REPORTAGE DES REGARDS DU
PILAT
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"Comment une Drôle de Petite Reine
me conduisit sur Le Chemin du Graal, Ou les étranges pérégrinations dans le Pilat d'un cycliste romancier" |
DÉCEMBRE 2007
Par le Subtil et Énigmatique
Adonis LEJUMEAU
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Lorsque Thierry me proposa de figurer dans la joyeuse bande de chroniqueurs de Regards du Pilat, j’étais impressionné d’être entouré d’une telle concentration d’amoureux du Pilat possédant un capital de recherches sans équivalent sur ce massif riche en mystères et en légendes. Pour ma part, né en face du Mont-Blanc, je ne peux vivre très longtemps loin de la présence rassurante d’une montagne. Aussi, depuis plus de neuf ans, dans la petite cité de forgerons où je réside, je me réveille chaque jour en contemplant les formes alanguies du Pilat, changeantes en fonction des heures, des saisons et de la météo du jour. Je vois souvent luire la fameuse Pierre qui Chante, au-dessus de Comme tout honnête homme, cherchant et persévérant, chacun de mes jours est placé sous le signe de la recherche du Graal, ce but ultime qui est souvent le fruit de toute une vie. Pour dire deux mots de mes travers, je dois annoncer la couleur : depuis toujours je vis une passion pour une petite reine. La mienne est parée d’une robe bleue intense, tressée de carbone et comme toute passion secrète, je l’abrite dans une garçonnière de quelques mètres carrées, bien cachée derrière la maison familiale. Son cadre est de forme triangulaire, comme le ternaire cosmique aux divines proportions. Ses roues circulaires, sont des ouroboros figurant la perfection céleste, l’éternel retour ou le cercle indéfini des renaissances. Son guidon, en forme de cornes de bélier, en adopte les attributs symboliques de la corne d’abondance. L’on dit que ce véhicule symbolise l’évolution en marche et qu’il permet au rêveur d’enfourcher son inconscient, en évitant bien sûr de perdre les pédales, adoptant à son gré la personnalité qui lui est propre et n’étant subordonné à personne pour aller où il veut. Pour ce qui me concerne, ma quête du Graal est indissociable de longues chevauchées sur cette drôle de petite reine le long des routes tourmentées du massif du Pilat. Don Quichotte avait besoin de moulins à vent pour réaliser sa Geste, pour ma part les cols routiers ont un pouvoir d’attraction et un potentiel dramaturgique inégalables à mes yeux et cela depuis toujours. Possédant quelques qualités de grimpeur, les ascensions à affronter sont autant de chevauchées au cours desquelles mes adversaires se nommeront vent contraire, coup de fringale, température trop froide ou trop caniculaire. Mais j’aborde chacune d’entre elle avec la mentalité du jacquaire : allant à la découverte de l’itinéraire que je me fixe à l’avance ou que j’improvise en fonction de mes sensations, j’essaye d’aller au bout de moi-même et souvent parfois plus loin. La découverte du Graal est à ce prix, je le sais ! |
Lorsque j’aborde le massif du
Pilat par la vallée du Couzon, je tends l’oreille en passant à la hauteur du
pont d’Arcole, histoire de ne pas me laisser surprendre par le chevalier
gardien de la porte de A l’entrée de Pavezin, après une
montée à la pente inégale, je suis toujours en admiration devant la croix en
fer forgée placée sur la droite de la chaussée à l’entrée du bourg, à l‘endroit
ou la route s’aplanie un peu. Elle proviendrait de Arrivé au col, je me trouve à un croisement de cinq chemins. Cinq, comme le nombre de l’homme dans certaines traditions. La tradition locale d’il y a un siècle, amenait des hommes amoureux de cyclotourisme à se rassembler ici à la saison des châtaignes, autour de leur grand maître Paul de Vivie, l’inventeur entre autres du dérailleur et amoureux invétéré de sa petite reine, lui aussi. Aussi, je ne manque jamais de lever les yeux sur la plaque commémorative fixée sur la partie haute de la façade de l’auberge du col, qui rappelle ici sa mémoire. Mon regard a toujours tendance à se porter un peu plus haut, vers les bois du Mont Ministre qui abritent la grotte des fées, dans l’espoir sans doute d’en voir voleter une ou deux