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RUBRIQUE
Rennes les Bains

Septembre 2020










Par
Patrick Berlier



L'ABBÉ HENRI BOUDET

 ET LA VRAIE LANGUE CELTIQUE

 

À une quarantaine de kilomètres au sud de Carcassonne, Rennes-les-Bains (Aude) est une petite station thermale située au creux de la verdoyante vallée de la Sals. Ses sources étaient déjà appréciées des Romains, qui y installèrent des thermes dont les vestiges sont encore visibles. La station connut son heure de gloire à la Belle Époque. Le thermalisme était alors à la mode, et pour la bourgeoisie de Narbonne ou Carcassonne, il était de bon ton d'aller chaque année passer quelques jours « aux eaux », sous le prétexte de soigner ses rhumatismes, mais surtout pour se montrer et nouer de nouvelles relations. Les cartes postales du début du XXe siècle montrent les curistes dans les salons de l'établissement thermal, ou à la terrasse du Grand Hôtel. Les dames s'y montraient dans leurs plus belles toilettes, les messieurs dans leurs costumes les mieux taillés, et même les enfants étaient endimanchés. La station redevint ensuite beaucoup plus modeste, la première guerre mondiale ayant sonné le glas du thermalisme chic.

 

Curistes attablés à la terrasse du Grand Hôtel

(carte postale ancienne)

 

À cette époque-là, entre 1872 à 1914, le curé de la paroisse était un certain Henri Boudet. C'était un homme simple et affable, aimé de tous. Pourtant, érudit et polyglotte, l'abbé Boudet fut membre de plusieurs sociétés savantes. Il a écrit et publié plusieurs livres de linguistique ou de philologie, dont le plus connu avait pour titre La vraie langue celtique et le cromleck de Rennes-les-Bains. Néanmoins il serait depuis longtemps tombé dans l'oubli, et son œuvre avec lui, si le village de Rennes-les-Bains n'était le voisin d'un autre beaucoup plus connu, Rennes-le-Château, dont à la même époque le curé était le fameux abbé Bérenger Saunière. Les deux prêtres se sont forcément fréquentés, ils ont tissé des liens d'amitié, partagé peut-être certains secrets. Alors l'étrange livre de l'abbé Boudet prend du coup une autre coloration. Peut-être même contient-il, sous une forme codée, le secret de Rennes-le-Château, qu'il conviendrait dès lors de requalifier en secret des deux Rennes, tant la Rennes d'en bas, celle des bains, possède elle aussi son lot de mystères, tout comme la Rennes d'en haut, celle du château.

 

Le village de Rennes-les-Bains aujourd'hui

 

Henri Boudet est né le 16 novembre 1837 à Quillan (Aude), dans une famille bourgeoise, catholique et royaliste. Son père Pierre Auguste Boudet était régisseur de forges. Il avait épousé Jeanne Huillet, qui lui avait déjà donné deux enfants. Après Henri le couple eut ensuite un autre fils, Edmond qui devint notaire à Axat. Le jeune Henri Boudet fut très tôt un bon élève. Il aurait été remarqué par le riche abbé de Cayron, curé de Saint-Laurent-de-Cabrerisse, qui aurait financé toutes ses études. Doué pour les langues, Henri excellait aussi bien dans les langues mortes, comme le latin et le grec, que vivantes, comme l'anglais. Il parlait aussi couramment la langue du pays, l'occitan ou languedocien. Bon marcheur, il aimait parcourir les nombreux sentiers qui, partant de Quillan, s'élevaient vers les collines et les plateaux herbeux dominant la haute vallée de l'Aude. Henri Boudet s'intéressait aussi à la botanique, et en particulier aux plantes médicinales, il consacrait ses promenades à les étudier et les reconnaître. C'est peut-être lors de l'une de ses balades entre terre et ciel qu'il reçut l'appel de Dieu. Il faut dire qu'il était issu d'une famille profondément catholique. Mais l'abbé de Cayron ne fut peut-être pas étranger à cette vocation. Henri Boudet entreprit des études au Séminaire de Carcassonne. En 1861 il obtint une licence d'anglais. La même année, le 25 décembre, il fut ordonné prêtre. Le 1er janvier 1862 il prenait son poste de vicaire dans la paroisse de Durban-Corbières. Il y resta jusqu'au 16 juin, puis fut nommé à Caunes-Minervois, où il resta jusqu'au 30 octobre 1866. Il fut alors nommé curé de Festes-Saint-André, poste qu'il occupa pendant six ans, jusqu'au 16 octobre 1872. C'est alors qu'il fut affecté à la cure de Rennes-les-Bains, où il allait passer plus de quarante ans.

 

Impasse accédant à l'église de Rennes-les-Bains

 

Outre le village, qui étire ses maisons le long de la rue principale, ou sur les berges de la Sals, la paroisse compte plusieurs hameaux isolés. L'abbé Boudet, toujours bon marcheur, ne craignait pas de tous les visiter à pied. Cela lui permettait d'aller cueillir ces plantes médicinales avec lesquelles il préparait tisanes, potions ou onguents, car il était aussi connu pour ses qualités d'herboriste et de phytothérapeute, mettant ses connaissances au service de ses semblables afin de les soulager de tous leurs petits maux. Curieux d'histoire et d'archéologie, l'abbé Boudet mettait aussi à profit ses expéditions dans la campagne pour explorer les moindres recoins de sa paroisse, à la recherche des nombreuses pierres mystérieuses qu'elle possède.

