LES REGARDS DU PILAT

Le Dossier : Novembre 2007









Béatrice

de la Tour du Pin
 

et


La Fondation Merveilleuse


de la Chartreuse


 de Sainte-Croix-en-Jarez










PAR ERIC CHARPENTIER

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La fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez est déjà bien connue. On ne compte plus en effet les ouvrages qui s’y réfèrent et la visite guidée que propose l’association de sauvegarde de la chartreuse en résume parfaitement les points fondamentaux : en l’an 1281, noble dame Béatrice de la Tour, veuve de Guillaume de Roussillon, noble seigneur décédé aux croisades, fonde sur la paroisse de Pavezin  une chartreuse après en avoir eu une vision miraculeuse. Elle y finira ses jours dans le célibat et la dévotion…

Jusque là, et si l’on se replace dans le contexte d’une époque où les fondations pieuses étaient nombreuses,  celle de Sainte-Croix n’apparaît pas plus anodine qu’une autre …

Et pourtant… Et pourtant non, ce n’est pas le cas …

Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher avec intérêt sur cette période qui oscille entre les années 1270 et 1280 et de s’apercevoir que le discours généralement admis ne colle pas tout à fait à la réalité des événements… Certaines erreurs se sont glissées dans les écrits antérieurs et continuent à être propagées, certaines omissions sont observées, certains points ne sont pas traités, des personnages nouveaux apparaissent … Bref, une somme d’éléments qui en définitive convergent tous à remettre en question l’histoire même de la fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez.

 Nous ouvrons là un vaste dossier consacré à Béatrice de la Tour, à Guillaume de Roussillon et à la fondation miraculeuse de cette chartreuse. Au fil des mois, nous nous efforcerons d’éclaircir, pas à pas, ses points restés obscurs… Et qui sait, peut-être serons nous mieux à même d’appréhender les événements réels gravitant autour de cette nébuleuse…

Dans cette première partie, nous allons nous engager dans une voie qui n’est pas la plus évidente. Il s’agit de celle touchant à la biographie de Béatrice de la Tour, qui naturellement est une figure clé dans l’histoire de Sainte-Croix-en-Jarez. Ouvrir cette voie de la biographie implique de faire appel non seulement à des sources d’époque se rapportant à Béatrice, mais aussi à employer les outils de la généalogie.

Concernant les premières, c’est à dire les sources susceptibles de nous renseigner à propos de Béatrice de la Tour, on ne peut que constater qu’elles tiennent à peine sur les doigts d’une main, ce qui d’emblée paraît un peu maigre pour dresser une biographie !

Pour ce qui est des outils de la généalogie, là aussi, il va falloir s’en remettre à des principes qui ne constituent pas en soit des vérités absolues !

Pour résumer, nous allons nous retrouver dans un épais brouillard qui ne semble pas vouloir se lever ! Néanmoins, nous nous y engageons… A nos risques et périls, comme le veut la formule ! Car il nous semble que ce travail a au moins deux mérites : d’une part celui de suppléer à un manque évident de renseignements biographiques concernant Béatrice – il est d’ailleurs surprenant qu’aucun auteur ne s’y soit attardé plus que cela dans le passé – et d’autre part celui de mettre en place, ou plutôt mettre en évidence, certains éléments très antérieurs à la fondation de la chartreuse, mais qui portés à la lumière du jour, prendront toute leur importance au moment de la dite fondation.
 
Mais avant d’entamer cette tâche hasardeuse, nous allons rapporter succinctement le portrait que dressait Antoine Vachez de Béatrice de la Tour, dans son ouvrage de référence. Cela nous permettra en outre une première approche critique de l’ouvrage en question.


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Chapitre I

Béatrice de la Tour par Antoine Vachez.

 

« Mère d’une nombreuse famille et chargée de l’administration de toutes les terres des seigneurs de Roussillon, Béatrix de la Tour pourvut à toutes les nécessités de sa position difficile, avec la fermeté et la constance que nous admirons chez quelques-unes des femmes pieuses et énergiques de cette époque, qui savaient, comme Blanche de Castille, gouverner d’une main ferme et faire respecter leur faiblesse, dans un temps où la force brutale avait encore tant d’empire.

Encore jeune, à la mort de Guillaume de Roussillon, Béatrix résolut de ne pas s’engager dans les liens d’une nouvelle union. Elle avait aimé passionnément son époux, dit Chorier et son amour s’était transformé en vénération pour sa mémoire. L’affection maternelle, une piété sincère et le culte du souvenir l’absorbèrent désormais tout entière. Vainement de nobles chevaliers prétendirent à sa main, vainement ses proches la pressaient de choisir parmi eux un protecteur pour elle et ses enfants ; elle résista à toutes ces instances. Quoique vivant au milieu du monde, elle semblait déjà lui avoir dit adieu, pour se consacrer aux pratiques de dévotion et aux fondations pieuses. »


Couverture du livre référence
d'Antoine Vachez


      Dans le premier chapitre de son ouvrage sur Sainte-Croix-en-Jarez(1), Antoine Vachez s’attarde à retracer la généalogie de la famille de Roussillon des origines connues jusqu’à la fin du XIIIè siècle, c'est-à-dire l’époque où vivaient Guillaume de Roussillon et son épouse Béatrice(2). Dans cette première partie, il énumère à cet effet, les huit enfants de Guillaume et Béatrice en s’appuyant précisément sur le testament de Guillaume de Roussillon récemment publié par Emmanuel Nicod(3). Il entame ensuite son chapitre II, consacré cette fois à la fondation de la chartreuse de Ste-Croix en rappelant  que Béatrice était « mère d’une nombreuse famille ».

 Cette affirmation n’aurait rien de signifiant, si une quarantaine d’années plus tôt notre auteur n’avait pas publié un premier article dans la prestigieuse Revue du Lyonnais, précisément consacré à la fondation de la chartreuse de Ste Croix(4) et dans lequel nous trouvons, avec un brin d’amusement et à quelques formulations près, le même texte donné en 1904 alors même qu’en 1865 la liste complète et précise des enfants de Guillaume et Béatrice ne lui était pas connue …

Penchons nous un instant sur cette première publication de 1865 qui comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire(5), est l’un des premiers écrits de notre érudit. En effet, à 32 ans, Antoine Vachez nous livre ses premières recherches sur la chartreuse de Ste Croix et à cette date, il faut bien l’admettre, les écrits sur le sujet n’étaient pas légion ! Vachez nous livre néanmoins ses sources(6) sans omettre l’abbé Benoît Chambeyron auquel il emprunte tout son travail sur la chartreuse et sans lequel nous pourrions légitimement penser que les travaux de Vachez sur la chartreuse n’auraient jamais vu le jour(7).

Natif de Riverie en Lyonnais, Vachez s’est intéressé très tôt à l’histoire de cette baronnie et de ses anciens seigneurs : les Roussillon. Ses recherches l’amènent alors tout naturellement à se pencher sur l’histoire de la chartreuse de Ste Croix à laquelle le nom de Roussillon est étroitement lié. De fait, le premier travail qu’il nous livre en 1865 est à la fois une compilation de ses propres découvertes sur la famille de Roussillon et de celles de l’abbé Chambeyron sur la chartreuse de Sainte Croix. Toutefois, il apparaît clairement à cette époque que si ses travaux sur la famille Roussillon sont déjà bien avancés, ceux sur la chartreuse ne commencent qu’à peine. Ces honneurs doivent donc être redirigés vers l’abbé Chambeyron à qui revient tout le mérite. Curieusement, Benoît Chambeyron ne cite à aucun moment dans ses écrits, sa principale source… L’analyse comparative du texte de l’abbé avec celui du chartreux Dom Le Couteulx(8) ne laisse pourtant planer aucune ambiguïté à ce sujet : l’abbé calque toute sa narration historique de Ste Croix sur celle de Dom Le Couteulx reprenant paragraphe après paragraphe toute la composition de son prédécesseur. Néanmoins, c’est bien à l’abbé Chambeyron que nous devons la publication de ce premier travail qui jusque là demeurait à l’état de manuscrits éparts.

Quittons cet aparté pour revenir à notre sujet. Les deux paragraphes  de l’ouvrage d’Antoine Vachez que nous donnons ci-dessus dressent à eux seuls le portrait couramment admis que l’on peut se faire de Béatrice de la Tour… Deux paragraphes écrits en 1865 par un tout jeune érudit ne disposant pas encore – et loin s’en faut – de tous les éléments … Deux paragraphes qui n’ont pas changé d’un « iota » en quarante années pour se retrouver tel quels dans l’ouvrage de référence publié en 1904 et cela malgré des éléments qui avaient fondamentalement évolués... C’est en effet sur cette image somme toute précoce de Béatrice, lègue fragile d’Antoine Vachez, que nous avons tous bâti notre portrait de la fondatrice de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez .

Est-ce seulement le bon portrait ?


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Notes du chapitre I :

 

(1)  Antoine Vachez, La Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, Lyon, Louis Brun, 1904

 

(2) L’ensemble est tiré d’une autre publication d’Antoine Vachez entièrement consacrée aux Roussillon :

Les Roussillon-Annonay, Recherches Historiques et Généalogiques, Lyon, Louis Brun, 1896.

Cette publication a fait l’objet d’un additif et correctif sans doute en 1901 à propos des personnages de Aymar, seigneur d’Annonay et de Guillaume de Roussillon.

 

(3)  Emmanuel Nicod, ancien bibliothécaire de la ville d’Annonay. Il était membre correspondant pour la revue du Vivarais, à laquelle il donna plusieurs publications.

Emmanuel Nicod fut le premier à rechercher les actes authentiques émanant de la Chambre des Comptes de Paris et conservés alors aux Archives Nationales. Il retrouve ainsi d’après les relevés de Huillard-Bréholles(i) les cotes des testaments d’Aymar d’Annonay et de Guillaume de Roussillon qu’il s’empresse de faire transcrire et traduire par les paléographes de l’Ecole de Chartes.

En 1900, toujours dans la revue du Vivarais, il consacre un article à Aymar, seigneur d’Annonay suivi l’année suivante, d’un second portant cette fois sur Guillaume et Artaud de Roussillon. (ii) Ce sont ces deux articles qui amèneront Antoine Vachez à faire éditer un additif et correctif à sa notice sur les Roussillon-Annonay.

Enfin, Emmanuel Nicod fut l’un des principaux détracteurs de l’abbé Filhol(iii), son aîné, ancien desservant d’Annonay et auteur d’un monumental ouvrage sur cette ville. On se souviendra notamment de la version donnée par l’abbé Filhol quant à la date de décès (21 décembre 1277) et au lieu de sépulture de Guillaume de Roussillon (Château d’Annonay)…

(i) Alphonse Huillard-Bréholles, op.cit.

(ii) Emmanuel Nicod, in Revue Historique, Archéologique, Littéraire et Pittoresque du Vivarais, Privas

   - Tome VIII, 1900, Aymar, seigneur d’Annonay, pp. 548-552

   - Tome IX, 1901, Guillaume et Artaud de Roussillon, seigneurs d’Annonay, pp. 250-259

(iii) Abbé Filhol, Histoire religieuse et civile d'Annonay et du Haut-Vivarais depuis l'origine de cette ville jusqu'à nos jours, Annonay, Moussy, 1880-1882, 4 Tomes.

 

(4)  Antoine Vachez, La Fondation de la Chartreuse de Ste-Croix-en-Jarez, in Revue du Lyonnais, 2è Série, Tome XXX, 1865, p. 42

Quelques années seulement après cette première publication, Antoine Vachez réutilise  à nouveau le même paragraphe dans un ouvrage consacré cette fois à la Baronnie de Riverie : Etudes Historiques sur la Canton de Mornant, première partie, La Baronie de Riverie, Lyon, Auguste Brun, 1871, p. 38

 

(5)  Eric Charpentier,  Antoine Vachez, un historien hors pair. Article mis en ligne sur le présent site internet « Regards du Pilat » (http://regardsdupilat.free.fr) en juillet 2007.

 

(6)  Les sources données par Vachez en 1865 sont les suivantes : « Masures de l’Ile-Barbe, p. 533. – Molin, Histoire des Chartreux. – Le P. Gaultier, Table Chronographique, p. 715. – Valbonnays, Histoire du Dauphiné, I, p. 194. – L’abbé Chambeyron, dans la France par Cantons, départ. De la Loire, v. Pavesin. – Poncer, Mémoires sur Annonay. – Chorier, Histoire du Dauphiné. »

Nous avons souligné les sources se rapportant à la famille de Roussillon. Les autres concernent uniquement la chartreuse de Ste Croix.

Il est difficile de dire si Vachez s’est contenté ici de reproduire les sources que mentionne l’abbé Chambeyron ou s’il les a réellement consultées. Sans doute en fut-il en peu des deux …

Nous aurons par la suite l’occasion de préciser chacune de ces sources.

 

(7)  Benoît Chambeyron, curé, né à Longes, mort à Givors (d’après Ch. Rollat). La France par cantons (publié par Théodore Ogier) - Le Pilat - cantons de Saint Chamond et de Rive de Gier, Paveysin, vers 1856, pp. 114-128

C’est l’abbé Chambeyron – à ne pas confondre avec J. B. Chambeyron, auteur des Recherches historiques sur la ville de Rive-de-Gier (1845) avec lequel il ne partage que le patronyme - qui débroussaille tout le travail à Vachez dès 1856 et ce dernier reprendra quasi mots pour mots le texte et surtout l’excellente traduction de son prédécesseur.

Chambeyron ne cite que très peu de sources, et  mentionne tout au plus :

-  Nicolas Molin(i) (pour l’incendie de la chartreuse) – manuscrit dont nous ignorons la provenance

-  Christophe Justel(ii) (pour la charte de fondation) - imprimé

-  Claude Le Laboureur(iii) (pour la charte de fondation) - imprimé

Etrangement, il ne cite à aucun moment Dom Le Couteulx qui est pourtant sa principale source : Chambeyron organise en effet sa notice sur Ste-Croix en reprenant le plan qu’avait élaboré Dom Le Couteulx vers 1681. C’est également chez Dom Le Couteulx qu’il puise le texte latin de la lettre de Béatrice à Dom Jean de Louvoyes, texte dont il sera le premier et unique traducteur : il n’existe encore aujourd’hui, à notre connaissance, aucune autre traduction que celle donnée par l’abbé en 1856. Sans doute faut-il se fier à Jean Combe qui l’a qualifiait d’excellente, pour ne pas avoir à la vérifier …

Ajoutons enfin, avec surprise, qu’Antoine Vachez ne citera plus l’abbé Chambeyron dans son ouvrage publié en 1904. Faible reconnaissance à vrai dire, pour un homme dont il s’est pourtant largement inspiré et sans lequel on serait en droit de se demander si l’ouvrage sur la chartreuse de Ste Croix aurait vu le jour.

 

(i) Nicolas Molin, D. Nicolai Molin Historia cartusiana : ab origine Ordinis usque ad tempus auctoris anno 1638 defuncti , Tournai : Cartusiae Sanctae Mariae de Pratis, 1903-1906.

Dom Nicolas Molin était originaire de Soissons, d’une famille distinguée, il fut d’abord bénédictin, puis fit profession à la Grande Chartreuse le 1er  juin 1586. Il y fut coadjuteur, puis procureur. Dès 1587 on le trouve procureur à Arvières, d’où il passe prieur à Val Saint Hugon en 1589, à Val Sainte Marie en 1596 et à Sylve Benite en 1601. Il fut en même temps visiteur de la province de Bourgogne. Il mourut en charge le 18 août 1638.

