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Rubrique
Rennes-le-Château

Mars 2017













Par
Patrick Berlier



RENNES-LE-CHÂTEAU

CAPITALE DES WISIGOTHS

 

Au sud de Carcassonne, les premières collines des Corbières forment une région d'une sauvage beauté, le Razès. L'Aude, qui arrose les bourgades d'Espéraza et de Couiza, reçoit ici les eaux de la Sals, la rivière qui traverse la petite station thermale de Rennes-les-Bains.  Dominant tout ce paysage, le village de Rennes-le-Château étire ses maisons au sommet d'une colline offrant un panorama exceptionnel sur la campagne environnante, jusqu'à la montagne mythique du Pech de Bugarach. Mais si ce village attire chaque année plusieurs milliers de visiteurs, ce n'est pas pour son paysage. C'est à cause d'un mystère, celui de son curé, l'abbé Bérenger Saunière, nommé ici en 1885, et qui au cours des années qui sont suivi, jusqu'à son décès en 1917, dépensa des sommes considérables, dont l'origine n'est toujours pas établie. Cent ans après la mort du prêtre, l'énigme soigneusement entretenue assure encore la célébrité touristique de Rennes-le-Château. Mais pour ce nouveau dossier, nous allons reléguer au second plan l'affaire de l'abbé Saunière, pour nous plonger dans une histoire beaucoup plus ancienne, celle des Wisigoths qui firent de ce piton l'une de leurs capitales.

 

Le village actuel de Rennes-le-Château, vu de Montazels

 

Lorsque les Romains occupèrent la Gaule vers l'an 50 avant Jésus-Christ, il lui imposèrent de vivre en paix. Paix intérieure, car les combats entre tribus gauloises ne furent plus tolérés, et paix extérieure car les frontières furent rendues imperméable à toute invasion. Cette paix dura un peu plus de quatre siècles. Cependant, à partir des IIIe - IVe siècles, l'Empire romain d'Occident, vieillissant et affaibli, n'avait déjà plus la puissance nécessaire pour assurer sa protection. Des peuples barbares venus du nord et de l'est de l'Europe multiplièrent les incursions, d'abord timides et isolées ; la Gaule était encore à l'abri. Puis les Barbares se mirent à déferler en masse sur l'Europe. Par vagues successives, Francs, Burgondes, Wisigoths et Ostrogoths se partagèrent le territoire.

Le mot barbare a changé de sens au cours des siècles. À l'époque, il désignait seulement des peuples ne parlant pas le latin. Ces barbares étaient donc beaucoup plus civilisés que leur nom peut le laisser supposer aujourd'hui. Burgondes et Wisigoths étaient même chrétiens, se prévalant certes de l'arianisme, mais chrétiens. De fait, ils se comportèrent avec bienveillance envers le clergé, favorisant le développement du christianisme en facilitant la construction des premières abbayes. Les Wisigoths possédaient une grande culture dans les domaines de l'architecture et des arts, avec un style qui leur était propre.

En 410 le roi des Wisigoths Alaric Ier fondit sur Rome et mit la ville à sac. À cette occasion, il fit main basse sur le trésor du Temple de Jérusalem que l'empereur Titus avait rapporté de Palestine lors de sa campagne de l'an 70. Son arc de triomphe montre en particulier la Ménora, le chandelier à sept branches, convoyé par ses troupes.

 

La Ménora rapportée par les légionnaires romains
(arc de triomphe de Titus)

 

Toutes ces richesses furent donc accaparées par Alaric, qui en fit son trésor de guerre. Hélas pour lui, elles ne lui portèrent pas bonheur. Terrassé par de fortes fièvres, il mourut peu de temps après. La légende raconte qu'il fut enterré dans le lit du fleuve Busentin, en Calabre, que des centaines d'esclaves avaient détourné de son cours. Une fois le roi inhumé, le fleuve fut rendu à son cours normal, et ses eaux vinrent recouvrir à jamais la tombe d'Alaric, enterré dit-on avec tous ses trésors.