 

Intérieur de l'église de Rennes-les-Bains au temps de l'abbé Boudet

(carte postale ancienne)

 

Ses anciens paroissiens décrivaient l'abbé Boudet comme un homme de taille moyenne, plutôt replet. Il n'existe apparemment aucune photo authentique de lui. Quelques unes ont été publiées, sur Internet ou dans des livres, mais aucune n'est certaine. La plus connue, qui a illustré pendant longtemps la page consacrée à l'abbé Boudet par une célèbre encyclopédie en ligne, représente un jeune prêtre. On sait aujourd'hui qu'il s'agissait en réalité d'un séminariste de la famille de Marie Dénarnaud, la servante de l'abbé Saunière. C'est la raison pour laquelle cette photo se trouvait exposée dans la salle à manger de la Villa Bethania à Rennes-le-Château.

 

Prétendue photo de l'abbé Henri Boudet

 

Le seul document qui ait une chance de représenter l'abbé Boudet est une photo prise vers 1896, représentant cinq prêtres de la région réunis autour d'une table. On y reconnaît, de gauche à droite : l'abbé Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château, l'abbé Antoine Malot, curé de Grèzes, l'abbé Alfred Saunière, frère de Bérenger, professeur au Petit Séminaire de Narbonne, probablement l'abbé Henri Boudet, curé de Rennes-les-Bains, et l'abbé Jean-Antoine Gélis, curé de Coustaussa. Cette absence de photographie est d'autant plus curieuse que l'abbé Boudet était lui-même photographe. On lui doit en particulier un portrait de l'abbé Saunière devant les célèbres Roulers, un groupe de « pierres branlantes » au sommet d'une colline dominant Rennes-les-Bains, aujourd'hui au milieu des bois.

 

Réunion de 5 prêtres vers 1896 – l'abbé Boudet est peut-être parmi eux

 

En 1886 Henri Boudet publia à compte d'auteur, chez l'imprimeur Pomiès de Carcassonne, le livre qui devait le rendre célèbre : La vraie langue celtique et le cromleck de Rennes-les-Bains. L'abbé avait demandé à son frère Edmond, doué pour le dessin, de l'illustrer de deux gravures et d'une carte. Le livre fut tiré à 500 exemplaires, et son auteur en vendit très peu en réalité, moins d'une centaine. Il en distribua gratuitement la majeure partie, à des sociétés savantes ou à des personnalités. Comme son titre l'indique, l'ouvrage est composé de deux parties, la première consacrée à une étude très personnelle de la langue celtique, la seconde aux pierres entourant la commune de Rennes-les-Bains. En réalité ces deux parties sont aussi fantaisistes l'une que l'autre. En effet la thèse défendue par l'abbé Boudet est qu'une langue celtique oubliée est à l'origine des noms de lieux, de rivières, de montagnes, de personnes, et cette langue n'est pas autre chose que l'anglais moderne ! Quant au prétendu cromlech de Rennes-les-Bains, il n'existe que dans l'imagination de l'auteur, toutes les pierres le composant étant totalement naturelles. Aussi l'ouvrage fut-il très vite considéré comme totalement farfelu.

 

Les Rochers de l'Étang, une partie des nombreuses pierres entourant la vallée de Rennes-les-Bains (carte postale ancienne)

 

C'est Gérard de Sède qui le premier attira l'attention du public sur le curieux livre de l'abbé Boudet. Il y consacra un long passage dans son best-seller L'or de Rennes paru en 1967. La vraie langue celtique n'était alors disponible qu'en bibliothèque, ou dans des collections privées. Dans le courant des années 70, les bouquinistes en vendaient des « photocopies numérotées ». Puis trois rééditions successives furent proposées aux amateurs durant l'année 1978. La première était une belle édition, avec une reliure soignée. Détail curieux et peu connu, ce livre fut réalisé à Saint-Étienne par l'imprimerie Dumas. Puis il y eut le retirage édité par La Demeure Philosophale et préfacé par Gérard de Sède. Enfin les éditions Belfond proposèrent une nouvelle réédition, préfacée par Pierre Plantard. L'année suivante, un quatrième retirage sortit des presses d'une imprimerie suédoise à Stockholm. Malheureusement, aucune de ces rééditions ne respectait ni le format, ni la pagination, du livre originel. Il faut attendre 1984 pour que les éditions Bélisane réalisent enfin une réédition conforme à l'original. Par ailleurs, on trouve aujourd'hui plusieurs versions en PDF du livre, qu'il est possible de télécharger sur Internet, divers sites le proposant.

 

Page de couverture du livre de l'abbé Boudet

 

La vraie langue celtique et le cromleck de Rennes-les-Bains comprend 8 chapitres, eux-même subdivisés en sous-chapitres en nombre variable, suivis d'une table des matières, ce qui représente en tout 310 pages numérotées. Mais elles sont précédées par 4 pages d'observations préliminaires, numérotées en chiffres romains. Il y a donc 314 pages numérotées, un nombre dans lequel on a vu naturellement une référence au chiffre Pi 3,14. Il est vrai que l'abbé évoque souvent le cercle dans son livre. Si l'on ajoute la page de titre, vierge au verso, les deux pages d'avant-propos, non numérotées, et les deux gravures réalisées sur des feuilles blanches au verso, insérées entre les pages 244 et 245, on aboutit à 322 pages en tout. Curieusement deux chapitres et un sous-chapitre portent le même titre, Langue celtique, reprenant ainsi le thème général du livre.