(Eléments biographiques tirés de Albert Gruys, Cartusiana - Un instrument heuristique, Paris, IRHT CNRS, 1976-1978)

Cette chronique de l’Ordre Chartreux des origines à 1638 n’a été imprimée qu’à partir de 1903 mais il en existait un manuscrit dont nous ignorons la provenance et qu’avait pu consulter l’abbé Chambeyron. Il est probable qu’en 1865 Vachez s’est contenté de re-mentionner cette source que donnait Chambeyron en 1856 sans l’avoir lui-même consulté.

Page 364, Dom Nicolas Molin consacre un chapitre à la fondation de la Chartreuse dans lequel il donne littéralement copie de la lettre adressée par Béatrice à Dom Jean de Louvoyes. Il s’attarde en outre à glorifier la fondatrice de la chartreuse de Ste-Croix. Etrangement, il ne semble pas que l’abbé Chambeyron ait puisé ses informations chez Molin qui constituait pourtant la source la plus ancienne.

Nous aurons l’occasion de revenir sur les écrits de Dom Nicolas Molin, qui furent sans doute les premiers à citer la fameuse lettre de Béatrice.

 

(ii) Christophe Justel, Histoire généalogique de la maison d’Auvergne – Paris, Mathurin Dupuis – 1645 – Page 333.

Auteur aux écrits parfois suspects, Christophe Justel ne donne à la page 333 de son ouvrage qu’une copie partielle de la Charte de Fondation de la chartreuse de Ste Croix dressée dans le cloître de Taluyers en 1281, copie qu’il déclare tirer du cartulaire de la chartreuse de Salettes en Dauphiné.

 

(iii) Claude Le Laboureur, Les Mazures de l'abbaye Royale de l'Isle-Barbe, Paris, Chez Jan Couterot, 1681, Tome 2, pages 533-535. 

De la même manière que son prédécesseur, Le Laboureur ne donne qu’une copie, toutefois plus complète que celle de Justel, de la Charte de Fondation de la chartreuse de Ste Croix dressée dans le cloître de Taluyers en 1281.

Le Laboureur ne précise pas la provenance de la charte.

 

(8)  Dom Charles Le Couteulx, Annales ordinis Cartusiensis, ab anno 1084 ad annum 1429,  Monstrolii : typis Cartusiae S. Mariae de Pratis, 1887-1891, Tome 4, pages 343 et suivantes.

 

Dom Charles Le Couteulx est le premier chroniqueur à donner les deux pièces constituant la fondation de la chartreuse de Ste Croix : la lettre de Béatrice à Dom Jean de Louvoyes et la Charte de Fondation dressée dans le cloître de Taluyers en 1281. Il donne en outre une liste des bienfaiteurs de la chartreuse.

C’est en ce sens que l’on peut considérer les écrits de l’abbé Chambeyron comme calqués expressément sur ceux de Dom Le Couteulx. La composition du chapitre est strictement identique d’un auteur à l’autre, l’abbé ayant pour sa part pris l’excellente initiative de traduire la lettre de Béatrice.

 

Dom Charles le Couteulx est né à Rouen. Il fit profession à la chartreuse de Gaillon (Eure). Il fut appelé à la Grande Chartreuse en 1681 pour travailler aux Annales de l’ordre, qui racontent l’histoire des fondations de toutes les maisons de l’ordre jusqu’en 1429. En 1694 il fut envoyé prieur à Rouen. Déposé en 1696, il rentra à Gaillon, où il mourut le 15 septembre 1715.

(Eléments biographiques tirés de Albert Gruys, Cartusiana - Un instrument heuristique, Paris, IRHT CNRS, 1976-1978)

 

Les Annales de l’Ordre des Chartreux ne furent publiées qu’entre 1887 et 1891. Nous pouvons donc d’emblée nous interroger sur la manière dont l’abbé Chambeyron a pu avoir accès aux écrits de Dom Le Couteulx … Il en fut de la même sorte que pour les écrits de Dom Nicolas Molin, à savoir que l’abbé eut accès à un manuscrit dont nous ignorons la provenance mais qu’il mentionne lui-même en note de bas de page : « Le manuscrit que j’ai sous les yeux … » (B. Chambeyron, op. cit. p. 117).

Nous pouvons par contre conjecturer que sur ce manuscrit ne devait pas figurer le nom de l’auteur car cela permettrait d’expliquer pourquoi Chambeyron ne cite pas Dom Le Couteulx  comme sa principale source.

 

Concernant les écrits de Dom Charles le Couteulx, nous ajoutons cet extrait du bulletin de l’académie delphinale, 4e série, tome 3e, 1889, page 31, qui apporte quelques compléments d’informations.

 

« … Je me félicite hautement d’avoir à signaler en première ligne, l’œuvre historique des religieux de la Grande-Chartreuse, que nous nous honorons de compter parmi nos correspondants. Une portion des Annales de leur ordre, rédigée par Dom Le Couteulx, avait été imprimée en 1687 : mais l’impression, commencée malgré l’auteur, avait été arrêtée à la cent quarante-quatrième page du deuxième volume, et les exemplaires de ce volume soustraits à la circulation, si bien qu’il n’en restait que deux provenant de la Chartreuse et conservés à la Bibliothèque de Grenoble.

 

Voici que les religieux de la Chartreuse non seulement réimpriment la portion déjà imprimée des Annales composées par Dom Le Couteulx, mais en publient toute la partie demeurée inédite (1) et annoncent l’intention de poursuivre jusqu’à parfait achèvement la rédaction de l’œuvre commencée il y a deux siècles. C’est là une grande et noble entreprise, qui marquerait une fois de plus, s’il en était besoin, le zèle dont sont animés les Chartreux pour l’étude du passé de leur ordre ; ce zèle a d’ailleurs été attesté, dans ces dernièrs temps, par la publication de plusieurs monographies, parmi lesquelles se distingue ce volume, véritable modèle du genre, intitulé : La Grande-Chartreuse par un Chartreux, qui est si rapidement arrivé à sa troisième édition (2).

 

(1) : Annales ordinis Cartusiensis, 3 volumes, in-4e ; imprimés à la Chartreuse de Notre-Dame-des-Prés (à Neuville-sous-Montreuil, Pas-de-Calais). – Tome I, 1887, CXVIII-487 pages ; de l’année 1142 à l’année 1183. – Tome II, 1888, 567 pages ; de l’année 1142 à l’année 1183. – Tome III, 1888, 558 pages ; de l’année 1184 à l’année 1284. Le premier volume des Annales publié en 1687 n’a pas été réimprimé ; il ne contenait, d’ailleurs que les statuts des Chartreux. L’édition nouvelle commence au second volume de l’ancienne édition, avec lequel s’ouvre l’histoire de l’ordre.

 

(2) : Troisième édition, 1884.






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Chapitre II

De la naissance de Béatrice de la Tour.

 

Nous allons maintenant tenter une approche plus biographique que celle donnée par Antoine Vachez et notamment sur la première interrogation généalogique que nous serions en droit de nous poser : celle de la naissance de Béatrice …

 Les seigneurs de la Tour du Pin étaient au XIIIè siècle l’une des plus grandes familles nobles du Dauphiné et ses origines remonteraient au moins à la première moitié du Xè(1). siècle

Béatrice de la Tour qui nous intéresse ici, était fille d’Albert III de la Tour dit « le Vieux » et de Béatrice de Coligny.

Albert III devint baron de la Tour du Pin vers 1219, époque à laquelle il succède à son père défunt. Ce titre lui permet sans doute d’épouser vers 1220 Béatrice de Coligny, dame de Malleval et de Rochechaume, fille de Hugues de Coligny et de Béatrice d’Albon, Dauphine, comtesse de Vienne et d’Albon. C’était pour Béatrice de Coligny, son troisième mariage, étant alors veuve du comte de Toulouse et de Hugues III, duc de Bourgogne.

La date exacte du mariage ne nous est pas connue, mais un acte de 1220(2) dans lequel Albert III confirme aux frères de la chartreuse de Portes une donation que leur avait déjà faite Hugues de Coligny, montre que le mariage avec Béatrice de Coligny avait déjà eu lieu.

 Tout comme son grand-père Albert 1er , Albert III est connu pour ses nombreuses donations à la chartreuse de Portes.  Il fera également profité de sa générosité les chartreuses  de Seillon, de Montmerle, ainsi que l’église d’Ambronay. Il est parfaitement établi que la famille de la Tour du Pin entretenait des liens étroits avec  l’Ordre chartreux et outre les bienfaisances dont nous venons de parler, nous pouvons ajouter celles de Guigues de la Tour, oncle de Béatrice, archidiacre de l’Eglise de Lyon connu pour être l’un des principaux bienfaiteurs de la chartreuse de Portes.

Un autre oncle de Béatrice, Bernard de la Tour entra dans les ordres et y mena une vie pleine de piété au point de refuser les évêchés de Grenoble, de Besançon et encore de Belley. Il deviendra en 1253 le 13e général des chartreux(3).

Le frère de Béatrice, Humbert 1er de la Tour, futur Dauphin, fonda en 1299 la chartreuse de Salettes et finit ses jours à la chartreuse du Val Sainte-Marie de Bouvantes où il mourut en 1307. Son épouse, Anne d’Albon, Dauphine, se retira également au couvent de la chartreuse de Salettes et y mourut en 1301(4).  De même, au moins deux de leurs enfants finiront leurs jours à la chartreuse de Salettes : Henry de la Tour en 1327 et Marie de la Tour en 1355(5).

L’aïeul maternel de Béatrice, Hugues de Coligny dont nous parlions ci-dessus, avait aussi fondé la chartreuse du Val Saint-Martin de Sélignac en 1202(6).

Naturellement, nous rappelons ici la fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez en 1281(7), par Béatrice de la Tour, chartreuse dans laquelle elle reçut sa sépulture en 1306 ou 1307.

Enfin, comme nous le verrons plus bas, au moins une des filles de Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour dut également finir ses jours à la chartreuse de Salettes après y avoir vécu en religieuse(8). Albert III de la Tour, père de Béatrice, accède en 1257 au titre de Grand-Sénéchal des royaumes d’Arles et de Vienne ; titulature que son fils Albert IV conservera à la mort de son père survenue entre avril 1259 et juin 1260(9).

De son épouse Béatrice de Coligny, Albert III de la Tour du Pin aura huit enfants : Albert IV de la Tour qui succèdera à son père comme baron de la Tour du Pin et Grand-Sénéchal des royaumes d’Arles et de Vienne et qui encore par son mariage avec  Alix de Montferrat deviendra beau-frère des rois de Jérusalem, de Thessalonique, de Thessalie et de l’empereur d’Orient ; vient sans doute ensuite Marie de la Tour qui épousera en 1241 Rodolphe comte de Genève ; puis Hugues de la Tour qui deviendra Sénéchal de l’Eglise de Lyon ; Guy  de la Tour qui fut évêque de Clermont et qui en 1262 célébra le mariage de Philippe III le hardi, roi de France ; Humbert 1er  de la Tour dont nous avons déjà parlé ci-dessus, lequel épousa en 1273(10) Anne d’Albon, Dauphine et à qui échoira en 1282 le titre convoité de Dauphin ; Béatrice de la Tour, Dame de Versieu, qui nous intéresse ici ; Alice de la Tour, également Dame de Versieu qui contrairement à sa sœur n’hésita pas à se remarier, puisqu’elle épousa en premières noces Humbert IV de Montluel, puis en secondes noces Simon, comte de Montbéliard, et enfin en troisièmes noces Henri, comte de Genève ; enfin Aynard de la Tour, qui épousa Marie des Baux et mourut sans postérité.

 Si l’on considère un intervalle régulier de deux ans entre chacune des naissances(11) et que l’on fixe à 1221 la première - le mariage ayant eu lieu en 1220 – on peut estimer un échelonnement de quatorze années  pour les huit enfants d’Albert III de la Tour et de Béatrice de Coligny, soit une période oscillant entre 1221 et 1235 environ. Ces éléments concordent avec ce que nous savons de la mère de Béatrice, à savoir qu’elle mourut entre janvier 1241 et janvier 1242(12). En tout état de cause, aucun des enfants du couple n’a pu naître après cette date buttoir de janvier 1242.

Si l’on s’en tient maintenant à l’ordre des naissances généralement admis dans les armoriaux, Béatrice de la Tour aurait été le sixième enfant du couple Albert III de la Tour et Béatrice de Coligny. Elle serait donc née au plus tôt en 1231 selon notre méthode de calcul.

A l’inverse, il nous est possible d’estimer au plus tard la date de naissance de Béatrice de la Tour. En imaginant que le dernier enfant, Aynard de la Tour soit né une année avant le décès de sa mère, soit en 1240, nous aurions Alix de la Tour née en 1238 et enfin Béatrice de la Tour née en 1236 au plus tard.

Enfin , un rapide contrôle à partir du décès de Béatrice de la Tour que nous situons avec certitude en 1306 ou 1307(13), permet de constater que Béatrice se serait éteinte entre70 et 76 ans ce qui est tout à fait admissible.

Béatrice de la Tour serait donc née entre 1231 et 1236.

 


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Notes du chapitre II :

 

(1)  Georges Martin, Histoire et Généalogie de la Maison de La Tour Du Pin, 2006, pages 16 à 19.

Sauf mention contraire de notre part ou compléments portés en notes, nous suivrons l’ouvrage de Georges Martin pour tous renseignements biographiques et généalogiques touchant à la famille de la Tour du Pin.

 

(2)  Ulysse Chevalier, Regeste Dauphinois, Tome II, Valence, 1913, n°6537 et 6538, page 124

Georges Martin, op. cit., approxime  quand à lui la date du 4 mai 1220 sans plus de justificatifs.

 

(3)  Georges Martin, op. cit.,

Antoine Vachez, La Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, Lyon, Louis Brun, 1904

 

(4)  Georges Martin, op. cit. commet une erreur en donnant la date de 1296 pour le décès de Anne d’Albon qui de toute manière ne pouvait s’être retirée à la chartreuse de Salettes qu’à partir de 1299 date de sa fondation.

 

(5)  Généalogie « Charmion », site internet : http://gw0.geneanet.org/index.php3?b=charmion

Dans son manuscrit conservé à la bibliothèque de Lyon, Pierre Bullioud mentionne également une Marie de la Tour à la chartreuse de Salettes, mais il pense à la sœur de Béatrice ce qui nous paraît peu probable compte tenu de l’âge élevé qu’elle aurait eu en 1299. Probablement Bullioud confond cette Marie avec la fille du Dauphin Humbert 1er .

 

(6)  Antoine Vachez, op. cit.,

 

(7)  La charte de fondation porte la date du 24 février 1280 ancien système (a. st.) qui correspond au 24 février 1281 nouveau système (n. st.) selon notre calendrier. Pour rappel, à l’époque de Guillaume et Béatrice, la nouvelle année ne commençait qu’à la Pâques, ainsi, on passait du 31 décembre 1280 au 1er janvier 1280 alors que la passage à l’année 1281 n’intervenait qu’après Pâques.

 

(8)  Pierre Bullioud, ms Lyon, op. cit.

 

(9)  Georges Martin, op. cit.

 

(10)  Georges Martin, op. cit. commet une erreur en donnant la date de 1282. Il confond ici la date du mariage de Humbert 1er de la Tour et Anne d’Albon avec l’année où lui échoit le titre de Dauphin.

