CHRISTIAN DOUMERGUE présente

OCTOBRE 2007




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Qui est Marie-Madeleine ?


"Marie-Madeleine écoutant le Christ enseigner (Fresque de l'église Sainte Marie-Madeleine, Rome) (Photo de l'Auteur)"

    Selon les évangiles de Jean et de Marc, c’est à une femme, Marie de Magdala (dont le nom est souvent phonétiquement francisé en Marie-Madeleine), que Jésus, ressuscité d’entre les morts apparut. Il la chargea alors d’annoncer la nouvelle de sa résurrection à l’ensemble de ses disciples. « …va trouver mes frères, et dis-leur… » lui demande ainsi Jésus selon l’Evangile de Jean. (XX, 17)

   L’épisode est fondamental et confère, par là même, à Marie de Magdala un rôle fondamental : les théologiens du moyen-âge lui donneront ainsi le titre d’ « apôtre des apôtres ». L’expression traduit bien sa place centrale dans les premières heures du christianisme et son rôle de fondatrice dans ce processus : en témoignant de sa rencontre avec Jésus, c’est elle qui porte aux autres disciples de Jésus ce sans quoi le christianisme n’aurait sans doute pas pris l’ampleur qu’il devait peu à peu acquérir : la croyance en la résurrection. Au XIXe siècle, Renan, que l’on connaît surtout pour l’histoire « humaine, trop humaine » pourrait-on dire, qu’il écrivit de Jésus, put ainsi dire, sans exagération, que Marie-Madeleine était celle qui, après Jésus, avait le plus fait pour la fondation du christianisme.

   Cette importance de la sainte dans les derniers développements des évangiles rend troublante la lecture des Actes des Apôtres. Rappelons que les Actes des Apôtres, cinquième livre du Nouveau Testament, est, en quelque sorte, la suite de l’Evangile de Luc et que, succédant aux évangiles, il rapporte les débuts de l’Eglise. Or, dans cette histoire, il n’est plus question de Marie-Madeleine. Plus troublant encore : Dans la Première épître aux Corinthiens (XV, 3 -5), lettre envoyée par Paul à l’église de Corinthe incorporée elle aussi au Nouveau Testament, Pierre, s’adressant aux disciples, usurpe purement et simplement la place de Marie-Madeleine en affirmant être le premier témoin de la résurrection du Christ…

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    Si les Actes des Apôtres pouvaient donc laisser planer un doute quant à l’origine de la disparition de Marie-Madeleine (cette disparition pouvant s’expliquer par un retrait de celle-ci), la Première épître permet clairement d’établir que Marie-Madeleine a été délibérément écartée de ces écrits succédant aux évangiles. Un constat que confirme ce que l’on a pu constater par ailleurs, car le phénomène est alors général. Certains auteurs, comme le syriaque Ephrem (vers 306-373), vont, dans les transcriptions de textes plus anciens effectuées, sciemment remplacer le nom de Marie Magdala par celui de Marie, mère de Jésus. Autant dire que l’idée attribuant à la misogynie des Pères de l’Eglise l’éviction de Marie-Madeleine du « paysage chrétien » des premiers siècles ne tient pas, puisqu’ici cette mise à l’écart se fait au profit d’une autre femme.

    Loin d’être motivée par son sexe, la « damnatio memoriae » (c’est-à-dire la damnation de la mémoire, un processus d’effacement systématique du souvenir d’une personne couramment pratiqué dans l’Antiquité…) dont est victime Marie-Madeleine trouve donc son origine ailleurs.

    Or, impossible d’établir cette raison à la lecture des évangiles. Le portrait que ceux là permettent de reconstituer de Marie-Madeleine ne porte en lui aucun élément d’exclusion. Signalons ici que l’image peu fréquentable dont le christianisme investit par la suite Marie-Madeleine en faisant d’elle une prostituée repentie, ne trouve aucune confirmation solide dans les évangiles. Il s’agit simplement d’une extrapolation tardive sur le sens à donner au mot « pécheresse » utilisé par Luc à propos d’une femme anonyme et dont l’identification à Marie-Madeleine est encore discutée. S’il peut effectivement s’agir d’elle, notons encore que le terme « pécheresse » tel qu’utilisé par Luc, si l’on est sûr qu’il ne désigne pas explicitement une femme publique, peut par contre, dans le vocabulaire et l’esprit du temps, s’appliquer à une femme instruite. En cela que par son éducation celle-ci aurait outrepassé les conventions et les limites au sein desquelles son sexe aurait dû la retenir…

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    Précisément, les évangiles laissent apparaître de Marie-Madeleine le visage d’une femme instruite. Luc la dépeint ainsi assise aux pieds de Jésus tandis que sa sœur Marthe s’affaire à accueillir chez elles le Maître (Luc, X, 38-42 : notons que nous admettons pour certaine l’assimilation, discutée par d’autres, de Marie de Magdala à la Marie, dite de Béthanie par les théologiens, de l’Evangile de Luc…) Dans la symbolique Antique, « être assis au pieds de… » est synonyme de « être disciple de… » La scène décrite par Luc est donc une scène d’enseignement privé et établit clairement que Marie-Madeleine était une disciple de Jésus, et qu’elle avait reçu seule certaines paroles de ce dernier.

    Cela explique incontestablement le rôle qu’elle joue au moment de la Résurrection, et, plus tôt, lors d’un autre épisode où elle apparaît endosser là encore un rôle clef dans la Mission de Jésus. Matthieu (XXVI, 6) et Marc (XIV, 3) signalent en effet que Marie-Madeleine procéda à l’onction de Jésus en lui versant une huile précieuse sur la tête. C’est ainsi elle qui consacra Jésus en tant que Christ, terme d’origine grecque qui, étymologiquement, signifie l’Oint.

