LES
REGARDS DU PILAT
|
Le Dossier : Novembre
2007
|
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() ![]() ![]() |
Béatrice et La Fondation Merveilleuse
de la Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez |
![]() ![]() ![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
PAR ERIC CHARPENTIER
|
La fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez
est déjà bien connue. On ne compte plus en effet les ouvrages qui s’y réfèrent
et la visite guidée que propose l’association de sauvegarde de la chartreuse en
résume parfaitement les points fondamentaux : en l’an 1281, noble dame
Béatrice de la Tour, veuve de Guillaume de Roussillon, noble seigneur décédé
aux croisades, fonde sur la paroisse de Pavezin
une chartreuse après en avoir eu une vision miraculeuse. Elle y finira
ses jours dans le célibat et la dévotion… Et pourtant… Et pourtant non, ce n’est pas le cas … Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher avec
intérêt sur cette période qui oscille entre les années 1270 et 1280 et de
s’apercevoir que le discours généralement admis ne colle pas tout à fait à la
réalité des événements… Certaines erreurs se sont glissées dans les écrits
antérieurs et continuent à être propagées, certaines omissions sont observées,
certains points ne sont pas traités, des personnages nouveaux apparaissent … Bref,
une somme d’éléments qui en définitive convergent tous à remettre en question
l’histoire même de la fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez.
Dans cette première partie, nous allons nous engager
dans une voie qui n’est pas la plus évidente. Il s’agit de celle touchant à la
biographie de Béatrice de la Tour, qui naturellement est une figure clé dans
l’histoire de Sainte-Croix-en-Jarez. Ouvrir cette voie de la biographie
implique de faire appel non seulement à des sources d’époque se rapportant à
Béatrice, mais aussi à employer les outils de la généalogie. Concernant les premières, c’est à dire les sources
susceptibles de nous renseigner à propos de Béatrice de la Tour, on ne peut que
constater qu’elles tiennent à peine sur les doigts d’une main, ce qui d’emblée
paraît un peu maigre pour dresser une biographie ! Pour ce qui est des outils de la généalogie, là aussi,
il va falloir s’en remettre à des principes qui ne constituent pas en soit des
vérités absolues ! Pour résumer, nous allons nous retrouver dans un épais
brouillard qui ne semble pas vouloir se lever ! Néanmoins, nous nous y
engageons… A nos risques et périls, comme le veut la formule ! Car il nous
semble que ce travail a au moins deux mérites : d’une part celui de
suppléer à un manque évident de renseignements biographiques concernant
Béatrice – il est d’ailleurs surprenant qu’aucun auteur ne s’y soit attardé plus
que cela dans le passé – et d’autre part celui de mettre en place, ou
plutôt mettre en évidence, certains éléments très antérieurs à la fondation de
la chartreuse, mais qui portés à la lumière du jour, prendront toute leur
importance au moment de la dite fondation. |
Chapitre I Béatrice de la
Tour par Antoine Vachez. « Mère
d’une nombreuse famille et chargée de l’administration de toutes les terres des
seigneurs de Roussillon, Béatrix de Encore
jeune, à la mort de Guillaume de Roussillon, Béatrix résolut de ne pas
s’engager dans les liens d’une nouvelle union. Elle avait aimé passionnément
son époux, dit Chorier et son amour s’était
transformé en vénération pour sa mémoire. L’affection maternelle, une piété
sincère et le culte du souvenir l’absorbèrent désormais tout entière. Vainement
de nobles chevaliers prétendirent à sa main, vainement ses proches la
pressaient de choisir parmi eux un protecteur pour elle et ses enfants ; elle
résista à toutes ces instances. Quoique vivant au milieu du monde, elle
semblait déjà lui avoir dit adieu, pour se consacrer aux pratiques de dévotion
et aux fondations pieuses. » ![]() Couverture du livre référence
d'Antoine Vachez Dans le premier chapitre de son ouvrage
sur Sainte-Croix-en-Jarez(1), Antoine Vachez s’attarde à retracer la
généalogie de la famille de Roussillon des origines connues jusqu’à la fin du
XIIIè siècle, c'est-à-dire l’époque où vivaient Guillaume de
Roussillon et son épouse Béatrice(2). Dans cette première partie, il
énumère à cet effet, les huit enfants de Guillaume et Béatrice en s’appuyant
précisément sur le testament de Guillaume de Roussillon récemment publié par
Emmanuel Nicod(3).
Il entame ensuite son chapitre II, consacré cette
fois à la fondation de la chartreuse de Ste-Croix en
rappelant que Béatrice était
« mère d’une
nombreuse famille ».
Cette affirmation n’aurait rien de signifiant,
si une quarantaine d’années plus tôt notre auteur n’avait pas publié un premier
article dans Penchons nous un instant sur cette
première publication de 1865 qui comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire(5),
est l’un des premiers écrits de notre érudit. En effet, à 32 ans, Antoine
Vachez nous livre ses premières recherches sur la chartreuse de Ste Croix et à
cette date, il faut bien l’admettre, les écrits sur le sujet n’étaient pas
légion ! Vachez nous livre néanmoins ses sources(6) sans
omettre l’abbé Benoît Chambeyron auquel il emprunte tout son travail sur la
chartreuse et sans lequel nous pourrions légitimement penser que les travaux de
Vachez sur la chartreuse n’auraient jamais vu le jour(7). Natif de Riverie en Lyonnais, Vachez s’est
intéressé très tôt à l’histoire de cette baronnie et de ses anciens
seigneurs : les Roussillon. Ses recherches l’amènent alors tout
naturellement à se pencher sur l’histoire de la chartreuse de Ste Croix à
laquelle le nom de Roussillon est étroitement lié. De fait, le premier travail
qu’il nous livre en 1865 est à la fois une compilation de ses propres
découvertes sur la famille de Roussillon et de celles de l’abbé Chambeyron sur
la chartreuse de Sainte Croix. Toutefois, il apparaît clairement à cette époque
que si ses travaux sur Quittons cet aparté pour revenir à notre
sujet. Les deux paragraphes de l’ouvrage
d’Antoine Vachez que nous donnons ci-dessus dressent à eux seuls le portrait
couramment admis que l’on peut se faire de Béatrice de la Tour… Deux
paragraphes écrits en 1865 par un tout jeune érudit ne disposant pas encore –
et loin s’en faut – de tous les éléments … Deux paragraphes qui n’ont pas
changé d’un « iota » en quarante années pour se retrouver tel quels
dans l’ouvrage de référence publié en 1904 et cela malgré des éléments qui
avaient fondamentalement évolués... C’est en effet sur cette image somme toute précoce
de Béatrice, lègue fragile d’Antoine Vachez, que nous avons tous bâti notre
portrait de la fondatrice de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez . Est-ce seulement le bon portrait ? |
Notes du chapitre I : (1) Antoine Vachez, La Chartreuse de
Sainte-Croix-en-Jarez, Lyon, Louis Brun, 1904 (2) L’ensemble est tiré d’une autre publication
d’Antoine Vachez entièrement consacrée aux Roussillon : Les Roussillon-Annonay, Recherches Historiques et Généalogiques,
Lyon, Louis Brun, 1896. Cette publication a fait l’objet d’un additif et correctif sans
doute en 1901 à propos des personnages de Aymar, seigneur d’Annonay et de
Guillaume de Roussillon. (3) Emmanuel Nicod, ancien bibliothécaire de la
ville d’Annonay. Il était membre correspondant pour la revue du Vivarais, à
laquelle il donna plusieurs publications. Emmanuel Nicod fut le premier à rechercher les actes authentiques
émanant de la Chambre des Comptes de Paris et conservés alors aux Archives
Nationales. Il retrouve ainsi d’après les relevés de Huillard-Bréholles(i) les
cotes des testaments d’Aymar d’Annonay et de Guillaume de Roussillon qu’il
s’empresse de faire transcrire et traduire par les paléographes de l’Ecole de
Chartes. En 1900, toujours dans la revue du Vivarais, il consacre un
article à Aymar, seigneur d’Annonay suivi l’année suivante, d’un second portant
cette fois sur Guillaume et Artaud de Roussillon. (ii) Ce sont ces deux
articles qui amèneront Antoine Vachez à faire éditer un additif et correctif à
sa notice sur les Roussillon-Annonay. Enfin, Emmanuel Nicod fut l’un des principaux détracteurs de
l’abbé Filhol(iii), son aîné, ancien desservant d’Annonay et auteur d’un
monumental ouvrage sur cette ville. On se souviendra notamment de la version
donnée par l’abbé Filhol quant à la date de décès (21 décembre 1277) et au lieu
de sépulture de Guillaume de Roussillon (Château d’Annonay)… (i) Alphonse Huillard-Bréholles,
op.cit. (ii) Emmanuel Nicod, in Revue Historique, Archéologique,
Littéraire et Pittoresque du Vivarais, Privas - Tome VIII, 1900, Aymar,
seigneur d’Annonay, pp. 548-552 - Tome IX, 1901, Guillaume
et Artaud de Roussillon, seigneurs d’Annonay, pp. 250-259 (iii) Abbé Filhol, Histoire religieuse et civile d'Annonay et du
Haut-Vivarais depuis l'origine de cette ville jusqu'à nos jours, Annonay,
Moussy, 1880-1882, 4 Tomes. (4) Antoine Vachez, La Fondation de la Chartreuse
de Ste-Croix-en-Jarez, in Revue du Lyonnais, 2è Série, Tome XXX, 1865, p. 42 Quelques années seulement après cette première publication,
Antoine Vachez réutilise à nouveau le
même paragraphe dans un ouvrage consacré cette fois à la Baronnie de Riverie :
Etudes Historiques sur la Canton de Mornant, première partie, La Baronie de
Riverie, Lyon, Auguste Brun, 1871, p. 38 (5) Eric Charpentier, Antoine Vachez, un historien hors pair.