Son beau-frère Athaulf lui succéda. Il revint immédiatement vers la Gaule. Une autre légende dit que c'est lui qui rapporta les richesses d'Alaric, et qu'il les cacha quelque part en Septimanie, l'actuel Languedoc-Roussillon. Le territoire de la Gaule était alors partagé entre les Francs qui occupaient les régions du nord, les Burgondes dans le bassin de la Saône et du Rhône, les Ostrogoths dans le sud-est de la Provence, et les Wisigoths venus d'Espagne qui occupaient tout le reste du pays, c'est-à-dire sa majeure partie.

Cette situation ne dura qu'un temps ; les Francs annexèrent rapidement le territoire des Wisigoths. En 511 celui-ci se réduisait à la Septimanie. Rennes-le-Château devint la capitale, ou l'une des capitales, de ce royaume, avec pour nom Rhedæ, ce qui peut se traduire par « la cité des chariots ». On a de la peine à l'imaginer aujourd'hui, quand on voit ce village un peu perdu, composé au plus d'une vingtaine de maisons, serrées autour du château et de l'église. En fait, l'ancienne ville occupait tout le plateau, d'environ 1500 m de long pour 1000 m de large, situé à l'ouest et au sud de Rennes-le-Château. Il est bordé par les falaises des Bals, dominant la profonde vallée du ruisseau de Couleurs qui rompt brutalement son uniformité. La partie haute de ce site constituait l'ultime refuge en cas d'attaque. Puis au cours des siècles la ville basse disparut totalement, l'occupation se réduisant alors à cette cité haute, le village actuel. Une coupe de terrain sud-ouest – nord-est permet de s'en faire une première idée.

 

Coupe de terrain schématique

 

On imagine mal une ville entière disparaître sans laisser de traces. En fait c'est possible si les maisons n'étaient que des masures en bois, sans fondations. Délaissée par ses habitants, pour une raison ou pour une autre, elle a pu disparaître en quelques décennies, et la nature reprit ses droits. Seuls les chemins, sentiers, et limites de terres, en ont conservé le tracé ; quelques murettes aussi. Le village actuel occupe la position haute du secteur, dominant abruptement de 300 m la vallée de la Sals au nord-est, et en pente douce de 100 m seulement la partie la plus basse du plateau, qui s'étale en éventail jusqu'aux falaises des Bals qui le bordent au sud-ouest. Mais c'est surtout la photo satellite qui, même si elle gomme les reliefs, va nous être d'un grand secours pour tenter de restituer les contours des murailles, ou des palissades, qui devaient entourer l'ensemble du site.

 

Le plateau de Rennes-le-Château vu de satellite
(image Google earth)

 

Venant d'Espéraza à l'ouest, un chemin nettement marqué pénètre sur le plateau par une échancrure dans les falaises, et monte doucement vers le village. C'est précisément ce chemin qui fournit le premier indice dans la recherche de la cité de Rhedæ. On remarque en effet que sitôt l'échancrure franchie, alors qu'il s'engage sur une surface plane, son tracé s'infléchit dans un virage en lacet. Or ce lacet ne s'explique absolument pas par les nécessités de la topographie : le chemin pourrait aussi bien aller quasiment tout droit, comme il le fait ensuite. La seule explication est que le chemin franchissait jadis à ce niveau-là une chicane, un élément de défense entre deux portes. Ce qui va nous permettre de tenter de dessiner les contours de l'ancienne capitale wisigothique.

 

Essai de restitution des enceintes de la capitale wisigothique
(image Google earth)

 

On peut aisément imaginer qu'une enceinte extérieure suivait le tracé des défenses naturelles : la ligne de crête au nord, les falaises des Bals à l'ouest et au sud. Une enceinte intérieure constituait semble-t-il une seconde ligne de défense. Enfin une troisième enceinte entourait la cité haute avec son église et son château, correspondant au village actuel sur son piton, d'où la vue portait sur l'ensemble du plateau. Le seul accès était le chemin montant d'Espéraza, à qui était donc imposé une chicane défensive pour franchir les portes des deux enceintes successives. C'est pour cette raison que le chemin continue, dix-sept siècles plus tard, de suivre ce lacet inexplicable.

 

Le plateau vu de Rennes-le-Château.
Remarquer le lacet suivi par le chemin d'Espéraza

 

Le plan du village actuel permet de retrouver facilement les contours de la cité haute. Celle-ci avait la forme d'une ellipse épousant le contour du terrain, en talus abrupt au nord, un peu moins marqué sur les autres côtés. La porte, logiquement située à l'est, le côté le moins escarpé, était protégée par une barbacane, laquelle a été préservée et contournée par la route actuelle.