 

Clocher-mur de l'église de Rennes-les-Bains, dans son écrin de verdure

 

Les deux pages de l'Avant-propos méritent déjà que l'on s'y attarde, puisque le thème général est présenté dès les premières lignes :

« Le titre donné à cet ouvrage semble, au premier abord, trop prétentieux pour être rigoureusement exact. Il est facile , toutefois, d'en démontrer la vérité, puisque la langue celtique n'est point une langue morte, disparue, mais une LANGUE VIVANTE, parlée dans l'univers par des millions d'hommes. »

Ces premiers mots expriment déjà la thèse défendue par l'ouvrage : la langue celtique est toujours parlée par des millions de personnes, et l'on comprendra par la suite qu'il s'agit de l'anglais, que l'auteur considère comme la langue mère de tous les langages anciens de l'humanité. Une telle proposition suffit déjà pour considérer l'abbé Boudet comme un joyeux hurluberlu, et on comprend qu'elle a dû décourager d'emblée un certain nombre de ses lecteurs. L'Avant-propos se termine par cette conclusion :

« La langue vivante, à laquelle nous faisons allusion, nous a puissamment aidé à découvrir le magnifique monument celtique existant à Rennes-les-Bains, et, de son côté, l'étude de ce monument nous a conduit avec sûreté à des déductions étymologiques qui nous semblent difficiles à réfuter. »

Le monument celtique auquel l'abbé Boudet fait allusion est bien entendu le cromlech – qu'il orthographie cromleck, selon l'usage de l'époque – qui fera l'objet de la seconde partie du livre. L'auteur se rangeait aux connaissances des historiens de son temps, qui voyaient dans les monuments mégalithiques l'œuvre de ceux que l'on pensait être les premiers habitants de notre pays, les Gaulois. On sait aujourd'hui que d'autres peuples ont occupé la Gaule avant l'arrivée des Celtes, et que les mégalithes leur sont bien antérieurs. Mais en réalité, les pierres que l'on trouve sur les coteaux de la vallée de la Sals autour de Rennes-les-Bains, aussi intrigantes soient-elles par leurs formes ou leurs noms, ont une origine totalement naturelle et ne sont en rien des mégalithes. Vient ensuite la phrase finale :

« C'est ainsi que le Cromleck de Rennes-les-Bains se trouve intimement lié à la résurrection, ou, si l'on veut, au réveil inattendu de la langue celtique. »

Beaucoup d'auteurs ont tiré des conclusions merveilleuses de cette phrase. Le problème, c'est qu'ils ne l'ont citée que partiellement, en négligeant tout ce qui suit le mot résurrection, et de fait la phrase ainsi amputée prend une autre signification. Or la résurrection à laquelle l'abbé Boudet fait allusion, ce n'est pas celle du Christ – même si sa statue orne la façade de l'église de Rennes-les-Bains – mais celle de la langue celtique, et cette langue-là selon les conclusions de l'auteur n'est pas autre chose que l'anglais.

 

Statue du Christ ressuscité en façade de l'église de Rennes-les-Bains

 

Les Observations préliminaires font remarquer que tous les peuples de l'Antiquité ont laissé des écrits, sauf les Celtes. Les Gaulois ne nous ont légué aucun texte : « de toutes parts la nuit profonde » dit l'auteur, qui poursuit ainsi :

« Où trouver le « flambeau » qui dissipera ces ténèbres? N'est-ce pas dans le vieux langage que nos pères nous ont légué ?

'' Les dialectes , dit J. de Maistre, les noms propres d'hommes et de lieux me semblent des mines presque intactes et dont il est possible de tirer de grandes richesses historiques et philosophiques. '' »

L'abbé Boudet insère ici une première citation, extraite des Soirées de Saint-Pétersbourg de J. de Maistre, auxquelles l'abbé fera de nombreux emprunts. Sauf que la citation est légèrement tronquée par rapport au texte original. Un mot a été oublié, le mot « patois ». Ce n'est pas un simple oubli, chacune des erreurs que l'on peut relever dans le livre est volontaire et doit avoir son importance.

 

Extrait du livre de J. de Maistre

 

En vérité, La vraie langue celtique n'est pas autre chose qu'une immense mosaïque de textes copiés ça et là et mis bout à bout, même s'il est vrai que l'auteur les place toujours entre guillemets, et cite scrupuleusement ses sources. Le problème, c'est que certaines de ces citations ne sont pas totalement conformes au texte original, il y a des oublis ou des erreurs. Des bizarreries aussi : par exemple, alors que des citations de la Bible commencent page 23, le lecteur doit attendre la page 38 pour apprendre quelle Bible a utilisé auteur, et en l'occurrence il s'agit de la Bible de Carrières. Ce n'est pas la plus connue, mais le mot « carrières » peut sûrement se comprendre de bien des façons.