 

(11)  Cette méthode de calcul nous semble assez cohérente dans la mesure où l’on sait qu’à l’époque, il était primordial d’assurer rapidement la descendance de la famille et donc de procréer sans discontinuité. Certes, cet intervalle de deux années pourrait être écourté – une grossesse normale étant de 9 mois – mais il permet aussi d’englober dans la masse des naissances, celles des enfants morts en bas âge et qui nous sont inconnus.

 

(12)  Ulysse Chevalier, op. cit., n°7847, page 348 : un acte de janvier 1241 (n. st.) donne Béatrice de Coligny encore vivante

Ulysse Chevalier, op. cit., n°7900, page 356 : un acte de janvier 1242 (n. st.) déclare Béatrice de Coligny décédée

 

(13)  Antoine Vachez, op. cit.,



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La Tour du Pin


Blason des la Tour

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Chapitre III

Du mariage de Béatrice de la Tour et Guillaume de Roussillon.



Blason des Roussillon

     Poursuivons toujours notre approche biographique de Béatrice avec cette fois pour objectif, celui de retrouver les traces éventuelles de son union avec Guillaume de Roussillon.

 Bien évidemment, nous ignorons la date exacte du mariage de Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour mais nous allons voir que divers éléments connus de leur vie respective permettront une approximation de celle-ci.

La première approche consiste à établir la date la plus ancienne probable pour cette union. Pour cela il suffit de repartir de la date de naissance de Béatrice à laquelle nous ajoutons quinze ans puisqu’à cette époque, il n’était pas rare de trouver dans les grandes familles féodales des unions programmées dès la puberté(1). En considérant donc l’année 1231 comme date la plus ancienne probable pour la naissance de Béatrice, nous obtenons l’année 1246 comme date buttoir pour le mariage d’entre Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour. Leur union n’aurait donc pu être célébrée qu’après l’année 1246.

 

De la même manière que pour établir la naissance de Béatrice, nous pouvons aussi approximer  l’année maximum de son mariage, c'est-à-dire celle au-delà de laquelle le mariage n’a pu être célébré. Pour cela, nous allons utiliser la liste des enfants connus du couple Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour et partir de l’année du testament de Guillaume qui précisément établit cette liste. Nous n’entrons pas là dans le détail des enfants de Guillaume et Béatrice, ce point étant traité dans le chapitre suivant.

Les huit enfants connus de notre couple en août 1275, date du testament de Guillaume, permettent d’établir un échelonnement des naissances sur quatorze années selon la méthode de calcul que nous avons expliqué dans le chapitre précédent. En considérant que le dernier enfant soit né en 1274, soit un an avant le départ de Guillaume, nous aurions la première des naissances en l’année 1260, ce qui pourrait donner 1259 comme année buttoir maximum pour le mariage de Guillaume et Béatrice.

 

Ces approximations généalogiques permettent donc d’établir que le mariage a probablement eu lieu entre les années 1246 et 1259, soit un intervalle de treize années qui ne nous satisfait guère. Ces dates extrêmes peuvent sans doute être affinées : si nous utilisons la date de naissance maximum de Béatrice, soit 1236, le mariage peut être situé cette fois entre 1251 et 1259, ce qui ramène l’intervalle probable à huit années.

 

Peuvent ensuite venir à notre secours divers actes remontant à l’époque où vivaient Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour et qui nous sont parvenus. Parmi ceux-ci, l’un des plus intéressant est sans conteste celui du 10 février 1258(2) (n. st.) par lequel Artaud IV de Roussillon, père de Guillaume, émancipe son fils et lui donne son château de Châteauneuf avec tous les droits et dépendances qui y sont attachés. Antoine Vachez(3) rappelle avec raison qu’il ne s’agit pas là d’une émancipation tel que l’entend le code civil et qui n’aurait concerné que les mineurs. A cette date Guillaume avait probablement au moins 32 ans(4) et cette émancipation ne peut avoir d’autre signification que celle qui consistait à « affranchir de la puissance paternelle, quant aux biens, et qui était indispensable ici, pour permettre à Guillaume de Roussillon de posséder en pleine propriété, la seigneurie de Châteauneuf. »

Edouard Perroy(5), excellent chartiste médiéval déclare quant à lui : « En 1258, il [Artaud IV] avait émancipé, en vue de son mariage avec Béatrice de  la Tour [-du-Pin], son fils aîné Guillaume … ». Naturellement, rien dans l’acte en question ne permet une telle affirmation, mais n’en doutons pas, c’est bien l’expérience qui permet ici à ce spécialiste des chartes du Forez d’avoir cette opinion. Force est d’admettre que cette réflexion est d’une telle logique que l’on s’étonne qu’Antoine Vachez ne l’ait pas lui-même proposée !

Le mariage d’entre Guillaume et Béatrice a du faire l’objet d’un contrat préalable comme on l’entendait alors dans les grandes familles nobles. L’épouse devait apporter une dote que lui assignait son père, laquelle dote était alors confiée au futur époux le jour du mariage. En contrepartie, l’époux constituait un douaire(6) à son épouse, en général à prendre sur ses biens immobiliers.

De fait, il fallait impérativement pour envisager l’union entre Guillaume et Béatrice que d’une part Guillaume soit pleinement propriétaire de ses biens,  c'est-à-dire dégagé de la puissance paternelle si ce dernier était toujours seigneur vivant et d’autre part que Béatrice soit dotée conséquemment. Dans ce contexte, seule l’émancipation pouvait permettre à Guillaume de devenir seigneur de Châteauneuf du vivant de son père.

Toutefois, si cette émancipation a eu lieu en vue de la future union, rien ne permet de dire qu’elle fut réalisée avant ou après celui-ci. En effet, le contrat de mariage pouvait simplement stipuler qu’Artaud IV, père de Guillaume s’engageait à émanciper son fils une fois l’union célébrée. D’ailleurs, il était même courant de voir les constitution dotales s’étaler sur quelques années après le mariage.

D’autre part, un acte du 21 juillet 1261(7) nous apprend qu’à cette date, Artaud IV procède à une nouvelle donation envers Guillaume, portant cette fois sur « les châteaux de Roussillon, Surieu, Riverie, Dargoire, du péage de Roussillon, de la garde de Mornant et de tout ce qu’il possédait à St-Romain-en-Jarez… ». Nous sommes probablement là encore face à une donation qui fut programmée lors du contrat de mariage et dont l’échéance devait se situer au 22 juillet, fête de Sainte Marie-Madeleine, très chère à la famille Roussillon(8).

Enfin, une dernière charte du mois de novembre 1262(9) nous apprend encore que Guillaume de Roussillon était fait par la volonté de son père, héritier universel des biens qui pouvaient provenir de la succession du comte de Forez par renonciation à leurs droits d’Aymar, Amédée, Alice et Béatrice, frères et sœurs de Guillaume. Cette dernière convention héréditaire pourrait aussi s’inscrire dans le cadre de la constitution dotale de Guillaume.

L’examen de ces premiers documents  permettrait d’envisager un mariage effectif aux alentours de l’année 1258, soit un peu avant, soit juste après, avec un échelonnement de la constitution dotale porté au moins jusqu’en l’année 1262. Nénamoins, il est encore un autre document d’époque qui permet de pousser la réflexion plus loin : il s’agit de la charte de fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, charte dans laquelle intervient Artaud V de Roussillon, fils et héritier de Guillaume et Béatrice. Dans cette charte que nous datons précisément du 24 février 1281, Artaud V déclare expressément être mineur : « Renunciantes specialiter ego Arthaudus minoris ætatis beneficio. » (10).

Si en février 1281, Artaud n’a pas encore atteint l’âge de 25 ans, un  autre acte (11) dans lequel intervient encore Artaud V de Roussillon, tenderait à prouver qu’au mois de décembre 1281 cette majorité était atteinte.

Quoi qu’il en soit, une charte de 1284 (12) dans laquelle Artaud V reçoit l’hommage de Foulques d’Ampuis permettrait de dire, selon Edouard Perroy, qu’Artaud V avait atteint l’âge de la majorité. Cette date extrême permettrait donc de situer la naissance d’Artaud V au plus tard en 1259.

Ces constats nous permettent d’établir la date de naissance d’Artaud au moins après 1256 et au plus tard en 1259. Pour en venir à la date de mariage de Guillaume et Béatrice, il faudrait être certain qu’Artaud fut le premier né, et cet élément, nous allons le trouver dans le testament du Guillaume lorsque ce dernier déclare : « … j'institue Artaud mon fils premier né pour mon héritier universel… ».

 

Il résulte de cette laborieuse dichotomie  qu’il est possible de circonscrire le mariage de Guillaume et Béatrice entre les années l’année 1255 et 1258, ce qui somme toute correspond bien à l’émancipation et aux donations dont nous parlions plus haut.

 

Il peut être intéressant ici de s’interroger également sur la teneur du contrat de mariage d’entre Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour. En premier lieu, nous supposions ci-dessus que s’il y avait eu contrat de mariage, alors l’émancipation du 10 février 1258 ainsi que les donations du 21 juillet 1261 puis 1262 constituaient sans doute l’apport de Guillaume envers son épouse : le douaire. C’est à peu près ce qu’il ressort du testament de Guillaume lorsqu’il déclare : « De même je donne et lègue à dame Béatrix mon épouse sa vie durant mon château de Châteauneuf avec ses appartenances et tout ce que j'ai, tiens et espère tenir en fief du seigneur comte de Forez au comté de Forez et je veux qu'à la mort de madite épouse, tout ce qu'elle délaissera soit dévolu à mondit héritier universel… » Cette dernière volonté de Guillaume montre que le douaire de Béatrice portait à la fois sur les biens figurant à l’émancipation de 1258 et à la fois sur les biens provenant du comte de Forez dont Guillaume bénéficia en 1262.

Concernant maintenant l’apport de Béatrice pour le mariage, nous savons par la charte de fondation de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, qu’elle donne à l’ordre chartreux sa terre de Versieu qui lui venait de son père Albert III de la Tour du Pin : « De même je donne aux mêmes frères la moitié de la ville de Versieu que mon père m'a donné en dot, avec les droits et appartenances et usages, quel que soit leur nom. » (13). La terre de Versieu appartenait pour moitié à Béatrice de la Tour et pour autre moitié à sa soeur Alice de la Tour dont nous avons parlé plus haut et nous pouvons supposer qu’il s’agissait pour l’une comme pour l’autre d’une partie de leur constitution dotale. A cette portion, venait sans doute s’ajouter aussi un numéraire dont nous ignorons le montant mais dont il est fait implicitement allusion dans le testament de Guillaume de Roussillon : « De même je veux que mon épouse, sur les cens et revenus de ce que je lui laisse, puisse tester et ordonner à concurrence du montant de sa dot. ». Nous savons que pour fonder la chartreuse, Béatrice de la Tour acheta la terre de Ste-Croix-en-Jarez (Pavezin), y fit construire une maison, acheta encore des terres à Trèves, à Roussillon et à Surieu(14). Elle donne l’ensemble à l’ordre chartreux, y compris sa terre de Versieu qui provenait de son père. Hors, si en 1275, Guillaume autorise son épouse à tester à hauteur du montant de sa dote, c’est que d’une part toutes les acquisitions réalisées par Béatrice n’ont eu lieu qu’après 1275(15) et d’autre part que sa dotation nuptiale devait comporter un numéraire suffisant susceptible de lui permettre ses futures acquisitions.

 

De l’union d’entre Guillaume de Roussillon et Béatrice de La Tour nous pouvons affirmer qu’elle fut féconde … C’est en effet le moins que nous puissions dire au regard du testament de Guillaume de Roussillon. Celui-ci nous apprend qu’en 1275, le couple Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour du Pin, avait huit enfants vivants(16) : trois garçons, Artaud (cinquième du nom dans la généalogie de Vachez), Albert, et Guillaume, ainsi que cinq filles, Alix, déjà mariée(17), Guigone, Eléonore, Artaude et Catherine. Comme nous l’avons dit plus haut, il est fort probable que le mariage entre Guillaume de Roussillon et Béatrice de la Tour fut conclu au plus tard en 1258 ; Béatrice elle-même étant alors jeune Damoiselle âgée de 22 à 27 ans. Considérant à nouveau un intervalle moyen de deux ans entre chacune des naissances de leurs enfants, nous sommes en mesure d’étaler celles-ci sur au moins quatorze années, soit entre 1259 environ et 1273.

Il ressort de cet approche que durant toute la période de vie commune de notre couple, Béatrice n’eut guère d’autres loisirs que d’enfanter et pouponner ! Lorsque Guillaume partira en 1275 pour la Terre Sainte, son dernier enfant – peut-être Catherine -  aura deux ans à peine et n’aura sans doute jamais connu son père…

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Notes du chapitre III :

 (1) Ulysse Chevalier, op. cit.,  n°11214, page 890

La convention de fiançailles d’entre Humbert 1er de la Tour et Anne d’Albon, Dauphine, passée à Macon le 31 août 1273 donne textuellement : « [Anne] promet de délivrer un acte de renonciation quand elle sera parvenue à la puberté. »

 (2) Alphonse Huillard-Bréholles, Titres de la maison ducale de Bourbon, Paris, Henri Plon, 1867

Tome 1, n°354

 « 1258, (1257 v. st.), 4 idus fevruarii (10 février), Vienne, « in bastida archiepiscopi ».

 354. Artaud, seigneur de Roussillon, émancipe son fils Guillaume avec toutes les formalités requises, et lui donne ensuite par donation irrévocable son château dit castrum novum, avec toutes ses dépendances et les droits qui y sont attachés, retenant seulement, « in signum traditae possessionis », l'usufruit pendant un jour .»

 Original latin sur parchemin bien conservé, jadis scellé du sceau de Jean, Archevêque de Vienne, qui donne à l'acte sa consécration, et du sceau d'Artaud de Roussillon. - P. 1360 (1), cote 801.

 (3) Antoine Vachez , Les Roussillon-Annonay, Recherches Historiques et Généalogiques, Lyon, Louis Brun, 1896, page 26-27.

 (4) Antoine Vachez , Les Roussillon-Annonay… op. cit., page 27 :

« Déjà au mois de mai 1251, nous le voyons [Guillaume] se rendre caution, avec son père, dans un acte de reconnaissance de fief … »

Cette précision permet d’établir d’après Antoine Vachez qu’en 1251 Guillaume avait déjà atteint l’âge des 25 ans et qu’il était donc né au moins en 1226.

 (5) Edouard Perroy, Les familles nobles du Forez au XIIIè siècle, Saint-Etienne, 1977, tome 2, page 719.

 (6) Douaire : en droit ancien, cela signifiait le droit d'usufruit sur ses biens qu'un mari assignait à sa femme par son mariage et dont elle jouissait si elle lui survivait.

 (7) Antoine Vachez , Les Roussillon-Annonay… op. cit., page 27 donne le 21 juin 1260 mais il s’agit d’une erreur puisqu’il s’appuie sur Huillard-Bréholles, lequel donne bien la date du 21 juillet 1260.

Alphonse Huillard-Bréholles, op.cit., tome 1, n°373

 « 1260, XII. Kal. Augusti (21 juillet).

 373. Artaud, seigneur de Roussillon, fait donation à son fils Guillaume, légalement émancipé, de ses châteaux de Roussillon, Surieu, Riverie, Dargoire, du Péage de Roussillon, de tout ce qu'il a à Saint-Romain en Jarez et de la garde de Mornant, ne s'en réservant que l'usufruit sa vie durant, mais avec le droit de faire des dispositions en faveur de ses autres enfants. .»