 

Plan supposé de la cité de Rhedae

 

En 1986, les terrains situés en contrebas du village, au sud, furent laissés en jachère. Les terres mises à nu pouvaient alors révéler, par photographie aérienne, les tracés de l'ancienne ville. Alain Sipra, un ingénieur en aéronautique militaire passionné par l'énigme, et persuadé que Rennes-le-Château était bien une ancienne métropole des Wisigoths, eut l'opportunité de faire réaliser des photos aériennes. Il le raconte dans son livre La Cité du Chariot. Vue d'avion, la terre Castel-rennaise révélait les contours d'un mausolée caractéristique de l'époque wisigothique, long d'une centaine de mètres et large de cinquante. Malheureusement, l'auteur n'a pas réussi à obtenir que des fouilles fussent menées sur le terrain. Les photos satellites actuelles ne permettent plus de retrouver le mausolée. Sur le plateau, il reste des éboulis, quelques pans de murs, et deux anciens moulins, dont l'un est situé à la pointe sud-est des falaises des Bals. Il n'est pas interdit d'imaginer que ce moulin, en raison de son emplacement en un point stratégique de défense, ait utilisé les bases d'une vieille tour wisigothique.

 

Ancien moulin en bordure de la falaise, vu de Rennes-le-Château

 

Le seul élément encore tangible, quoique remanié à plusieurs reprises au cours des siècles, est bien l'église de Rennes-le-Château, celle-là même dont l'abbé Saunière fut le dernier maître d'œuvre. Alain Sipra a démontré dans sa brochure L'architecture insolite de l'église de Rennes-le-Château que cet édifice fut à l'origine une église wisigothique dans toute la pureté du style. Une nef rectangulaire, sans transept, était prolongée par une abside unique, de plan quasiment circulaire, un détail caractéristique de l'architecture des Wisigoths. Puis à une époque indéterminée des travaux vinrent modifier considérablement cette organisation. La porte qui s'ouvrait à l'ouest fut murée, et une nouvelle porte fut ouverte au sud, toujours utilisée aujourd'hui. Les murs furent renforcés à l'intérieur par des contreforts, et le mur nord, le plus exposé aux intempéries, fut doublé en épaisseur. L'abside fut réduite à un plan en demi-cercle et fermée par un mur de refends pour servir de sacristie, l'église se composant alors d'une nef prolongée par un court chœur  rectangulaire gagné sur l'ancienne abside. C'est dans cet état que l'abbé Saunière trouva l'église de Rennes-le-Château. Il abattit le mur de refends pour retrouver l'abside en cul-de-four, et déplaça la limite entre la nef et le chœur pour agrandir celui-ci.

 

Les modifications successives de l'église, d'après Alain Sipra
1 – l'église wisigothique
2 – l'église telle que la trouva l'abbé Saunière
3 – l'église modifiée par l'abbé Saunière
(N = nef, A = abside, S = sacristie)

 

Contre ce mur de refends au fond de l'église, se trouvait un vieil autel de style « dit » wisigothique, composé d'une table en pierre encastrée à l’arrière dans le mur et soutenue à l’avant par deux piliers monolithiques, l'un brut et l’autre décoré. Cette configuration rappelle celle des deux autels anciens que l’on peut voir encore, non loin de là, dans l'église de Saint-Polycarpe, près de Limoux. L'abbé Saunière fit soulever la table d'autel et découvrit une petite cavité à l'intérieur du pilier sculpté. C'était une pratique très courante que de déposer dans ce type de cache, nommée capsa en latin, des reliques, documents ou ex-voto, lors de la consécration d’une église. Cet autel primitif devait ressembler à ceci :

 

Reconstitution de l'autel primitif de l'église de Rennes-le-Château,
tel que le découvrit l'abbé Saunière en 1885

 

Le prêtre récupéra le pilier sculpté et s'en servit comme l'élément central d'un socle destiné à supporter une statue de la Vierge de Lourdes, dans le jardin de l'église. Mais curieusement il le plaça à l’envers, tête en bas. Il y ajouta un cartouche gravé portant la mention MISSION 1891. Classé Monument historique depuis le 5 novembre 1954, ce pilier de 75 cm de haut, est de section presque carrée de 40 cm sur 39 cm ; il est sculpté sur trois côtés.

