudain 9 coups de batterie retentissent. Les 9 lumières illuminent les 9 Cercles Angéliques du Bercail. Pénétrer le 9e Cercle, c’est entrer dans la famille angélique qui est aussi la famille du novénaire. Dans la Franc-Maçonnerie Écossaise, cette famille est dite famille des énergies.

Note de l’auteur : Bien qu’il ne nous soit pas permis de décrire l’initiation angélique du 9e Cercle, il ne nous est pas interdit d’évoquer LA MESSE VOTIVE DES ANGES qui ne lui est pas étrangère. En 1749 paraît L’ANNEE CHRETIENNE CONTENANT LES VOTIVES pour toute l’Année… (T. XIII) Nous y découvrons d’intéressants commentaires correspondants à cet office : « l’église ne se contente pas d’avoir institué deux jours pendant l’année pour célébrer la mémoire des bons Anges, le 29 Septembre qui est la fête de saint Michel leur chef, & le 2 Octobre celle des saints Anges Gardiens. Mais Voici une Messe Votive qu’elle laisse à la dévotion des fidèles, pour les exciter à penser de plus en plus à cette société bienheureuse, où ils ne feront avec les Anges qu’un même corps, & un temple spirituel où Dieu régnera éternellement : & la conduite de ces Esprits bienheureux contre la malice & la force des mauvais Anges qui sont nos ennemis spirituels. »

L’Épître ce cette Messe Votive correspond au texte latin du Livre de l’Apocalypse de Jean chapitre 5, versets 11 à 14 : « En ces jours-là, J’entendis autour du trône, & des animaux & des vieillards, la voix d’une multitude d’Anges, dont le nombre alloit jusqu’à des milliers de milliers, qui disoient à haute voix : l’Agneau qui a été mis à mort, est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire, & la bénédiction… »

Dans l’EXPLICATION DE L’EPÎTRE nous découvrons :

« Et autour de tout sont les Anges comme les Ministres de Dieu pour le salut des hommes. Ils environnent le bercail où ils ont aidé à reconduire les brebis égarées pour les saluts des hommes. Ils environnent le bercail où ils ont aidé à reconduire les brebis égarées pour qui J.C. le bon Pasteur est descendu du ciel. Si par ce bercail on entend l’Église, les Anges l’environnent, pour interdire l’entrée aux démons & aux autres ennemis du salut, & pour empêcher que les brebis mêmes ne succombent aux tentations qu’elles peuvent avoir d’en sortir. Mais si c’est le ciel qui est représenté par ce bercail, les Anges l’environnent pour la grandeur & la majesté de celui qui y est assis au milieu dans un trône. »

En 1779 dans l’ouvrage OFFICES PROPRES DE L’ÉGLISE PAROISSIALE DE S. LEU-S. GILLES, A PARIS…, nous apprenons au sujet de la Messe Votive des SS. Anges Gardiens : « Le premier Mardi de chaque mois de l’année, on célèbre une Messe haute des SS. Anges Gardiens, avec Exposition & Procession du S. Sacrement avec la Messe. »

Cette messe votive est perpétuée de nos jours par les prêtres de Saint-Nicolas du Chardonnet : https://www.youtube.com/watch?v=XlLJKMMeHG8

La cérémonie d’intronisation dans le 9e Cercle de la Société Angélique, terminée, les deux poulies folles retrouvèrent leur poulie fixe en tête-à-tête dans un salon. Ce fut Hiéronymus Berlier qui le premier rompit le silence :

« - Mes Chers enfants, comme je suis heureux de vous retrouver en ce grand jour. Que de questions vous devez vous posez ! Un sentiment mêlé d’émotion et de fierté, vous étreint. J’ai connu ça moi-même il y a bien longtemps, mais on n’oublie jamais ! Patrick, je te revois, hier…, et aujourd’hui tu me sembles avoir rajeuni. Tu dois posséder toi aussi quelques secrets. Je plaisante rassure-toi. Un Berlier se doit de garder son sens de l’humour. Quant à toi Thierry, je te regarde et je revois mon vieil ami Anselme Rollat. Votre ascension dans la Société Angélique va se faire rapidement. Moi-même, je puis vous l’avouer, bien que je ne devrais pas, j’ai enchaîné les grades angéliques à la vitesse grand V. Déjà membre de quelques obédiences ou cénacles je ne pouvais qu’aller très vite. Les varlets que vous êtes aujourd’hui feront rapidement place au maître parpoli, un grade que toi Patrick tu apprécies tout particulièrement d’après ce que l’on a pu me dire.