Article mis en ligne sur le présent site internet « Regards du Pilat »
(http://regardsdupilat.free.fr) en juillet 2007. (6) Les sources données par Vachez en 1865 sont
les suivantes : « Masures de l’Ile-Barbe, p. 533. – Molin, Histoire des
Chartreux. – Le P. Gaultier, Table Chronographique, p. 715. – Valbonnays,
Histoire du Dauphiné, I, p. 194. – L’abbé Chambeyron, dans la France par
Cantons, départ. De la Loire, v. Pavesin. – Poncer, Mémoires sur Annonay. –
Chorier, Histoire du Dauphiné. » Nous avons souligné les sources se rapportant à la famille de
Roussillon. Les autres concernent uniquement la chartreuse de Ste Croix. Il est difficile de dire si Vachez s’est contenté ici de
reproduire les sources que mentionne l’abbé Chambeyron ou s’il les a réellement
consultées. Sans doute en fut-il en peu des deux … Nous aurons par la suite l’occasion de préciser chacune de ces
sources. (7) Benoît Chambeyron, curé, né à Longes, mort à
Givors (d’après Ch. Rollat). La France par cantons (publié par Théodore Ogier)
- Le Pilat - cantons de Saint Chamond et de Rive de Gier, Paveysin, vers 1856,
pp. 114-128 C’est l’abbé Chambeyron – à ne pas confondre avec J. B.
Chambeyron, auteur des Recherches historiques sur la ville de Rive-de-Gier
(1845) avec lequel il ne partage que le patronyme - qui débroussaille tout le
travail à Vachez dès 1856 et ce dernier reprendra quasi mots pour mots le texte
et surtout l’excellente traduction de son prédécesseur. Chambeyron ne cite que très peu de sources, et mentionne tout au plus : - Nicolas Molin(i) (pour
l’incendie de la chartreuse) – manuscrit dont nous ignorons la provenance - Christophe Justel(ii)
(pour la charte de fondation) - imprimé - Claude Le Laboureur(iii)
(pour la charte de fondation) - imprimé Etrangement, il ne cite à aucun moment Dom Le Couteulx qui est
pourtant sa principale source : Chambeyron organise en effet sa notice sur
Ste-Croix en reprenant le plan qu’avait élaboré Dom Le Couteulx vers 1681.
C’est également chez Dom Le Couteulx qu’il puise le texte latin de la lettre de
Béatrice à Dom Jean de Louvoyes, texte dont il sera le premier et unique
traducteur : il n’existe encore aujourd’hui, à notre connaissance, aucune autre
traduction que celle donnée par l’abbé en 1856. Sans doute faut-il se fier à
Jean Combe qui l’a qualifiait d’excellente, pour ne pas avoir à la vérifier … Ajoutons enfin, avec surprise, qu’Antoine Vachez ne citera plus
l’abbé Chambeyron dans son ouvrage publié en 1904. Faible reconnaissance à vrai
dire, pour un homme dont il s’est pourtant largement inspiré et sans lequel on
serait en droit de se demander si l’ouvrage sur la chartreuse de Ste Croix
aurait vu le jour. (i) Nicolas Molin, D. Nicolai Molin Historia cartusiana : ab
origine Ordinis usque ad tempus auctoris anno 1638 defuncti , Tournai :
Cartusiae Sanctae Mariae de Pratis, 1903-1906. Dom Nicolas Molin était originaire de Soissons, d’une famille
distinguée, il fut d’abord bénédictin, puis fit profession à la Grande
Chartreuse le 1er juin 1586. Il y fut
coadjuteur, puis procureur. Dès 1587 on le trouve procureur à Arvières, d’où il
passe prieur à Val Saint Hugon en 1589, à Val Sainte Marie en 1596 et à Sylve
Benite en 1601. Il fut en même temps visiteur de la province de Bourgogne. Il
mourut en charge le 18 août 1638. (Eléments biographiques tirés de Albert Gruys, Cartusiana - Un
instrument heuristique, Paris, IRHT CNRS, 1976-1978) Cette chronique de l’Ordre Chartreux des origines à 1638 n’a été
imprimée qu’à partir de 1903 mais il en existait un manuscrit dont nous
ignorons la provenance et qu’avait pu consulter l’abbé Chambeyron. Il est
probable qu’en 1865 Vachez s’est contenté de re-mentionner cette source que
donnait Chambeyron en 1856 sans l’avoir lui-même consulté. Page 364, Dom Nicolas Molin consacre un chapitre à la fondation de
la Chartreuse dans lequel il donne littéralement copie de la lettre adressée
par Béatrice à Dom Jean de Louvoyes. Il s’attarde en outre à glorifier la
fondatrice de la chartreuse de Ste-Croix. Etrangement, il ne semble pas que
l’abbé Chambeyron ait puisé ses informations chez Molin qui constituait
pourtant la source la plus ancienne. Nous aurons l’occasion de revenir sur les écrits de Dom Nicolas
Molin, qui furent sans doute les premiers à citer la fameuse lettre de
Béatrice. (ii) Christophe Justel, Histoire généalogique de la maison
d’Auvergne – Paris, Mathurin Dupuis – 1645 – Page 333. Auteur aux écrits parfois suspects, Christophe Justel ne donne à
la page 333 de son ouvrage qu’une copie partielle de la Charte de Fondation de
la chartreuse de Ste Croix dressée dans le cloître de Taluyers en 1281, copie
qu’il déclare tirer du cartulaire de la chartreuse de Salettes en Dauphiné. (iii) Claude Le Laboureur, Les Mazures de l'abbaye Royale de
l'Isle-Barbe, Paris, Chez Jan Couterot, 1681, Tome 2, pages 533-535. De la même manière que son prédécesseur, Le Laboureur ne donne
qu’une copie, toutefois plus complète que celle de Justel, de la Charte de
Fondation de la chartreuse de Ste Croix dressée dans le cloître de Taluyers en
1281. Le Laboureur ne précise pas la provenance de la charte. (8) Dom Charles Le Couteulx, Annales ordinis
Cartusiensis, ab anno 1084 ad annum 1429,
Monstrolii : typis Cartusiae S. Mariae de Pratis, 1887-1891, Tome 4,
pages 343 et suivantes. Dom Charles Le Couteulx est le premier chroniqueur à donner les
deux pièces constituant la fondation de la chartreuse de Ste Croix : la lettre
de Béatrice à Dom Jean de Louvoyes et la Charte de Fondation dressée dans le
cloître de Taluyers en 1281. Il donne en outre une liste des bienfaiteurs de la
chartreuse. C’est en ce sens que l’on peut considérer les écrits de l’abbé
Chambeyron comme calqués expressément sur ceux de Dom Le Couteulx. La
composition du chapitre est strictement identique d’un auteur à l’autre, l’abbé
ayant pour sa part pris l’excellente initiative de traduire la lettre de
Béatrice. Dom Charles le Couteulx est né à Rouen. Il fit profession à la
chartreuse de Gaillon (Eure). Il fut appelé à la Grande Chartreuse en 1681 pour
travailler aux Annales de l’ordre, qui racontent l’histoire des fondations de
toutes les maisons de l’ordre jusqu’en 1429. En 1694 il fut envoyé prieur à
Rouen. Déposé en 1696, il rentra à Gaillon, où il mourut le 15 septembre 1715. (Eléments biographiques tirés de Albert Gruys, Cartusiana - Un
instrument heuristique, Paris, IRHT CNRS, 1976-1978) Les Annales de l’Ordre des Chartreux ne furent publiées qu’entre
1887 et 1891. Nous pouvons donc d’emblée nous interroger sur la manière dont
l’abbé Chambeyron a pu avoir accès aux écrits de Dom Le Couteulx … Il en fut de
la même sorte que pour les écrits de Dom Nicolas Molin, à savoir que l’abbé eut
accès à un manuscrit dont nous ignorons la provenance mais qu’il mentionne
lui-même en note de bas de page : « Le manuscrit que j’ai sous les yeux … » (B.
