CAPITALE DES
WISIGOTHS Au sud de Carcassonne, les
premières collines des
Corbières forment une région d'une sauvage beauté,
le Razès. L'Aude, qui arrose
les bourgades d'Espéraza et de Couiza, reçoit ici les
eaux de la Sals, la
rivière qui traverse la petite station thermale de
Rennes-les-Bains. Dominant tout ce
paysage, le village de
Rennes-le-Château étire ses maisons au sommet d'une
colline offrant un panorama
exceptionnel sur la campagne environnante, jusqu'à la montagne
mythique du Pech
de Bugarach. Mais si ce village attire chaque année plusieurs
milliers de
visiteurs, ce n'est pas pour son paysage. C'est à cause d'un
mystère, celui de
son curé, l'abbé Bérenger Saunière,
nommé ici en 1885, et qui au cours des
années qui sont suivi, jusqu'à son décès en
1917, dépensa des sommes
considérables, dont l'origine n'est toujours pas établie.
Cent ans après la
mort du prêtre, l'énigme soigneusement entretenue assure
encore la célébrité
touristique de Rennes-le-Château. Mais pour ce nouveau dossier,
nous allons
reléguer au second plan l'affaire de l'abbé
Saunière, pour nous plonger dans
une histoire beaucoup plus ancienne, celle des Wisigoths qui firent de
ce piton
l'une de leurs capitales.
Le
village actuel de Rennes-le-Château, vu de Montazels Lorsque les Romains
occupèrent la Gaule vers l'an
50 avant Jésus-Christ, il lui imposèrent de vivre en
paix. Paix intérieure, car
les combats entre tribus gauloises ne furent plus
tolérés, et paix extérieure
car les frontières furent rendues imperméable à
toute invasion. Cette paix dura
un peu plus de quatre siècles. Cependant, à partir des IIIe
- IVe
siècles, l'Empire romain d'Occident, vieillissant et affaibli,
n'avait déjà
plus la puissance nécessaire pour assurer sa protection. Des
peuples barbares venus
du nord et de l'est de l'Europe multiplièrent les incursions,
d'abord timides
et isolées ; la Gaule était encore à l'abri.
Puis les Barbares se mirent à
déferler en masse sur l'Europe. Par vagues successives, Francs,
Burgondes,
Wisigoths et Ostrogoths se partagèrent le territoire. Le mot barbare a changé
de sens au cours des
siècles. À l'époque, il désignait seulement
des peuples ne parlant pas le
latin. Ces barbares étaient donc beaucoup plus civilisés
que leur nom peut le
laisser supposer aujourd'hui. Burgondes et Wisigoths étaient
même chrétiens, se
prévalant certes de l'arianisme, mais chrétiens. De fait,
ils se comportèrent
avec bienveillance envers le clergé, favorisant le
développement du
christianisme en facilitant la construction des premières
abbayes. Les
Wisigoths possédaient une grande culture dans les domaines de
l'architecture et
des arts, avec un style qui leur était propre. En 410 le roi des
Wisigoths Alaric Ier
fondit sur Rome et mit la ville à sac. À cette occasion,
il fit main basse sur
le trésor du Temple de Jérusalem que l'empereur Titus
avait rapporté de
Palestine lors de sa campagne de l'an 70. Son arc de triomphe montre en
particulier la Ménora, le chandelier à sept branches,
convoyé par ses troupes. La
Ménora rapportée par les légionnaires romains Toutes ces richesses furent
donc accaparées par
Alaric, qui en fit son trésor de guerre. Hélas pour lui,
elles ne lui portèrent
pas bonheur. Terrassé par de fortes fièvres, il mourut
peu de temps après. La légende
raconte qu'il fut enterré dans le lit du fleuve Busentin, en
Calabre, que des
centaines d'esclaves avaient détourné de son cours. Une
fois le roi inhumé, le
fleuve fut rendu à son cours normal, et ses eaux vinrent
recouvrir à jamais la
tombe d'Alaric, enterré dit-on avec tous ses trésors. Son beau-frère Athaulf
lui succéda. Il revint
immédiatement vers la Gaule. Une autre légende dit que
c'est lui qui rapporta
les richesses d'Alaric, et qu'il les cacha quelque part en Septimanie,
l'actuel
Languedoc-Roussillon. Le territoire de la Gaule était alors
partagé entre les
Francs qui occupaient les régions du nord, les Burgondes dans le
bassin de la
Saône et du Rhône, les Ostrogoths dans le sud-est de la
Provence, et les
Wisigoths venus d'Espagne qui occupaient tout le reste du pays,
c'est-à-dire sa
majeure partie. Cette situation ne dura qu'un
temps ; les
Francs annexèrent rapidement le territoire des Wisigoths. En 511
celui-ci se
réduisait à la Septimanie. Rennes-le-Château devint
la capitale, ou l'une des
capitales, de ce royaume, avec pour nom Rhedæ, ce qui peut se
traduire par
« la cité des chariots ». On a de la peine
à l'imaginer aujourd'hui,
quand on voit ce village un peu perdu, composé au plus d'une
vingtaine de
maisons, serrées autour du château et de l'église.
