Le Menhir du Flat








Présenté par
Patrick Berlier










Mai
2019



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LE SITE DU FLAT ET SES ENVIRONS

 
Balade « scientifique » à Colombier

 

Le samedi 16 mars 2019, profitant d'une magnifique journée de soleil, une bonne partie de l'équipe des « Regards du Pilat » se déplaçait à Colombier, pour une balade printanière avant l'heure. Outre les habitués, Marie-Christine, Bernard, Éric, Gérald, Guy, Lionel, Patrice, Thierry et moi-même, nous avions le plaisir d'accueillir Sébastien, jeune passionné par le mégalithisme, qui souhaitait réaliser diverses mesures sur le terrain, en particulier au niveau des systèmes de visée. C'est l'occasion de revenir en détails sur l'un des principaux sites mégalithiques du Pilat, formant en réalité un ensemble complexe puisque le menhir bien connu n'est que le centre d'une vaste zone où de nombreux vestiges du même type subsistent.

 

CARTOGRAPHIE ET TOPONYMIE

Pour évoquer raisonnablement le site du Flat, il faut d'abord tenter d'éclaircir l'origine étymologique du nom. Le Flat est le terme porté sur les cartes topographiques depuis que l'IGN édite de telles cartes, soit la fin des années quarante. On le sait peu, mais l'Institut Géographique National a été créé le 26 juin 1940 par le Maréchal Pétain. Son activité n'a démarré véritablement qu'en 1947, lorsque le nouveau gouvernement lui demanda de cartographier l'ensemble du territoire français, métropole et colonies. Pour réaliser les photographies aériennes indispensables à la préparation de ces cartes, l'IGN a récupéré un avion américain B 17 « forteresse volante ». Ces premières cartes modernes furent réalisées au 10000e, sans ordinateur, et elles restent un modèle du genre. Avant guerre, on utilisait les cartes dites « d'État-Major », dressées par des officiers de l'Armée de Terre. Leur échelle au 80000e les rendait peu précises, de plus le relief étant exprimé par des hachures, ces cartes devenaient très sombres en zones montagneuses. Il y eut aussi les atlas cantonaux, et sur celui de la Loire qui date de 1887, feuille de Colombier, le site porte le nom « le Plat ». C'est la seule occurrence de ce Flat transformé en Plat, sans doute une erreur de transcription du cartographe. Si l'on remonte encore plus loin dans le temps, le cadastre napoléonien utilise bien le terme Flat. Quant à la carte de Cassini, du début du XVIIIe siècle, elle est à trop grande échelle pour que ce détail apparaisse.

 

Le menhir dans les années 30

(carte postale ancienne)

 

Le Flat doit donc être retenu. Ce terme apparaissait déjà sur la carte postale ci-dessus, document rare qui date des années 30, et c'est sans doute l'une des premières apparitions de l'expression « menhir du Flat ». Mais quelle est la signification de ce nom ? En ancien français le mot flat désigne un choc, une chute, un objet renversé. Certains ont prétendu que le menhir aurait été renversé à une époque, et replanté assez récemment. Dans les années 70, j'ai entendu un agriculteur voisin affirmer : « le menhir, c'est mon grand-père qui l'a remis debout avec son tracteur ». Affirmation bien audacieuse, puisque les géologues nous disent que le menhir n'est qu'une aiguille de granite, encore attachée au socle rocheux. En latin flatus veut dire « souffle, respiration, haleine, vent », ou dans un sens poétique « orgueil, superbe ».

 

LE SITE VU D'AVION

Aujourd'hui le site du Flat autour du menhir est bien envahi par la végétation. Arbres,  arbustes et broussailles ont poussé librement, absorbant certaines pierres comme le « polissoir » qui était encore visible il y a une quinzaine d'années. Pour se faire une idée de ce à quoi devait ressembler le site autrefois, il faut faire appel aux photographies aériennes de l'IGN. C'est le 14 mai 1965 qu'une première photo détaillée a été réalisée. On y remarque que l'ensemble du site forme un espace trapézoïdal aux angles arrondis, dont les dimensions sont approximativement de 90 m de long pour 35 m dans sa plus grande largeur. Il forme avec le nord géographique un angle d'environ 20°.