Chambeyron, op. cit. p. 117). Nous pouvons par contre conjecturer que sur ce manuscrit ne devait
pas figurer le nom de l’auteur car cela permettrait d’expliquer pourquoi
Chambeyron ne cite pas Dom Le Couteulx
comme sa principale source. Concernant les écrits de Dom Charles le Couteulx, nous ajoutons
cet extrait du bulletin de l’académie delphinale, 4e série, tome 3e, 1889, page
31, qui apporte quelques compléments d’informations. « … Je me félicite hautement d’avoir à signaler en première
ligne, l’œuvre historique des religieux de la Grande-Chartreuse, que nous nous
honorons de compter parmi nos correspondants. Une portion des Annales de leur
ordre, rédigée par Dom Le Couteulx, avait été imprimée en 1687 : mais
l’impression, commencée malgré l’auteur, avait été arrêtée à la cent
quarante-quatrième page du deuxième volume, et les exemplaires de ce volume
soustraits à la circulation, si bien qu’il n’en restait que deux provenant de
la Chartreuse et conservés à la Bibliothèque de Grenoble. Voici que les religieux de la Chartreuse non seulement réimpriment
la portion déjà imprimée des Annales composées par Dom Le Couteulx, mais en
publient toute la partie demeurée inédite (1) et annoncent l’intention de
poursuivre jusqu’à parfait achèvement la rédaction de l’œuvre commencée il y a
deux siècles. C’est là une grande et noble entreprise, qui marquerait une fois
de plus, s’il en était besoin, le zèle dont sont animés les Chartreux pour
l’étude du passé de leur ordre ; ce zèle a d’ailleurs été attesté, dans ces
dernièrs temps, par la publication de plusieurs monographies, parmi lesquelles
se distingue ce volume, véritable modèle du genre, intitulé : La
Grande-Chartreuse par un Chartreux, qui est si rapidement arrivé à sa troisième
édition (2). (1) : Annales ordinis Cartusiensis, 3 volumes, in-4e ; imprimés à
la Chartreuse de Notre-Dame-des-Prés (à Neuville-sous-Montreuil,
Pas-de-Calais). – Tome I, 1887, CXVIII-487 pages ; de l’année 1142 à l’année
1183. – Tome II, 1888, 567 pages ; de l’année 1142 à l’année 1183. – Tome III,
1888, 558 pages ; de l’année 1184 à l’année 1284. Le premier volume des Annales
publié en 1687 n’a pas été réimprimé ; il ne contenait, d’ailleurs que les
statuts des Chartreux. L’édition nouvelle commence au second volume de
l’ancienne édition, avec lequel s’ouvre l’histoire de l’ordre. (2) : Troisième édition, 1884. |
Chapitre II De la naissance de Béatrice de la Tour. Nous allons maintenant tenter une approche
plus biographique que celle donnée par Antoine Vachez et notamment sur la
première interrogation généalogique que nous serions en droit de nous
poser : celle de la naissance de Béatrice … Béatrice de la Tour qui nous intéresse
ici, était fille d’Albert III de la Tour dit « le Vieux » et de
Béatrice de Coligny. Albert III devint baron de la Tour du Pin
vers 1219, époque à laquelle il succède à son père défunt. Ce titre lui permet
sans doute d’épouser vers 1220 Béatrice de Coligny, dame de Malleval et de
Rochechaume, fille de Hugues de Coligny et de Béatrice d’Albon, Dauphine,
comtesse de Vienne et d’Albon. C’était pour Béatrice de Coligny, son troisième
mariage, étant alors veuve du comte de Toulouse et de Hugues III, duc de
Bourgogne. La date exacte du mariage ne nous est pas
connue, mais un acte de 1220(2) dans lequel Albert III confirme aux
frères de la chartreuse de Portes une donation que leur avait déjà faite Hugues
de Coligny, montre que le mariage avec Béatrice de Coligny avait déjà eu lieu. Un autre oncle de Béatrice, Bernard de la
Tour entra dans les ordres et y mena une vie pleine de piété au point de
refuser les évêchés de Grenoble, de Besançon et encore de Belley. Il deviendra
en 1253 le 13e général des chartreux(3). Le frère de Béatrice, Humbert 1er
de la Tour, futur Dauphin, fonda en 1299 la chartreuse de Salettes et finit ses
jours à la chartreuse du Val Sainte-Marie de Bouvantes où il mourut en 1307.
Son épouse, Anne d’Albon, Dauphine, se retira également au couvent de la
chartreuse de Salettes et y mourut en 1301(4). De même, au moins deux de leurs enfants
finiront leurs jours à la chartreuse de Salettes : Henry de la Tour en
1327 et Marie de la Tour en 1355(5). L’aïeul maternel de Béatrice, Hugues de
Coligny dont nous parlions ci-dessus, avait aussi fondé la chartreuse du Val
Saint-Martin de Sélignac en 1202(6). Naturellement, nous rappelons ici la
fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez en 1281(7), par
Béatrice de la Tour, chartreuse dans laquelle elle reçut sa sépulture en 1306
ou 1307. Enfin, comme nous le verrons plus bas, au
moins une des filles de Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour dut
également finir ses jours à la chartreuse de Salettes après y avoir vécu en
religieuse(8). Albert
III de la Tour, père de Béatrice, accède en 1257 au titre de Grand-Sénéchal des
royaumes d’Arles et de Vienne ; titulature que son fils Albert IV conservera à
la mort de son père survenue entre avril 1259 et juin 1260(9). De son épouse Béatrice de Coligny, Albert
III de la Tour du Pin aura huit enfants : Albert IV de la Tour qui succèdera à son père comme baron de la
Tour du Pin et Grand-Sénéchal des royaumes d’Arles et de Vienne et qui encore
par son mariage avec Alix de Montferrat
deviendra beau-frère des rois de Jérusalem, de Thessalonique, de Thessalie et
de l’empereur d’Orient ; vient sans doute ensuite Marie de la Tour qui épousera en 1241 Rodolphe comte de
Genève ; puis Hugues de la Tour
qui deviendra Sénéchal de l’Eglise de Lyon ; Guy de la Tour qui fut
évêque de Clermont et qui en 1262 célébra le mariage de Philippe III le hardi,
roi de France ; Humbert 1er de la Tour dont nous avons déjà parlé
ci-dessus, lequel épousa en 1273(10) Anne d’Albon, Dauphine et à qui
échoira en 1282 le titre convoité de Dauphin ; Béatrice de la Tour, Dame de Versieu, qui nous intéresse ici ;
Alice de la Tour, également Dame de
Versieu qui contrairement à sa sœur n’hésita pas à se remarier, puisqu’elle
épousa en premières noces Humbert IV de Montluel, puis en secondes noces Simon,
comte de Montbéliard, et enfin en troisièmes noces Henri, comte de Genève ;
enfin Aynard de la Tour, qui épousa
Marie des Baux et mourut sans postérité. Si l’on s’en tient maintenant à l’ordre
des naissances généralement admis dans les armoriaux, Béatrice de la Tour
aurait été le sixième enfant du couple Albert III de la Tour et Béatrice de
Coligny. Elle serait donc née au plus tôt en 1231 selon notre méthode de
calcul. A l’inverse, il nous est possible
d’estimer au plus tard la date de naissance de Béatrice de Enfin , un rapide contrôle à partir du
décès de Béatrice de la Tour que nous situons avec certitude en 1306 ou 1307(13),
permet de constater que Béatrice se serait éteinte entre70 et 76 ans ce qui est
tout à fait admissible. Béatrice de la Tour serait donc née entre
1231 et 1236. |
Notes du
chapitre II : (1) Georges Martin, Histoire et Généalogie de la
Maison de La Tour Du Pin, 2006, pages 16 à 19. Sauf
mention contraire de notre part ou compléments portés en notes, nous suivrons
l’ouvrage de Georges Martin pour tous renseignements biographiques et
généalogiques touchant à la famille de la Tour du Pin. (2) Ulysse Chevalier, Regeste Dauphinois, Tome
II, Valence, 1913, n°6537 et 6538, page 124 Georges
Martin, op. cit., approxime quand à lui
la date du 4 mai 1220 sans plus de justificatifs. (3) Georges Martin, op. cit., Antoine
Vachez, La Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, Lyon, Louis Brun, 1904 (4) Georges Martin, op. cit. commet une erreur en
donnant la date de 1296 pour le décès de Anne d’Albon qui de toute manière ne
pouvait s’être retirée à la chartreuse de Salettes qu’à partir de 1299 date de
sa fondation. (5) Généalogie « Charmion », site internet : http://gw0.geneanet.org/index.php3?b=charmion Dans
son manuscrit conservé à la bibliothèque de Lyon, Pierre Bullioud mentionne également
une Marie de la Tour à la chartreuse de Salettes, mais il pense à la sœur de
Béatrice ce qui nous paraît peu probable compte tenu de l’âge élevé qu’elle
aurait eu en 1299. Probablement Bullioud confond cette Marie avec la fille du
Dauphin Humbert 1er . (6) Antoine Vachez, op. cit., (7) La charte de fondation porte la date du 24
février 1280 ancien système (a. st.) qui correspond au 24 février 1281 nouveau
système (n. st.) selon notre calendrier. Pour rappel, à l’époque de Guillaume
et Béatrice, la nouvelle année ne commençait qu’à la Pâques, ainsi, on passait
du 31 décembre 1280 au 1er janvier 1280 alors que la passage à l’année 1281
n’intervenait qu’après Pâques. (8) Pierre Bullioud, ms Lyon, op. cit. (9) Georges Martin, op. cit. (10) Georges Martin, op. cit. commet une erreur en
donnant la date de 1282. Il confond ici la date du mariage de Humbert 1er de la
Tour et Anne d’Albon avec l’année où lui échoit le titre de Dauphin. (11) Cette méthode de calcul nous semble assez
cohérente dans la mesure où l’on sait qu’à l’époque, il était primordial
d’assurer rapidement la descendance de la famille et donc de procréer sans
discontinuité. Certes, cet intervalle de deux années pourrait être écourté –
une grossesse normale étant de 9 mois – mais il permet aussi d’englober dans la
masse des naissances, celles des enfants morts en bas âge et qui nous sont
inconnus. (12) Ulysse Chevalier, op. cit., n°7847, page 348
: un acte de janvier 1241 (n. st.) donne Béatrice de Coligny encore vivante Ulysse
Chevalier, op. cit., n°7900, page 356 : un acte de janvier 1242 (n. st.)
déclare Béatrice de Coligny décédée (13) Antoine Vachez, op. cit., |
![]() La Tour du Pin | ![]() Blason des la Tour |
Chapitre III Du mariage de Béatrice de la Tour et Guillaume de Roussillon.
Blason des Roussillon
Poursuivons toujours notre approche
biographique de Béatrice avec cette fois pour objectif, celui de retrouver les
traces éventuelles de son union avec Guillaume de Roussillon.
