Un Coin Sympa





Présenté par
Patrick Berlier


Décembre
2011


UNE FLÂNERIE AUTOUR DE SAINT-JULIEN-MOLIN-MOLETTE


C’est aux portes du Vivarais que nous nous rendons pour cette nouvelle flânerie pilatoise. Direction le beau village de Saint-Julien-Molin-Molette, dont le nom « à charnière » ajoute à son charme naturel. La bourgade est nichée au cœur de la vallée du Ternay, peu avant son confluent avec la Déôme, sur l’antique route reliant la vallée du Rhône à la vallée de la Loire, que fréquentaient déjà les Romains et les légions de César. On y croise la route non moins ancienne allant du « Pas du Bessat » (la Croix de Chaubouret) à Annonay par Colombier. Quoi de plus naturel qu’un village soit né à ce carrefour ancestral ? D’autant que le Ternay possédait le débit et la puissance nécessaires pour faire tourner bon nombre de molins (moulins), à farine ou à huile, et de molettes à aiguiser lames et couteaux.




La vallée de la Déôme, vue de la Rivoire

« Eh oui, les molins et les molettes, voilà l’origine du nom de notre cité », annonce fièrement une voix, celle d’un autochtone qui se propose aimablement de nous servir de guide, ce que nous allons accepter bien volontiers.


Au commencement était le plomb

« Et d’abord, savez-vous comment se nomment les habitants de notre village ? », poursuit notre interlocuteur. Devant notre aveu d’ignorance, l’homme précise : « les Piraillons, tel est officiellement le gentilé de Saint-Julien-Molin-Molette ». Il n’a pas besoin d’ajouter que « gentilé » est le terme utilisé pour désigner le nom des habitants d’une ville, cela tout le monde le sait ! Quant au nom Piraillon, notre guide va évidemment nous fournir son étymologie : « c’est le sobriquet donné aux pauvres travailleurs qui toute la journée, et pour un salaire de misère, grattaient les sols pierreux de nos collines pour y trouver du minerai de plomb. Malgré son côté péjoratif, le nom Piraillon est resté associé aux habitants de notre village. »

Du minerai de plomb, il y en avait depuis toujours dans les sous-sols du pays. Déjà les Gaulois l’exploitaient pour leurs poteries. Ce minerai a trois appellations. En termes techniques c’est du sulfure de plomb. Le terme populaire est la galène, on l’utilisait avant 1914 pour les postes de TSF. La troisième appellation est le mot alquifoux, un peu désuet mais figurant toujours au dictionnaire. C’est le terme employé par les potiers. Après avoir été réduit en poudre, il était mélangé à de l’eau et de la bouse de vache, pour former une pâte appliquée sur les poteries. Lors de la cuisson, le sulfure fondait et donnait à la poterie un vernis brillant à l’aspect glacé du plus bel effet, le rôle de la bouse de vache étant d’éviter l’oxydation. Les potiers gaulois étaient passés maîtres dans cet art, transmis aux générations suivantes, et Saint-Julien constituait donc un centre artisanal de poterie, très apprécié.

Au début du XVIIIe siècle, l’importance des gisements de Saint-Julien, et leur teneur en plomb, attira l’attention d’un jeune maître mineur d’origine autrichienne : François Kayr de Blumenstein. Il obtint du régent Philippe d’Orléans l’autorisation d’exploiter les gisements de Saint-Julien, ce qui n’alla pas sans déclancher quelque opposition de la part des gens du pays. Blumenstein dut concéder aux potiers une rétrocession de près de 10 % du minerai extrait. L’exploitation démarra en 1717 et dura jusqu’en 1831. Trois générations de Blumenstein se succédèrent à sa tête. On fit venir, pour encadrer les ouvriers du cru, des mineurs de Saxe ou du Tyrol. Beaucoup sont restés dans la région où ils ont fait souche, et ont encore de la descendance, ce qui explique les nombreux noms de famille à consonance allemande de Saint-Julien.

L’épuisement des filons, le faible rendement des minerais avec les procédés de l’époque (35 à 40 % contre 55 % aujourd’hui), ont eu raison des mines de Saint-Julien. Il n’en reste que les « haldes », ces longues traînées blanches qui barrent les collines environnantes, la teneur en plomb de ces crassiers empêchant toute repousse de la végétation. Reste aussi le souvenir des pauvres ouvriers qui s’épuisaient à extraire le minerai, à le dégager au marteau de sa gangue de roches impures, mais ces piraillons ont finalement pris leur revanche en donnant leur surnom aux habitants du village.