 

À gauche, l'image aérienne de 1965 (IGN)

À droite, reconstitution du site à partir de cette image.

En pointillés verts, les parties « grignotées » par le champ voisin

 

Sur l'image aérienne, cet espace sacré du Flat apparaît, d'une part, circoncis par un chemin formant une sorte d'enceinte, et d'autre part il semble subdivisé en zones. Côté sud il y a une zone à peu près circulaire, son centre étant marqué par le menhir, dont on distingue parfaitement l'ombre portée sur le sol. On voit qu'à l'époque il y avait un chemin bien marqué quasiment sur tout le pourtour du site, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, puisque une partie a été envahie par les broussailles, et que le champ voisin arrive actuellement jusqu'au pied du tumulus. Ce champ a d'ailleurs gagné petit à petit tout le terrain disponible sur la limite ouest du site, déjà en 1965 le chemin d'enceinte n'était plus visible sur cette partie-là. Par contre la photo aérienne révèle que ce chemin était bien présent de l'autre côté ; il passe à travers les rochers à l'est du menhir, puis se poursuit rectiligne jusqu'à rejoindre le chemin qui descend vers la rivière. À l'intérieur de la zone on remarque des sentiers qui ont disparu aujourd'hui pour la plupart, hormis le petit morceau permettant d'accéder au menhir depuis le chemin d'enceinte à l'est. Dans l'axe de la zone, l'extrémité SSO est marquée par un rocher bien visible, et cet axe semble se poursuivre un peu par un bout de chemin. Sur cette photo apparaissent aussi assez nettement les trois enceintes successives dont parlait Raymond Grau, information reprise par André Douzet dans son livre Mystérieux Pilat mégalithique et médiéval.

 

GÉOLOGIE

Tout le site du Flat est constitué de granite à biotite, autrement dit à mica noir. Une faille quasiment nord-sud le longe à l'est. Au début des années 2000, j'ai eu l'occasion de venir au Flat avec le géologue qui à l'époque présidait le Conseil Scientifique du Parc Naturel Régional du Pilat. Pour lui tout ou presque était naturel. Le granite présente des diaclases ou fissures qui peuvent déliter la roche en blocs grossièrement cubiques. Au Flat ces diaclases sont orientées verticalement. Certaines parties plus fragiles se sont érodées, et ainsi se seraient créés les « viseurs » dans le rocher à l'est du menhir. Même les deux grands bassins auraient aussi une origine naturelle. Pourtant il s'agit de « bassins binaires », identiques à ceux que l'on trouve par exemple aux Pierres Juton : un bassin rond avec rigole d'écoulement, un bassin ovale sur fissure. Une diaclase, il est vrai, traverse chacun des bassins.

 

Les deux bassins du Flat

 

En revanche, il est évident que ce même rocher a été taillé pour permettre le passage du chemin d'enceinte, et ainsi les glissières se sont retrouvées à hauteur d'homme, ce qui permet de « viser » le sommet du menhir. Même si ces collimateurs sont naturels, ils ont été utilisés pas l'homme.

 

Le sommet du menhir vu de l'un des « viseurs »

 

ÉTAT DES LIEUX AUJOURD'HUI

Nous accédons au site par le chemin habituel, qui à partir du hameau du Flat, situé un peu à l'écart du village de Colombier, longe le pré en pente douce, puis oblique à droite quasiment à angle droit. Dans cet angle, à gauche arrivait autrefois un vieux chemin, voie protohistorique que la tradition dit descendre de Saint-Sabin. On en retrouve la trace au hameau des Bernes, mais ce chemin n'est plus praticable aujourd'hui. En abordant le site proprement dit, nous sommes accueillis par une première pierre, dont le sommet est creusé d'une petite cupule, et qui vue du chemin offre, avec beaucoup d'imagination, l'image d'un profil humain : c'est l'un des « cinq visages du Flat ». Ainsi désigne-t-on les cinq faciès, humains ou non, qui semblent se dessiner sur certains rochers.