Bien évidemment, nous ignorons la date
exacte du mariage de Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour mais nous
allons voir que divers éléments connus de leur vie respective permettront une
approximation de celle-ci. La première approche consiste à établir la
date la plus ancienne probable pour cette union. Pour cela il suffit de
repartir de la date de naissance de Béatrice à laquelle nous ajoutons quinze
ans puisqu’à cette époque, il n’était pas rare de trouver dans les grandes
familles féodales des unions programmées dès la puberté(1). En
considérant donc l’année 1231 comme date la plus ancienne probable pour la
naissance de Béatrice, nous obtenons l’année 1246 comme date buttoir pour le
mariage d’entre Guillaume de Roussillon et Béatrice de De la même manière que pour établir la
naissance de Béatrice, nous pouvons aussi approximer l’année maximum de son mariage, c'est-à-dire
celle au-delà de laquelle le mariage n’a pu être célébré. Pour cela, nous
allons utiliser la liste des enfants connus du couple Guillaume de Roussillon et
Béatrice de la Tour et partir de l’année du testament de Guillaume qui
précisément établit cette liste. Nous n’entrons pas là dans le détail des
enfants de Guillaume et Béatrice, ce point étant traité dans le chapitre
suivant. Les huit enfants connus de notre couple en
août 1275, date du testament de Guillaume, permettent d’établir un
échelonnement des naissances sur quatorze années selon la méthode de calcul que
nous avons expliqué dans le chapitre précédent. En considérant que le dernier
enfant soit né en 1274, soit un an avant le départ de Guillaume, nous aurions
la première des naissances en l’année 1260, ce qui pourrait donner 1259 comme
année buttoir maximum pour le mariage de Guillaume et Béatrice. Ces approximations généalogiques
permettent donc d’établir que le mariage a probablement eu lieu entre les
années 1246 et 1259, soit un intervalle de treize années qui ne nous satisfait
guère. Ces dates extrêmes peuvent sans doute être affinées : si nous
utilisons la date de naissance maximum de Béatrice, soit 1236, le mariage peut
être situé cette fois entre 1251 et 1259, ce qui ramène l’intervalle probable à
huit années. Peuvent ensuite venir à notre secours
divers actes remontant à l’époque où vivaient Guillaume de Roussillon et
Béatrice de la Tour et qui nous sont parvenus. Parmi ceux-ci, l’un des plus
intéressant est sans conteste celui du 10 février 1258(2) (n. st.)
par lequel Artaud IV de Roussillon, père de Guillaume, émancipe son fils et lui
donne son château de Châteauneuf avec tous les droits et dépendances qui y sont
attachés. Antoine Vachez(3) rappelle avec raison qu’il ne s’agit pas
là d’une émancipation tel que l’entend le code civil et qui n’aurait concerné
que les mineurs. A cette date Guillaume avait probablement au moins 32 ans(4)
et cette émancipation ne peut avoir d’autre signification que celle qui
consistait à « affranchir de la
puissance paternelle, quant aux biens, et qui était indispensable ici, pour
permettre à Guillaume de Roussillon de posséder en pleine propriété, la
seigneurie de Châteauneuf. » Edouard Perroy(5), excellent
chartiste médiéval déclare quant à lui : « En 1258, il [Artaud IV]
avait émancipé, en vue de son mariage avec Béatrice de la Tour [-du-Pin], son fils aîné Guillaume
… ». Naturellement, rien dans l’acte en question ne permet une telle
affirmation, mais n’en doutons pas, c’est bien l’expérience qui permet ici à ce
spécialiste des chartes du Forez d’avoir cette opinion. Force est d’admettre
que cette réflexion est d’une telle logique que l’on s’étonne qu’Antoine Vachez
ne l’ait pas lui-même proposée ! Le mariage d’entre Guillaume et Béatrice a
du faire l’objet d’un contrat préalable comme on l’entendait alors dans les
grandes familles nobles. L’épouse devait apporter une dote que lui assignait
son père, laquelle dote était alors confiée au futur époux le jour du mariage.
En contrepartie, l’époux constituait un douaire(6) à son épouse, en
général à prendre sur ses biens immobiliers. De fait, il fallait impérativement pour
envisager l’union entre Guillaume et Béatrice que d’une part Guillaume soit
pleinement propriétaire de ses biens,
c'est-à-dire dégagé de la puissance paternelle si ce dernier était
toujours seigneur vivant et d’autre part que Béatrice soit dotée conséquemment.
Dans ce contexte, seule l’émancipation pouvait permettre à Guillaume de devenir
seigneur de Châteauneuf du vivant de son père. Toutefois, si cette émancipation a eu lieu
en vue de la future union, rien ne permet de dire qu’elle fut réalisée avant ou
après celui-ci. En effet, le contrat de mariage pouvait simplement stipuler
qu’Artaud IV, père de Guillaume s’engageait à émanciper son fils une fois
l’union célébrée. D’ailleurs, il était même courant de voir les constitution
dotales s’étaler sur quelques années après le mariage. D’autre part, un acte du 21 juillet 1261(7)
nous apprend qu’à cette date, Artaud IV procède à une nouvelle donation envers
Guillaume, portant cette fois sur « les
châteaux de Roussillon, Surieu, Riverie, Dargoire, du péage de Roussillon, de
la garde de Mornant et de tout ce qu’il possédait à St-Romain-en-Jarez… ».
Nous sommes probablement là encore face à une donation qui fut programmée lors
du contrat de mariage et dont l’échéance devait se situer au 22 juillet, fête
de Sainte Marie-Madeleine, très chère à la famille Roussillon(8). Enfin, une dernière charte du mois de
novembre 1262(9) nous apprend encore que Guillaume de Roussillon
était fait par la volonté de son père, héritier universel des biens qui
pouvaient provenir de la succession du comte de Forez par renonciation à leurs
droits d’Aymar, Amédée, Alice et Béatrice, frères et sœurs de Guillaume. Cette
dernière convention héréditaire pourrait aussi s’inscrire dans le cadre de la
constitution dotale de Guillaume. L’examen de ces premiers documents permettrait d’envisager un mariage effectif
aux alentours de l’année 1258, soit un peu avant, soit juste après, avec un
échelonnement de la constitution dotale porté au moins jusqu’en l’année 1262. Nénamoins, il est encore un autre document
d’époque qui permet de pousser la réflexion plus loin : il s’agit de la
charte de fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, charte dans
laquelle intervient Artaud V de Roussillon, fils et héritier de Guillaume et
Béatrice. Dans cette charte que nous datons précisément du 24 février 1281, Artaud
V déclare expressément être mineur : « Renunciantes specialiter ego Arthaudus minoris ætatis beneficio. » (10). Si en
février 1281, Artaud n’a pas encore atteint l’âge de 25 ans, un autre acte (11) dans lequel intervient encore Artaud V de Roussillon,
tenderait à prouver qu’au mois de décembre 1281 cette majorité était atteinte. Quoi qu’il
en soit, une charte de 1284 (12) dans laquelle Artaud V reçoit l’hommage de Foulques
d’Ampuis permettrait de dire, selon Edouard Perroy, qu’Artaud V avait atteint l’âge
de Ces constats
nous permettent d’établir la date de naissance d’Artaud au moins après 1256 et
au plus tard en 1259. Pour en venir à la date de mariage de Guillaume et
Béatrice, il faudrait être certain qu’Artaud fut le premier né, et cet élément,
nous allons le trouver dans le testament du Guillaume lorsque ce dernier
déclare : « … j'institue
Artaud mon fils premier né pour mon
héritier universel… ». Il résulte de cette laborieuse dichotomie qu’il est possible de circonscrire le mariage
de Guillaume et Béatrice entre les années l’année 1255 et 1258, ce qui somme
toute correspond bien à l’émancipation et aux donations dont nous parlions plus
haut. Il peut être intéressant ici de s’interroger également
sur la teneur du contrat de mariage d’entre Guillaume de Roussillon et Béatrice
de Concernant maintenant l’apport de Béatrice pour le
mariage, nous savons par la charte de fondation de la chartreuse de
Sainte-Croix-en-Jarez, qu’elle donne à l’ordre chartreux sa terre de Versieu
qui lui venait de son père Albert III de la Tour du Pin : « De
même je donne aux mêmes frères la moitié de la ville de Versieu que mon père
m'a donné en dot, avec les droits et appartenances et usages, quel que soit
leur nom. » (13).