 Original latin sur parchemin, jadis scellé de trois sceaux, les attaches en ficelle de deux de ces sceaux subsistent encore. - P. 1361 (2), cote 985).

Autre original sur parchemin, jadis scellé de trois sceaux. - P. 1375 (2), cote 2502.

 (8) On trouve par exemple une mention de ce type dans le testament de Guillaume de Roussillon :

« De même je veux que mon héritier fasse et soit tenu de faire chaque année à jamais en faveur du couvent des frères mineurs d'Annonay deux jours de fête, à savoir la fête de sainte Marie Madeleine et la fête de saint Jean… »

Voir aussi au sujet de Marie-Madeleine et les Roussillon, notre dossier « Girart de Roussillon » en ligne dans la rubrique Archives du site internet « Regards du Pilat » (http://regardsdupilat.free.fr)

 (9) Alphonse Huillard-Bréholles, op.cit., tome 1, n°394

 « 1262, novembre.

 394. Artaud, sire de Roussillon, au diocèse de Vienne, Aymar, Amédée, Alyse et Béatrix, ses enfants, font donation pleine et entière à Guillaume, fils dudit Artaud, à ce présent et acceptant, de tout ce qu'ils peuvent ou pourront prétendre à quelque titre que ce soit sur la succession de feu Guy, comte de Forez.»

(10) Cette opinion ne fait pas l’unanimité, puisque François Jeanty est plus prudent lorsqu’il déclare « Suit une phrase un peu ambiguë et qui peut être comprise de façon différente : «… moi Artaud je déclare solennellement au bénéfice du plus jeune âge. » En effet cette phrase peut être interprétée voulant dire : «  Je suis le plus jeune et c’est donc moi qui m’engage pour le plus longtemps » mais elle peut aussi signifier : « je suis trop jeune pour pouvoir signer cette charte, ma mère a pris des décisions me concernant, malgré mon âge j’ai tout compris et j’approuve toutes ces décisions »… »

François Jeanty, Sainte Croix en Jarez - La Chartreuse du Pilat - Histoire et anecdotes - 1276-1899, 2006, page  9

 La première éventualité que propose François Jeanty ne nous convainc pas … La seconde ramène quant à elle à la notion de minorité d’Artaud au moment de la charte de fondation.

 (11) Alphonse Huillard-Bréholles, op.cit., n°706

 « 1281décembre.

 706. Artaud de Roussillon, damoiseau, seigneur d'Annonay et de Roussillon, vend à Girard de Mays divers droits au donjon et bourg de Chagnon, que ledit seigneur de Roussillon avait acquis par échange sur Agnès, fille de Jocerand Reynier, chevalier, femme d'Etienne Pasturel, fils d'Etienne de Saint-Priest (de Sancto-Prejecto), chevalier, héritière de  Reynier, son frère, et de Gaudemar, archidiacre de Lyon, sous la réserve du douaire d'Amphelyse, mère de ladire dame. Sont cautions de la vente, Gaudemar, seigneur de Jarez, et Guigue de Saint-Symphorien, seigneur de Greyzieu (Grayseu)

 Le fait qu’Artaud V ait en décembre 1281 la possibilité de disposer de ses biens sans le consentement de sa mère, ni de ses oncles, laisserait penser qu’il avait atteint l’âge de la majorité. Néanmoins, le qualificatif « damoiseau », c'est-à-dire jeune homme qui n’est pas encore chevalier, ne va pas dans ce sens.

 (12) Edouard Perroy, op. cit., page 719

 (13) « Item dono eisdem fratribus medietatem villæ de Versieu, quam Albertus, dominus de Turre, pater meus, dedit mihi in dotem, cum juribus, pertinentiis et usagiis, quocumque nomine censeantur. »

 (14) « … je donne…  la demeure que j'ai construite dans la paroisse de Paveizin, …. De même, je donne le lieu contigu …  afin que soit construite une maison dudit Ordre, … De même, tout ce que j'ai dans la ville de Trèves, … De même, je donne aux dits frères tout ce que j'ai acquis dans le mandement de Roussillon, …  De même tout ce que j'ai à Surieu   »

 (15) La constitution dotale de l’épouse était au moment du mariage remise en sa totalité au futur époux qui déclarait l’accepter et la prendre en charge. Les biens ou le numéraire provenant de cette constitution ne pouvaient être ni aliénés, ni utilisés de quelque façon que ce soit sans l’autorisation expresse du conjoint. De plus, si Guillaume permet à Béatrice de tester à hauteur du montant de sa dote, cela signifie qu’en 1275, Béatrice n’a pas encore eu le loisir d’entamer sa constitution dotale.

(16) Extrait Testament de Guillaume de Roussillon en date du 11 août 1275 (3 des ides d’août).

Original latin sur parchemin  jadis scellé, conservé aux archives nationales sous la cote P. 13612 cote 974

Nous remercions notre ami Jean-Claude Ducouder  pour nous avoir communiqué aimablement une copie et traduction du testament de Guillaume de Roussillon.

 « De même j'institue mon héritier, donne et relaisse par droit d'institution à Albert, mon fils, la somme de cinquante livres de rente annuelle que mon dit héritier universel dotera et assignera en faveur dudit Albert sur certains `plans' à lever sur mes terres, hors mes forteresses, du conseil et assentiment toutefois de mes exécuteurs soit de la majeure partie d'entre eux, et de ce je veux que ledit Albert s'en contente. De même je veux que ledit Albert soit clerc et je veux que, s'il venait à mourir sans héritiers, tout ce qu'il délaissera soit dévolu à mon héritier universel soit à ses enfants. De même je donne et relaisse par droit d'institution à Guillaume, mon autre fils, cinquante livres viennoises de rente annuelle assignées sur mes terres, mais non sur mes châteaux soit forteresses et je veux de même qu'il se fasse clerc et, s'il venait à mourir, que ce qu'il délaissera soit dévolu à mon héritier universel soit à ses propres enfants. De même je donne et relaisse par droit d'institution à Guigonne ma fille mille livres viennoises et un bon et suffisant 'harnois', [i.e.trousseau], payables du temps où elle se mariera en cinq ans continus, à savoir chaque année deux cents livres viennoises et de ce je veux qu'elle se contente. Et si elle venait à mourir sans enfants, je veux que ce qu'elle délaissera soit dévolu à mon héritier soit à ses enfants. De même je donne et laisse par droit d'institution à Elionor ma fille mille livres viennoises et un bon et suffisant 'harnois' lesquelles mille livres j'ordonne lui être payées du temps où elle se mariera en cinq ans continus, à savoir chaque année deux cents livres viennoises et de ce je veux qu'elle se contente. Et j'ordonne que, si elle venait à mourir sans enfant, ceci soit restitué à mon héritier. De même je veux que mes deux autres filles, à savoir Arthaude et Katherine, soient faites moniales et que mon héritier universel soit tenu de les remettre et colloquer au monastère de Martineu les nonens et qu'il leurs fasse à chacune leur `harnois'et soit tenu de les pourvoir en vêtements et 'harnois' ainsi qu'il convient à des moniales. De même je leurs laisse à chacune par droit d'institution dix livres de rente leur vie durant et, après leur mort, lesdites dix livres seront dévolues à mon héritier universel…

… Et en tous mes autres biens, châteaux, forteresses, fiefs, alleux, péages, biens, droits et usages j'institue Artaud mon fils premier né pour mon héritier universel…

… De même je donne et relaisse par droit d'institution à Alesie ma fille les cinquante livres viennoises qu'elle a eues en dot et de ce je veux qu'elle se contente. »

(17) Si l’on doit considérer Alix comme étant déjà mariée en 1275, cela ne signifie pas pour autant qu’elle avait atteint l’âge de la majorité, soit 25 ans. Il n’était pas rare à l’époque, dans les grandes familles de sceller une union alors que l’épouse n’était encore qu’une adolescente. Dans ce cadre, si l’on considère Alix âgée d’au moins  14-15 ans au moment de son mariage, et en considérant que celui-ci n’a pu être célébré qu’en 1275 au plus tard, nous pourrions penser qu’elle dut naître vers 1260, soit en seconde position dans la liste des enfants.
 


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Extrait du Testament de Guillaume de Roussillon

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Chapitre IV

Béatrice à Châteauneuf

 

Antoine Vachez rapporte qu’après la mort de Guillaume son époux, Béatrice était « chargée de l’administration de toutes les terres des seigneurs de Roussillon …». Guillaume avait en effet légué à son épouse la jouissance viagère de toute la seigneurie de Châteauneuf  avec tout ce qu’il tenait ou espérait tenir en fief des comtes de Forez.

Ce passage reste assez délicat a interpréter … Doit-on nécessairement voir en Béatrice cette femme gouvernant d’une main ferme et faisant respecter sa faiblesse dans un temps où la force brutale avait encore tant d’empire comme le déclare Vachez ? Tout cela n’est pas si évident, même si Béatrice déclare elle-même dans sa lettre au prieur de Paris : « après la mort du seigneur Guillaume, notre époux, nous nous étions trouvée dans les milles occupations de ce monde ».

En fait, le testament du Guillaume est à ce sujet on ne peut plus clair dans la mesure où il enjoint à son épouse mais aussi à ses principaux exécuteurs testamentaires, à savoir ses deux frères cadets Aymar(1) et Amédée de Roussillon, de se charger de l’administration de ses biens(2). La jouissance viagère de Châteauneuf concédée à son épouse est à prendre au sens propre du terme, c'est-à-dire qu’elle pourra disposer de ces biens en usufruit sa vie durant mais qu’en tout état de cause, ceux-ci ne peuvent que revenir en pleine propriété à son héritier universel et fils aîné Artaud(3).

D’autre part, comme nous l’avons signalé plus haut, Béatrice étant encore relativement jeune et ayant sans doute été bien occupée à l’éducation de ses enfants jusqu’au départ de son époux, elle ne possédait certainement pas l’expérience requise pour une telle administration. Certes, en tant que suzeraine de nos contrées elle ne pouvait manquer à cette responsabilité(4), mais n’en doutons pas, l’administration générale des biens des Roussillon étaient sous le contrôle des deux frères de Guillaume et dans une moindre mesure sous celle de son fils Artaud alors jeune damoiseau(5). Ajoutons encore, que la seigneurie de Châteauneuf devait avoir sa propre cour comprenant clercs, domestiques, palefreniers et bien entendu les intendants chargés de récolter les revenus des biens. De fait, il apparaît que noble Dame Béatrice était certainement plus déchargée de cette lourde tâche que  ce que nos auteurs anciens ont voulu nous laisser croire.

 

De la fermeté, certes il en fallait à cette époque pour administrer les biens de la seigneurie sans se les laisser usurper par les petits seigneurs locaux. Les divers actes de l’époque nous apportent quelques informations quant à ses mœurs brutales(6).  Mais à cet effet, Guillaume s’en était remis entièrement à ses deux frères et nous savons notamment qu’Amédée était un véritable moine-soldat très qualifié pour protéger les biens de sa famille(7). Aussi, nous ne partageons pas entièrement le point de vue de nos prédécesseurs qui voient en Béatrice une noble veuve douée d’une ferme autorité.

Vachez n’hésite d’ailleurs pas à mettre sur le même pied d’égalité Béatrice de la Tour et Blanche de Castille même si nous pensons maintenant que cette comparaison est trop excessive. Pour notre part, nous préférons admettre que Béatrice était bien plus soucieuse de préparer ses œuvres pies à venir que de s’occuper  d’administration. A ce propos, il nous semble que la comparaison que donne Dom Nicolas Molin dans sa chronique de l’Ordre Chartreux est plus appropriée que celle de Vachez : « … à l’image de Judith devenue veuve et montrant par la suite l’exemple du courage persévérant, de même l’illustre Dame Béatrice de la Tour veuve de Guillaume de Roussillon chevalier Seigneur d’Annonay, selon le désir de son défunt mari se consacre à la chasteté, et en outre à l’édification de l’ermitage de Sainte-Croix-en-Jarez de l’Ordre des Chartreux ». C’est avec étonnement mais aussi avec une certaine satisfaction que nous relevons cette allusion de Dom Nicolas Molin qui renvoie en marge au Livre de Judith, VIII, 1 : ce verset (et les suivants) présente Judith (la Juive), qui est une veuve « de fort belle apparence et de gracieux aspect ». Judith sauve sa ville de Béthulie en tuant, après l’avoir séduit, le chef assyrien Hollopherne qui l’assiégeait. La comparaison avec Béatrice est intéressante, sans doute faut-il voir aussi dans ce renvoi à Judith un rappel de la réputation de veuve belle et attirante qui lui est attachée. (8)

 
      Nous allons revenir maintenant sur un élément que nous avions souligné plus haut : l’affirmation de Béatrice elle-même, qui dans sa lettre au prieur Jean de Louvoyes déclare qu’après la mort de Guillaume elle s’était trouvée dans les milles occupations de ce monde(9) … Si comme nous venons de le dire Béatrice était partiellement déchargée de l’administration des biens des Roussillon, quels pouvaient donc être alors ces milles occupations ?

Nous l’avons vu, Béatrice avait encore en charge toute sa petite famille et ce fait constitue déjà à lui seul une tâche importante. D’autant qu’elle se devait, avec l’aide de ses deux beaux-frères, de convenir de l’avenir de ses enfants. Son défunt époux Guillaume avait souhaité que ces deux fils cadets entrent en cléricature ; de même les deux plus jeunes filles devaient devenir moniales. Il fallait donc se préoccuper des ces modalités tout en sachant que pour les plus jeunes il faudrait sans doute attendre encore deux ou trois années avant qu’elles soient acceptées dans une maison religieuse. Il fallait encore s’occuper du mariage des deux filles aînées, envisager dès à présent les unions adéquates …

Châtelaine, elle avait  aussi  à assumer les fonctions d’une maîtresse de maison dans sa vie de tous les jours, organiser l’intendance, donner les directives, envoyer les messagers, recevoir les hôtes … Veuve, encore jeune et de bonne famille, elle avait aussi à assumer les sollicitations de re-mariage que pouvait occasionner sa situation comme elle le déclare elle-même « nos plus grandes sollicitudes venaient de nos amis terrestres qui nous poussaient à de secondes noces » (10). Mais son dessein était tout autre, loin du monde terrestre au contraire, ses aspirations ont porté sans doute très tôt vers des horizons plus célestes… la fondation et sa retraite dans une maison de l’ordre chartreux. Nous verrons d’ailleurs par la suite qu’il règne autour de cette fondation une atmosphère des plus mystérieuses …

Il est délicat de se prononcer sur le moment où a eu lieu cette révélation. Ce terme « révélation » n’est sans doute pas trop fort pour qualifier les visions surnaturelles qui conduisirent Béatrice jusqu’au lieu où devait être fondée la chartreuse.