 

Trois des « cinq visages » - à gauche celui de la pierre d'accueil

à droite les deux du grand rocher au sud des « viseurs »

 

Outre ce premier visage, tourné vers le nord, et celui du menhir, tourné vers l'ouest, il y a deux autres faciès humains sur le grand rocher situé tout au fond du site, au sud des « viseurs ». L'un est couché et regarde le zénith, l'autre regarde le sud. Chaque visage regarde ainsi un point cardinal ou vers le haut. Le cinquième faciès n'est pas humain, c'est une tête d'animal, un cervidé dirait-on, tournée vers l'est, qui se trouve sur la face nord du grand rocher aux « viseurs ». Cet endroit est totalement envahi de broussailles et de végétation aujourd'hui, impossible d'y aller, mais on trouve sur Internet (site de géocaching) une photo prise le 2 mars 2012, à un moment où ce rocher était totalement dégagé. Ce document assez exceptionnel, dû à notre ami « Danrando », permet de noter qu'un gros morceau du roc à gauche a été détaché, mais vu la couleur claire de la pierre, cette cassure ne devait pas être très ancienne, peut-être due à un impact de foudre.

 

Le grand rocher à l'est du site – profil de cervidé

 

Mais revenons à notre cheminement vers le menhir. Gérald nous montre, au bord du sentier, une pierre où nous remarquons les habituelles cupules en amandes allongées, formant des « pointillés », vestiges d'une tentative de découpe, très vieille celle-là.

 

Pierre avec ébauche de découpe en pointillés

 

Le chemin oblique un peu sur la droite et remonte légèrement ; jadis il continuait tout droit comme le montre la photo aérienne. On arrive ainsi face au menhir. Sur son côté ouest apparaît le fameux visage humain, déjà visible sur les photos anciennes du début du XXe siècle. Côté est il y a la gravure d'un poignard, mais il faudrait venir le matin pour le distinguer.

 

Le menhir du Flat en début d'après-midi

En médaillon le visage mieux éclairé un peu plus tard dans la journée

 

Sébastien descend dans les « glissières » pour mesurer les azimuts des axes de visée. Selon ses analyses, l'azimut moyen est d'environ 264°. C'est un axe ouest que l'on pourrait interpréter comme proche des équinoxes, où l'on aurait un azimut 270° pour une élévation de 0°, comme ici on a une élévation de 16° environ le soleil peut passer par cet axe avant un coucher effectif.

 

Sébastien en plein travail – le résultat de ses mesures

 

En 1978, lors de l'une de mes premières visites sur le site, j'avais eu la chance de photographier le passage du soleil pile au sommet du menhir, vu par les « viseurs ». Cet aspect était visible un mois après l'équinoxe de printemps, soit vers le 20 avril. La photo n'est pas terrible, c'est une diapositive que j'ai repris en numérique, mais elle témoigne tout de même de la réalité du phénomène.

 

Passage du soleil au sommet du menhir vu par l'un des « viseurs »

 

Sur le sommet du tas de cailloux au SO du menhir, qualifié de « tumulus », un ensemble de grosses pierres semble orienté vers le coucher de soleil au solstice d'hiver. L'axe pointe vers un creux dans le relief proche entre deux collines et fait penser physiquement à un symbole connu en Égypte, celui du soleil dans une barque. Les azimuts des deux collines concernées sont de 216.26° et 236.84°. Ce creux entre deux collines, derrière lequel doit se coucher le soleil, n'a pas de nom particulier, ni ni les collines elles-mêmes. Mais on remarque un peu plus à l'est le hameau de Bel-Air, un toponyme typique dérivé de Bel ou Belenos, le dieu gaulois du soleil.

 

Le creux entre deux collines – emplacement du coucher du soleil

 

La direction du lever de soleil au solstice d'été ne paraît pas être matérialisée sur le site, mais on trouve dans cette direction, sur la colline d'en face, le lieu-dit Faux-Soleil, trahissant peut-être une antique pratique, celle d'allumer un feu qui, vu du Flat, précéderait le lever du « vrai » soleil ce jour-là précis.

Contourner le site par le sud s'avère difficile en raison de la végétation qui obstrue l'ancien chemin d'enceinte, lequel n'est plus qu'un souvenir, mais nous y arrivons quand même, pour déboucher dans le champ à l'ouest. Aujourd'hui c'est une prairie, ce qui facilite bien la circulation de ce côté-là. Pendant longtemps ce fut un champ de blé. Nous nous retrouvons donc face au grand « tumulus », et le fait de pouvoir descendre dans le pré nous permet de l'apprécier dans son ensemble. On note que sa base est formée de pierres bien appareillées.