La terre de Versieu appartenait pour moitié à Béatrice de la Tour et pour autre
moitié à sa soeur Alice de la Tour dont nous avons parlé plus haut et nous
pouvons supposer qu’il s’agissait pour l’une comme pour l’autre d’une partie de
leur constitution dotale. A cette portion, venait sans doute s’ajouter aussi un
numéraire dont nous ignorons le montant mais dont il est fait implicitement
allusion dans le testament de Guillaume de Roussillon : « De même
je veux que mon épouse, sur les cens et revenus de ce que je lui laisse, puisse
tester et ordonner à concurrence du montant de sa dot. ». Nous savons
que pour fonder la chartreuse, Béatrice de la Tour acheta la terre de
Ste-Croix-en-Jarez (Pavezin), y fit construire une maison, acheta encore des
terres à Trèves, à Roussillon et à Surieu(14). Elle donne l’ensemble à l’ordre chartreux,
y compris sa terre de Versieu qui provenait de son père. Hors, si en 1275,
Guillaume autorise son épouse à tester à hauteur du montant de sa dote, c’est
que d’une part toutes les acquisitions réalisées par Béatrice n’ont eu lieu
qu’après 1275(15) et d’autre part que sa dotation nuptiale
devait comporter un numéraire suffisant susceptible de lui permettre ses
futures acquisitions. De l’union d’entre Guillaume de Roussillon
et Béatrice de La Tour nous pouvons affirmer qu’elle fut féconde … C’est en effet
le moins que nous puissions dire au regard du testament de Guillaume de
Roussillon. Celui-ci nous apprend qu’en 1275, le couple Guillaume de Roussillon
et Béatrice de la Tour du Pin, avait huit enfants vivants(16) :
trois garçons, Artaud (cinquième du
nom dans la généalogie de Vachez), Albert,
et Guillaume, ainsi que cinq filles,
Alix, déjà mariée(17), Guigone, Eléonore, Artaude et Catherine. Comme nous l’avons dit plus
haut, il est fort probable que le mariage entre Guillaume de Roussillon et
Béatrice de la Tour fut conclu au plus tard en 1258 ; Béatrice elle-même
étant alors jeune Damoiselle âgée de 22 à 27 ans. Considérant à nouveau un
intervalle moyen de deux ans entre chacune des naissances de leurs enfants,
nous sommes en mesure d’étaler celles-ci sur au moins quatorze années, soit
entre 1259 environ et 1273. Il ressort de cet approche que durant toute la période
de vie commune de notre couple, Béatrice n’eut guère d’autres loisirs que
d’enfanter et pouponner ! Lorsque Guillaume partira en 1275 pour
|
Notes du chapitre III : La convention de fiançailles d’entre Humbert 1er de la Tour et Anne d’Albon, Dauphine, passée à Macon le 31 août 1273 donne textuellement : « [Anne] promet de délivrer un acte de renonciation quand elle sera parvenue à la puberté. » Tome 1, n°354 « Déjà au mois de mai 1251, nous le voyons [Guillaume] se rendre caution, avec son père, dans un acte de reconnaissance de fief … » Autre original sur parchemin, jadis scellé de trois sceaux. - P. 1375 (2), cote 2502. « De même je veux que mon héritier fasse et soit tenu de faire chaque année à jamais en faveur du couvent des frères mineurs d'Annonay deux jours de fête, à savoir la fête de sainte Marie Madeleine et la fête de saint Jean… » Voir aussi au sujet de Marie-Madeleine et les
Roussillon, notre dossier « Girart de Roussillon » en ligne dans François Jeanty, Sainte Croix en Jarez - La Chartreuse
du Pilat - Histoire et anecdotes - 1276-1899, 2006, page 9 Original latin sur parchemin jadis scellé, conservé aux archives
nationales sous … Et en tous mes
autres biens, châteaux, forteresses, fiefs, alleux, péages, biens, droits et
usages j'institue Artaud mon fils premier né pour mon héritier universel… … De même je donne et relaisse par droit d'institution à Alesie ma fille les cinquante livres viennoises qu'elle a eues en dot et de ce je veux qu'elle se contente. »
|
![]() Extrait du Testament de Guillaume de Roussillon |
Chapitre IV Béatrice à
Châteauneuf Antoine Vachez rapporte qu’après la mort
de Guillaume son époux, Béatrice était « chargée de l’administration de
toutes les terres des seigneurs de Roussillon …». Guillaume avait en effet
légué à son épouse la jouissance viagère de toute la seigneurie de Châteauneuf avec tout ce qu’il tenait ou espérait tenir en
fief des comtes de Forez. Ce passage reste assez délicat a interpréter
… Doit-on nécessairement voir en Béatrice cette femme gouvernant d’une main ferme et faisant respecter sa faiblesse dans un
temps où la force brutale avait encore tant d’empire comme le déclare
Vachez ? Tout cela n’est pas si évident, même si Béatrice déclare
elle-même dans sa lettre au prieur de Paris : « après la mort du seigneur Guillaume, notre époux, nous nous étions
trouvée dans les milles occupations de ce monde ». En fait, le testament du Guillaume est à
ce sujet on ne peut plus clair dans la mesure où il enjoint à son épouse mais
aussi à ses principaux exécuteurs testamentaires, à savoir ses deux frères
cadets Aymar(1) et Amédée de Roussillon, de se charger de
l’administration de ses biens(2). La jouissance viagère de
Châteauneuf concédée à son épouse est à prendre au sens propre du terme,
c'est-à-dire qu’elle pourra disposer de ces biens en usufruit sa vie durant
mais qu’en tout état de cause, ceux-ci ne peuvent que revenir en pleine
propriété à son héritier universel et fils aîné Artaud(3). D’autre part, comme nous l’avons signalé
plus haut, Béatrice étant encore relativement jeune et ayant sans doute été
bien occupée à l’éducation de ses enfants jusqu’au départ de son époux, elle ne
possédait certainement pas l’expérience requise pour une telle administration.
Certes, en tant que suzeraine de nos contrées elle ne pouvait manquer à cette
responsabilité(4), mais n’en doutons pas, l’administration générale
des biens des Roussillon étaient sous le contrôle des deux frères de Guillaume
et dans une moindre mesure sous celle de son fils Artaud alors jeune damoiseau(5).
Ajoutons encore, que la seigneurie de Châteauneuf devait avoir sa propre cour
comprenant clercs, domestiques, palefreniers et bien entendu les intendants
chargés de récolter les revenus des biens. De fait, il apparaît que noble Dame
Béatrice était certainement plus déchargée de cette lourde tâche que ce que nos auteurs anciens ont voulu nous
laisser croire. De la fermeté, certes il en fallait à
cette époque pour administrer les biens de la seigneurie sans se les laisser
usurper par les petits seigneurs locaux. Les divers actes de l’époque nous
apportent quelques informations quant à ses mœurs brutales(6). Mais à cet effet, Guillaume s’en était remis
entièrement à ses deux frères et nous savons notamment qu’Amédée était un
véritable moine-soldat très qualifié pour protéger les biens de sa famille(7).
Aussi, nous ne partageons pas entièrement le point de vue de nos prédécesseurs
qui voient en Béatrice une noble veuve douée d’une ferme autorité. Vachez n’hésite d’ailleurs pas à mettre
sur le même pied d’égalité Béatrice de la Tour et Blanche de Castille même si
nous pensons maintenant que cette comparaison est trop excessive. Pour notre
part, nous préférons admettre que Béatrice était bien plus soucieuse de
préparer ses œuvres pies à venir que de s’occuper d’administration. A ce propos, il nous semble
que la comparaison que donne Dom Nicolas Molin dans sa chronique de l’Ordre
Chartreux est plus appropriée que celle de Vachez : « … à l’image de Judith devenue veuve et
montrant par la suite l’exemple du courage persévérant, de même l’illustre Dame
Béatrice de la Tour veuve de Guillaume de Roussillon chevalier Seigneur
d’Annonay, selon le désir de son défunt mari se consacre à la chasteté, et en
outre à l’édification de l’ermitage de Sainte-Croix-en-Jarez de l’Ordre des
Chartreux ». C’est avec étonnement mais aussi avec une certaine
satisfaction que nous relevons cette allusion de Dom Nicolas Molin qui renvoie
en marge au Livre de Judith, VIII, 1 : ce verset (et les suivants) présente
Judith (la Juive), qui est une veuve « de fort belle apparence et de gracieux
aspect ». Judith sauve sa ville de Béthulie en tuant, après l’avoir séduit, le
chef assyrien Hollopherne qui l’assiégeait. La comparaison avec Béatrice est
intéressante, sans doute faut-il voir aussi dans ce renvoi à Judith un rappel
de la réputation de veuve belle et attirante qui lui est attachée. (8)
Nous l’avons vu, Béatrice avait encore en
charge toute sa petite famille et ce fait constitue déjà à lui seul une tâche
importante. D’autant qu’elle se devait, avec l’aide de ses deux beaux-frères,
de convenir de l’avenir de ses enfants. Son défunt époux Guillaume avait
souhaité que ces deux fils cadets entrent en cléricature ; de même les
deux plus jeunes filles devaient devenir moniales. Il fallait donc se
préoccuper des ces modalités tout en sachant que pour les plus jeunes il
faudrait sans doute attendre encore deux ou trois années avant qu’elles soient
acceptées dans une maison religieuse. Il fallait encore s’occuper du mariage
des deux filles aînées, envisager dès à présent les unions adéquates … Châtelaine, elle avait aussi
à assumer les fonctions d’une maîtresse de maison dans sa vie de tous
les jours, organiser l’intendance, donner les directives, envoyer les messagers,
recevoir les hôtes … Veuve, encore jeune et de bonne famille, elle avait aussi
à assumer les sollicitations de re-mariage que pouvait occasionner sa situation
comme elle le déclare elle-même « nos
plus grandes sollicitudes venaient de nos amis terrestres qui nous poussaient à
de secondes noces » (10). Mais son dessein était tout
autre, loin du monde terrestre au contraire, ses aspirations ont porté sans
doute très tôt vers des horizons plus célestes… la fondation et sa retraite
dans une maison de l’ordre chartreux. Nous verrons d’ailleurs par la suite
qu’il règne autour de cette fondation une atmosphère des plus mystérieuses … Il est délicat de se prononcer sur le
moment où a eu lieu cette révélation. Ce terme « révélation » n’est
sans doute pas trop fort pour qualifier les visions surnaturelles qui
conduisirent Béatrice jusqu’au lieu où devait être fondée la chartreuse. Toutefois, à partir des documents de
l’époque, nous pouvons émettre une hypothèse permettant d’éclairer cette
incertitude. Une réponse nous est encore apportée par Béatrice lorsqu’elle déclare
dans la charte de fondation de la chartreuse qu’elle a déjà fait construire une
maison pour elle sur la paroisse de Pavezin et cela sur le lieu même de la
future chartreuse. Cette construction n’a pu être réalisée, à priori, que
pendant la période 1278-1280, soit en tout état de cause entre l’annonce du
décès de son époux et la charte de fondation. Voilà nous semble-t-il une belle
occupation pour noble Dame Béatrice … et un tout petit indice pour dater le
fameux songe sur lequel nous ne manquerons pas de revenir …
A Suivre
Eric CHARPENTIER
|
![]() Plan de Chateauneuf |
Comment
ne pas féliciter d'abord vivement le nouveau, remarquable et
pertinent travail proposé ici par notre ami Éric
Charpentier. Oui, une approche claire, qui n'a rien à envier
à celle de l'historien. Ce Dossier rigoureux, précis et
scrupuleux, n'est qu'une étape, utile et nécessaire, un
épisode précieux, au sein d'une quête fabuleuse,
autant que l'était en son temps le songe de Béatrice, si
je puis dire, mais avec des données novatrices qui accompagnent,
qui coulent généreusement d'ailleurs. Oui, il faut trier,
prendre le temps de la réflexion comme on dit. Néanmoins,
le Dossier que vous venez de lire ouvre le débat et plus encore
les yeux, peut-être ? J'espère que chacun l'aura
apprécié à hauteur de ses attentes et des
lumières qui se sont déjà et vont encore
s'éclairer, celles que Béatrice a suivies bien sûr.
Une curieuse fin vécue par cette pieuse châtelaine. Non,
vous ne croyez pas ? Réfléchissons encore alors ?