En fait, l'ancienne ville
occupait tout le plateau, d'environ 1500 m de long pour 1000 m de
large, situé
à l'ouest et au sud de Rennes-le-Château. Il est
bordé par les falaises des
Bals, dominant la profonde vallée du ruisseau de Couleurs qui
rompt brutalement
son uniformité. La partie haute de ce site constituait l'ultime
refuge en cas
d'attaque. Puis au cours des siècles la ville basse disparut
totalement,
l'occupation se réduisant alors à cette cité
haute, le village actuel. Une
coupe de terrain sud-ouest – nord-est permet de s'en faire une
première idée. Coupe
de terrain schématique On imagine mal une ville
entière disparaître sans
laisser de traces. En fait c'est possible si les maisons
n'étaient que des
masures en bois, sans fondations. Délaissée par ses
habitants, pour une raison
ou pour une autre, elle a pu disparaître en quelques
décennies, et la nature
reprit ses droits. Seuls les chemins, sentiers, et limites de terres,
en ont
conservé le tracé ; quelques murettes aussi. Le
village actuel occupe la
position haute du secteur, dominant abruptement de 300 m la
vallée de la Sals
au nord-est, et en pente douce de 100 m seulement la partie la plus
basse du
plateau, qui s'étale en éventail jusqu'aux falaises des
Bals qui le bordent au
sud-ouest. Mais c'est surtout la photo satellite qui, même si
elle gomme les
reliefs, va nous être d'un grand secours pour tenter de restituer
les contours
des murailles, ou des palissades, qui devaient entourer l'ensemble du
site. Le
plateau de Rennes-le-Château vu de satellite Venant d'Espéraza à
l'ouest, un chemin nettement
marqué pénètre sur le plateau par une
échancrure dans les falaises, et monte
doucement vers le village. C'est précisément ce chemin
qui fournit le premier
indice dans la recherche de la cité de Rhedæ. On remarque
en effet que sitôt
l'échancrure franchie, alors qu'il s'engage sur une surface
plane, son tracé
s'infléchit dans un virage en lacet. Or ce lacet ne s'explique
absolument pas
par les nécessités de la topographie : le chemin
pourrait aussi bien aller
quasiment tout droit, comme il le fait ensuite. La seule explication
est que le
chemin franchissait jadis à ce niveau-là une chicane, un
élément de défense
entre deux portes. Ce qui va nous permettre de tenter de dessiner les
contours
de l'ancienne capitale wisigothique. Essai
de restitution des enceintes de la capitale wisigothique On peut aisément imaginer
qu'une enceinte
extérieure suivait le tracé des défenses
naturelles : la ligne de crête au
nord, les falaises des Bals à l'ouest et au sud. Une enceinte
intérieure
constituait semble-t-il une seconde ligne de défense. Enfin une
troisième
enceinte entourait la cité haute avec son église et son
château, correspondant
au village actuel sur son piton, d'où la vue portait sur
l'ensemble du plateau.
Le seul accès était le chemin montant d'Espéraza,
à qui était donc imposé une
chicane défensive pour franchir les portes des deux enceintes
successives.