au-dessus des arbres. Empruntant la direction de Pélussin, après quelques kilomètres d’un faux plat descendant sous les frondaisons de massifs châtaigniers (lesquels sont le symbole de la prévoyance selon diverses traditions), qui laissent de temps en temps apercevoir la vallée du Rhône et les montagnes du Vercors au lointain, plusieurs itinéraires s’ouvrent à l’amoureux de sa petite reine que je suis : -Soit tourner à droite pour affronter la terrible montée du col de l’Oeillon. Treize virages se succèdent alors jusque au sommet, avec des pentes au pourcentage casse-pattes et souvent dans un air étouffant, notamment dans la première portion dépourvue de tout ombrages. Le grand champion Bernard Thevenet qui compte dans mes relations amicales, pourtant grimpeur hors pair, me confiait récemment qu’il avait vécu un jour de galère dans ce col sous la neige, lors d’une étape de Paris-Nice en 1980. Souffrant d’un point de bronchite, il avait gravit la pente en ayant l’œil rivé sur le pic des trois dents. « J’ai encore en moi l’image d’un calvaire terrible et ces trois dents au lointain avaient pour moi un air de véritable Golgotha ! ». Ces trois dents symbolisent pour certains les trois éléments : l’eau, l’air et la terre. Quoi de plus normal en somme que ce grand champion, dans un jour « sans », ait transpiré de tout son corps, à court d’air et les poumons en feu, touchant ainsi du doigt la triste condition du terrien de base qu’il était redevenu pour un jour. Dans le milieu des années quatre-vingt, j’étais au bord de la route au sommet du col pour voir passer une étape du Tour de France. A l’arrière du peloton de tête, j’avais vu passer mon ami savoyard André Chapuis. Je me souvins alors que douze ans plus tôt, jeunes coureurs juniors, nous nous étions retrouvé tous les deux en tête dans le dernier col d’une course régionale, ayant laissés les meilleurs seniors loin derrière nous. J’avais craqué à quelques encablures du sommet, pas lui ! Il était ensuite devenu coureur professionnel et venait cette année-là de gagner une étape du critérium international devant Laurent Fignon et une étape du tour de Vendée devant Bernard Hinault. Il avait la mâchoire crispée et les yeux fixant un point invisible à d’autres que lui en passant devant moi, il était manifestement au maximum de ses possibilités pour ne pas se faire lâcher. Après l’arrivée à Saint Etienne, il m’avait confié que pendant toute la montée il avait en permanence dans son champ de vision le relais de télévision qui brillait de mille feux au soleil de Juillet : « Dans ma tête,
c’était l’obélisque de En utilisant une métaphore alchimiste, je dirais que dans les conditions de cette ascension Bernard Thevenet était dans la phase de l’œuvre au blanc, l’état de l’homme véritable, et André Chapuis dans celle de l’œuvre au rouge, état de l’homme transcendant. |
La montée vers le col de Et comme tout bon descendant gaulois que je suis, il me tente souvent aux sommet du col de partir à la recherche d’un certain chaudron magique que Patrick Berlier a cru repérer bien abrité sous les feuillages, chaudron qui permettrait de confectionner une potion magique revigorante, du type de celles que les cyclistes apprécient habituellement pour défier les lois de la pesanteur sur les pentes les plus rudes La descente très rapide vers L’entrée dans le bourg de Et d’ailleurs, c’est dans cette
direction que je me dirige moi aussi. A la sortie de Après avoir grimpé plusieurs
kilomètres sur une route longeant bien souvent des sapinières odorantes, aux
fragrances plus marquées selon la saison, la qualité de la rosée matinale ou
lorsque il arrive qu’une petite pluie m’ait précédée, je bascule ensuite au
sommet du petit col de Et plus bas, je rejoins les itinéraires déjà décrits, empruntant alors celui qui correspond à mon humeur du jour. Mais la route la plus
emblématique à emprunter pour un cycliste avide de tutoyer la légende des
forçats de la route, est celle incontestablement qui mène au col de Cette route avait vu, dès 1902,
le passage des premiers Tours de France. Cette épreuve, la plus formidable que
l'on ait jamais tenté d'organiser avait vu le jour, grâce au journal parisien L'Auto.