   Enfin, deux autres informations sont décelables dans les évangiles à propos de Marie-Madeleine. La première, donnée par Luc, VIII, 2, signale que Marie-Madeleine suivait Jésus parce qu’il l’avait libérée de sept démons. L’expression a donné lieu à d’innombrables conjectures. On ne peut en réalité la comprendre qu’en la replaçant dans la pensée du temps. Plusieurs écrits intertestamentaires portent la trace d’une croyance assez répandue dans les milieux Juifs (et que l’on retrouvera au centre des cosmogonies gnostiques) où l’homme, dans sa composante matérielle, est placé sous l’emprise de sept démons. La mention de Luc signale donc tout simplement que Marie-Madeleine, ayant adopté la vision dualiste de Jésus, s’était détachée des contingences de ce monde, des désirs inspirés par celui-ci. Interprétation que confirme, chez Luc, l’épisode dit de « la meilleure part » (X, 38-42) où Marie-Madeleine apparaît intégralement détachée des réalités de ce monde. 

   Enfin, Luc VIII, 2 nous apprend aussi que Marie-Madeleine faisait partie des femmes qui assistaient Jésus « de leurs biens ». La seule autre femme explicitement nommée parmi celles-ci, outre une certaine Suzanne, étant Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, cela laisse conclure que Marie-Madeleine était une femme d’un haut statut social et côtoyant, certainement, les cercles de pouvoir… Déduction amplement confirmée par ailleurs.

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   Femme appartenant à une classe sociale élevée, disciple de Jésus toute entière acquise à sa doctrine et ayant acquis par son élévation spirituelle une place particulière auprès du Maître, Marie-Madeleine telle qu’elle apparaît dans les évangiles ne laisse prise à aucune critique pouvant conduire à l’exclusion dont témoignent pourtant avec force les écrits succédant aux évangiles dans le Nouveau Testament.

    De fait, pour comprendre cette éviction, il a fallu attendre la découverte d’écrits incarnant d’autres sensibilités chrétiennes que celles représentées dans le Nouveau Testament. Le christianisme primitif connut en effet différentes formes, parfois radicalement opposées les unes aux autres et qui ne disparurent, ou plus exactement que l’on fit disparaître, qu’à partir du moment où l’une de ces formes, pour des raisons géopolitiques, fut en mesure de dicter sa façon de voir. Dès lors, s’enclencha un véritable processus de persécution, dont un des résultats fut la volonté de détruire systématiquement tout écrit contraire à la doxa dominante.

   Quelques-uns de ces écrits purent toutefois être mis à l’abri et plusieurs ont été retrouvés en Egypte à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ce sont certains d’entre eux, rédigés dans des milieux chrétiens gnostiques durant les premiers siècles, qui ont permis de comprendre enfin le processus d’éviction dont fut victime alors Marie-Madeleine.

   Parmi ceux là, L’Evangile de Marie(-Madeleine), retrouvé dans les dernières années du XIXe siècle sur le sol égyptien, et acquis dès 1896 par le Musée de Berlin, offre une saisissante explication au mystère évoqué.

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    L’épisode décrit par le texte se déroule après la résurrection de Jésus. Celui-ci enseigne à ses disciples, puis leur annonce que le moment est venu pour lui de se retirer. Ce qu’il fait. Les disciples sont pris d’effroi et la plupart, craignant de connaître le sort de leur Maître, en viennent à conclure qu’il vaut mieux reprendre leur vie d’avant. A ce moment, Marie-Madeleine se lève parmi eux, et les exhorte à ne pas laisser prise à leurs craintes. Ses paroles, précise le texte, « tourna leurs cœurs vers le Bien ». Ainsi Pierre s’adresse-t-il à elle pour lui demander, arguant du statut très privilégié dont Marie-Madeleine avait bénéficié auprès de Jésus, de les enseigner. Pierre d’affirmer ainsi que Marie-Madeleine ayant reçu de Jésus un enseignement secret, le temps est venu de délivrer ces dits occultes à tous. Ce que fait Marie-Madeleine. Et c’est là que L’Evangile de Marie prend tout son intérêt d’un point de vue historique. Non pas, dès lors, dans ce que dit la sainte, mais dans la réaction que ses paroles inspirent. Pierre s’insurge en effet contre son enseignement. Il affirme n’y pas reconnaître celui de son Maître et prêtant qu’il ne changera pas ses « habitudes ». La violence de sa réaction suscite la tristesse de Marie. Alors que certains disciples se rallient à elle, d’autres prennent le parti de Pierre et le texte se termine ainsi sur la scission des disciples en deux groupes bien distincts proposant deux visions radicalement opposées du christianisme…

    Cette querelle entre Marie-Madeleine et Pierre, si elle atteint du point de vue de ses représentations son paroxysme dans L’Evangile de Marie, qui en donne la description la plus fouillée à ce jour, est néanmoins un leitmotiv des écrits gnostiques. Ainsi, dans L’Evangile de Thomas, retrouvé à Nag Hammadi en Egypte en 1945, Pierre demande-t-il que Marie-Madeleine soit exclue du groupe des disciples, sous le prétexte qu’elle est une femme. 

    Ce que nous disent ces textes, correspond trait pour trait à la représentation historique des débuts du christianisme à laquelle différentes études conduites au XXe siècle ont permis d’aboutir : celle de l’existence d’une multitude de christianismes primitifs. Ils nous permettent de comprendre l’éviction de Marie-Madeleine par les vainqueurs, ceux qui ont écrit l’Histoire. Ils nous permettent, aussi, de saisir l’enjeu que représente, d’un point de vue historique et surtout « philosophique », la redécouverte de la sainte…   

CHRISTIAN DOUMERGUE
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