« Rassurez-vous, vous aurez du temps pour parler mais permettez tout d’abord que je vous explique la situation… Je suis présentement parmi vous en 2020 pour votre initiation mais aussi pour assister Patrick et Ange dans une mission difficile. Puisque les Eldila du Cercle intérieur, suite à cette mission, requièrent ma présente à leur côté en l’année 2160… En ce qui te concerne Thierry, j’ai personnellement souhaité que tu intègres la Société Angélique. L’heure est venue de réveiller la Confrérie de Sainte-Catherine, puissante confrérie placée au Moyen Âge sous la haute protection de l’Ordre du Temple. Je te sais très en phase avec la présence toute templière de sainte Catherine dans le Pilat. Tu en seras si bien sûr, tu es d’accord, le Grand Maître de la confrérie. »

Les questions fusèrent. Patrick et Thierry brûlaient d’envie de connaître, de comprendre, de... Mais l’heure était comptée. Hiéronymus et Patrick quittèrent Thierry, l’illustre descendant d’Anselme l’imprimeur, tout juste promu Grand Maître de la Confrérie de Sainte-Catherine. Ange Berlier, ainsi que Paul Kane toujours-là, les attendaient dans un autre salon, il convenait de finaliser pour le lendemain un départ vers la Haute-Autriche. Le Cornillanais leur fournit toutes les instructions utiles pour le bon déroulement des opérations à Sankt-Florian. La journée supplémentaire du 26 novembre à Fourvière, ne serait pas de trop pour se familiariser au matériel emporté.  L’Opération Saint-Florian, telle était son nom, devait se dérouler durant la nuit du 27 au 28 novembre.

… 14h30 précises Hiéronymus, Patrick et Ange quittaient l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry à bord d’un Pilatus PC-12, avion d’affaires capable de se poser en catastrophe sur des pistes sommaires et très courtes, de terre ou d’herbe, contrairement aux jets d’affaires. Hiéronymus appréhendait son baptême de l’air, mais le Mage en avait connu de pires baptêmes !

Les 915 km à vol d’oiseau les séparant Lyon de Vienne la capitale autrichienne, furent effectués en un peu moins d’une heure quarante. Les trois passagers échangèrent sur la vie qui était la leur aux époques respectives qui les avaient vu naître. Hiéronymus s’octroya une petite sieste, pendant que Patrick et Ange s’arrêtaient une fois encore sur quelques documents.

 

L'abbaye Sankt-Florian

 

Fondée en 1071 par une communauté de chanoines réguliers de Saint Augustin, l’abbaye Sankt-Florian se découvre aujourd’hui dans sa reconstruction en style baroque, effectuée de 1686 à 1751 sous la direction de Carlo Antonio Carlone, puis de Jakob Prandtauer. Patrick se mit à rêver lorsqu’il découvrit que la bibliothèque contenait plus de 150 000 volumes, dont 952 incunables et 1000 manuscrits rédigés entre le IXe et le XVe siècle. Hiéronymus qui venait de sortir de sa sieste apprit aux deux cousins qu’il connaissait déjà les lieux et qu’il avait pu par le passé y admirer et étudier certains de ses manuscrits originaux.

Déjà l’avion se posait à Vienne. Le chauffeur de l’Angélique Viennoise, les invita à prendre place dans la Volvo. Il convenait tout d’abord de passer à l’antenne viennoise de la Société Angélique pour d’ultimes recommandations. Les organisateurs de l’Opération Saint-Florian avaient estimé que les trois membres du commando, afin de ne pas être repérés à leur arrivée à Sankt-Florian, devaient circuler en voiture. Quoi de plus courant qu’une Volvo en Autriche... Via l’autoroute A1, le trajet long de quelques 168 km n’excéda pas 1h50. Il faisait grand-nuit lorsqu’ils arrivèrent à proximité de l’abbaye.

