Un Coin Sympa






Présenté par
Patrick Berlier

Juin
2013

AUTOUR DU « BOURG DU FEU »



<Retour au Sommaire du Site>


Nous nous dirigeons aujourd’hui vers l’une des communes les plus méridionales du Pilat : Burdignes. Il faut grimper durement, depuis Bourg-Argental, par la route tracée en 1848, en remplacement d’antiques chemins muletiers. Dès que nous atteignons l’ancienne gare du chemin de fer, la halte de Bourg-Argental sur la ligne de Saint-Étienne à Annonay, nous sommes déjà sur le territoire de la commune de Burdignes. Ici se trouvait son quartier industriel, où au XIXe siècle tournaient de nombreuses usines, moulinages ou tanneries. La voie ferrée fut construite à la même époque, d’abord dans un objectif stratégique : elle devait permettre, en cas de conflit, d’acheminer le charbon de Saint-Étienne vers la vallée du Rhône, et donc vers la flotte ancrée à Toulon, sans passer par Lyon, qui risquait d’être aux mains de l’ennemi.

 

La gare au temps de sa splendeur (carte postale ancienne)

 

LA SPIRALE FERROVIAIRE

 

Empruntant d’abord la ligne du Puy, la voie ferrée obliquait ensuite à gauche pour atteindre Dunières, puis Riotord. De là elle montait vers le Tracol, frontière entre Haute-Loire et Loire, qu’elle franchissait par un long tunnel. Elle serpentait ensuite à flanc de coteau, dominant la vallée de la Déôme en lisière de la forêt de Taillard. Pour descendre ensuite dans la vallée elle devait emprunter un tracé hélicoïdal, une « spirale ferroviaire » unique dans la région. Une longue courbe descendante l’amenait d’abord à la gare de Bourg-Argental, puis un tunnel repassant sous la courbe lui faisait prendre la direction d’Annonay. Voici comment le « Docteur Francus » décrivait cette descente en boucle dans son livre « Voyage autour d’Annonay », paru en 1901 :

 

« Nous aperçûmes tout à-coup là-bas, sous nos pieds, à gauche, le Bourg-Argental. Notre première pensée fut, vu la hauteur où nous étions, que les habitants devaient avoir joliment à monter pour arriver à leur gare. Comme le train ne s’arrêtait pas, nous commençâmes à nous étonner, et à trouver qu’on avait condamné les gens de Bourg-Argental à une gare bien éloignée de leur ville. Mais le train filait toujours et même avec une rapidité inquiétante. Les grincements des freins étaient devenus de véritables sifflements. Après un bon quart d’heure de course échevelée, le train finit par ralentir sa marche et finalement s’arrêta. Où étions-nous ? A Bourg-Argental même, dont les arbres et les maisons, sans compter les employés de gare, semblaient se moquer de nos étonnements. Nous comprîmes alors qu’après avoir débouché sur le flanc de la montagne, à cent ou 200 mètres, presqu’à pic, au-dessus de cette localité, nous venions de faire un immense détour pour tomber de niveau avec elle et reprendre notre descente de la vallée. »

 

plan schématique de la « spirale ferroviaire » de Bourg-Argental

 

Dans la montée vers Burdignes la route offre de belles vues à la fois sur le pays bourguisan et sur le Vivarais proche. Au hameau de L’Homme, où s’élève une belle croix du XVIe siècle, nous franchissons par un pont ce qu’il reste de la voie ferrée : une tranchée à gauche du pont, où de nombreux arbres ont poussé après la désaffectation de la ligne au début des années 80. à droite du pont la tranchée a été comblée par des déblais et matériaux les plus divers… On a de la peine à imaginer que la voie ferrée repassait en tunnel à la verticale de la tranchée, mais 80 m en dessous. Un peu plus loin s’amorce à droite le chemin conduisant au hameau des Bénévis. De là nous pourrions rejoindre le tracé de la voie et la remonter jusqu’à Saint-Sauveur-en-Rue, en passant sous le tunnel de Mounes, le seul qu’il soit encore possible de franchir à pied ; mais ce sera pour une autre fois. Pour l’heure, continuons en direction de Burdignes.