Henri Boudet conclut ainsi ses Observations préliminaires :

« Lorsque le flambeau que nous cherchions avec anxiété, s'est montré à nos yeux, son premier rayon est tombé sur le nom des Tectosages, et ce rayon nous a ébloui [...] dans l'intention de nous convaincre nous-même de la réalité de cette lumière, propre à éclairer les temps gaulois, nous avons tenté de la faire réfléchir par les miroirs des langues hébraïque, punique, basque et celtique. Le résultat nous a paru sérieux, et avant de nous servir du langage des Tectosages pour expliquer la signification des monuments mégalithiques de Rennes-les-Bains, objet premier de nos recherches, nous l'avons appliqué à l'interprétation des noms propres pris dans ces langues diverses. »

Les Tectosages, ce sont les Gaulois qui occupaient cette région du Languedoc. Leur nom complet est Volques Tectosages. Après avoir commencé son chapitre premier en notant, références à l'appui, les similitudes entre le sanskrit, le grec, le latin, le gothique, au point d'imaginer une origine commune à toutes ces langues, l'auteur cite le journal australien The advocate :

« Partant des langues de l'Europe, l'orateur a fait voir que des centaines de mots semblables à ceux de la langue Maori se trouvent dans les langues grecque, latine, lithuanienne, celte, etc, etc. Mais la partie la plus intéressante de son étude était celle qui constatait l'identité du Maori et de l'anglais, en ne tenant pas compte des mots Anglo-Maori, mots fabriqués des deux langues, depuis la conquête du pays par l'Angleterre. »

Il faudrait pouvoir vérifier la véracité de cette citation quant à l'identité entre le maori et l'anglais, mais on peut l'imaginer parfaitement exacte car elle apporte de l'eau au moulin de l'abbé Boudet, qui se risque alors à proposer l'étymologie du nom Volques Tectosages :

« Volkes (Volcae) dérive des verbes to vault (vâult), voltiger, faire des sauts et to cow (kaou), intimider ; Tectosages est produit par les deux autres verbes to take to (téke to), se plaire à..., et to sack, piller, saccager. En réunissant les quatre verbes constituant les deux appellations, nous constatons dans leurs significations diverses, que les Volkes Tectosages effrayaient les ennemis par la rapidité de leurs évolutions dans le combat et se plaisaient à dévaster et à piller. »

Or là il n'y a aucun doute, l'auteur fait appel à l'anglais moderne pour expliquer, d'une manière totalement fantaisiste, l'origine des noms Volques et Tectosages. Le lecteur qui l'a suivi jusque là commence à comprendre que pour le savant abbé la langue des Gaulois n'était pas autre chose que l'anglais. Pourtant il n'emploie jamais ce terme, se contentant de parler plus subtilement de « langue anglo-saxonne », une expression qu'il remplacera bien vite par « langue celtique ». L'auteur va ensuite tenter de consolider cet avis péremptoire en consacrant plusieurs pages à comparer le dialecte languedocien avec cette langue anglo-saxonne. Au passage, il commet à dessein quelques erreurs, en modifiant légèrement le sens des mots anglais pour mieux les faire cadrer avec sa démonstration. Ainsi par exemple, page 21 : scout ne signifie pas « espion » mais plutôt « éclaireur ». Il y a aussi des anomalies qui peuvent passer pour des erreurs d'imprimerie.  Dans la même page 21 l'abbé écrit sot cour au lieu de to scour, pourtant clairement signalé par la transcription phonétique skaour entre parenthèses.

 

L'étrange sot cour de la page 21

 

Il est vrai qu'entre les 78 mots – soigneusement choisis – du languedocien (l'occitan), et leur équivalent en anglais, il y a une certaine similitude, mais en réalité l'immense majorité des mots occitans ne ressemble en rien à des mots anglais. Cela, l'auteur se garde bien de le signaler, au contraire il conclut ainsi sa démonstration :

« Cette parenté indiscutable entre les termes languedociens et leurs correspondants Anglo-Saxons, démontre mieux que tous les raisonnements que les Tectosages du midi Gaulois, émigrés au delà du Rhin, et les Anglo-Saxons sont bien le même peuple, et elle conduit à cette conséquence absolue que la langue Anglo-Saxonne est bien la langue parlée par la famille Cimmérienne. »

En d'autres termes : la vraie langue celtique, celle parlée par les Gaulois, c'est l'anglais moderne ! Et l'abbé Boudet persiste et signe, en affirmant quelques lignes plus loin :

« L'identité de la langue celtique avec celle des Tectosages devient tout à fait évidente par la décomposition des appellations données aux diverses parties du sol Gaulois et surtout par la décomposition des noms de tribus transmis par l'histoire ; ces noms renferment, en effet, en les interprétant par la langue Anglo-Saxonne, des indications justes, précises et confirmées par l'histoire. »

Pour l'abbé Boudet, ces dénominations que l'on retrouve identiques d'un bout à l'autre de la Gaule – les noms Rennes, Aleth, Condate – n'étaient pas le fait du peuple mais d'un corps savant chargé de fixer ces appellation. Pour l'auteur cette assemblée se nommait le Neimheid, un nom qu'il explique ainsi :

« Neimheidh n'est point le nom d'un chef Gaulois ; il signifie celui qui est à la tête, commande, conduit et donne les dénominations, – to name (néme), nommer, – to head (hèd), être à la tête, conduire, – et il était matériellement impossible à un seul homme de donner à tout le pays celtique les noms que portent les cités, les tribus, les rivières et les moindres parcelles de terrain : c'était là l'œuvre d'un corps savant et le terme de Neimheidh, appliqué à ce corps d'élite composé des druides, présente une expression de vérité indéniable »

Très curieusement, dans cette page 25 l'abbé Boudet orthographie 5 fois de suite ce mot Neimheidh avec un H final, alors que dans tout le reste du livre il emploie l'orthographe Neimheid, sauf à la page 166 où l'on retrouvera ce Neimheidh incorrect. La disposition de ces 5 mots dans la page 25 semble former une figure, un signe. Cette disposition ne doit rien au hasard de la composition typographique : le manuscrit retrouvé de son livre Étymologie du nom de Narbonne prouve que l'abbé préparait lui-même la manière de disposer chaque mot de chaque ligne, et chaque ligne de chaque page. L'imprimeur n'avait plus qu'à suivre ses recommandations.