Je ne doute pas une seconde que nos rares, petits et joyeux adversaires vont maintenant s'accaparer des détails et des nouveautés qu'ils auront piochées dans cette lecture. Peu importe, ce n'est pas à eux qu'est adressé ce Dossier, mais bien à vous, vous à qui ce site est destiné avec enthousiame et grand plaisir depuis précisément 4 ans ce mois de novembre. Merci de votre grande et croissante fidélité. Je leur adresse quand même à eux un message, je les laisse pour ce qu'ils sont et que mon indifférence leur parvienne et ne les "lâches" plus. La connaissance et les investigations appartiennent au final à tous. Le passé de Ste Croix, la fondation, puis enfin la Chartreuse demeurent rattachés à l'Histoire de France et même plus, territorialement parlant déjà, puisque si on n'oublie pas et forcément que l'on ne peux l'oublier, Guillaume de Roussillon, le réel détonateur de cet enchaînement résolu, lui l'époux de la fondatrice, disparu en 1277, alors qu'il était "missionné" dans les environs de Saint-Jean-d'Âcre. En réalité mes saines pensées, vont fortement en premier lieu en renouvellement de félicitations à Éric Charpentier, un repère régionaliste et historique fiable, honnête, un socle de vérité, mais plus avant encore, à ceux qui me viennent immédiatement à l'esprit dans cette continuité, eux qui se sont investis à des degrés divers, de longue date, en recherches fouillées, passionnées, sincères en direction de Ste-Croix et dont leurs noms méritent d'être mis en avant, certes encore avec tri en ce qui concerne le détail, mais pour des raisons positives ou très positives. Eux que je ne pourrais tous citer, je vais en oublier involontairement et bien volontairement, mais l'Histoire leur rendra antériorité, justice ou reconnaissance, à des degrés variés, dans des proportions différentes, mais cette Histoire qui reste à écrire pour la postérité, retiendra légitimement Patrick Berlier, Guy Bonnard, Eric Charpentier, Jean-Claude Ducouder, Raymond Grau, peut-être de plus gros oiseaux, bien sûr André Douzet, sans doute souvent hors des sentiers battus, mais il s'avère ici, incontestablement, un pionnier de premier plan, même si nous ne suivons apparemment pas les mêmes pistes. Tellement facile pour d'autres, de défendre leurs vérités. Nous, nous recherchons LA Vérité. A bientôt pour de nouvelles aventures. Thierry Rollat
|
Exceptionnellement, nous vous proposons de retrouver non pas un, mais
DEUX invités, nos amis Philippe Marlin et Christian Doumergue,
deux invités qui n'ont jamais aussi bien
porté ce nom, car géographiquement parlant, ils sont
"extérieurs" au Massif du Pilat et indépendamment, ils
viennent d'effectuer un sympathique séjour ici, pour
"découvertes", et surtout approfondir leurs connaissances sur Notre
Territoire favori. Nous les avons accueillis avec beaucoup de plaisir
et à présent vous pouvez donc les retrouver au travers de
ces deux interviews prenantes, sincères et engagées ...
|
NOTRE PREMIER INVITÉ
|
Nous
l'avons accueilli dans le Pilat. Nous l'avons rencontré à
Rennes-le-Château. Aujourd'hui, pour notre grand plaisir à
tous, il a accepté de donner une interview aux Regards du Pilat.
Oui, ce grand spécialiste, dont le nom est aujourd'hui
très connu auprès des amateurs de mystères et
d'énigmatiques divers, s'avère Philippe
Marlin. Cet homme enthousiaste, entreprenant né, demeure avant
tout, un authentique passionné, assoiffé de
lectures, d'écritures et de voyages. Vous allez pouvoir mieux le
connaître, grâce à cet entretien, auquel il s'est
prêté avec sympathie et sincérité. Nous qui
le connaissons à présent un peu mieux, nous pouvons
affirmer qu'il reste appréciable de pouvoir côtoyer ce
genre de personnage qui n'a pas oublié de savoir ce que sont le
pragmatisme et la perspicacité, deux qualités
fondamentales pour progresser dans des
investigations "larges" et les connaissances oubliées qui les
accompagnent souvent. Retrouvons-le dès à présent.
|
![]() Philippe avec son fils Nicolas |
Philippe Marlin : C’est une vieille histoire, mais qu’il convient de
remettre en perspective. J’ai toujours été passionné par le mystère,
essentiellement par le biais de la littérature d’imaginaire (science-fiction,
fantastique) qui a été ma véritable « école de formation ». Et il est
évident que lorsque l’on tombe dans cette « soupe », la tentation est
forte d’aller voir de « l’autre côté », pour essayer de chercher s’il
n’y a pas quelque chose de réel derrière tout cela. C’est ainsi qu’on débouche
tout naturellement sur la science ou sur l’histoire.
Pour ce qui est de Rennes-le-Château, plus
précisément, ma découverte est finalement très banale. J’avais, comme beaucoup
d’autres, lu Le Trésor Maudit de
Gérard de Sède, et, alors que j’étais pour des raisons professionnelles dans la
bonne ville de Lavelanet (Ariège), je me suis décidé à aller visiter cet
intrigant village. Nous étions alors en novembre 1973. Rennes-le-Château était
englouti dans une brume froide et humide, et je n’ai pas eu l’occasion alors de
découvrir ce paysage sublime dont je ne me lasserai plus par la suite. Mais je
fis une rencontre clef, celle d’Henri Buthion. Un personnage assez
extraordinaire, habillé d’un costume blanc (nous étions en hiver) et animé
d’une mimique qui n’était pas sans me rappeler celle de Louis de Funès. J’étais
le seul « client » de son « restaurant » et le déjeuner
qu’il m’avait concocté se prolongea jusque très tard dans la soirée….. Déjeuner
très généreusement arrosé, ce qui m’avait permis d’absorber sans sourciller une
magnifique histoire faite de wisigoths, de trésor sacré et d’ovnis taquins…..
Philippe Marlin : Je répondrai d’abord en vous renvoyant la balle,
parce que pour la résoudre, encore faudrait-il qu’elle existe, cette énigme. Ce
n’est pas une façon de botter en touche, et je ne fais pas partie de la race
des sceptiques purs et durs. Mais force est de constater que cette affaire a
été fortement polluée par des fantaisistes de toutes obédiences, généralement
en mal de gestion d’égo. La liste est impressionnante : Le Prieuré de Sion
et les Mérovingiens, la descendance du Christ et de Marie-Madeleine, la
maquette dite de l’abbé Saunière et le tombeau de Jésus….. Et ce phénomène
semble intarissable : une auteure anglaise, par ailleurs réputée, vient
cette année de sortir une autobiographie, City
of Secrets, dans laquelle elle retrouve la trace de Saunière à Gérone. Le
problème est que les documents qu’elle produit à l’appui de sa démonstration
sont plus que douteux.
Tout travail passe donc par une phase préalable de
ménage, afin d’éliminer tout ce qui a été ajouté au fil du temps et qui n’a
rien à voir avec l’affaire. Et ce travail est très difficile, car il faut généralement
reconnaître aux fabricants de mythes un talent certain.
La
dépollution opérée, il reste au moins quelque
chose
qui nous interpelle, et qui est le cœur historique de l’affaire :
l’enrichissement étonnant du prêtre. Un enrichissement
important, mais qu’il
faut relativiser. Saunière était loin d’être le
seul à manipuler des sommes
d’argent importantes, et il était même « petit
joueur » comparé à son
supérieur Monseigneur Billard ou à son collègue
ariégeois le Révérend Père Louis
de Coma (affaire de Baulou dite du Monastère
Dynamité ; je consacrerai à
cette affaire une étude dans le numéro 5 de
Philippe Marlin : Je ne suis évidemment pas un distingué pilatologue,
contrairement à notre ami Patrick Berlier ! En fait, il y a deux sujets
dans votre question.
Celui de Ponce Pilate, qui me semble relever de la
légende solide, reposant sur des faits vraisemblables. Lorsqu’on sait que le
Procurateur de Judée était originaire de Vienne, il n’y a rien de bien
sensationnel à imaginer qu’il soit venu finir ses jours dans sa région natale.
J’ai du reste été frappé, lors de la petite visite que j’ai faite en votre
compagnie, par la prégnance de la présence romaine dans la région. Je n’ai
notamment pas oublié vos commentaires sur
Pour ce qui est de Marie-Madeleine, c’est une toute
autre affaire, de nature beaucoup plus spéculative. On part de Ponce Pilate, en
imaginant qu’il avait sans doute quelque chose à se faire pardonner pour ne pas
avoir pu empêcher la crucifixion de Jésus. De cette supposition, on continue à
tirer les fils et on le voit accueillir la Sainte Femme sur le chemin de
l’exil. Oui, et comme dirait l’autre « et prouvez moi le
contraire » !!!
Philippe Marlin : Au risque de vous décevoir, je n’ai aucune opinion
sur ce type de sujet qui me ferait plutôt sourire. Nous sommes ici dans l’hyper
spéculation ! Cela me fait penser aux touristes américains qui, l’année
dernière, demandaient dans le village de Rennes-le-Château où était la maison
natale de Marie-Madeleine….. Cela me fait également penser à Henry Lincoln,
l’un des co-auteurs de L’Enigme Sacrée, et
l’un des premiers propagateurs de la Madelonomania. Il a depuis quelques années fait son « coming out » et expliqué comment
toutes ces théories avaient été fabriquées à l’issue d’un déjeuner bien arrosé.
En septembre 2004, nous l’avons accueilli à l’Atelier Empreinte pour
l’enregistrement d’une émission sur France Culture. Voyant dans un rayon un
ouvrage intitulé Marie-Madeleine,
l’épouse du Christ, il n’a pu s’empêcher de
s’exclamer : « Oh, pardon mon Dieu ! ».