Toutefois, à partir des documents de l’époque, nous pouvons émettre une hypothèse permettant d’éclairer cette incertitude. Une réponse nous est encore apportée par Béatrice lorsqu’elle déclare dans la charte de fondation de la chartreuse qu’elle a déjà fait construire une maison pour elle sur la paroisse de Pavezin et cela sur le lieu même de la future chartreuse. Cette construction n’a pu être réalisée, à priori, que pendant la période 1278-1280, soit en tout état de cause entre l’annonce du décès de son époux et la charte de fondation. Voilà nous semble-t-il une belle occupation pour noble Dame Béatrice … et un tout petit indice pour dater le fameux songe sur lequel nous ne manquerons pas de revenir …


A Suivre

Eric CHARPENTIER

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(1) Un acte de 1278 est d’ailleurs très révélateur du fait que Béatrice n’avait pas à s’occuper de l’administration de ses terres mais que celle-ci revenait pour partie à Aymar de Roussillon son beau-frère :

 Huillard-Bréholles, Op. cit. T1, n° 641

 « 1278 (1277 v. st.), le samedi jour de Saint-Vincent (22 janvier), Roussillon.

 641. Aymar, archevêque de Lyon, considérant que Béatrix de la Tour, veuve de Guillaume de Roussillon, sire d'Annonay, son frère, a reçu en legs de celui-ci les châteaux de Nervieu en Forez et de Châteauneuf, mais qu'elle ne peut toucher immédiatement les revenus du château de Nervieu, promet de l'en indemniser en lui payant trente livres viennois pendant deux ans, soit sur les revenus d'Artaud de Roussillon, son neveu, soit sur ceux de la terre que lui a laissée Artaud de Roussillon son père.»

 (2) Extrait Testament de Guillaume de Roussillon , op. cit.

 « Et de mondit testament soit disposition de dernière volonté, je fais et constitue pour mes exécuteurs le sieur Aymard Guichard, chevalier, maître Ysmidon Radulphe, Jordan Sybert, clerc, et Pierre Pelet, et révérends pères en le Christ le sieur Aymard archevêque de Lyon et le sieur Amédée abbé de Savigny mes frères, voulant et accordant que lesdits quatre (premiers exécuteurs soit) Aymon, maître Ysmidon, Jordan Sybert et Pierre Pelet, puissent lever et percevoir les cens et revenus de mes terres et ce deux fois l'an, soit en l'octave de la saint André apôtre et en la fête de Pentecôte, de quoi ils seront tenus de rendre compte et raison tant à mesdits deux frères qu'à madite épouse et de ce dont il leur sera rendu le compte que mesdits deux frères et madite épouse, soit deux ou un seul d'entre eux, leurs en donnent et octroient pleine quittance et absolution, sans qu'ils soient tenus d'en rendre raison à qui que ce soit. Et je leurs donne et lègue à chacun trente livres viennoises. »

(3) Extrait Testament de Guillaume de Roussillon, op. cit.

 « …et je veux qu'à la mort de madite épouse, tout ce qu'elle délaissera soit dévolu à mondit héritier universel. »

(4) C’est ainsi que nous trouvons Béatrice intervenant au nom de son époux absent dans un acte du 8 septembre 1276 :

 1 - Huillard-Bréholles, Op. cit. T1, n° 613

 « 1276, 6 idus septembris (8 septembre)

 613. Guillaume, abbé de Saint-Pierre hors la porte de Vienne, reconnaît avoir reçu de Béatrix de la Tour, femme de Guillaume de Roussillon, sire d'Annonay, alors outre-mer (agentis in transmarinis partibus), la somme de cent vingt livres viennois que celui-ci lui devait, en vertu d'une transaction passée entre eux au sujet de la grange de Charaysin au mandement d'Annonay. (Voir le n° 585 .).»

 2 – Dufier, Pages d'histoire en Dauphiné - Canton de Roussillon, Lyon, 1999, page 31

 "Le 8 septembre 1276, Béatrix de la Tour, épouse de Guillaume de Roussillon, seigneur de Roussillon et d'Annonay, paya au monastère de Saint-Pierre de Vienne, au nom de son mari en guerre en Palestine, la somme de 120 livres mettant fin au litige survenu entre la famille de Roussillon et Guillaume de Grolée, abbé de Saint-Pierre de Vienne, au sujet de la succession de Aymar de Lavieu, décédé en 1273, ancien seigneur d'Annonay et cousin de Guillaume de Roussillon" - (Dufier, cite A. Vachez, Recherches sur les Roussillon-Annonay, p. 31).

 On notera que Dufier prend quelques libertés avec les termes de l'acte. Ainsi la mention Outre Mer devient-elle Palestine, et le nom de Lavieu pour Aymar ainsi que la date de son décès semble établis alors que rien ne le permet.

(5) Il ne faut pas oublier qu’à la mort de Guillaume, son fils Artaud devient le seigneur de Roussillon et d’Annonay bien qu’il ne soit encore que mineur (il a alors entre 15 et 18 ans au plus). C’est pour cette raison qu’il est tout de même tenu d’intervenir dans les actes officiels où ses biens sont en jeux comme il le fait en 1281 en approuvant  la Charte de fondation de la chartreuse de Ste Croix. De fait, on ne peut pas imaginer une seconde qu’il n’est pas eu à intervenir dans l’administration de sa seigneurie.

D’ailleurs, son père précise dans son testament : « De même je veux et prohibe expressément audit Artaud mon fils et héritier de mettre la main sur mes terres pas plus que sur les rentes et revenus de mesdites terres, ni d'occuper ou usurper un quelconque de mes biens tant que mes procédures judiciaires ne seront pas réglées et que mes dettes et légats ne seront intégralement payés, et s'il s'y essayait et le tentait, audit cas je le déshérite totalement ». Ce passage laisse penser qu’une fois les procédures judiciaires éteintes et les dettes effacées, Artaud pouvait « mettre la main » sur les terres de Guillaume et donc avoir à intervenir dans l’administration de la seigneurie.

(6) Extrait du testament de Guillaume de Roussillon, op. cit.

 « … De même (je donne) à l'église de Moyssieu cinquante livres viennoises pour racheter les dégâts que moi et les hommes de ma terre lui avons causés… »

(7) Deux actes de 1280 montre à quel point les frères de Guillaume étaient impliqués dans la protection des domaines légués à Artaud de Roussillon ...

1 – Ulysse Chevalier, Regeste Dauphinois , 7 tomes, Valence, 1913-1927 – n° 12169 - Tome III pages 80-81

 « Roussillon, 28 mai 1280

 Artaud, seigneur de Roussillon et d'Annonay, Aymar de Roussillon, archevêque de Lyon, et Amédée de Roussillon, évêque de Valence, frères, font alliance avec Roger de Clérieu et renoncent en sa faveur à toutes les donations consenties par feu Silvion de Clérieu, père de Roger, tant à eux-mêmes qu'à feu Guillaume de Roussillon, leur père ... Mardi avant l'Ascension.

 Arch. de l'Isère, B. 3538, orig. parch. (Invent. III, 78°). - Chevalier (J.), Hist. égl.-ville Die, II, 42 ; dans Bull. soc. archéol. Drôme, XXVIII, 272 (à part, I, 255) ; Bull. acad. Delphin. D. III, 221 () part, 51). »

2 - Huillard-Bréholles, Op. cit. T1, n° 671

 « 1280, le dimanche après la Saint-Pierre (30 juin), Paris.

 671. Traité d'alliance offensive et défensive entre Louis, sire de Beaujeu, et Adhémar de Poitiers, comte de Valentinois, contre Aymar de Roussillon, archevêque de Lyon, Amédée, évêque de Valence et de Die, et Artaud, seigneur de Roussillon. Ledit traité est fait d'après les conseils et par l'intervention d'Humbert de Beaujeu, seigneur de Montpensier, connétable de France, et de Louis, seigneur de Montferrand, son frère.»

 Enfin, nous savons également qu’en 1274, Aymar de Roussillon, alors jeune archevêque de Lyon, demanda à son frère Amédée de Roussillon d’assurer avec ses troupes, la sécurité du Concile de Lyon. La vie d’Amédée, sur laquelle il existe un récit d’époque et dont nous aurons l’occasion de reparler par la suite, fourmille des exploits guerriers du futur évêque de Valence et de Die.

(8) Dom Nicolas Molin, Op. cit., Tome 1, page 364

 Domus Sanctae Crucis in Jaresio Cartusia Sanctae Crucis in Jaresio anno 1280, in archiepiscopatu Lugdunensi et provincial aquitaniae, fundata a religiosissima Domina Beatrice de turre, ut constat ex antiqua tabula quae extat in Capitulo hujus monasterii. De qua sequitur prologus : « Sicut pie est credendum, et absque dubietatis scrupulo devotis  enarrari potest, gratiae plenitudinis currente tempore, quo jam munudus primum linqueus perditionis opus, demum Christi sanguinis lavacra dealbatur, virificae crucis signaculo in  regale consecratus sacerdotium : supernus ille Sipritus ac divinus bonorum inspirator ornans coelos et replens orben terrarum, qui Judith viduae posteris praebensperseverantis fortitidinis exemplum, etiam Dominae inclytae Beatrici de Turre uxori quondam Domini Guillelmi de Rossilione militis Domini Annoniaci, castitatis dedit propositum defuncto marito, ac insuper ut SanctaeCrucis coenobium in Jaresio Ordinis sacri Cartusiensis aedificaret , concessit voluntatem : quemadmodum exepistola sequentiper ipsam Priori Vallis Viridis transmissa colligi potest.

Nous devons à notre ami Patrick Berlier les commentaires que nous donnons  plus haut à propos de Judith ainsi que la traduction qui suit :

 La Maison de Sainte-Croix-en-Jarez

 La Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, en l’archevêché de Lyon et province d’Aquitaine, fondée en l’an 1280 par la très religieuse Dame Béatrice de la Tour, selon ce qui est établi d’après une inscription ancienne qui se trouve dans la chapelle de ce monastère. D’où il suit ce prologue :

« Ainsi qu’on doit le croire pieusement, et je l’ai rapporté sans doute ni embarras avec toute la dévotion possible, par la grâce plénière au cours du temps, dès lors que le premier monde abandonné à l’œuvre de perdition est précisément clarifié par les bains de sang du Christ, et le signe de l’homme en croix consacré en sacerdoce royal : cet Esprit supérieur et même divin, inspirateur des fidèles, ornant les cieux et resplendissant sur le globe terrestre, à l’image de Judith devenue veuve et montrant par la suite l’exemple du courage persévérant, de même l’illustre Dame Béatrice de la Tour veuve  de Guillaume de Roussillon chevalier Seigneur d’Annonay, selon le désir de son défunt mari se consacre à la chasteté, et en outre à l’édification de l’ermitage de Sainte-Croix-en-Jarez de l’Ordre des Chartreux, qu’il en soit fait selon sa volonté : ainsi est-il possible de le relever d’après la lettre qui suit transmise par elle-même au prieur de Val Vert ».

 (9) « Ad hæc non ignoretis quod, post Domini Guillelmi conjugis nostri decessum, multis mundi hujus occupationibus vexatæ fuimus » (extrait des preuves de l’ouvrage d’Antoine Vachez)

 (10) « et maximè quia nostri carnales amici excitabant nos ad secundas nuptias transire » (extrait des preuves de l’ouvrage d’Antoine Vachez)


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Plan de Chateauneuf


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    Comment ne pas féliciter d'abord vivement le nouveau, remarquable et pertinent travail proposé ici par notre ami Éric Charpentier. Oui, une approche claire, qui n'a rien à envier à celle de l'historien. Ce Dossier rigoureux, précis et scrupuleux, n'est qu'une étape, utile et nécessaire, un épisode précieux, au sein d'une quête fabuleuse, autant que l'était en son temps le songe de Béatrice, si je puis dire, mais avec des données novatrices qui accompagnent, qui coulent généreusement d'ailleurs. Oui, il faut trier, prendre le temps de la réflexion comme on dit. Néanmoins, le Dossier que vous venez de lire ouvre le débat et plus encore les yeux, peut-être ? J'espère que chacun l'aura apprécié à hauteur de ses attentes et des lumières qui se sont déjà et vont encore s'éclairer, celles que Béatrice a suivies bien sûr. Une curieuse fin vécue par cette pieuse châtelaine. Non, vous ne croyez pas ? Réfléchissons encore alors ?

    Je ne doute pas une seconde que nos rares, petits et joyeux adversaires vont maintenant s'accaparer des détails et des nouveautés qu'ils auront piochées
dans cette lecture. Peu importe, ce n'est pas à eux qu'est adressé ce Dossier, mais bien à vous, vous à qui ce site est destiné avec enthousiame et grand plaisir depuis précisément 4 ans ce mois de novembre. Merci de votre grande et croissante fidélité. Je leur adresse quand même à eux un message, je les laisse pour ce qu'ils sont et que mon indifférence leur parvienne et ne les "lâches" plus. La connaissance et les investigations appartiennent au final à tous. Le passé de Ste Croix, la fondation, puis enfin la Chartreuse demeurent rattachés à l'Histoire de France et même plus, territorialement parlant déjà, puisque si on n'oublie pas et forcément que l'on ne peux l'oublier, Guillaume de Roussillon, le réel détonateur de cet enchaînement résolu, lui l'époux de la fondatrice, disparu en 1277, alors qu'il était "missionné" dans les environs de Saint-Jean-d'Âcre.

    En réalité mes saines pensées, vont fortement en premier lieu en renouvellement de félicitations à Éric Charpentier, un repère régionaliste et historique fiable, honnête, un socle de vérité, mais plus avant encore, à ceux qui me viennent immédiatement à l'esprit dans cette continuité, eux qui se sont investis à des degrés divers, de longue date, en recherches fouillées, passionnées, sincères en direction de Ste-Croix et dont leurs noms méritent d'être mis en avant, certes encore avec tri en ce qui concerne le détail, mais pour des raisons positives ou très positives. Eux que je ne pourrais tous citer, je vais en oublier involontairement et bien volontairement, mais l'Histoire leur rendra antériorité, justice ou reconnaissance, à des degrés variés, dans des proportions différentes, mais cette Histoire qui reste à écrire pour la postérité, retiendra légitimement Patrick Berlier, Guy Bonnard, Eric Charpentier, Jean-Claude Ducouder, Raymond Grau, peut-être de plus gros oiseaux, bien sûr André Douzet, sans doute souvent hors des sentiers battus, mais il s'avère ici, incontestablement, un pionnier de premier plan, même si nous ne suivons apparemment pas les mêmes pistes. Tellement facile pour d'autres, de défendre leurs vérités. Nous, nous recherchons LA Vérité. A bientôt pour de nouvelles aventures.

Thierry Rollat  

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    Exceptionnellement, nous vous proposons de retrouver non pas un, mais DEUX invités, nos amis Philippe Marlin et Christian Doumergue, deux invités qui n'ont jamais aussi bien porté ce nom, car géographiquement parlant, ils sont "extérieurs" au Massif du Pilat et indépendamment, ils viennent d'effectuer un sympathique séjour ici, pour "découvertes", et surtout approfondir leurs connaissances sur Notre Territoire favori. Nous les avons accueillis avec beaucoup de plaisir et à présent vous pouvez donc les retrouver au travers de ces deux interviews prenantes, sincères et engagées ...

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NOTRE PREMIER INVITÉ
   Nous l'avons accueilli dans le Pilat. Nous l'avons rencontré à Rennes-le-Château. Aujourd'hui, pour notre grand plaisir à tous, il a accepté de donner une interview aux Regards du Pilat. Oui, ce grand spécialiste, dont le nom est aujourd'hui très connu auprès des amateurs de mystères et d'énigmatiques divers, s'avère Philippe Marlin. Cet homme enthousiaste, entreprenant né, demeure avant tout, un authentique passionné, assoiffé de lectures, d'écritures et de voyages. Vous allez pouvoir mieux le connaître, grâce à cet entretien, auquel il s'est prêté avec sympathie et sincérité. Nous qui le connaissons à présent un peu mieux, nous pouvons affirmer qu'il reste appréciable de pouvoir côtoyer ce genre de personnage qui n'a pas oublié de savoir ce que sont le pragmatisme et la perspicacité, deux qualités fondamentales pour progresser dans des investigations "larges" et les connaissances oubliées qui les accompagnent souvent. Retrouvons-le dès à présent.