Il s'agissait au départ de rien de moins
que d’effectuer le Tour de l’Hexagone en six étapes. Les principaux points du
parcours, ceux où les étapes prendront fin, étaient Lyon, Marseille,
Saint-Étienne, Toulouse, Bordeaux, Nantes et Paris, pour un total de La nouvelle épreuve était dotée de 20 000 francs de prix. Cette initiative était due à un dénommé Henri Desgranges, qui avait à cœur que le journal L'Auto-Vélo, créé par le fabricant de pneus Adolphe Clément, qu'il dirigeait, puisse se démarquer de la concurrence du journal Le Vélo de Pierre Giffard. L'idée émanait d'un de ses collaborateurs, Géo Lefèvre, et avait été émise à l'occasion d'un déjeuner à la brasserie Zimmer au mois de novembre 1902. |
Saint-Étienne avait déjà une tradition vélocipédique, puisque depuis plus de vingt ans des compétitions se déroulaient dans notre région, nous possédions d'ailleurs un des apôtres de cette discipline sportive, le fameux Paul de Vivie, promoteur entre autres de la revue Le Cycliste et grand inventeur sur le plan technique. Il faut d’ailleurs se rappeler que ce petit homme barbichu et souriant, adepte du cyclotourisme comme il disait, inventa une sorte de boîte de vitesse qu’il appelait un dérailleur et qui permettait de faire sauter la chaîne d'une denture sur l'autre pour bénéficier de celle qui paraissait la plus appropriée en fonction du profil de la route. Il prêcha longtemps dans le désert avec son invention, car les compétiteurs de cette période considéraient que ce système de changement de vitesse était sans utilité et que ce qui importait était de développer la plus grande souplesse des jambes sur le plat, et la puissance dans les côtes. Le départ de ce premier Tour de C'est dans la nuit du 5 juillet
que fut donné le départ de la deuxième
étape de
Beaucoup de monde guettait l’arrivée des
coureurs aux abords du Café du Dix-neuvième siècle
sur la place Fourneyron à
Saint-Étienne, où se trouvait un point de contrôle
de passage. L'organisation
avait dépêché un dénommé Georges
Abran, à la moustache hérissée et à la face
rubiconde, pour assurer le pointage des concurrents. Un peu avant les quatre heures du matin, les spectateurs avaient pu entendre s'égrener une litanie de sonneries précédant l'arrivée dans la brume du petit matin du premier coureur, qui s'empressa d'aller signer au contrôle de passage. Il s'agissait de Jean Fischer dit «le grimpeur», il était exactement 3 heures 59. A peine avait-il enfourché sa
monture et descendu la rue de Certains étaient pour le moins
originaux, comme un certain Fourreaux,
surnommé « le menuisier volant », car il portait au dos
de son maillot une sorte d'énorme rabot, ou encore Ménachon «le pédaleur du
talon», Pasquier «le barbu volant», Pothier «le terrible boucher de Sens»,
Paggie «le prince de la mine», Dargassies «le forgeron de Grisolles». C'est l'immense Hippolyte Aucouturier qui régla de deux longueurs Léon Georget à l'arrivée sur l'hippodrome du Parc Borelli de Marseille en hurlant comme un forcené «J'ai gagné, j'ai gagné !», cela plus de douze heures après leur traversée de Saint-Étienne. La même étape l'année suivante avait donné lieu à des incidents fort regrettables, restés dans la légende du Tour : Le scénario était quasi-identique à l’année précédente, avec un départ de Lyon un peu plus tôt, vers les minuits et demi. A deux heures quarante cinq, les sonneries de clairon précédèrent le premier coureur qui arriva sous les lueurs des feux de Bengale. Il s'agissait du Stéphanois Antoine Faure qui se présenta au contrôle sous les acclamations de la foule enthousiaste. Deux minutes plus tard arriva à son tour, toutes moustaches retroussées, le vainqueur de la première édition, Maurice Garin. Un peloton de dix sept coureurs
se présenta à une poignée de minutes, puis un groupe de onze dans lequel
figurait César Garin, le frère de Maurice, qui participait pour la première
fois. A Marseille, c'est encore Hippolyte Aucouturier qui gagna l'étape, mais entre-temps le discrédit avait été jeté sur Saint-Étienne : les organisateurs avaient découvert que des clous et des tessons de bouteilles avaient été semés sur la route à Terrenoire. Par ailleurs, Maurice Garin avait été accueilli dans la ville par des sifflets. Plus grave, alors qu'il s'était