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SAINT JULIEN, PRIEZ POUR NOUS

Bon, les Piraillons, Molin et Molette, on a compris… Mais pourquoi Saint-Julien ? C’est évidemment le nom de la paroisse, donc de son saint patron. Ce saint Julien-là est purement régional, c’est un martyr fuyant Vienne, au temps des persécutions, qui arrivé à Brioude se livra lui-même au bourreau. Son culte s’étend essentiellement entre vallée du Rhône et Auvergne. Il y a aussi un saint Julien légendaire, patron des voyageurs et des pèlerins, lesquels ne manquaient pas non plus sur la grande route du Puy, allant prendre le départ du pèlerinage de Compostelle.





L’église

Notre guide nous entraîne vers l’église. C’est un édifice modeste, remanié maintes fois au cours du temps. Difficile d’en déterminer l’époque d’origine. On sait que l’église de Saint-Julien est citée dans le Cartulaire du Prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue, établi en 1090. En 1596 Marguerite de Gaste, héritière des Gaste seigneurs de Lupé, fait don d’une tour pour servir de clocher. Le clocher actuel, bâti sur la tour de Marguerite, n’a été achevé qu’en 1683. Presque toutes les grandes familles de la région ont eu l’un des leurs enterré dans l’église : Gaste de Lupé, Roussillon, Pagan, Urfé.





Boiseries du chœur

Les boiseries du chœur proviennent du prieuré de Colombier, mais il s’agit là de Colombier-le-Cardinal, en Ardèche proche. Les vitraux quant à eux datent du XIXe siècle, ils sortent de l’atelier Mauvernay, un vitrailliste réputé. Les détailler n’est pas inutile. Au centre Jésus-Christ est entouré de celui qui l’annonce, Jean-Baptiste, et de celui qui lui succède, Pierre. Saint Jean-Baptiste tient classiquement une croix autour de laquelle s’enroule une bannière porteuse d’une inscription : ECCE AGNVS DEI (Voici l’agneau de Dieu), parole extraite du verset 29 de l'Evangile de saint Jean. On remarque encore les lettres PE, seule partie visible de la suite du verset : QVI TOLLIT PECCATVM MVNDI (qui enlève les péchés du monde). Saint Pierre est reconnaissable aux clés qu’il tient dans la main, et surtout au coq visible à ses pieds, son emblème bien connu. Il tient un parchemin sur lequel on déchiffre : Tu es Petrus et super hanc petram ædificabo æclesiam meam (tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église).





Le triptyque central

De part et d’autre de ce triple vitrail central sont les vitraux consacrés aux quatre évangélistes. Chacun tient un livre ou un parchemin sur lequel on déchiffre les formules latines qui les caractérisent. Pour saint Jean : In principio erat verbum (au commencement était le Verbe), premier verset du premier chapitre de son évangile. Pour saint Matthieu : Christi generatio inspiré de la formulation exacte liber generationis Iesu Christi (livre de la genèse de Jésus-Christ), premier verset du premier chapitre de son évangile. Pour saint Marc : Vox clamantis in deserto (voix de celui qui crie dans le désert), troisième verset du premier livre de son évangile. Enfin pour saint Luc on déchiffre seulement les mots evangeliso magnum extraits de la phrase ecce enim evangelizo vobis gaudium magnum (voici que je vous annonce une grande joie), dixième verset du chapitre deux de son évangile.

Près de l’église voici l’espace aux six fontaines, une œuvre d’art moderne magnifiant les formes arrondies du galet, comme le fit l’enfant du pays, le sculpteur Louis Bancel (1926 - 1978). Connu dans le monde entier, avec des expositions à New-York comme à Tokyo, Bancel ne fut cependant pas prophète en son pays, et demeure un inconnu pour beaucoup de Piraillons. Son œuvre célèbre les formes épanouies de la féminité et de la maternité, avec cependant une exception pour le monument aux victimes de la déportation, dans le cimetière du Père Lachaise à Paris, où des personnages au contraire décharnés symbolisent la résistance de l’homme face à ses bourreaux. Il faut voir à Bourg-Argental, au premier étage du Châtelet, la salle d’exposition permanente qui lui est désormais consacrée.