 

Les 5 Neimheidh de la page 25 semblent dessiner un symbole

 

L'abbé Boudet tente ensuite de démontrer que la langue celtique – comprenez l'anglais moderne – est bien la langue mère de tous les langages antiques, que ce soit l'hébreu, la langue punique parlée à Carthage en Afrique, la langue kabyle, ou même la langue basque. Cette langue punique peut se comprendre à double sens. Elle évoque en effet le fameux ouvrage Ars Punica, un livre de Thomas Sheridan probablement écrit avec Jonathan Swift, le créateur de Gulliver. C’est un manuel expliquant comment crypter un texte par l’art du calembour et des jeux de mots, autrement dit l’équivalent anglais de la Langue des Oiseaux. Ces méthodes s'appliquent tout-à-fait à La vraie langue celtique. D'ailleurs n'est-ce pas ce que veut nous dire l'abbé Boudet lorsqu'il écrit page 92 :

« en examinant de près le langage actuel des Kabyles, on s'assurera qu'il est fait de jeux de mots et par conséquent le seul punique – to pun (peun) faire des jeux de mots –. »

Quant à la langue basque, de l'avis des spécialistes c'est dans ce passage que serait caché tout le secret des deux Rennes. En lisant entre les lignes, on comprend qu'il sera nécessaire de s'aventurer sous terre, de franchir divers obstacles et de vaincre de nombreux dangers.

 

Au bord de la Sals, une étrange cavité

 

Le chapitre V ramène ses lecteurs en France, en Bretagne pour commencer, dont l'auteur énumère les différentes tribus gauloises, s'arrêtant sur celle des Redones :

« Les Redones formaient la tribu religieuse, savante, possédant le secret de l'élévation des monuments mégalithiques disséminés dans toute la Gaule ; c'était la tribu des pierres savantes,– read (red) savant,– hone, pierre taillée –. »

Notons que read, qui se prononce en fait rid, est en anglais le verbe « lire » plutôt que le mot « savant », c'est un nouveau compromis de l'auteur avec la réalité linguistique. L'abbé Boudet se range une nouvelle fois à l'avis des historiens de son temps qui attribuent aux Gaulois l'origine des mégalithes. Mais s'il s'arrête sur les Redones, c'est que cette tribu donnera son nom à la ville de Rennes en Bretagne. Or la thèse qu'il développe ensuite c'est que les Redones auraient également été l'une des tribus composant le peuple des Volques Tectosages, tribu précisément installée dans la vallée de Rennes-les-Bains. On comprend que pour lui la Rennes audoise et la Rennes bretonne ont la même origine. L'auteur s'attache ensuite à donner une étymologie aux mots menhir, dolmen et cromlech. Or l'origine de ces mots est parfaitement connue. Les deux premiers viennent du bas-breton, menhir signifiant « pierre longue» et dolmen « table de pierre ». Quant à cromlech, c'est un terme gaélique signifiant « cercle de pierres ». Ces explications, l'abbé Boudet les donne, en citant H. Martin et son Histoire de France, mais elles n'ont sans doute pas l'honneur de le satisfaire, car il nous propose ensuite ses propres étymologies, totalement délirantes, pages 166 et 167 :

« Le ménir, par sa forme aiguë et en pointe, représentait l'aliment de première nécessité, le blé, – main (mén), principal, – ear (ir), épi de blé –. »

Alors que dans sa citation de H. Martin l'abbé Boudet respectait l'orthographe « menhir », dans son propre texte il préfère écrire « ménir », et l'on comprend que ce mot ainsi orthographié cadre mieux avec son interprétation. Puis il poursuit :

« La répartition du blé était faite par la main des Druides, comme les divers auteurs l'ont bien constaté et comme le témoigne avec évidence l'expression attachée au dolmen, qui était, d'ailleurs, construit comme une table de distribution, to dole, distribuer, – main (mén), essentiel –. »

« Le cercle de pierres, ordinairement de forme ronde, représente le pain : Cromleck, en effet dérive de Krum (Kreum), mie de pain et de to like (laïke), aimer, goûter. »

Une autre erreur volontaire est ici à noter. En effet, krum n'existe pas en anglais, le véritable mot traduisant « mie de pain » est crumb, mais l'abbé n'a pas hésité à le transformer, remplaçant au passage le C par un K, pour gommer le B final, qui se prononce et ne se retrouverait pas dans cromlech. Ce krum incongru est d'ailleurs l'un des trois mots anglais qu'Henri Boudet écrit avec un K au lieu d'un C. Il y a aussi kove au lieu de cove, et kob au lieu de cob. Ce dernier mot, il le traduit par cheval, alors qu'il désigne plutôt un cygne mâle, entre autres significations (cob veut dire aussi « épi de maïs »).

L'auteur relie la totalité des monuments mégalithiques au thème du blé et du pain. Or s'il y a un endroit où il est possible d'associer mégalithe et blé, c'est à Locmariaquer en Bretagne (Morbihan), où le support principal du dolmen de la Table des Marchands s'orne de gravures représentant des épis de blés sous le soleil. L'abbé Boudet en connaissait-il l'existence ? Ce n'est pas impossible, ces gravures avaient déjà été relevées et publiées de son temps.