Philippe avec son fils Nicolas

Regards du Pilat :  Philippe, Bonjour. Vous êtes depuis toujours, un homme passionné aux activités nombreuses et variées. Peut-on savoir précisément comment et quand vous êtes vous épris de Rennes-le-Château et de tout cet environnement extraordinaire ? 

Philippe Marlin :  C’est une vieille histoire, mais qu’il convient de remettre en perspective. J’ai toujours été passionné par le mystère, essentiellement par le biais de la littérature d’imaginaire (science-fiction, fantastique) qui a été ma véritable « école de formation ». Et il est évident que lorsque l’on tombe dans cette « soupe », la tentation est forte d’aller voir de « l’autre côté », pour essayer de chercher s’il n’y a pas quelque chose de réel derrière tout cela. C’est ainsi qu’on débouche tout naturellement sur la science ou sur l’histoire.

Pour ce qui est de Rennes-le-Château, plus précisément, ma découverte est finalement très banale. J’avais, comme beaucoup d’autres, lu Le Trésor Maudit de Gérard de Sède, et, alors que j’étais pour des raisons professionnelles dans la bonne ville de Lavelanet (Ariège), je me suis décidé à aller visiter cet intrigant village. Nous étions alors en novembre 1973. Rennes-le-Château était englouti dans une brume froide et humide, et je n’ai pas eu l’occasion alors de découvrir ce paysage sublime dont je ne me lasserai plus par la suite. Mais je fis une rencontre clef, celle d’Henri Buthion. Un personnage assez extraordinaire, habillé d’un costume blanc (nous étions en hiver) et animé d’une mimique qui n’était pas sans me rappeler celle de Louis de Funès. J’étais le seul « client » de son « restaurant » et le déjeuner qu’il m’avait concocté se prolongea jusque très tard dans la soirée….. Déjeuner très généreusement arrosé, ce qui m’avait permis d’absorber sans sourciller une magnifique histoire faite de wisigoths, de trésor sacré et d’ovnis taquins…..

Regards du Pilat :  Depuis une cinquantaine d’années, les théories visant à expliquer la fortune subite de Bérenger Saunière se sont multipliées. Des milliers de chercheurs sont à pieds d’œuvre. Pensez-vous qu’il soit envisageable que cette énigme soit un jour vraiment résolue ?

Philippe Marlin :  Je répondrai d’abord en vous renvoyant la balle, parce que pour la résoudre, encore faudrait-il qu’elle existe, cette énigme. Ce n’est pas une façon de botter en touche, et je ne fais pas partie de la race des sceptiques purs et durs. Mais force est de constater que cette affaire a été fortement polluée par des fantaisistes de toutes obédiences, généralement en mal de gestion d’égo. La liste est impressionnante : Le Prieuré de Sion et les Mérovingiens, la descendance du Christ et de Marie-Madeleine, la maquette dite de l’abbé Saunière et le tombeau de Jésus….. Et ce phénomène semble intarissable : une auteure anglaise, par ailleurs réputée, vient cette année de sortir une autobiographie, City of Secrets, dans laquelle elle retrouve la trace de Saunière à Gérone. Le problème est que les documents qu’elle produit à l’appui de sa démonstration sont plus que douteux.

Tout travail passe donc par une phase préalable de ménage, afin d’éliminer tout ce qui a été ajouté au fil du temps et qui n’a rien à voir avec l’affaire. Et ce travail est très difficile, car il faut généralement reconnaître aux fabricants de mythes un talent certain.

La dépollution opérée, il reste au moins quelque chose qui nous interpelle, et qui est le cœur historique de l’affaire : l’enrichissement étonnant du prêtre. Un enrichissement important, mais qu’il faut relativiser. Saunière était loin d’être le seul à manipuler des sommes d’argent importantes, et il était même « petit joueur » comparé à son supérieur Monseigneur Billard ou à son collègue ariégeois le Révérend Père Louis de Coma (affaire de Baulou dite du Monastère Dynamité ; je consacrerai à cette affaire une étude dans le numéro 5 de La Gazette Fortéenne, décembre 2007). Qu’il ait trouvé « un trésor », vraisemblablement d’importance relative, ne semble pas faire de doute. Qu’il ait participé à une « plate-forme financière » au sein de quelque groupement religieux semble également fort probable. Reste à en déterminer les tenants et aboutissants. On suivra à cet égard avec intérêt les travaux d’Octonovo, basés sur les carnets de correspondance et de comptabilité de l’abbé.

Regards du Pilat :  Le Pilat est aujourd’hui, dans l’approche de nombreux chercheurs complètement impliqué dans cette enquête particulièrement complexe et ce en lien à la piste « Marie Madeleine». Avez-vous une opinion sur le fait que Bérenger Saunière se soit réellement rendu dans le Pilat ? 

Philippe Marlin :  Comme je viens de l’indiquer, il convient d’être très prudent face aux tentatives répétées de pollution du dossier. Je connais bien sûr les théories auxquelles vous faites allusion, mais elles font pour moi partie des « thèses romantiques ». Les travaux d’Octonovo ne font aucune mention d’un quelconque voyage de Saunière dans le Pilat ou à Lyon (pas plus qu’à Gérone d’ailleurs). On peut évidemment me rétorquer que Saunière ne notait pas ses voyages secrets !

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A l'intérieur de la Librairie Atelier Empreinte

Regards du Pilat :  Marie-Madeleine, après un débarquement en Gaule (à Marseille ou plutôt Narbonne ?), se serait alors beaucoup déplacée sur notre territoire. Elle demeure un fil conducteur commun aux diverses thèses Pilatoises actuelles qui se lient à Rennes-le-Château. Elle aurait en l’occurrence pu, au moins pour un temps, réellement séjourner ici même, ceci notamment avec l’appui de Ponce Pilate, alors présent à Vienne et les environs. En l’état actuel des diverses données portées à votre connaissance, accordez-vous un crédit important à ces hypothèses ?

Philippe Marlin :  Je ne suis évidemment pas un distingué pilatologue, contrairement à notre ami Patrick Berlier ! En fait, il y a deux sujets dans votre question.

Celui de Ponce Pilate, qui me semble relever de la légende solide, reposant sur des faits vraisemblables. Lorsqu’on sait que le Procurateur de Judée était originaire de Vienne, il n’y a rien de bien sensationnel à imaginer qu’il soit venu finir ses jours dans sa région natale. J’ai du reste été frappé, lors de la petite visite que j’ai faite en votre compagnie, par la prégnance de la présence romaine dans la région. Je n’ai notamment pas oublié vos commentaires sur la Villa Pontania (la maison de Ponce) dans le hameau de Poncin à Saint-Michel sur Rhône.

Pour ce qui est de Marie-Madeleine, c’est une toute autre affaire, de nature beaucoup plus spéculative. On part de Ponce Pilate, en imaginant qu’il avait sans doute quelque chose à se faire pardonner pour ne pas avoir pu empêcher la crucifixion de Jésus. De cette supposition, on continue à tirer les fils et on le voit accueillir la Sainte Femme sur le chemin de l’exil. Oui, et comme dirait l’autre « et prouvez moi le contraire » !!!

Regards du Pilat :   Restons toujours avec Marie-Madeleine, mais cette fois en rapport à ses reliques. A partir du moyen âge et ce pendant des siècles, deux sites furent désignés en France comme étant susceptibles d’avoir accueilli les restes de la sainte, à savoir la Sainte-Baume et Vézelay. Dans ce dernier cas, on évoquait aussi le fait que le légendaire Girart de Roussillon puisse avoir accompagné lui même ceux-ci après qu’ils aient transité un temps par le Pilat. Pensez-vous, que les authentiques reliques de Marie-Madeleine puissent aujourd’hui encore reposer quelque part dans un tombeau et ce précisément dans la région de Rennes-le-Château ?

Philippe Marlin :  Au risque de vous décevoir, je n’ai aucune opinion sur ce type de sujet qui me ferait plutôt sourire. Nous sommes ici dans l’hyper spéculation ! Cela me fait penser aux touristes américains qui, l’année dernière, demandaient dans le village de Rennes-le-Château où était la maison natale de Marie-Madeleine….. Cela me fait également penser à Henry Lincoln, l’un des co-auteurs de L’Enigme Sacrée, et l’un des premiers propagateurs de la Madelonomania. Il a depuis quelques années fait son « coming out » et expliqué comment toutes ces théories avaient été fabriquées à l’issue d’un déjeuner bien arrosé. En septembre 2004, nous l’avons accueilli à l’Atelier Empreinte pour l’enregistrement d’une émission sur France Culture. Voyant dans un rayon un ouvrage intitulé Marie-Madeleine, l’épouse du Christ, il n’a pu s’empêcher de s’exclamer : « Oh, pardon mon Dieu ! ».

Regards du Pilat :  Patrick Berlier, écrivain et personnage que l’on ne présente plus dans le Pilat, s’avère également très connu et reconnu des passionnés et autres chercheurs gravitant de près ou de loin autour de l’énigme de Rennes-le-Château. Les deux Tomes de « la Société Angélique », sortie alternativement fin 2004 et fin 2005, ont proposé beaucoup d’éclairages nouveaux sur les sujets évoqués en ces occasions par cet auteur (à savoir le prieur Dom Polycarpe de la Rivière, la Société Angélique à proprement parlé, des énigmes du Pilat avec notamment tous les rapprochements possibles et connus au moment de la sortie du Tome 1 et en rapport là encore à Rennes-le-Château). Vous qui connaissez ces ouvrages, pensez-vous que les arguments qui y sont développés auront contribués à valider ou encourager certaines pistes et pourquoi ?

Philippe Marlin :  Je vais répondre en englobant les travaux de Patrick Berlier dans un ensemble plus vaste, que vous connaissez bien par définition, celui du « Vieux Secret ». Cette « tradition », faute de trouver un thème meilleur, se ballade dans toute une série d’affaires.  Essayons de résumer : 

° Il s’agirait d’une révélation liée à la période « pré-chrétienne » ou païenne. On la retrouve dans La Révélation du Grand Cocu de Franck Marie (1981) et dans de nombreux ouvrages de Guy Tarade et notamment celui sur Les Antonins & les Chapelles Alchimiques du Sud Ouest de la France. Dans les deux cas, ce Vieux Secret est lié à l’affaire castelrennaise. Il y est fait allusion au tombeau d’une « divinité païenne », d’une « créature du mal ».

Dans un ouvrage relativement récent, Guy Tarade affirme la chose suivante (Arcane 10, 2004) :

Au début du siècle dernier, la nouvelle église de Lucéram (1) reçut la visite d’un étrange personnage, lequel sembla s’intéresser aux anciennes archives de la sacristie et au précieux retable de Louis Bréa qui rehausse la beauté du lieu saint, placé sous la protection de Sainte Marguerite. Cet homme à la stature imposante passa quasiment inaperçu, sa soutane lui assurant un anonymat certain. Il s’agissait de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château. Fait curieux, une représentation peinte de Marie-Madeleine au pied de la Croix figure dans l’église. Elle ressemble point par point au tableau peint sous l’autel de Rennes, œuvre de Saunière ! Interrogé par mes soins, et fort d’autres affirmations célèbrement douteuses (cf supra sur les voyages supposés de Saunière), Guy Tarade m’a indiqué qu’il tenait cette information d’un ancien curé de l’église. Je le cite : Il y a une trentaine d'années, le curé de ce petit village était un gars super. Il me disait à l'époque: « Je suis le curé, le maire est communiste et nous avons une sorcière dans nos murs. Nous nous entendons tous bien »... C'est lui qui à l'époque me parla de la visite de Saunière dans l'église Sainte Marguerite.

De nombreux retables enrichissaient alors le sanctuaire. Presque tous étaient attribués à Louis Bréa. Des gens bien intentionnés en ont dérobé trois. Pas n'importe lesquels, ceux qu'ils ont volés représentaient des lieux bien particuliers et étaient porteurs de symboles.

Aujourd'hui, l'Ordre de Malte a mis la main sur ces lieux chargés d'Histoire.

° Il s’agirait d’une révélation liée à la période chrétienne, voire catholique. Cette thématique est évidemment glissante, car elle bascule très vite sur les théories bien connues concernant Jésus et Marie-Madeleine ; passons…….

L’une des pistes de ce Vieux Secret Catholique se localise autour de vos pôles d’intérêt, les affaires du Mont Pilat, de la Chartreuse de Sainte-Croix en Jarez, du personnage de Dom Polycarpe de la Rivière et de la famille des Roussilon. Le thème est que Dom Polycarpe aurait trouvé….. , ce qui explique qu’une partie de son œuvre aurait été condamnée et par l’Eglise. Les Templiers rôdent autour de cette affaire.

L’ouvrage le plus complet, en complément du votre justement intitulé Le Vieux Secret, est certainement celui de Patrick Berlier, La Société Angélique, Dom Polycarpe de la Rivière (Arqa, 2005, tome 1). C’est à ma connaissance l’étude la plus fouillée sur ce religieux controversé. 

° Le thème du Vieux Secret affleure également dans deux autres dossiers. Il s’agit de l’affaire du Verdon, popularisée par Alfred Weysen dans L’Ile des Veilleurs. Il s’agit aussi de l’affaire de Théopolis, développée par l’inénarrable Roger Correard. Ces deux sites sont situés dans la même région (Sisteron pour le second). 

° Pour ce qui est de Rennes-le-Château stricto sensu, ce thème est au cœur du dernier bouquin de Christian Doumergue (Arqa 2006, L’Affaire de Rennes-le-Château). Il existerait au sein de l’Eglise catholique un cercle hérétique, perpétuant la tradition gnostico-cathare. Ce cercle est bien implanté dans la région du Razès avec Jules Doinel, Déodat Roche….. Saunière en était proche. La démonstration pourtant aboutira là où l’auteur voulait absolument nous emmener : les tombeaux de Marie-Madeleine et du Christ.

(1) Lucéram se trouve à une vingtaine de kilomètres de Nice, dans la direction de Sospel.
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Une séance de travail lors d'AG  annuelle ODS


Regards du Pilat :  La très dynamique librairie Atelier Empreinte de Rennes-le-Château, également en ligne sur le net et aujourd’hui géré par votre fils Nicolas existe depuis 1986. En vingt ans le panel d’ouvrages proposés à du considérablement s’élargir. Avez-vous constatez des changements significatifs dans les attentes des milliers de visiteurs (curieux et passionnés) que vous accueillez chaque année à Rennes-le-Château ?