C'est pour cette raison que le chemin continue, dix-sept siècles
plus tard, de
suivre ce lacet inexplicable. Le
plateau vu de Rennes-le-Château. Le plan du village actuel permet
de retrouver
facilement les contours de la cité haute. Celle-ci avait la
forme d'une ellipse
épousant le contour du terrain, en talus abrupt au nord, un peu
moins marqué
sur les autres côtés. La porte, logiquement située
à l'est, le côté le moins
escarpé, était protégée par une barbacane,
laquelle a été préservée et
contournée
par la route actuelle. Plan
supposé de la cité de Rhedae En 1986, les terrains
situés en contrebas du
village, au sud, furent laissés en jachère. Les terres
mises à nu pouvaient
alors révéler, par photographie aérienne, les
tracés de l'ancienne ville. Alain
Sipra, un ingénieur en aéronautique militaire
passionné par l'énigme, et
persuadé que Rennes-le-Château était bien une
ancienne métropole des Wisigoths,
eut l'opportunité de faire réaliser des photos
aériennes. Il le raconte dans
son livre La Cité du Chariot. Vue d'avion, la terre
Castel-rennaise
révélait les contours d'un mausolée
caractéristique de l'époque wisigothique,
long d'une centaine de mètres et large de cinquante.
Malheureusement, l'auteur
n'a pas réussi à obtenir que des fouilles fussent
menées sur le terrain. Les
photos satellites actuelles ne permettent plus de retrouver le
mausolée. Sur le
plateau, il reste des éboulis, quelques pans de murs, et deux
anciens moulins,
dont l'un est situé à la pointe sud-est des falaises des
Bals. Il n'est pas
interdit d'imaginer que ce moulin, en raison de son emplacement en un
point
stratégique de défense, ait utilisé les bases
d'une vieille tour wisigothique. Ancien
moulin en bordure de la falaise, vu de Rennes-le-Château Le seul élément
encore tangible, quoique remanié
à plusieurs reprises au cours des siècles, est bien
l'église de
Rennes-le-Château, celle-là même dont l'abbé
Saunière fut le dernier maître
d'œuvre. Alain Sipra a démontré dans sa brochure L'architecture
insolite de
l'église de Rennes-le-Château que cet édifice
fut à l'origine une église
wisigothique dans toute la pureté du style. Une nef
rectangulaire, sans
transept, était prolongée par une abside unique, de plan
quasiment circulaire,
un détail caractéristique de l'architecture des
Wisigoths. Puis à une époque
indéterminée des travaux vinrent modifier
considérablement cette organisation.
La porte qui s'ouvrait à l'ouest fut murée, et une
nouvelle porte fut ouverte
au sud, toujours utilisée aujourd'hui. Les murs furent
renforcés à l'intérieur
par des contreforts, et le mur nord, le plus exposé aux
intempéries, fut doublé
en épaisseur. L'abside fut réduite à un plan en
demi-cercle et fermée par un
mur de refends pour servir de sacristie, l'église se composant
alors d'une nef
prolongée par un court chœur rectangulaire
gagné sur l'ancienne abside. C'est
dans cet état que
l'abbé Saunière trouva l'église de
Rennes-le-Château. Il abattit le mur de
refends pour retrouver l'abside en cul-de-four, et
déplaça la limite entre la
nef et le chœur pour agrandir celui-ci. Les
modifications successives de l'église, d'après Alain Sipra Contre ce mur de refends au
fond de l'église, se
trouvait un vieil autel de style « dit »
wisigothique, composé d'une
table en pierre encastrée à l’arrière dans le mur
et soutenue à l’avant par
deux piliers monolithiques, l'un brut et l’autre décoré.
Cette configuration rappelle
celle des deux autels anciens que l’on peut voir encore, non loin de
là, dans
l'église de Saint-Polycarpe, près de Limoux.
L'abbé Saunière fit soulever la
table d'autel et découvrit une petite cavité à
l'intérieur du pilier sculpté.
C'était une pratique très courante que de déposer
dans ce type de cache, nommée capsa en latin, des
reliques, documents ou ex-voto, lors
de la
consécration d’une église. Cet autel primitif devait
ressembler à ceci : Reconstitution de
l'autel primitif de l'église de Rennes-le-Château, Le prêtre
récupéra le pilier sculpté et s'en
servit comme l'élément central d'un socle destiné
à supporter une statue de la
Vierge de Lourdes, dans le jardin de l'église. Mais curieusement
il le plaça à
l’envers, tête en bas. Il y ajouta un cartouche gravé
portant la mention
MISSION 1891. Classé Monument historique depuis le 5 novembre
1954, ce pilier
de 75 cm de haut, est de section presque carrée de 40 cm sur 39
cm ; il
est sculpté sur trois côtés. Le
« pilier wisigothique » Mais le pilier exposé
aujourd'hui dans le jardin
est en fait une copie conforme, l'original ayant été mis
à l’abri en 1996 dans
l’ancien presbytère devenu un musée, où il est
toujours visible. Il offre
l'avantage d'être exposé dans le bon sens, ce qui permet
de mieux apprécier sa
décoration. La partie centrale représente une croix
légèrement pattée, dont les
branches sont garnies de perles. Les lettres grecques Alpha et Oméga
semblent suspendues comme des pendeloques de part et d’autre de la
branche
supérieure de la croix, une caractéristique que l'on
retrouve à
Saint-Polycarpe. Autel de
Saint-Polycarpe soutenu par un pilier dit
wisigothique L'origine wisigothique du
pilier de
Rennes-le-Château, comme des autels de Saint-Polycarpe, reste
hélas à prouver.