Les affaires, bien que rondement menées, n’en furent pas moins animées. Les membres de l’opération, faisaient plaisir à voir. Hiéronymus qui avait troqué ses habits fin XVIe siècle pour une tenue camouflage du dernier cri, avait chaussé comme ses deux comparses, des lunettes de vision nocturne, infrarouge et numérique, compatibles avec le port de lunettes traditionnelles. Non, nos trois snippers n’allaient pas à la chasse au dahu, ni même à la recherche de terroristes. Patrick apparaissait dans ce trio, comme le scientifique. Armé d’un ordinateur potable, il lui incombait de neutraliser tous les systèmes de protection qu’ils rencontreraient dans cette partie de l’abbaye. Ange quant à lui, se devait de protéger leur avancée. Ils tomberaient sûrement sur quelques veilleurs de nuit. Il ne s’agissait pas de les envoyer de vie à trépas, mais de les neutraliser pour la nuit à l’aide d’un fusil hypodermique. Hiéronymus Berlier était lui aussi armé mais ses armes étaient d’une toute autre nature. Elles avaient fait leur preuve face aux Eldila noirs.

Bientôt le trio arriva aux portes de la bibliothèque. Patrick redoubla d’activité. L’ordinateur chauffé déjà par les quelques désactivations effectuées, sembla ramer quelque peu lorsqu’il fallut désactiver toutes les alarmes de la bibliothèque. Il en restait une mais il lui fallait localiser son emplacement. Par chance elle était proche du lieu où se trouvait le mystérieux livre de Lou Furo de Mouleyre. Hiéronymus commençait à ressentir les étranges vibrations émanant du livre. Il savait qu’il allait rapidement rentrer en action. Il se revêtit d’une tenue imperméable au rayonnement destructeur émanant du livre. Cette tenue était constituée de chaussures protectrices, d’une longue cape avec capuchon et d’un masque assez différent de celui qu’il avait dû porter à cause de la Covid-19.

Par une pression manuelle bien dosée sur la paroi en bois du mur de la bibliothèque, Ange ouvrit un passage secret dans lequel se trouvait le livre. Pendant que Hieronymus s’en emparait, avec protection de rigueur et quelques gestes secrets dont il avait le secret, trois hommes firent irruption dans la bibliothèque. Ange comprit de suite qu’il s’agissait de membres de la Société Angélique du diacre Nicolas, au service des Eldila noirs. En moins de temps qu’il fallait pour le dire, il sortit sa sulfateuse, dernier cri. Le premier Ange noir ayant accédé à la bibliothèque, fut rapidement renvoyé dans l’Hadès d’où il n’aurait jamais dû sortir. Le second très rapide se trouvait déjà face à Ange. Le détective privé du XXIIe siècle reconnut immédiatement l’homme qui lui faisait face, il s’agissait d’un contemporain répondant au nom d’Ange noir. Non cet Ange n’était pas un frère d’Ange Berlier mais plutôt son double inversé, l’insaisissable ennemi. Que de fois, il fut sur le point de le maîtriser et toujours ce dernier parvenait à disparaître.

Hiéronymus sortait du passage secret, son trophée à présent enfermé dans un sac protecteur. Mais voici que le troisième homme de la Confrérie du diacre Nicolas se jetait sur lui. Hiéronymus le reconnut de suite :

« - Draconus, comment n’ai-je pas pensé à toi ! Toujours au service des Forces Aveugles ? 

- Et toi vieil hibou, toujours au service de tes Eldila blancs ? Donne-moi le livre !

- Jamais, plutôt mourir !

- Si c’est ce que tu veux et sois bien tranquille, tu ne repartiras pas vivant d’ici ! »

Perdu entre un combat de Titans opposant deux vieux Mages pleins de ressources et deux guerriers du futur pétris d’hostilité l’un pour l’autre, Patrick fut soudain saisi de panique. Était-il vraiment à sa place ? Que devait-il faire ? Voici que retentit, entre deux puissants halètements de nature féline, la voix puissante de Hiénonymus :

« - Patrick, mon fils, prend le sac. Ne l’ouvre pas et va aussi vite que tu le peux vers la voiture où nous attend notre chauffeur. Pars… »

Ni une, ni deux, le Stéphanois quitta la bibliothèque sans se retourner. Il s’efforça d’ignorer les cadavres des veilleurs de nuit tués par les trois membres du cénacle adverse. La voiture était là, le souffle lui manquait :

« - Démarre, démarre…

- Et les deux autres on ne les attend pas ?

- Non démarre. »

Patrick raconta au chauffeur de la Société Angélique de Vienne le combat qui faisait rage à présent dans la bibliothèque. Arrivé à l’antenne viennoise de l’Angélique, Patrick remit le sac au Président du cénacle. Puis il fut conduit à sa chambre. Épuisé par l’émotion et par la fatigue, mais rongé d'angoisse en l'absence de nouvelles de ses amis, Patrick aurait bien du mal à s'endormir si le thé qui lui avait été offert à son arrivée n'avait été préalablement – et discrètement – chargé d'un somnifère naturel mais puissant.