Philippe Marlin : Je
vais répondre en englobant les travaux de Patrick Berlier dans un ensemble plus
vaste, que vous connaissez bien par définition, celui du « Vieux
Secret ». Cette « tradition », faute de trouver un thème
meilleur, se ballade dans toute une série d’affaires. Essayons de résumer :
°
Il s’agirait d’une révélation liée à la
période « pré-chrétienne »
ou
païenne. On la retrouve dans
Dans
un ouvrage relativement récent, Guy Tarade affirme la chose suivante (Arcane 10, 2004) :
Au
début du siècle dernier, la nouvelle église de Lucéram (1) reçut la visite d’un étrange personnage, lequel sembla s’intéresser aux
anciennes archives de la sacristie et au précieux retable de Louis Bréa qui
rehausse la beauté du lieu saint, placé sous la protection de Sainte
Marguerite. Cet homme à la stature imposante passa quasiment inaperçu, sa
soutane lui assurant un anonymat certain. Il s’agissait de Bérenger Saunière,
curé de Rennes-le-Château. Fait curieux, une représentation peinte de
Marie-Madeleine au pied de
De
nombreux retables enrichissaient alors le sanctuaire. Presque tous étaient
attribués à Louis Bréa. Des gens bien intentionnés en ont dérobé trois. Pas
n'importe lesquels, ceux qu'ils ont volés représentaient des lieux bien
particuliers et étaient porteurs de symboles.
Aujourd'hui,
l'Ordre de Malte a mis la main sur ces lieux chargés d'Histoire.
°
Il s’agirait d’une révélation liée à la période chrétienne, voire catholique.
Cette thématique est évidemment glissante, car elle bascule très vite sur les
théories bien connues concernant Jésus et Marie-Madeleine ; passons…….
L’une
des pistes de ce Vieux Secret Catholique se localise autour de vos pôles
d’intérêt, les affaires du Mont Pilat, de
L’ouvrage
le plus complet, en complément du votre justement intitulé Le Vieux Secret, est certainement celui de Patrick Berlier,
°
Le thème du Vieux Secret affleure également dans deux autres dossiers. Il
s’agit de l’affaire du Verdon, popularisée par Alfred Weysen dans L’Ile des Veilleurs. Il s’agit aussi de
l’affaire de Théopolis, développée par l’inénarrable Roger Correard. Ces deux
sites sont situés dans la même région (Sisteron pour le second).
°
Pour ce qui est de Rennes-le-Château stricto sensu, ce thème est au cœur du
dernier bouquin de Christian Doumergue (Arqa 2006, L’Affaire de Rennes-le-Château). Il existerait au sein de l’Eglise
catholique un cercle hérétique, perpétuant la tradition gnostico-cathare. Ce
cercle est bien implanté dans la région du Razès avec Jules Doinel, Déodat
Roche….. Saunière en était proche. La démonstration pourtant aboutira là où
l’auteur voulait absolument nous emmener : les tombeaux de Marie-Madeleine
et du Christ.
Quel bilan (provisoire) tirer aujourd’hui ? La
déferlante du Da Vinci Code s’est
calmée, et on recherche un peu moins le bulletin d’adhésion au Prieuré de Sion
(encore que !!!) ou l’adresse de la maison de Marie-Madeleine. Mais les
chercheurs de trésor ont toujours bon pied bon œil, et il n’est pas rare
d’entendre, avec un sourire entendu : « C’est fait ;
l’affaire de Rennes-le-Château est résolue…. ». Mais pour nous, le plus
significatif, c’est certainement l’impact qu’a eu le roman de Dan Brown en
termes touristiques. Notre colline a été à la une de nombreuses émissions de
télévision, alors que tous les guides, qu’ils soient bleus, verts ou
routardisants, possèdent désormais une entrée sur le village. D’où une nouvelle
population de « découvreurs estivaux », ravis de flirter avec le
mystère de l’abbé, enchantés de prendre contact avec une région merveilleuse,
tout en étant parfois déçus par les conditions spartiates d’accueil à Rhedae……
–
DRAGON & MICROCHIPS (fantastique, SF).
–
MURMURES D’IREM (mythes et légendes, tradition et ésotérisme).
Nous
organisons de surcroît des rencontres régulières et de nombreux événements :
participation à des conventions, visite de sites inspirés (Gisors et les
Templiers, les Carpates et Dracula, le Providence de Lovecraft, Cracovie et
Pour
faciliter les rencontres entre les membres, nous avons du reste créé diverses
antennes régionales, tant en France qu’à l’étranger (Bruxelles, Lausanne, Londres).
L’ODS,
une maison d’édition
Nous
travaillons à notre rythme, celui d’amateurs éclairés. Nous avons ainsi publié
plus de 40 ouvrages, de la poésie (Fantasmique
L’ARTBS
Le Colloque 2008 aura lieu à
Sèvres, dans la région parisienne, bien connue pour son église mérovingienne
placée sous le patronage de Dagobert II.
* 2004, Prats del Mollo, à l’autre
extrémité du méridien magique
* 2005, Cordes-sur-Ciel et les
Templiers de Vaour
* 2006, le Monastère Dynamité de
Baulou et la chapelle templière de Montsaunès
* 2007, sur les traces d’Otto Rahn en Ariège
Afin que nul ne meure…….
![]() Dans un Saint édifice du Pilat, lors d'un séjour qu'il n'oubliera pas ... |
![]() Dans sa célèbre Librairie, mondialement appréciée ... |
![]() Près de "la" monumentale cheminée du Pilat. Philippe, nous dit "à bientôt" ... |
NOTRE SECOND INVITÉ
|
Nous
l'avons aussi accueilli dans le Pilat. Nous l'avons aussi
rencontré à
Rennes-le-Château. Ce fin chercheur et auteur de renom, a même
rejoint l'équipe rédactionnelle, de notre site "La
Grande Affaire" et ce dès son lancement. Nous ne
pouvons qu'en être très flattés. Christian Doumergue
demeure un chercheur studieux, précis et pertinent. Il est un
constat qui consiste à retenir que nous partageons de nombreux
points de vue avec cet homme sérieux et particulièrement
crédible, qui mentionne régulièrement toutes ses sources.
Nous y reviendrons dans le futur, avec détails et arguments.
Nous sommes en phase avec lui, sur un esprit général, dont un
positionnement respectueux, qui implique
écoute, débat et dialogue avec autrui, par
conséquent avec les autres approches, sur les mêmes
sujets. Voici son <Site personnel>. Vous pouvez aussi à présent mieux le découvrir... |
![]() Christian, entrain de prendre une photographie |
L’affaire de Rennes-le-Château, quant à elle, rassemble tous ces thèmes… Marie-Madeleine est au centre de l’œuvre de l’abbé Saunière. Surtout, dans la reconstruction « plantardienne » de l’affaire Saunière, le fin mot de l’Affaire de Rennes est un secret d’ordre religieux, une remise en question du christianisme établi, dans laquelle Marie-Madeleine joue un rôle central… Après l’ère des « chercheurs de trésors », cette dimension de l’Affaire de Rennes est aujourd’hui devenue la plus importante… et quelque soit son origine, elle nous semble essentielle. Et de salut public.
Si l’intérêt que l’on a prêté à l’étude de l’abbé Saunière depuis les livres de Gérard de Sède nous a permis de nous débarrasser des faux semblants, on ne peut cependant dire pour autant que la personnalité de l’abbé Saunière est aujourd’hui bien cernée. Pour l’homme public, certainement : Bérenger Saunière est un monarchiste convaincu et un caractère fort. Pour le Saunière intime, c’est plus complexe. De nombreux documents ont disparu. D’autres restent dans l’ombre. Ainsi, il est quasiment impossible d’appréhender certains aspects de sa vie. Pour ne prendre qu’un exemple : alors que ses carnets de correspondances gardent trace d’un abondant échange de missives avec son meilleur ami Edouard Auriol, on ne possède quasiment plus aucune de ces lettres qui auraient été d’un riche enseignement sur la vie intime du prêtre…
Ainsi, l’idée de « zones d’ombre » est-elle l’image qui résume le mieux la vie du prêtre. Ceci étant dit, on peut dessiner quelques contours. Même si cette image « angélique » est remise en question par beaucoup, je persiste à croire (notamment à la lecture de certaines lettres à Marie), que l’abbé Saunière était animé d’une véritable foi, et qu’il demeura dans le giron de l’Eglise. Y compris lorsqu’il fut en conflit avec son évêque : pensant à quitter Rennes-le-Château, il imagine s’installer à Lourdes. C’est assez significatif…
Toutefois, si on regarde bien les relations de l’abbé, on se rend compte qu’il n’est pas aussi « sectaire » que son « intégrisme » affiché pourrait le laisser penser… Les Roché, pourtant franc-maçons et anti-cléricaux affichés, évoluent dans son entourage… Entre autres. Cela ouvre bien des possibilités pour comprendre ce qui a pu se passer à Rennes-le-Château…
On sait aujourd’hui que le dénouement, le début et la fin de l’histoire, se trouve non pas à Rennes-le-Château, mais à Rennes-les-Bains. Lorsqu’il a monté le mythe du « curé aux milliards » par le moyen d’opuscules déposés sous de faux noms à la Bibliothèque Nationale de France (ce sont ces opuscules qui donnent pour la première fois la trame « mythologique » complète de l’affaire Saunière : découverte de parchemins, montée à Paris, à St Sulpice, rencontre avec Emma Calvé, etc. ; de Sède en reprendra certains passages presque mot pour mot), Pierre Plantard n’a cessé, alors qu’il mettait Saunière au premier plan, d’attirer discrètement, et de plus en plus, l’attention sur Rennes-les-Bains. Ainsi, la plupart des pseudonymes choisis par Pierre Plantard et Philippe de Chérisey pour signer les opuscules de la BNF, renvoient-ils à la petite station thermale. Prenons un exemple : Walter Celse-Nazaire. Celse et Nazaire sont les deux saints auxquels est dédiée la petite église de Rennes-les-Bains. Autre exemple : Madeleine Blancasall évoque clairement la Blanque et la Salz, deux rivières se rejoignant à l’entrée Sud de Rennes-les-Bains, précisément à proximité de la source de la Madeleine… Bref, tout cela pour dire que Pierre Plantard n’a donné de l’abbé Saunière la vie romancée que l’on sait que pour attirer artificiellement l’attention sur Rennes-le-Château et, de là, conduire « ceux qui savent lire entre les lignes » jusqu’à Rennes-les-Bains. Si dans ce développement récent, Rennes-le-Château fait donc partie intégrante de l’Enigme à déchiffrer, la question se pose quant à son rôle du vivant de l’abbé Saunière. Faut-il penser que l’on a voulu faire jouer aux constructions du prêtre le même rôle de « phare » dont Plantard allait les investir dans son « Œuvre », ou bien s’agit-il d’un phénomène distinct que le pur hasard aurait placé à proximité de Rennes-les-Bains… et qui aurait par la suite été habilement utilisé par Pierre Plantard, pour « parler en étant sûr qu’on ne puisse le comprendre…» (je reprends ici l’intention que lui prête Gérard de Sède dans L’Or de Rennes…)