 

Gravures de la Table des Marchands – épis de blé stylisés

 

L'auteur enchaîne ensuite :

« Dans tous nos villages du Languedoc, on trouve toujours un terrain auquel est attaché le nom de Kaïrolo, – key, clef, – ear (ir), épi de blé, – hole, petite maison des champs.– Dans ce terrain, probablement, était construit le grenier à blé des villages celtiques. »

Le mot hole ne peut désigner une petite maison des champs que si l'on considère que cette maison forme un lieu isolé, autrement dit, familièrement, « un trou perdu ». Car la signification première de hole est « creux, trou ». L'abbé Boudet acceptera ce sens-là lorsqu'il reviendra page 295 sur ce Kaïrolo, en ajoutant que ce grenier peut être un silo ou un souterrain. Et si l'on prend le mot blé selon son sens argotique – l'argent, la richesse – ce fantaisiste Kaïrolo devient la cache du trésor, la clé du trou au blé. Et l'auteur prend la peine de situer précisément cet endroit par rapport à Rennes-les-Bains :

« la kaïrolo des Redones était située au sud de Montferrand tout près du chemin conduisant au ruisseau de la Coume et aux Artigues. »

C'est donc au nord-est de Rennes-les-Bains, à peu de distance du hameau de Montferrand, que se trouverait ce silo ou souterrain abritant le blé, autrement dit le magot. Inutile de dire que des générations de chercheurs de trésor ont tenté de le localiser, mais en vain semble-t-il. Tout au moins, s'ils ont trouvé quelque chose, ils n'en ont rien dit... Mais l'abbé n'emploie-t-il pas le passé pour en parler ?

Commence alors la seconde partie de l'ouvrage, celle consacrée au prétendu cromlech de Rennes-les-Bains, qui n'occupe en réalité que le chapitre VII, le chapitre VIII en étant séparé comme nous le verrons, bien qu'il soit consacré lui aussi à Rennes-les-Bains. L'auteur passe en revue toutes les pierres qui composent le cromlech, rochers naturels faut-il préciser, et qui dessinent une vague ellipse patatoïde en suivant les lignes de crête des collines environnant les vallées de la Sals et de la Blanque, le village de Rennes-les-Bains se trouvant près de leur confluent. Il termine sa longue description par les Roulers, ensemble de « pierres branlantes » au sommet d'une colline, des rochers immortalisés par un dessin d'Edmond Boudet, et que l'on retrouve également sur les cartes postales anciennes.

 

Les Roulers (carte postale ancienne)

 

Le chapitre VII consacre ensuite tout un sous-chapitre au thème de La pierre de Trou ou hache celtique. Étrange titre en vérité : qu'est-ce donc que cette « pierre de trou » ? L'abbé Boudet explique :

« La pierre polie, dite hache celtique, faite de jade, de serpentine ou de diorite, affecte diverses formes. Le dialecte Languedocien la nomme pierre de Trou. Elle représente ce qu'il faut croire, c'est-à-dire, les enseignements nécessaires inscrits dans les grandes pierres levées – to trow (trô), croire –. »

« Croire » se dit plutôt to believe en anglais, ou to think dans le sens de « penser ». C'est peut-être une invitation à prendre le problème à l'envers et à traduire « trou » en anglais. On obtient le mot hole, auquel l'abbé Boudet donnait précédemment le sens de « maison ». Alors cette « pierre de trou » a peut-être bien un rapport avec la Kaïrolo, le grenier à blé, et les « enseignements inscrits dans les grandes pierres levées », si l'on accepte le rapprochement avec les gravures de la Table des Marchands, concernent bien le blé, ce mot étant sans doute à prendre dans son sens argotique.

Le chapitre VII se termine par ce que l'on nomme en typographie un « cul-de-lampe », un décor d'entrelacs ou d'arabesques prenant la forme d'un gros carré. C'est le seul de tout le livre, même si des entrelacs comparables forment les frises en tête de chacune des 11 parties du livres, que ce soit l'avant-propos, les observations préliminaires, les 8 chapitres, la table des matières, ou encore pour encadrer la date en page de titre. On s'aperçoit d'ailleurs que seulement 5 frises différentes ont été utilisées – peut-être les seules dont disposait l'imprimeur – pour ces 11 parties. La conséquence inévitable – 11 ne se divisant pas par 5 – est que l'une des frises n'a été utilisée qu'une fois. Or bizarrement, c'est le chapitre VIII qui est ainsi particularisé. Sachant qu'il est séparé du chapitre VII par le fameux cul-de-lampe, cela donne l'impression que ce chapitre VIII est « à part ». C'est une bonne raison pour l'examiner de plus près.