 

 

LE BOURG DU FEU

 

Nous voici au village de Burdignes. Il commence à revivre, avec la construction de nouvelles maisons et l’ouverture sur le tourisme vert et sur les sports nordiques, après une déprise qui entre 1876 et 1982 lui fit perdre 68 % de sa population. Il est vrai que c’est un peu un bout du monde, perché sur la ligne de crête séparant la vallée de la Déôme de celle de la Cance, à la frontière entre Pilat et Vivarais.

 

Le village de Burdignes au début du XXe siècle (carte postale ancienne)

 

Son nom ancien Burdiniaco, attesté dès 1061, semble trahir une origine gallo-romaine : le domaine de Burdinius. Mais ses habitants, les Burdinands, préfèrent évoquer le Bourg d’Igne, le « Bourg du Feu » en vieux français. Un feu aurait été allumé en permanence sur la crête, la nuit, pour guider les muletiers assurant le transport des marchandises d’une vallée à une autre. Un chemin de découverte pédestre, imaginé par les enfants de l’école au début des années 2000, porte d’ailleurs le nom de « sentier du bourg du feu », même s’il paraît un peu oublié aujourd’hui.

 

Le tilleul de Sully, en 1900 et en 2000

 

Une madone érigée sur une petite éminence surveille et protège le village. À ses pieds s’élève le tilleul planté sur l’ordre de Sully, le ministre d’Henri IV, vers 1600. Cet arbre vénérable âgé donc de plus de quatre siècles est toujours vigoureux, même s’il offre un air penché qui lui a valu pendant longtemps de reposer sur une « béquille », déjà visible sur les cartes postales du début du XXe siècle. À l’autre bout du bourg s’élève l’église, construite au XVIIIe siècle en remplacement de l’édifice primitif du XVe siècle, détruit par un incendie en 1650. C’était une dépendance du prieuré de Saint-Sauveur. Il en subsiste un fragment, intégré à l’église actuelle, dédiée à saint Martin.

 

L’église de Burdignes, extérieur aujourd’hui et intérieur jadis

 

Suivez-nous pour une petite balade dans la campagne environnante. Nous quittons le village par la route de Saint-Sauveur-en-Rue, que nous abandonnons très vite pour emprunter un agréable chemin se poursuivant en direction de l’ouest. Nous longeons des prairies où paissent quelques vaches. Une jolie vue se dégage sur le village de Burdignes, dominé par la Roche Béraud. En arrière-plan la forêt tente de revivre elle aussi après avoir beaucoup souffert : abattue par la tempête de 1999, elle a été dévastée l’année suivante par le gigantesque incendie qui s’est étendu d’Annonay à Saint-Julien-Molin-Molette. Le village ne mérita jamais mieux son surnom de « Bourg du >Feu », mais il fut heureusement préservé. C’était un paysage de fin du monde ou d’holocauste nucléaire qui s’offrait alors au promeneur. Mais la vie n’abandonnait pas ses droits : au cœur de la forêt carbonisée, un minuscule carré d’herbe miraculeusement préservé avait vu pousser des dizaines de mousserons !

 

La forêt de Burdignes après la tempête et l’incendie

 

 

MONTCHAL, LE NID D’AIGLE

 

Notre chemin est en fait parallèle à la petite route conduisant au hameau de Montchal, puis au foyer de ski de fond de Burdignes. Nous la rejoignons pour obliquer à droite en direction de Montchal, dont les maisons en beaux moellons de granit ont en réalité été construites avec les pierres du château qui s’élevait sur ce véritable nid d’aigle, offrant une vue magnifique et imprenable sur le Pilat, la vallée de la Déôme, et l’ensemble du pays bourguisan. De ce château, il ne reste qu’un pan de mur, dernier vestige du massif donjon carré.

 

Vestiges du donjon de Montchal

 

Ce donjon devait être sans doute à l’origine une simple tour de guet et de refuge, construction en bois remplacée ensuite par une construction en pierre. Le château proprement dit, dont nous ignorons totalement la physionomie, a dû se bâtir autour. Montchal était le siège d’une châtellenie, dépendant de la seigneurie d’Argental. Mais au XIVe siècle les châtelains de Montchal, se prenant pour des aigles écrasant de leur supériorité géographique leurs suzerains d’Argental, entretinrent des relations peu cordiales avec eux, allant parfois jusqu’à la lutte armée. Plusieurs familles furent à la tête de la châtellenie : après une obscure famille de Montchal dont nous ignorons l’origine, se succédèrent les d’Urgel, les Saint-Priest, les Chevrières, puis la lointaine famille provençale de Simiane, qui laissa Montchal aux Fay de la Tour, lesquels le cédèrent aux Bollioud des Granges.