On aurait tendance de pencher en faveur de cette seconde idée à la lecture des papiers de l’abbé Saunière, puisque l’on y trouve absolument aucun élément laissant envisager que le prêtre ait pu appartenir à un quelconque groupe occulte… Mais l’étude de ses constructions, notamment de l’église, nous incite à penser que certains ont alors bien conçu Rennes-le-Château comme ce « Phare » nécessaire pour attirer l’attention sur le secret de Rennes-les-Bains…
Même si l’on a beaucoup exagéré cette idée, au point de la discréditer, il y a de fait des « anomalies » dans l’église de Rennes-le-Château, dont la plus signifiante est sans doute celle qu’on ne voit pas : l’absence de la représentation de l’apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine. Alors que toutes les scènes de la vie de la sainte sont présentes, la plus importante n’a pas été figurée… Et l’on peut vite comprendre pourquoi lorsque l’on s’intéresse à la question de la Résurrection…
Ces éléments (pensons encore au grand relief dominant le confessionnal, et à ses détails incontestablement singuliers…) laissent envisager l’existence d’une intention cachée dans ces réalisations. Mais, au vue de ce que je disais précédemment sur le catholicisme toujours constant du prêtre, je ne pense pas que l’abbé Saunière ait été le chef d’orchestre du projet. Ce qui laisserait entendre qu’il ait été manipulé. Cela cadre avec le portrait psychologique qu’on sait de lui. Il avait, psychologiquement et caractériellement parlant, les traits requis pour être l’ « entrepreneur » idéal des œuvres de Rennes-le-Château, notamment une volonté de laisser sa trace ici-bas. Cela le rendait facilement influençable et aveugle au véritable sens du projet que certains lui soufflèrent…
Mais si l’on peut conjecturer que Saunière a été
manipulé… difficile de dire par qui. Mon idée à ce sujet est qu’il faille sans
doute chercher au sein même de ses relations ecclésiales… Mais là encore, la
carence de documents est telle, qu’il est à ce jour impossible d’apporter une
réponse certaine. Tout au plus peut-on constater l’emprise de cette influence
sur certains papiers du prêtre relatifs aux travaux. Ainsi les changements de
nom de la Tour Magdala, d’abord appelée Tour du Midi, puis Tour de l’Horloge ―
deux noms probablement jugés trop explicites par les véritables chefs
d’orchestre du projet…
![]() |
(couverture) La Tombe perdue, le nouvel ouvrage de
Christian Doumergue, dont la sortie est annoncée pour le 3 décembre aux
éditions Pardès. Il est dès à présent en pré-commande sur <Amazon.fr>
|
Christian Doumergue : L’idée de la présence du tombeau du Christ à Rennes-le-Château, ou plus exactement à Rennes-les-Bains, repose sur divers éléments… Les plus anciens remontent à l’Antiquité, aux premiers temps du christianisme et à la question que pose la disparition du corps de Jésus de la tombe où on l’avait disposé après la descente de la croix… Le christianisme romain a expliqué cette disparition en s’appuyant sur la croyance en la résurrection charnelle de Jésus. Et depuis c’est cette vision qui a prévalu. Mais les choses ne sont pas aussi simples… De nombreux christianismes dissidents, notamment gnostiques, ont, dans l’Antiquité, rejeté cette idée. Ils croyaient en la résurrection, mais donnaient à celle-ci une définition strictement spirituelle, une définition en tout point comparable à celle que les bouddhistes donnent au processus de l’Eveil. Les deux termes sont d’ailleurs employés comme synonymes l’un de l’autre dans certains écrits gnostiques. Et donc, pour ces chrétiens, Jésus était ressuscité, puis était mort. Et non l’inverse. Les milieux Juifs, de leurs côtés, ont colporté très tôt l’idée que le corps de Jésus avait été secrètement enlevé de la tombe où il avait été ostensiblement déposé, pour être mis à l’abri ailleurs. Ce qui est intéressant, c’est que ces traditions mettent en scène, pour certaines d’entre elles, un jardinier. Or, c’est à un jardinier que Marie-Madeleine s’adresse dans l’Evangile de Jean pour lui demander de la conduire jusqu’au corps de son Maître, corps dont elle attribue précisément le rapt au dit jardinier. Bien sûr, elle reconnaît ensuite sous les traits du soi-disant jardinier ceux de son Maître. Mais le texte de Jean est de ce point de vue si confus qu’on ne peut que penser qu’il a été maintes fois remanié, réécrit, pour cadrer avec l’évolution progressive du dogme. Ainsi, Marie-Madeleine est-elle placée au centre du mystère de la disparition du corps du Crucifié et tout laisse penser que c’est elle qui, à cause de la proximité qui l’unit à Jésus du vivant de celui-ci, récupéra le corps et en prit soin… Qu’en fit-elle ? La réponse à cette question découle de la résolution d’une autre : que devint-elle ? De nombreuses traditions affirment qu’elle se rendit dans le Sud de Gaule où elle termina sa vie… L’Histoire officielle remet en question l’origine historique de ce légendaire. Mais l’Histoire officielle est partisane, et j’ai par ailleurs démontré que la présence dans ce légendaire couché par écrit au moyen-âge d’éléments appartenant à des christianismes antiques (la place accordée à la femme dans la prédication par exemple), suffit à démontrer l’origine ancienne de ces traditions. Et donc le fait qu’elles reposent bien sur une base historique. Peut-on pour autant dire que le corps de Jésus a été ramené en Gaule à ce moment là ? On en est encore, de ce point de vue là, au stade des conjectures, des recoupements de faits. Il en sera ainsi tant qu’aucune découverte archéologique ne sera là pour vérifier l’hypothèse. Mais en matière d’éléments tangibles, on peut déjà en citer quelques-uns… Il y a déjà plusieurs années, j’ai mis en avant un reliquaire conservé à la Sainte Baume et représentant l’embarcation amenant Marie-Madeleine et les siens d’Orient en Occident… A l’avant de cette barque repose un corps momifié qui, incontestablement, garde le souvenir du rapatriement d’un corps embaumé en Gaule… Plus récemment, j’ai trouvé une confirmation à l’hypothèse de la présence du tombeau du Christ dans le Sud de la France dans un écrit rédigé vers 720 dans le Midi. Ce texte consacré à la conversion au christianisme de l’empereur romain Tibère affirme que celui-ci se rendit en Septimanie (l’actuel Languedoc Roussillon…) pour y construire une grotte au nom du Christ, autrement dit y ériger un ensemble souterrain auquel on a du mal à trouver une fonction autre que funéraire… Affirmation troublante quand on sait que plusieurs traditions conservées dans différents apocryphes affirment que Marie-Madeleine se rendit à Rome pour y rencontrer l’empereur Tibère et lui demander réparation de la mort de Jésus. L’appui d’un empereur pourra sembler surprenante, mais, comme je le démontre dans mon dernier livre à paraître début décembre (La Tombe Perdue, éditions Pardès), tout cela n’est qu’une « affaire de famille »...
Ceci étant dit, si je doute que l’abbé Saunière
lui-même ait eu contact avec les diverses sociétés lyonnaises du XIXe siècle et
du début du XXe qui ont évolué dans le monde de l’ésotérisme, celles-ci sont
intéressantes et, pour certaines, présentent des liens directs avec l’Affaire
qui nous intéresse. Lyon est ainsi un lieu important pour l’Eglise Gnostique.
On y trouve Bricaud qui est un proche du docteur Fugairon. Ce dernier,
s’éloignant de Léonce Fabre des Essarts, qui succéda à Jules Doinel à la tête
de l’Eglise Gnostique, va fonder avec Bricaud une nouvelle église gnostique…
Or, comme je crois l’avoir montré dans mon livre L’Affaire de
Rennes-le-Château, Fugairon est une pièce maîtresse du puzzle qu’il nous
intéresse de reconstituer. Lié à ces figures, en ayant vu passer d’autres, le
Lyon des dernières années du XIXe et des premières du XXe garde donc des
éléments importants pour comprendre l’Enigme. Que Saunière ait directement à
voir avec cela, par contre, reste pour moi à démontrer…
![]() (Ostie) Christian Doumergue devant le comptoir de Narbonne à Ostie (Italie), ancien port de Rome. C’est vraisemblablement de là que Marie-Madeleine embarqua pour la Gaule… |
![]() (Rennes-les-Bains) Christian Doumergue à Rennes-les-Bains, le véritable point de départ de l’ « Affaire de Rennes-le-Château » et le cadre de son dénouement, à venir… |
![]() Les Trois Dents |
![]() Christian dans le Pilat |
![]() La Pierre qui Chante |
(Reliquaire) Détail d’un reliquaire conservé à la Sainte
Baume (Var) : à l’avant de
la barque conduisant Marie-Madeleine en
Gaule figure un corps momifié…
En MARS
2008, avec Patrick BERLIER,
un très "fin" Dossier, où nous étudierons "Un Trésor de symbolismes :
le portail roman de Bourg-Argental" |
![]() |
![]() |
![]() |