Philippe Marlin :  L’Atelier Empreinte est une vénérable institution castelrennaise. La librairie, dédiée aux mystères de l’abbé Saunière et aux sujets connexes, n’a pas d’équivalent mais de pâles copies, car depuis la sortie d’un certain roman américain le commerce est devenu florissant sur notre Colline Envoûtée. Un concept tout à fait original, créé par Sonia Moreu et Alain Feral en mars 1986, enrichi par la suite par Torkain avec un site web de référence (www.renneslechateau.com) et une librairie virtuelle au service de tous les saunièrologues du monde entier (www.atelier-empreinte.fr). Et ils sont nombreux, comme j’apprendrai à le découvrir. Je dois ici tirer ma révérence à Sonia, dont le charme, doublé d’un véritable talent d’entrepreneur, a su tisser un réseau de relations confiantes et fidèles. Reprendre une institution respectée et en pleine santé me semblait, lors de nos conversations nocturnes avec Céline et Nicolas, placer la barre vraiment très haut. Mais quelques dîners partagés à Montazels avec la tenancière du lieu eurent vite fait de faire fondre la glace et nous mettre en confiance. Il est vrai que Sonia, outre le fait d’être une excellente libraire, est une cuisinière hors pair dont les daubes longuement mijotées vous font….. craquer. Elle tient du reste aujourd’hui avec Torkain un gîte rural dans l’Ariège dont la table (d’hôte) n’est pas le moindre des intérêts (http://www.chambre-hotes-ariege.com/).

Quel bilan (provisoire) tirer aujourd’hui ? La déferlante du Da Vinci Code s’est calmée, et on recherche un peu moins le bulletin d’adhésion au Prieuré de Sion (encore que !!!) ou l’adresse de la maison de Marie-Madeleine. Mais les chercheurs de trésor ont toujours bon pied bon œil, et il n’est pas rare d’entendre, avec un sourire entendu : « C’est fait ; l’affaire de Rennes-le-Château est résolue…. ». Mais pour nous, le plus significatif, c’est certainement l’impact qu’a eu le roman de Dan Brown en termes touristiques. Notre colline a été à la une de nombreuses émissions de télévision, alors que tous les guides, qu’ils soient bleus, verts ou routardisants, possèdent désormais une entrée sur le village. D’où une nouvelle population de « découvreurs estivaux », ravis de flirter avec le mystère de l’abbé, enchantés de prendre contact avec une région merveilleuse, tout en étant parfois déçus par les conditions spartiates d’accueil à Rhedae……

Regards du Pilat :  Philippe vous êtes également à la tête de l’OEIL DU SPHINX. Cette société apparemment très active demeure néanmoins assez mal connue auprès du grand public. Pouvez-vous nous en présenter les domaines d’actions et les buts ?

Philippe Marlin :  L’OEIL DU SPHINX se définit tout d’abord au regard de ses statuts :

Cette association a pour but la promotion des littératures de l’Imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Mythes et Légendes, Esotérisme.....) et, de façon corollaire, de toutes les formes d’art se rapportant à ce genre. Dans sa démarche, l’association cherche tout particulièrement à encourager les nouveaux créateurs et à leur offrir de premiers débouchés. Elle cherche également à ressusciter des auteurs talentueux injustement oubliés ou des littératures méconnues. Pour ce faire, elle anime diverses publications. Elle organise également des colloques, conférences, voyages, rencontres avec le monde de l’édition.

L’ODS a pris le statut d’association en 1995 ; mais elle existe de fait depuis 1989, soit depuis plus de 18 ans. Nous avions du reste fêté dignement le 23 octobre 1999 à Paris le « passage de la décade », un anniversaire important dans la mesure où il a témoigné, au travers de la durée, de la solidité de notre démarche.


L’ODS est en fait un bouillon de culture regroupant tous les passionnés des Terres de l’Ailleurs qui cherchent à faire partager leur sensibilité ; les anciens (le plus âgé qui n’est autre que Claude Seignolle vient de franchir de façon guillerette le cap des 87 ans) épaulent les plus jeunes (notre benjamine a 22 ans), les talents se complètent (écriture, dessin, photo et nouvelles technologies), les frontières se dissolvent (fantastique, science-fiction, poésie, jeu de rôle, ufologie, sciences, ésotérisme…), les nationalités se mélangent (français, belges, suisses, américains, canadiens, australiens, roumains, anglais…) et les projets explosent… Nous sommes aujourd’hui, pour être précis, une bonne centaine de membres actifs.

Nous fonctionnons par le biais de publications dites de « small press », avec des tirages de l’ordre de 200 exemplaires qui s’organisent autour de nombreuses séries dont les deux majeures sont :

DRAGON & MICROCHIPS (fantastique, SF).

– MURMURES D’IREM (mythes et légendes, tradition et ésotérisme).

Nous organisons de surcroît des rencontres régulières et de nombreux événements : participation à des conventions, visite de sites inspirés (Gisors et les Templiers, les Carpates et Dracula, le Providence de Lovecraft, Cracovie et la Kabbale, Prague et le Golem, Rennes-le-Château et l’abbé Saunière etc…), réception d’un écrivain (Nancy Killpatrick, Philippe Ward….), participation à un atelier d’alchimie, soirées cinéma ou vidéo, etc. Nous intervenons régulièrement à la radio (Radio Libertaire, Radio Enghien, France Culture, Ici & Maintenant…) sur de nombreux thèmes ayant trait à nos auteurs favoris (Lovecraft, Bergier, Limat, Moselli….) ou à nos sites de prédilection (Glozel et les écritures, Rennes-le-Château et le trésor de l’abbé Saunière, Stenay et les Mérovingiens….).

Pour faciliter les rencontres entre les membres, nous avons du reste créé diverses antennes régionales, tant en France qu’à l’étranger (Bruxelles, Lausanne,  Londres).

L’ODS, une maison d’édition

Nous avons créé il y a sept ans maintenant une structure parallèle, Les Editions de L’œil du Sphinx, une SARL au capital de 15.245 €. L’idée était ici de réunir suffisamment de capitaux pour assurer un débouché de qualité aux meilleurs de nos talents. Chacun sait qu’une association est un outil souple et sympathique, mais qui ressemble trop à un « puits sans fond » en matière financière !

Nous travaillons à notre rythme, celui d’amateurs éclairés. Nous avons ainsi publié plus de 40 ouvrages, de la poésie (Fantasmique et Faërie de notre benjamine Julie Proust Tanguy), des anthologies de nouvelles (Science-Fiction, Fantastique décadent, lovecratiana), une étude sur la magie (L’Art Obscur de Jean-Luc Colnot), de nombreuses études sur les grands maîtres de l’Imaginaire (Bergier, Seignolle, Verne, Limat, Lovecraft & Jean Ray, Sherlock Holmes, Moselli avec la réédition du Sultanat de Kazongo, Richard Bessière). Une collection, Serpent Rouge, est dédiée aux mystères de Rennes-le-Château. Une autre, la Bibliothèque Heuvelmansienne, est consacrée aux travaux de père de la cryptozoologie.

L’ARTBS

   Notre association se double d’une autre petite structure, l’Association pour les Recherches Thématiques sur Bérenger Saunière, qui a pour vocation d’étudier le contexte de l’affaire castelrennaise. Cette organisation organise un colloque annuel dont les actes sont publiés dans la collection Serpent Rouge. Voici la liste des dites manifestations :

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2003, Colloque de Rennes-le-Château

*2004, Colloque de Gisors

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  2005, Colloque de Stenay

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2006, Colloque de Millau 

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2007, Colloque de Limoux

Le Colloque 2008 aura lieu à Sèvres, dans la région parisienne, bien connue pour son église mérovingienne placée sous le patronage de Dagobert II.

 Nous organisons également tous les ans, aux alentours du 17 janvier, une rencontre amicale sous le signe des « Pommes Bleues ».

2003, Saint Sulpice, l’Observatoire de Paris et le méridien magique

2004, Prats del Mollo, à l’autre extrémité du méridien magique

* 2005, Cordes-sur-Ciel et les Templiers de Vaour

* 2006, le Monastère Dynamité de Baulou et la chapelle templière de Montsaunès

* 2007, sur les traces d’Otto Rahn en Ariège

Afin que nul ne meure…….

Nous gérons aussi, afin d’éviter la dispersion, voire la destruction, des archives de certains auteurs que nous avons apprécié, leurs fonds d’archives, en liaison avec la famille. Nous disposons déjà

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de la totalité du fonds Jimmy Guieu.

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d’une partie du fonds Gérard de Sède.

Un important travail d’indexation est en cours.


Regards du Pilat :  Il nous reste à vivement vous remercier Philippe, autant pour la précision, que pour la spontanéité de vos réponses qui respirent une franchise touchante, venant d'un homme qui au départ n'aime pas spécialement communiquer via le Net. Nous serons forcément amenés à vous "revoir".


Dans un Saint édifice du Pilat,
lors d'un séjour qu'il n'oubliera pas ...


Dans sa célèbre Librairie,
mondialement appréciée ...


Près de "la" monumentale cheminée
du Pilat. Philippe, nous dit "à bientôt" ...


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NOTRE SECOND INVITÉ
  Nous l'avons aussi accueilli dans le Pilat. Nous l'avons aussi rencontré à Rennes-le-Château. Ce fin chercheur et auteur de renom, a même rejoint l'équipe rédactionnelle, de notre site "La Grande Affaire" et ce dès son lancement. Nous ne pouvons qu'en être très flattés. Christian Doumergue demeure un chercheur studieux, précis et pertinent. Il est un constat qui consiste à retenir que nous partageons de nombreux points de vue avec cet homme sérieux et particulièrement crédible, qui mentionne régulièrement toutes ses sources. Nous y reviendrons dans le futur, avec détails et arguments. Nous sommes en phase avec lui, sur un esprit général, dont un positionnement respectueux, qui implique écoute, débat et dialogue avec autrui, par conséquent avec les autres approches, sur les mêmes sujets. Voici son <Site personnel>. Vous pouvez aussi à présent mieux le découvrir...

Christian, entrain de prendre une photographie

Regards du Pilat :
Christian Doumergue, pour les internautes qui ne vous connaîtraient pas encore, rappelons que malgré votre jeunesse, vous êtes considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du personnage de Marie-Madeleine, puisque vous avez publié un ouvrage monumental en deux tomes, plus de 1300 pages, sur ce sujet. Vous êtes d’ailleurs très prolixe en terme d’écriture puisque, après avoir suivi avec brio de solides études en histoire de l’art, archéologie, lettres modernes et littérature comparée, vous avez publié en gros un livre par an. Vos autres sujets de prédilection sont les Cathares, la gnose, et la célèbre et énigmatique affaire de Rennes-le-Château. Tout de suite une première question découle de cet énoncé sommaire de vos œuvres : tous ces thèmes auraient-ils un rapport entre eux ?

Christian Doumergue : Oui. Assurément. Le dénominateur commun entre ces différents thèmes est le christianisme, plus exactement : la remise en question du christianisme établi. Le catharisme, qui n’est autre qu’une renaissance, au moyen-âge, du gnosticisme chrétien de l’Antiquité, s’est construit, tout comme lui, sur une contestation du christianisme de la Grande Eglise. Pour les gnostiques, comme pour les cathares, le christianisme de l’Eglise de Rome est un christianisme dévoyé, bien différent de celui de Jésus ― dont eux, par une filiation qui repose sur l’idée d’une transmission d’écrits secrets, affirment être les détenteurs… Sans entrer dans les détails, sans nous livrer à un systématique jeux des différences, disons que ces différences reposent essentiellement sur ce que l’on pourrait appeler la « différence fondamentale » : pour les gnostiques, le monde matériel n’a pas été créé par Dieu, mais par une créature inférieure qui s’est faite passer pour Dieu auprès des Juifs et que les chrétiens de la Grande Eglise ont continué à adorer comme tel. De là, pour ainsi dire, découlent toutes les différences entre le ou les christianisme(s) romain(s) et les christianismes gnostiques… Marie-Madeleine est, précisément, au centre de cette querelle dogmatique. Elle est l’incarnation de cette scission entre plusieurs christianismes dès après la « disparition » de Jésus et de la véritable guerre à la légitimité qui débuta alors et se solda, osons le dire : malheureusement, par la victoire du christianisme romain… Les écrits gnostiques des premiers siècles opposent ainsi presque systématiquement Marie-Madeleine (qui passe pour être l’héritière légitime du Christ) à Pierre (qui est celui qui, par conservatisme notamment, a mal compris l’enseignement du Maître…) Quant aux écrits chrétiens de la Grande Eglise, ils firent tout, dans les premiers siècles, pour faire oublier l’importance de la figure de Marie-Madeleine dans le premier christianisme. Ainsi, certains auteurs, dans les transcriptions qu’ils firent d’écrits plus anciens, remplacèrent-ils le nom de Marie-Madeleine par celui de Marie, mère de Jésus. Il importait alors de faire tomber dans « l’oubli » celle qui, du point de vue de la légitimité, était une vraie menace pour l’Eglise…

L’affaire de Rennes-le-Château, quant à elle, rassemble tous ces thèmes… Marie-Madeleine est au centre de l’œuvre de l’abbé Saunière. Surtout, dans la reconstruction « plantardienne » de l’affaire Saunière, le fin mot de l’Affaire de Rennes est un secret d’ordre religieux, une remise en question du christianisme établi, dans laquelle Marie-Madeleine joue un rôle central… Après l’ère des « chercheurs de trésors », cette dimension de l’Affaire de Rennes est aujourd’hui devenue la plus importante… et quelque soit son origine, elle nous semble essentielle. Et de salut public.  

Regards du Pilat : Vous paraissez actuellement vous recentrer sur Rennes-le-Château et sur le personnage de son sulfureux curé, l’abbé Bérenger Saunière. Votre ouvrage en deux tomes « L’affaire de Rennes-le-Château » fera sans doute date dans la compréhension de l’énigme. En particulier, il apporte un jour bien nouveau sur l’histoire de l’abbé Saunière, comparativement aux premiers écrits sur le sujet, ceux de Gérard de Sède en particulier. Comment jugez-vous la personnalité de Saunière, à la lumière de vos recherches ?

Christian Doumergue : Difficile de juger la personnalité d’un homme sur lequel on sait à la fois beaucoup et si peu. Quand je dis que l’on sait beaucoup, c’est surtout par rapport à la représentation que l’on avait de l’abbé du temps des écrits de Gérard de Sède que vous évoquez. Ecrits qu’il ne convient pas de dénigrer, puisque sans eux nous ne serions sans doute pas là à discuter d’aussi intéressantes questions, et qu’ils font partie d’un « processus » important dont on n’a pas encore mesuré toutes les dimensions… Pour différentes raisons, que j’ai exposées dans mon livre L’Affaire de Rennes-le-Château (ed. Arqa) ces écrits présentaient de l’abbé Saunière une vision romanesque : inventeur d’un mirifique trésor et amant de la belle Emma Calvé. Or on sait aujourd’hui grâce aux documents depuis lors retrouvés dans différentes archives que si l’abbé a trouvé un petit trésor, c’est essentiellement des donations pour beaucoup dues aux relations de son frère Alfred, prêtre lui aussi, qui ont fait sa fortune. Quant à sa supposée relation avec Emma Calvé… je pense personnellement qu’il s’agit d’une invention de plus de Pierre Plantard. Une invention qui est cependant loin d’être gratuite…

Si l’intérêt que l’on a prêté à l’étude de l’abbé Saunière depuis les livres de Gérard de Sède nous a permis de nous débarrasser des faux semblants, on ne peut cependant dire pour autant que la personnalité de l’abbé Saunière est aujourd’hui bien cernée. Pour l’homme public, certainement : Bérenger Saunière est un monarchiste convaincu et un caractère fort. Pour le Saunière intime, c’est plus complexe. De nombreux documents ont disparu. D’autres restent dans l’ombre. Ainsi, il est quasiment impossible d’appréhender certains aspects de sa vie. Pour ne prendre qu’un exemple : alors que ses carnets de correspondances gardent trace d’un abondant échange de missives avec son meilleur ami Edouard Auriol, on ne possède quasiment plus aucune de ces lettres qui auraient été d’un riche enseignement sur la vie intime du prêtre…

Ainsi, l’idée de « zones d’ombre » est-elle l’image qui résume le mieux la vie du prêtre. Ceci étant dit, on peut dessiner quelques contours. Même si cette image « angélique » est remise en question par beaucoup, je persiste à croire (notamment à la lecture de certaines lettres à Marie), que l’abbé Saunière était animé d’une véritable foi, et qu’il demeura dans le giron de l’Eglise. Y compris lorsqu’il fut en conflit avec son évêque : pensant à quitter Rennes-le-Château, il imagine s’installer à Lourdes. C’est assez significatif…

Toutefois, si on regarde bien les relations de l’abbé, on se rend compte qu’il n’est pas aussi « sectaire » que son « intégrisme » affiché pourrait le laisser penser… Les Roché, pourtant franc-maçons et anti-cléricaux affichés, évoluent dans son entourage… Entre autres. Cela ouvre bien des possibilités pour comprendre ce qui a pu se passer à Rennes-le-Château…

Regards du Pilat : Pensez-vous que l’abbé Saunière ait agi de son propre chef ? Ou bien était-il manipulé, et par qui ?