 

 

LE PAYS DES PIERRES… ET DES GÉOLOGUES !

 

Reprenons notre balade. Après un dernier regard sur le paisible hameau de Montchal, à la Croix Rouge nous prenons la route de droite, et poursuivons tout droit, par une route s’élançant à travers les prairies fleuries. Nous voici à Joanabel, toponyme qui semble garder le souvenir du brillant Bélénos, dieu gaulois. Du soleil, de la lumière et du feu. Une jolie croix champêtre, plantée dans un petit rocher, nous invite à emprunter le chemin partant à gauche. Nous sommes ici au pays des pierres. Rapidement nous voici au pied d’un gros rocher de granit. De la cordiérite plus précisément, nous signale le géologue de service ; c’est une variété de granite propre au pays de Velay, qui n’est pas si loin, découverte par un certain Cordier, qui n’était ni juge ni flic mais géologue !

 

Croix de Joanabel

 

Un beau panneau didactique mis en place par le Parc Naturel Régional du Pilat assure que nous avons devant nous le légendaire site mégalithique surnommé « Baignoire des Gaulois ». Ce n’est pas tout à fait vrai… La véritable « baignoire » est un peu plus loin, nous allons y arriver. De plus notre savant affirme que les cupules (dont une clairement en forme de sexe féminin), bassins ou sièges de ce rocher sont d’origine naturelle et ne doivent rien à la main de l’homme : ce ne serait donc pas un mégalithe, au sens littéral du terme. N’empêche qu’en des temps où aucun géologue ne venait rétablir la vérité scientifique des hommes ont pu utiliser cette pierre merveilleuse – pour ne pas dire mystérieuse – pour leur culte au dieu Bélénos – nullement déplacé en ce Bourg du Feu - ou à la virginale déesse Velleda, qui devait donner son nom au Velay.

 

Rocher de Joanabel

 

Tout en admirant la vue sur le Vivarais, nous poursuivons sur ce chemin. Nous voici bientôt à un embranchement. Mais le chemin de gauche, montant vers la pinède qui occupe le sommet de la colline, s’orne d’une flèche directionnelle indiquant « Baignoire des Gaulois ». La voici donc enfin, la fameuse baignoire : un rocher peu élevé, marquant le sommet de cette colline portant sur les cartes le nom de « La Volière ». Ce rocher semble en effet « creusé » (osons le dire, le géologue est parti examiner quelques beaux spécimens de cordiérite aux alentours) de plusieurs bassins, dont un gigantesque dans lequel un homme peut aisément se coucher. Plusieurs entailles, dont on imagine qu’elles pouvaient s’obturer à l’aide de coins en bois, pouvaient permettre de vider ou au contraire de laisser rempli d’eau ledit bassin.

 

La « Baignoire des Gaulois »

 

Une pierre bien semblable est visible sur la plate-forme du château de Polignac, près du Puy-en-Velay, un nom qui semble venir du dieu grec Apollon, que l’on présente parfois comme l’équivalent du gaulois Bélénos. Mais il nous faut bien admettre que le vocable « Baignoire des Gaulois » semble être né dans les années 90 de l’imagination d’un journaliste en mal de sensationnel. On imagine mal les Gaulois venir s’y baigner, au sens propre du terme, les ablutions n’ayant jamais été, semble-t-il, leur passe-temps préféré ! Le rocher a peut-être servi par contre pour des rituels de guérison.

 

Une autre baignoire au pied du donjon de Polignac

Par l’agréable chemin descendant en lisière de la pinède, nous atteignons le hameau de Vireuil-le-Haut, auquel les maisons anciennes magnifiquement restaurées donnent un caractère presque provençal. La douceur et la tranquillité semblent avoir ici été élevées au rang d’une véritable institution. Nous regagnons enfin le village de Burdignes, pour une halte bien méritée dans la ferme auberge tenue par la famille Linossier. C’est en dégustant une succulente coupe ardéchoise que nous terminerons notre balade autour du Bourg du Feu, entre Pilat, Velay et Vivarais.







<Imprimer la page> <Retour au Sommaire du Site> <Haut de page>