J'ai longuement expliqué dans l'ABC de RLC quels
éléments permettent de
les rattacher plutôt à l'art carolingien. La
présence de l'Alpha et Oméga
ne cadre pas avec la doctrine de l'arianisme à laquelle
adhéraient les Wisigoths.
Pour eux, puisque Jésus n'était pas Dieu, il ne pouvait
pas être l'Alpha
et l'Oméga, le début et la fin, comme l'affirme
l'Église catholique. Il
n'empêche que les Wisigoths ont bien occupé la
région, où les légendes
affirment qu'ils y ont caché leurs fabuleuses richesses. Alors la théorie
du trésor des Wisigoths a encore
de beaux jours devant elle. La Ménora, l'Arche d'Alliance,
seraient donc encore
cachées quelque part dans le Razès ? L'idée a
eu ses défenseurs, puis
d'autres hypothèses ont vu le jour, poussées par quelques
écrivains en mal de
sensationnel. Cependant il est un auteur et chercheur qui continue
à défendre
la thèse du trésor, c'est Franck Daffos. Dans son dernier
livre Le trésor
qui rend fou, il revient sur l'affaire du Pech d'en Couty qui avait
défrayé
la chronique au cours de l'été 2011, et avait même
valu un sujet dans le
journal de 20 h sur TF1. Les gendarmes s'étaient
déplacés pour sécuriser le
terrain et empêcher les chercheurs de tout poil d'accéder
à la prétendue cache
du trésor de Rennes-le-Château, dont la localisation avait
été révélée sur
Internet par Michel Vallet. L'affaire du
trésor a fait les titres des journaux en
juillet 2011 Bien évidemment, il n'y
a sans doute rien au fond
de la chatière s'ouvrant dans un roc au flanc de la colline,
à l'altitude de
618 m, et dans laquelle certains ont tenté de s'aventurer en
vain. Franck
Daffos explique dans son livre : « Sachant que
l'altitude du Pech
d'en Couty est de 674 m, que son point bas, sur la Sals, est à
539 m, un
troisième point intermédiaire à 618 m permettait
donc de composer une
triangulation ayant pour but de nous projeter bien plus loin. » Le Pech d'en Couty ne serait
donc qu'une balise,
un repère, l'élément d'un jeu de piste. On n'en
saura pas plus pour l'instant,
et cela se comprend aisément. Néanmoins, à propos
de triangulation, il va être
intéressant, pour conclure, de faire le point sur le
célèbre tableau de Nicolas
Poussin, Les bergers d'Arcadie, qui serait l'une des
clés permettant de
découvrir le trésor des Wisigoths. Il semble aujourd'hui
bien établi que les
trois montagnes composant l'arrière-plan du tableau sont en
réalité les trois
sommets emblématiques du Razès : le Pech Cardou, le
château du Bézu, et la
Pique Grosse du Pech de Bugarach. Ces trois sommets dessinent un
triangle, de 6
km environ pour ses deux petits côtés, et de 8,5 km
environ pour son côté le
plus grand. Trois points dessinent toujours un triangle, mais la nature
a voulu
que ce triangle-là soit, à un poil près, rectangle
et isocèle, ce qui est déjà
plus singulier. Aussi le site Internet Rennes-le-Château
archives de
Jean-Pierre Garcia n'hésite pas à le qualifier de
« triangle d'or du
Razès ». Le triangle d'or
du Razès L'affaire de
Rennes-le-Château et son
hypothétique trésor des Wisigoths n'ont donc pas fini
d'exciter les
imaginations. |