Lorsqu’il se réveilla le lendemain matin, encore marqué par sa Nuit au musée, euh non, sa Nuit à la bibliothèque – encore que – il descendit prendre son petit déjeuner et surprise, Hiéronymus et Ange étaient là prenant paisiblement le leur.

« - Mes Amis, vous êtes là, vivants !

-  Oui pourquoi, tu en doutais ? Répondit Hiéronymus.

- Je l’espérais bien sûr ! Vous les avez vaincus !

- Il y a des adversaires contre qui le combat n’est pas gagné d’avance et Dieu sait que ce combat, par foi de Hiéronymus, était dantesque ! Nous n’avons pas vaincu mais avons réussi à les maîtriser assez de temps pour que tu puisses mettre à l’abri le précieux livre. Il est des ennemis que l’on retrouve toujours sur notre route, c’est notre destin, mais viendra le jour où leur mort sera au bout du chemin. »

Bien que n’ayant peu dormi, les trois agents Berlier furent conduits en lisère du Cercle intérieur de la Société Angélique. Les Eldila maîtres du temps et de l’espace, leur donnèrent leur passeport pour un jump vers le XXIIe siècle, au matin du 24 décembre 2060. Ainsi le sac et son contenu furent déposés par Hiéronymus dans les caves du Manoir de Robert Kane. Une lutte sans merci allait à présent se mettre en place entre les Eldila blancs et les Eldila noirs ou Chevaliers aveugles, une lutte à laquelle Patrick et Ange ne participeraient pas.

Mais pour l’heure les trois Compagnons Berlier allaient prendre un repos bien mérité. Le soir les trois amis furent invités à réveillonner à la Taverne Berlier. Autour de la table, se trouvaient, outre les trois membres du Commando Berlier, le restaurateur Séraphin Berlier, le Maître du Manoir Robert Kane et, surprise, l’ancêtre de ce dernier, Paul Kane !

Hiéronymus, l’homme aux mille souvenirs, leur raconta soudain la rencontre qu’il fit au XVIIIe siècle avec le premier des Kane en France et ses deux collaborateurs, les frères Fur installés à Furan…

Patrick était aux anges, il aurait aimé que Thierry fût présent, ainsi qu’il le fit savoir à ses amis. Hiéronymus, qui détenait assurément quelque don de voyance, lui affirma que Thierry, à présent Grand Maître de la Confrérie de Sainte-Catherine, prendrait part dans l’avenir – dans son avenir – (voire dans son passé) à d’autres aventures.

Le repas concocté par Séraphin Berlier fut un régal. La Taverne Berlier n’avait assurément pas usurpé ses trois étoiles répertoriées au Guide Gargantua… 

Pour Patrick, le retour était prévu pour demain dans l’après-midi, mais notre Stéphanois, sollicita une requête, un souvenir… Il souhaitait ramener à son époque une photo de la mer au pied des montagnes du Pilat. Les deux frères n’y auraient vu aucun inconvénient. Ange ou Séraphin aurait pris la photo. Le problème est qu’il avait neigé abondamment ces derniers jours, la mer était agitée et il n’était guère prudent de se rendre sur les lieux. Patrick paraissait quelque peu déçu lorsque soudain, Séraphin s’écria :

 « - Je possède une photo de ces montagnes baignées par les eaux de la Mer du Forez. Les montagnes ne sont pas enneigées comme elles le sont en cette période de Noël, car la photo a été prise en été, mais si tu la veux, je te la donne.

- Un peu que je la veux… Oh merci Séraphin, elle est magnifique. Le Pic des Trois Dents se mirant dans l’eau… fantastique ! Tu es doué.

- Eh l’ami je ne suis pas un Berlier pour rien ! Tiens Patrick, trinquons aux Berlier ! Vous êtes d’accord Maître Hiéronymus ?

- Oui mon fils, je suis d’accord, à condition que nos amis Paul et Robert Kane le soient aussi ? … à la bonne heure ! : ‘’À la santé des Berlier… et à la santé des Kane’’ ! Et Joyeux Noël à tous...

 

Le Pic des Trois Dents se mirant dans l'eau




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