Une œuvre de Louis Bancel (espace Louis Bancel, Bourg-Argental)

Pays d’artisans, Saint-Julien-Molin-Molette tente de perpétuer cette tradition, en installant artistes et artisans dans les immenses bâtiments déserts des usines désaffectées, témoins d’un passé révolu où tissages et moulinages assuraient la fortune du village. C’est ainsi que bonbons, berlingots, guimauves, ou encore bière bio artisanale, tentent aujourd’hui de redorer le blason d’antan.



SUR LE CHEMIN DES ANGES, LE CALVAIRE - ROSAIRE

Nous quittons le centre du village pour prendre le chemin des Anges, un nom bien choisi puisque la ruelle en forte montée semble vouloir conduire tout droit au Paradis. Nous nous arrêterons un peu avant, pour pénétrer à gauche dans un grand parc arboré et clôturé. S’y rassemblent dans un même espace les 14 stations du chemin de croix, et les 15 mystères du rosaire, accompagnés de nombre de statues et de grottes en rocaille. Cet ensemble considérable, témoin de la ferveur religieuse des Piraillons, fut édifié à partir de 1886 par le curé Joseph Rajat. Il est dû au talent de Joseph Fabisch, sculpteur officiel du diocèse de Lyon, à qui l’on doit en particulier le calvaire de Lyon et celui de Valfleury, sans oublier la célébrissime Vierge de Lourdes. Il fut aidé dans sa tâche par Pierre Vermare, autre sculpteur, Villard et Fournier, fondeurs, et Favier, rocailleur.

Dans la partie droite du parc, les trois croix du calvaire s’élèvent au sommet d’un tertre artificiel, où s’ouvre la grotte de Notre-Dame de Pitié. À l’intérieur, décoré dans l’esprit très kitch du XIXe siècle, un puits de lumière éclaire une piéta pathétique. De part et d’autre se succèdent, contre le mur d’enceinte, les stations du chemin de croix.


Sous l’éclairage zénithal de la grotte, la Piéta de Fabisch

Dans la partie gauche du parc deux autres grottes en rocaille s’élèvent : la grotte de Notre-Dame de Lourdes et celle, plus surprenante, de Notre-Dame de la Salette. Contre le mur, les quinze stations du rosaire alternent avec de nombreuses statues.




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QUELQUES CHÂTEAUX POUR RÊVER, ET UN LAC POUR RESPIRER

Il n’y a semble-t-il jamais eu de château à Saint-Julien. On le comprend, par rapport à la situation en fond de cuvette du village. Mais plusieurs maisons fortes, auxquelles les croyances populaires ont attribué une aura de mystère, contrôlaient les routes y accédant. La légende parle d’abord des châteaux de Pique-Cul et de Mallamort, de part et d’autre de la route de Colombier. Il s’agit de simple tas de cailloux, à la rigueur d’enceintes celtiques comparables à celle de Saint-Sabin ou des Trois Dents.

Plus réelles sont les maisons fortes de Lampony, sur la route de Bourg-Argental, dont il ne reste pas grand-chose, et surtout de la Rivoire, au sud du village, dominant la vallée de la Déôme. C’est une grosse maison, avec des tours d’angle massives. Elle remonte au XVIe siècle et a appartenu à diverses familles nobles de la région, comme les Harenc ou encore les Montgolfier. C’est aujourd’hui une maison transformée en chambres d’hôtes. L’accueil y est sympathique, les grands lits confortables, la table fait honneur aux produits du terroir et aux légumes du jardin. Cette maison isolée dans la campagne est surtout très dépaysante : à moins d’une heure de Lyon, à trente minutes de Saint-Etienne, on se croirait beaucoup plus au sud, dans le Vivarais ou en Provence. Idéal pour passer un week-end relaxant en amoureux.


L’ancienne maison forte de la Rivoire


Depuis la Rivoire, il est possible, à pied ou en voiture, d’aller faire une balade au bord du lac du Ternay. C’est un lac de barrage, construit sur le Ternay au XIXe siècle pour l’alimentation en eau de la ville d’Annonay. Un chemin bien agréable en fait le tour, et des bancs aménagés tout au long du parcours permettent d’apprécier le calme des lieux, à l’ombre des séquoias, ces grands conifères d’Amérique du Nord particulièrement bien adaptés à la région. Depuis le mur du barrage, on peut admirer les crêts du Pilat se reflétant dans les eaux calmes.


Le lac du Ternay et les crêts du Pilat




Patrick au pied d’un séquoia



Un lien utile vers le site de la chambre d'hôtes La Rivoire, des gens bien sympas, un couple de jeunes, c'est ici  : http://rivoire.webnode.fr/ 


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