 

Le « pilier wisigothique »

 

Mais le pilier exposé aujourd'hui dans le jardin est en fait une copie conforme, l'original ayant été mis à l’abri en 1996 dans l’ancien presbytère devenu un musée, où il est toujours visible. Il offre l'avantage d'être exposé dans le bon sens, ce qui permet de mieux apprécier sa décoration. La partie centrale représente une croix légèrement pattée, dont les branches sont garnies de perles. Les lettres grecques Alpha et Oméga semblent suspendues comme des pendeloques de part et d’autre de la branche supérieure de la croix, une caractéristique que l'on retrouve à Saint-Polycarpe.

 

Autel de Saint-Polycarpe soutenu par un pilier dit wisigothique

 

L'origine wisigothique du pilier de Rennes-le-Château, comme des autels de Saint-Polycarpe, reste hélas à prouver. J'ai longuement expliqué dans l'ABC de RLC quels éléments permettent de les rattacher plutôt à l'art carolingien. La présence de l'Alpha et Oméga ne cadre pas avec la doctrine de l'arianisme à laquelle adhéraient les Wisigoths. Pour eux, puisque Jésus n'était pas Dieu, il ne pouvait pas être l'Alpha et l'Oméga, le début et la fin, comme l'affirme l'Église catholique. Il n'empêche que les Wisigoths ont bien occupé la région, où les légendes affirment qu'ils y ont caché leurs fabuleuses richesses.

Alors la théorie du trésor des Wisigoths a encore de beaux jours devant elle. La Ménora, l'Arche d'Alliance, seraient donc encore cachées quelque part dans le Razès ? L'idée a eu ses défenseurs, puis d'autres hypothèses ont vu le jour, poussées par quelques écrivains en mal de sensationnel. Cependant il est un auteur et chercheur qui continue à défendre la thèse du trésor, c'est Franck Daffos. Dans son dernier livre Le trésor qui rend fou, il revient sur l'affaire du Pech d'en Couty qui avait défrayé la chronique au cours de l'été 2011, et avait même valu un sujet dans le journal de 20 h sur TF1. Les gendarmes s'étaient déplacés pour sécuriser le terrain et empêcher les chercheurs de tout poil d'accéder à la prétendue cache du trésor de Rennes-le-Château, dont la localisation avait été révélée sur Internet par Michel Vallet.

 

L'affaire du trésor a fait les titres des journaux en juillet 2011

 

Bien évidemment, il n'y a sans doute rien au fond de la chatière s'ouvrant dans un roc au flanc de la colline, à l'altitude de 618 m, et dans laquelle certains ont tenté de s'aventurer en vain. Franck Daffos explique dans son livre : « Sachant que l'altitude du Pech d'en Couty est de 674 m, que son point bas, sur la Sals, est à 539 m, un troisième point intermédiaire à 618 m permettait donc de composer une triangulation ayant pour but de nous projeter bien plus loin. »

Le Pech d'en Couty ne serait donc qu'une balise, un repère, l'élément d'un jeu de piste. On n'en saura pas plus pour l'instant, et cela se comprend aisément. Néanmoins, à propos de triangulation, il va être intéressant, pour conclure, de faire le point sur le célèbre tableau de Nicolas Poussin, Les bergers d'Arcadie, qui serait l'une des clés permettant de découvrir le trésor des Wisigoths. Il semble aujourd'hui bien établi que les trois montagnes composant l'arrière-plan du tableau sont en réalité les trois sommets emblématiques du Razès : le Pech Cardou, le château du Bézu, et la Pique Grosse du Pech de Bugarach. Ces trois sommets dessinent un triangle, de 6 km environ pour ses deux petits côtés, et de 8,5 km environ pour son côté le plus grand. Trois points dessinent toujours un triangle, mais la nature a voulu que ce triangle-là soit, à un poil près, rectangle et isocèle, ce qui est déjà plus singulier. Aussi le site Internet Rennes-le-Château archives de Jean-Pierre Garcia n'hésite pas à le qualifier de « triangle d'or du Razès ».

 

Le triangle d'or du Razès

 

L'affaire de Rennes-le-Château et son hypothétique trésor des Wisigoths n'ont donc pas fini d'exciter les imaginations.



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