 

Les différents motifs d'entrelacs du livre

 

L'auteur commence par affirmer que le village celtique de Rennes-les-Bains ne se trouvait pas à l'emplacement du village actuel, mais plus en hauteur sur le coteau oriental, au sud du hameau de Montferrand, près du ruisseau de la Coume et des Artigues. Ce qui correspond exactement à l'emplacement de la Kaïrolo ou grenier à blé qu'il évoquait précédemment. L'abbé explique :

« Tout près des Artigues et au dessus du Bugat, une partie du terrain porte le nom de scarrajols, – square (skouère), carré, – rash, écoulement, – hall (haûll), maison –. C'est bien là, la tuile carrée à crochets, qui se trouve en quantité considérable, sur plusieurs points, dans le cromleck de Rennes-les-Bains. »

Notons que l'auteur écrit scarrajols et non pas Scarrajols comme cela devrait être, autrement dit sans majuscule et en italiques, comme pour attirer l'attention sur ce nom. Il est d'ailleurs étrange que cette fois il fasse appel à l'anglais hall – qu'il traduit par « maison » alors qu'il signifie plutôt « salle » – pour interpréter le ols final de Scarrajols, alors que le mot hole utilisé pour Kaïrolo – avec le même sens de « maison » selon l'auteur – aurait aussi bien convenu. Quant au mot rash, il signifie plutôt « hasardeux, imprudent ». Pour reprendre la méthode de l'abbé, Scarrajols pourrait se décomposer en square, carré – rash, hasardeux – hole, trou, soit un trou carré hasardeux. Un trou dans une pierre peut-être ?

Il y aurait encore tant à dire sur cet étrange livre qu'est La vraie langue celtique. Il faudrait noter les allusions discrètes à Rabelais, à Jules Verne, au peintre Nicolas Poussin et à l'Arcadie. Pour les liens avec Jules Verne, je ne peux que renvoyer vers mon livre Jules Verne matériaux cryptographiques publié chez Arqa, où ils sont exposés en détails : http://regardsdupilat.free.fr/julesverne.html

Mais nous ne pouvons pas refermer La vraie langue celtique sans jeter un coup d'œil sur la carte insérée en fin de volume. C'est un travail magnifique, dû au talent de dessinateur d'Edmond Boudet, le frère d'Henri. Il a dû s'inspirer des cartes d'État-Major en usage à l'époque, sauf que sa carte est beaucoup plus précise en raison de son échelle, environ 1/2600e contre 1/80000e pour les cartes d'État-Major.

 

Partie centrale de la carte

1: Rennes-les-Bains - 2: Montferrand

3: le ruisseau de la Coume - 4: les Artigues – 5 : Scarrajols

 

Cette carte est en trois couleurs : noir, rouge et bleu. Le rouge est utilisé pour les constructions, y-compris mégalithiques, le bleu pour les rivières, tout le reste étant en noir. Les reliefs sont matérialisés par des hachures concentriques, comme c'était l'usage à l'époque. Pour imprimer la carte, il a été nécessaire de séparer les couleurs et de réaliser trois plaques, une pour le noir, une pour le rouge, une pour le bleu. Chaque carte a donc été passée trois fois sous presse afin de superposer les trois couleurs. Pour que cette superposition soit parfaite, l'imprimeur a utilisé la technique bien connue du symbole en forme de croix, de Lorraine en l'occurrence, placé sur chacune des plaques exactement au même endroit, en haut et en bas. C'est ce que l'on nomme en typographie des « alouettes ». À l'impression, les trois croix, une de chaque couleur, doivent se confondre en une seule. Si ce n'est pas le cas, le tirage est mauvais. Normalement le papier est ensuite rogné pour supprimer les alouettes. Or cela n'a pas été fait pour la carte Boudet et les alouettes sont toujours présentes : un mystère de plus.

 

Haut de la carte

Les trois « alouettes » parfaitement superposées se confondent en une seule

Le titre

 

Cette carte porte un titre : RENNES CELTIQVE. Outre l'utilisation du V pour écrire le U, à la romaine, on remarque que ce titre est suivi d'un point, ce qui n'est pas l'usage habituel pour un titre. Il faut noter cependant que les titres des sous-chapitres sont également suivis d'un point, on ne doit donc peut-être pas trop en tirer de conclusions. Certains pensent que ce V matérialise la position du méridien de Paris, d'autres pensent que c'est plutôt la cédille du Q. Il est vrai que le méridien n'est pas tracé sur la carte, autre anomalie, alors qu'il est dûment positionné sur toutes les cartes depuis celle de Cassini. Le méridien de Paris constitue d'ailleurs l'axe nord-sud autour duquel s'articulent toutes les cartes topographiques de la France, encore aujourd'hui.

Un peu au sud-sud-ouest de Rennes-les-Bains on remarque le lieu nommé Haum-Moor, sur lequel l'abbé Boudet s'attarde à plusieurs reprises. Pour lui ce nom vient de l'anglais haum, paille et moor, marais. Il ajoute :

« Cette dénomination de haum-moor, appliquée dans la gaule entière, aux terrains marécageux, a été partout dénaturée et travestie jusqu'à devenir un homme mort»

Haum-Moor est également le nom donné au ruisseau qui longe ce terrain, avant de rejoindre la Blanque. Au confluent du ruisseau et de la rivière, les hachures de la carte semblent dessiner sur le coteau l'image d'un visage humain. Est-ce lui, l'homme mort ? Certains y ont vu plutôt une tête de diable. C'est l'une des bizarreries de la carte.

 

Détail de la carte : Haum-Moor et la tête de diable

 

Un mot enfin sur la légende, en bas à droite. Elle est écrite en rouge, ce qui n'est déjà pas banal. Elle donne la signification des symboles utilisés pour désigner : Ménirs debout, Ménirs renversés, Dolmen, Croix grecques gravées. Les quatre initiales en majuscules sont superposées et semblent former de haut en bas MMDC, soit 2600 en chiffres romains. C'est peut-être une manière discrète de donner l'échelle 1/2600e.