 

Le grand tumulus

 

En poursuivant par ce qui dut être il y a bien longtemps le chemin d'enceinte de l'ouest, nous mesurons l'emprise du pré sur l'ancien site sacré. Dans les années 80, j'ai vu le labourage, préalable à l'ensemencement du champ de blé, gagner chaque année un peu plus de terrain sur la parcelle voisine.

 

Côté ouest du site – en clair l'emplacement supposé du chemin d'enceinte

 

Nous arrivons à l'angle NO du site, où se trouve un autre « tumulus », plus petit, également aux pierres bien alignées à la base. C'est ce tumulus qui forme la « première enceinte ». La seconde a disparu sous les broussailles, et la troisième est plus virtuelle que réelle aujourd'hui, puisque formée par le chemin entourant la zone circulaire dont le menhir marque le centre. Il n'en reste plus guère que le passage en creux dans le rocher au niveau des « viseurs ».

 

Le petit tumulus

 

LE SITE DES BERNES

Gérald veut nous monter une pierre près du hameau des Bernes. Pour l'atteindre nous empruntons le chemin qui descend vers la rivière, le Ruisseau de Combarot, qui est un affluent du Ternay. Nous rejoignons une piste forestière récemment tracée, laquelle nous permet de remonter ensuite sur le vieux chemin des Bernes. Avant d'arriver sur le replat, il y a en effet une pierre, assez imposante, creusée de cinq bassins de belle grosseur. Comme les empreintes des doigts d'une main ou plutôt d'une patte. Gérald nous signale qu'il s'agit de la Pierre Saint-Maurice. Il y a aussi une Roche Saint-Maurice, au sommet du Crêt de la Garde, creusée d'une cupule en forme de sabot de cheval, qui doit son nom au fait qu'elle serait tournée vers Saint-Maurice-l'Exil, soit la direction du soleil levant au solstice d'été. Pour Gérald, il y a des rapports étroits entre saint Maurice, saint Martin et l'ours. Le hameau des Bernes, comme la ville de Berne en Suisse, semble devoir son nom au germanique Ber, ours.

 

Pierre Saint-Maurice et ses bassins

 

Sébastien nous livre ses conclusions. Donc il s'agit bien d'une roche aménagée comme en témoignent les cupules, par contre elle a aussi servi de carrière d'extraction, un bloc en contrebas provient de la masse et a été débité mais laissé sur place, son emplacement d'origine est clairement défini dans la masse. Des traces de saignées sont visibles sous la mousse et ne correspondent pas à l'érosion naturelle de la roche. La masse rocheuse se fractionne par érosion et mouvement de terrain en « tranche » très marquée sur une orientation de fissuration est-ouest. On retrouve cette orientation générale sur les « glissière » du Flat, les deux sites se trouvant à faible distance l'un de l'autre.

 

La pierre vue de chemin en contrebas

 

La localisation du rocher est par contre intéressante en rapport à sa toponymie. Plein nord par rapport au Flat ! Dans l'axe de l'étoile Polaire et donc des constellations de la Petite Ourse et de la Grande Ourse. L'explication du toponyme prendrait ici tout son sens. Les deux sites étant naturels, ils n'ont donc pas été disposés dans cet axe, mais comme ils sont aménagés il est possible d'imaginer qu'un lien a été fait et a permis un rapport avec une symbolique ou une observation.

 

AUTRES SITES À DÉCOUVRIR

Nous manquons de temps pour aller sur les autres lieux intéressants proches du Flat. Il y a cette Roche Saint-Maurice, pour laquelle il nous faudra prévoir une autre balade. Plus proche, il y a aussi non loin des anciennes mines de Mizérieux et sous le hameau des Roches, un « tumulus » bien semblable à celui du Flat, avec une petite chibotte ou case aménagée dans son épaisseur. Et encore le site des Roches, et la « Pierre à Dents », que nous avons évoqué dans le dossier Pierres & mégalithes du chemin des étoiles.

 

Chibotte et tumulus à Mizérieux

 

Tout cela fera l'objet de prochaines sorties. Il y a encore bien des choses à découvrir dans notre Pilat.




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