lancé aux trousses d'Antoine Faure dans le col de Maurice Garin remonta sur sa bicyclette et repartit de plus belle, enragé d'avoir perdu du temps et sans doute content de s'en être tiré sans trop de casse. Dans le même col, son frère César prit un coup de matraque dans les reins, l'italien Gerbi fut également jeté à terre et battu comme plâtre : il s'en tira avec un doigt fracturé. Les agresseurs s'enfuirent dans la nuit. A l'arrivée à Marseille, Maurice Garin faillit abandonner l'épreuve, se plaignant d'une violente douleur dans le bras gauche, après avoir couru le reste de l'étape en tenant son guidon d'une seule main. Ce n'est qu'après avoir été examiné par un médecin qu'il put prendre le départ de la troisième étape. Malgré ces avatars, il était en tête au classement général au terme de la deuxième étape, devançant Pothier d'un court avantage. Tout cela n'était pas à l'honneur
de Saint-Étienne et toute D'ailleurs cette seconde édition fut émaillée d'incidents et de telles tricheries que cela amena l'Union vélocipédique de France à enquêter et à faire prononcer en novembre le déclassement des quatre premiers pour fraude : Maurice Garin qui sera suspendu pendant deux ans, Pothier suspendu à vie, César Garin, Hippolyte Aucouturier. C'est finalement le jeune Henri
Cornet, âgé de 20 ans qui fut désigné vainqueur. Je pense souvent à lui en jouant
du dérailleur sur les pentes inégales de ce col de Un médium, rencontré dans la
ville du Puy en Velay au printemps dernier, m’avait raconté que dans la descente
sur Bourg-Argental, un secteur, non loin de En arrivant à Bourg-Argental, je cède souvent à l’idée d’effectuer une petite halte au niveau de l’église romane et de m’abandonner quelques délicieux instants à la lecture du rébus symbolique de son portail. Je ne vais pas céder ici à la tentation d’en décrypter quelques uns de ses arcanes proposés aux pèlerins jacquaires, arcanes faisant la part belle aux notions de vie, de mort, de cité céleste et d’autres dimensions ésotériques que l’on peut retrouver à la chapelle romane Saint- Michel d’Aiguilhe, l’une de mes chouchoutes. A chacun de s’y rendre et de s’en imprégner avec sa propre sensibilité. Bien souvent, je reviens vers Pélussin en effectuant le détour par Saint Marcel les-Annonay et le barrage du Ternay. Le petit lac de retenu aux eaux émeraudes masqué par la couronne bleutée des majestueux cèdres de l’Atlas possède un charme inégalable et je me surprend souvent à penser que c’est quelque part dans ses parages, évoquant irrésistiblement l’île d’Avallon, que doit dormir le roi Arthur, sa quête du Graal enfin achevée. Le Grand Bois, Sarras, Chamerle, Beaurepaire, Bron , ensemble de
toponymes évoqués dans la légende arthurienne n’étant pas très loin de ce site
enchanteur, au fond pourquoi pas ?
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En posant ma petite reine au retour de ces pérégrinations, il n’est pas rare que je me plonge une fois encore dans Avec les pèlerins de Compostelle ou les Chemins secrets du Pilat, que notre ami Patrick Berlier a écrit il y a quelques années et que je me plais à lire à mes enfants pour voir leurs yeux s’écarquiller à l’évocation de la légende de la croix indélébile ou les sentir frémir, se serrant instinctivement les uns contre les autres, lorsque maître Nestorius parle de la rencontre avec les loups-garous. Ma petite dernière, qui a un peu plus de trois ans se régale actuellement de l’histoire de Blanche-Neige, que tout le monde connait. Elle est sans doute loin de s’imaginer que l’on peut en tirer une interprétation alchimique, en voyant dans cette jeune vierge, la minière de l’or. Les sept nains, sept gnomes (nom tiré du grec gnôsis, la connaissance) symbolisant la matière minérale en ses sept prolongements. Leurs caractères respectifs semblent parfaitement correspondre à la planète qui les domine : Grincheux est saturnien, Simplet est lunaire, Joyeux est vénusien… Blanche-Neige est remise par la méchante
Reine au chasseur Vert, chargé de la faire mourir. En fin de compte, après
une mort apparente à la suite de l’ingestion d’une pomme maléfique, la jeune Vierge épousera le jeune et beau Prince de ses rêves. Ce Prince Charmant, représente vraisemblablement
le Mercure philosophal et de son union avec Ces messages cachés derrière un conte laudatif pour enfants sont dus à ce facétieux Walt-Disney, dont on dit qu’il appartenait à une société secrète. Lors de ces moments privilégiés de rêverie partagée, il me semble voir un peu au-dessus de leurs têtes brunes, danser une étrange coupe, dont la forme me rappelle………………………. Le Graal, dites-vous ? Adonis Lejumeau |
Vous ne pourrez, je l'espère en tous les cas plus que sincèrement, qu'avoir vivement apprécié ce fabuleux voyage aux confins d'une réalité étonnante, de rêves tellement vivants, exceptionnels et souvent incroyablement prenants, bien trop proches d'une authenticité parfois bouleversante. Notre ami humaniste retranscrit finement ici tout un côté magique livré par le Massif du Pilat avec grande générosité et ce depuis des millénaires. Grand Merci à toi Adonis. Thierry Rollat. |