 

La légende de la carte

 

En 1914, souffrant, Henri Boudet fut contraint de démissonner de sa charge de curé de Rennes-les-Bains. Il quitta son cher village le 30 avril. Il choisit de se retirer à Axat, dans sa famille, chez Céleste la veuve de son frère Edmond décédé depuis 1907, qui vivait avec sa sœur Victorine et son neveu Émile. C'est là que l'abbé Boudet s'éteignit, entouré de l'affection des siens, le 30 mars 1915. L'auteur de La vraie langue celtique avait exprimé le désir d'être inhumé dans le caveau du cimetière d'Axat où son frère reposait déjà. Leur tombe est très discrète : une simple dalle ornée d'une grande croix en relief, entre deux monuments funéraires autrement plus ostentatoires, et qui plus est en partie masquée par un arbre. L'épitaphe, qui n'est quasiment plus lisible aujourd'hui, est ainsi rédigée :

 

Épitaphe de l'abbé Boudet (reconstitution infographique)

 

La partie la plus étrange de cette inscription est constituée par la mention E-C-C-I-II. On dirait une référence biblique, un renvoi vers un verset particulier. Le problème, c'est que deux livres de la Bible commencent par les lettres Ecc : L'Ecclésiaste et L'Ecclésiastique. Aussi, et pour qu'il n'y ait pas de confusion entre eux, on ne les abrège jamais par Ecc. Le premier s'abrège par Qo car son autre nom est le Qohêlet, le second s'abrège par Sir, car l’autre nom de ce livre est le Siracide. Quant aux chiffres, s'agit-il de 1-11, ou de 1-2 en chiffres romains ? Un élément de réponse est peut-être apporté par le livre La vraie langue celtique. On remarque en effet que L'Ecclesiaste y est cité page 186, précisément le chapitre 1, versets 9 et 10. Le verset 11, qui pourrait être signalé par cette mention E-C-C-I-II, en constitue la suite : « Nul souvenir des anciens, pas plus que de leurs successeurs il n’y aura de souvenir chez ceux qui seront dans la suite ». Si l'on considère qu'il s'agit plutôt du verset 2, celui-ci est lui beaucoup plus connu : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Mais on ne peut pas dire que cela nous avance beaucoup ! Cette partie-là de l'épitaphe conservera sa part de mystère.

 

Tombe des frères Boudet dans le cimetière d'Axat

 

En bas à droite de la dalle mortuaire est sculpté un petit livre fermé, bien détérioré aujourd'hui. Sa couverture s'orne d'une inscription, tournée dans le sens de la hauteur. On déchiffre ce qui paraît être les lettres I X O I E, séparées par des points, le E ressemblant en fait plutôt à un Sigma grec. Des photos anciennes nous montrent que d'autres lettres étaient grecques : le O pourvu d'un point en son centre était en réalité un Thêta, et le I un Upsilon. Toutes les lettres en fait appartiennent à l’alphabet grec, il faut lire Iota – Khi – Thêta – Upsilon – Sigma, soit le mot ICHTUS, poisson. Le poisson a été le symbole du Christ pour les premiers chrétiens, parce que son nom en grec forme l’acrostiche de la formule Jésus, Christ, de Dieu, le Fils, Sauveur. Quoi de plus normal que de le retrouver sur la tombe d'un prêtre ? Mais pourquoi le graver sur la sculpture d'un livre ? Ce livre ne serait-il pas celui de l'abbé Henri Boudet, La vraie langue celtique ? Si on retourne l'inscription IXOIE, elle devient 3IOXI, soit 310, et 11 en chiffres romains. Or La vraie langue celtique comptant précisément 310 pages, certains ont pensé qu'il y avait peut-être quelque chose à découvrir sur la 11? Précisément, c'est dans cette page 11 qu'apparaissent pour la première fois les mots clef et blé. Mais que faut-il en conclure ? La tombe de l'abbé Boudet restera décidément bien énigmatique.

 

Le livre sculpté et son inscription, jadis (en haut) et aujourd'hui (en bas)

 

Après son décès, on trouva dans les papiers de l'abbé un manuscrit d'une vingtaine de pages dont le titre était Étymologie du nom de Narbonne. Resté inédit, ce document a connu bien des vicissitudes. Il est passé de main en main et a fait l'objet de diffusions successives. Une main inconnue colla un papier sur le premier mot du titre pour le transformer simplement en Du nom de Narbonne. Ce petit livre connut d'ailleurs d'autres transformations, entre autres l'ajout de symboles entre certains mots.


L'église vue du cimétière

C'est l'abbé Joseph Rescanières qui succéda à Henri Boudet à la cure de Rennes-les-Bains. Il devait décéder subitement moins d'un an plus tard, le 1er février 1915, alors qu'il n'avait que 36 ans, ce qui a amené certains à suspecter un empoisonnement. La paroisse reconnaissante plaça dans le vestibule de l'église une stèle commémorant la mémoire des deux prêtres. Elle a depuis été complétée par une seconde plaque, apposée le 6 juin 2015. Cette nouvelle stèle, évolution des temps oblige, n'est pas en marbre comme la première mais en plastique. Ce matériau certes moins noble offre au moins l'avantage de pouvoir y insérer une photographie. En l'occurrence c'est un montage montrant un cromlech mégalithique, le menhir central étant constitué par l'étrange livre sculpté de la tombe d'Henri Boudet.

 

Les deux stèles en mémoire de l'abbé Boudet

 




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