Christian Doumergue : La notion de « zones d’ombre » que je viens d’évoquer revient ici au premier plan et il est difficile de donner, à ce jour, une conclusion définitive… On en est, il faut l’admettre, réduit à l’hypothèse. Et on peut même hésiter à relier l’abbé Saunière au « mystère » qui constitue aujourd’hui le véritable arrière plan de l’affaire de Rennes. Je m’explique…

On sait aujourd’hui que le dénouement, le début et la fin de l’histoire, se trouve non pas à Rennes-le-Château, mais à Rennes-les-Bains. Lorsqu’il a monté le mythe du « curé aux milliards » par le moyen d’opuscules déposés sous de faux noms à la Bibliothèque Nationale de France (ce sont ces opuscules qui donnent pour la première fois la trame « mythologique » complète de l’affaire Saunière : découverte de parchemins, montée à Paris, à St Sulpice, rencontre avec Emma Calvé, etc. ; de Sède en reprendra certains passages presque mot pour mot), Pierre Plantard n’a cessé, alors qu’il mettait Saunière au premier plan, d’attirer discrètement, et de plus en plus, l’attention sur Rennes-les-Bains. Ainsi, la plupart des pseudonymes choisis par Pierre Plantard et Philippe de Chérisey pour signer les opuscules de la BNF, renvoient-ils à la petite station thermale. Prenons un exemple : Walter Celse-Nazaire. Celse et Nazaire sont les deux saints auxquels est dédiée la petite église de Rennes-les-Bains. Autre exemple : Madeleine Blancasall évoque clairement la Blanque et la Salz, deux rivières se rejoignant à l’entrée Sud de Rennes-les-Bains, précisément à proximité de la source de la Madeleine… Bref, tout cela pour dire que Pierre Plantard n’a donné de l’abbé Saunière la vie romancée que l’on sait que pour attirer artificiellement l’attention sur Rennes-le-Château et, de là, conduire « ceux qui savent lire entre les lignes » jusqu’à Rennes-les-Bains. Si dans ce développement récent, Rennes-le-Château fait donc partie intégrante de l’Enigme à déchiffrer, la question se pose quant à son rôle du vivant de l’abbé Saunière. Faut-il penser que l’on a voulu faire jouer aux constructions du prêtre le même rôle de « phare » dont Plantard allait les investir dans son « Œuvre », ou bien s’agit-il d’un phénomène distinct que le pur hasard aurait placé à proximité de Rennes-les-Bains… et qui aurait par la suite été habilement utilisé par Pierre Plantard, pour « parler en étant sûr qu’on ne puisse le comprendre…» (je reprends ici l’intention que lui prête Gérard de Sède dans L’Or de Rennes…)

On aurait tendance de pencher en faveur de cette seconde idée à la lecture des papiers de l’abbé Saunière, puisque l’on y trouve absolument aucun élément laissant envisager que le prêtre ait pu appartenir à un quelconque groupe occulte… Mais l’étude de ses constructions, notamment de l’église, nous incite à penser que certains ont alors bien conçu Rennes-le-Château comme ce « Phare » nécessaire pour attirer l’attention sur le secret de Rennes-les-Bains…

Même si l’on a beaucoup exagéré cette idée, au point de la discréditer, il y a de fait des « anomalies » dans l’église de Rennes-le-Château, dont la plus signifiante est sans doute celle qu’on ne voit pas : l’absence de la représentation de l’apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine. Alors que toutes les scènes de la vie de la sainte sont présentes, la plus importante n’a pas été figurée… Et l’on peut vite comprendre pourquoi lorsque l’on s’intéresse à la question de la Résurrection…

Ces éléments (pensons encore au grand relief dominant le confessionnal, et à ses détails incontestablement singuliers…) laissent envisager l’existence d’une intention cachée dans ces réalisations. Mais, au vue de ce que je disais précédemment sur le catholicisme toujours constant du prêtre, je ne pense pas que l’abbé Saunière ait été le chef d’orchestre du projet. Ce qui laisserait entendre qu’il ait été manipulé. Cela cadre avec le portrait psychologique qu’on sait de lui. Il avait, psychologiquement et caractériellement parlant, les traits requis pour être l’ « entrepreneur » idéal des œuvres de Rennes-le-Château, notamment une volonté de laisser sa trace ici-bas. Cela le rendait facilement influençable et aveugle au véritable sens du projet que certains lui soufflèrent… 

Mais si l’on peut conjecturer que Saunière a été manipulé… difficile de dire par qui. Mon idée à ce sujet est qu’il faille sans doute chercher au sein même de ses relations ecclésiales… Mais là encore, la carence de documents est telle, qu’il est à ce jour impossible d’apporter une réponse certaine. Tout au plus peut-on constater l’emprise de cette influence sur certains papiers du prêtre relatifs aux travaux. Ainsi les changements de nom de la Tour Magdala, d’abord appelée Tour du Midi, puis Tour de l’Horloge ― deux noms probablement jugés trop explicites par les véritables chefs d’orchestre du projet…


(couverture) La Tombe perdue, le nouvel ouvrage de Christian Doumergue, dont la sortie est annoncée pour le 3 décembre aux éditions Pardès. Il est dès à présent en pré-commande sur <Amazon.fr>
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Regards du Pilat : Vous faites partie des tenants de l’hypothèse « tombeau du Christ » pour expliquer le secret de Rennes-le-Château. Pouvez-vous développer rapidement cette théorie ? Repose-t-elle sur des éléments tangibles ?

Christian Doumergue : L’idée de la présence du tombeau du Christ à Rennes-le-Château, ou plus exactement à Rennes-les-Bains, repose sur divers éléments… Les plus anciens remontent à l’Antiquité, aux premiers temps du christianisme et à la question que pose la disparition du corps de Jésus de la tombe où on l’avait disposé après la descente de la croix… Le christianisme romain a expliqué cette disparition en s’appuyant sur la croyance en la résurrection charnelle de Jésus. Et depuis c’est cette vision qui a prévalu. Mais les choses ne sont pas aussi simples… De nombreux christianismes dissidents, notamment gnostiques, ont, dans l’Antiquité, rejeté cette idée. Ils croyaient en la résurrection, mais donnaient à celle-ci une définition strictement spirituelle, une définition en tout point comparable à celle que les bouddhistes donnent au processus de l’Eveil. Les deux termes sont d’ailleurs employés comme synonymes l’un de l’autre dans certains écrits gnostiques. Et donc, pour ces chrétiens, Jésus était ressuscité, puis était mort. Et non l’inverse. Les milieux Juifs, de leurs côtés, ont colporté très tôt l’idée que le corps de Jésus avait été secrètement enlevé de la tombe où il avait été ostensiblement déposé, pour être mis à l’abri ailleurs. Ce qui est intéressant, c’est que ces traditions mettent en scène, pour certaines d’entre elles, un jardinier. Or, c’est à un jardinier que Marie-Madeleine s’adresse dans l’Evangile de Jean pour lui demander de la conduire jusqu’au corps de son Maître, corps dont elle attribue précisément le rapt au dit jardinier. Bien sûr, elle reconnaît ensuite sous les traits du soi-disant jardinier ceux de son Maître. Mais le texte de Jean est de ce point de vue si confus qu’on ne peut que penser qu’il a été maintes fois remanié, réécrit, pour cadrer avec l’évolution progressive du dogme. Ainsi, Marie-Madeleine est-elle placée au centre du mystère de la disparition du corps du Crucifié et tout laisse penser que c’est elle qui, à cause de la proximité qui l’unit à Jésus du vivant de celui-ci, récupéra le corps et en prit soin… Qu’en fit-elle ? La réponse à cette question découle de la résolution d’une autre : que devint-elle ? De nombreuses traditions affirment qu’elle se rendit dans le Sud de Gaule où elle termina sa vie… L’Histoire officielle remet en question l’origine historique de ce légendaire. Mais l’Histoire officielle est partisane, et j’ai par ailleurs démontré que la présence dans ce légendaire couché par écrit au moyen-âge d’éléments appartenant à des christianismes antiques (la place accordée à la femme dans la prédication par exemple), suffit à démontrer l’origine ancienne de ces traditions. Et donc le fait qu’elles reposent bien sur une base historique. Peut-on pour autant dire que le corps de Jésus a été ramené en Gaule à ce moment là ? On en est encore, de ce point de vue là, au stade des conjectures, des recoupements de faits. Il en sera ainsi tant qu’aucune découverte archéologique ne sera là pour vérifier l’hypothèse. Mais en matière d’éléments tangibles, on peut déjà en citer quelques-uns… Il y a déjà plusieurs années, j’ai mis en avant un reliquaire conservé à la Sainte Baume et représentant l’embarcation amenant Marie-Madeleine et les siens d’Orient en Occident… A l’avant de cette barque repose un corps momifié qui, incontestablement, garde le souvenir du rapatriement d’un corps embaumé en Gaule… Plus récemment, j’ai trouvé une confirmation à l’hypothèse de la présence du tombeau du Christ dans le Sud de la France dans un écrit rédigé vers 720 dans le Midi. Ce texte consacré à la conversion au christianisme de l’empereur romain Tibère affirme que celui-ci se rendit en Septimanie (l’actuel Languedoc Roussillon…) pour y construire une grotte au nom du Christ, autrement dit y ériger un ensemble souterrain auquel on a du mal à trouver une fonction autre que funéraire… Affirmation troublante quand on sait que plusieurs traditions conservées dans différents apocryphes affirment que Marie-Madeleine se rendit à Rome pour y rencontrer l’empereur Tibère et lui demander réparation de la mort de Jésus. L’appui d’un empereur pourra sembler surprenante, mais, comme je le démontre dans mon dernier livre à paraître début décembre (La Tombe Perdue, éditions Pardès), tout cela n’est qu’une « affaire de famille »...

Regards du Pilat : On a vu l’abbé Saunière se rendre en divers lieux ; on parle aujourd’hui des Alpes Maritimes, de l’Espagne, ou même de la Serbie… il y a quelques années s’était développée l’hypothèse dite « du Pilat », selon laquelle l’abbé Saunière serait venu dans notre région pour y trouver une partie du secret de sa richesse, destination qu’il aurait signalée par divers signes dans l’ornementation de son église. Globalement, qu’en pensez-vous ?

Christian Doumergue : Difficile de se prononcer sur la question. En réalité, l’hypothèse Pilat, qui paraît bien séduisante, repose sur peu d’éléments, et, pour ainsi dire, aucune preuve. Je parle, bien sûr, de l’implication de l’abbé Saunière. Personne n’a pu en effet voir les documents originaux sur lesquels s’appuie, notamment, cette piste de recherche. Dès lors, difficile de la considérer comme certaine. Quant aux supposés clins d’œil au Pilat dans l’église de Rennes-le-Château, là encore, je reste assez sceptique. Il m’apparaît ainsi assez artificiel de faire correspondre l’arrière plan du bas relief de l’autel de l’église de Rennes-le-Château avec les paysages du Pilat. Dire que les créneaux de l’une des constructions visibles sont une allusion au Pic des Trois Dents, me semble, par exemple, un rien abusif… En outre, mais j’avoue que cette question est difficile à trancher, je ne crois pas, comme je l’ai dis tantôt, que l’abbé Saunière ait eu un rôle aussi actif dans l’élucidation du mystère qui plane sur la région de Rennes-le-Château et qui est peut-être, pour sa part, relié au Pilat… 

Regards du Pilat : Parallèlement, on a vu l’abbé Saunière résider régulièrement à Lyon, ville qui lui aurait servi de base pour ses excursions pilatoises, et où il aurait participé aux activités de diverses sociétés secrètes ou discrètes. Là encore, globalement, qu’en pensez-vous ?

Christian Doumergue : J’aurais tendance à vous faire la même réponse. Là encore, aucune preuve n’existe à ce sujet… Bien sûr, ce n’est pas un argument pour rejeter en bloc cette piste. Mais lorsque l’on s’intéresse à l’abbé Saunière, d’aucuns ont tellement dit sur sa vie, ont prêté à celle-ci tellement d’épisodes jamais advenus, qu’il incombe de pratiquer une démarche de vérification systématique. Et cela passe malheureusement par la preuve irréfutable.

Ceci étant dit, si je doute que l’abbé Saunière lui-même ait eu contact avec les diverses sociétés lyonnaises du XIXe siècle et du début du XXe qui ont évolué dans le monde de l’ésotérisme, celles-ci sont intéressantes et, pour certaines, présentent des liens directs avec l’Affaire qui nous intéresse. Lyon est ainsi un lieu important pour l’Eglise Gnostique. On y trouve Bricaud qui est un proche du docteur Fugairon. Ce dernier, s’éloignant de Léonce Fabre des Essarts, qui succéda à Jules Doinel à la tête de l’Eglise Gnostique, va fonder avec Bricaud une nouvelle église gnostique… Or, comme je crois l’avoir montré dans mon livre L’Affaire de Rennes-le-Château, Fugairon est une pièce maîtresse du puzzle qu’il nous intéresse de reconstituer. Lié à ces figures, en ayant vu passer d’autres, le Lyon des dernières années du XIXe et des premières du XXe garde donc des éléments importants pour comprendre l’Enigme. Que Saunière ait directement à voir avec cela, par contre, reste pour moi à démontrer…



(Ostie) Christian Doumergue devant le comptoir de Narbonne à Ostie (Italie), ancien port de Rome. C’est vraisemblablement de là que Marie-Madeleine embarqua pour la Gaule…



(Rennes-les-Bains) Christian Doumergue à Rennes-les-Bains, le véritable point de départ de l’ « Affaire de Rennes-le-Château » et le cadre de son dénouement, à venir…

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Regards du Pilat : Christian Doumergue, vous avez vous-même récemment séjourné dans le Pilat, à l’invitation de l’équipe des « Regards du Pilat ». Qu’avez-vous retenu de ce périple pilatois, que vous a-t-il apporté, a-t-il changé votre regard et votre approche personnelle ?

Christian Doumergue : Ce que j’ai surtout retenu, c’est l’incroyable omniprésence du légendaire de Ponce Pilate dans la région. Je connaissais bien sûr le supposé tombeau de Pilate à Vienne, que j’ai pu enfin voir en « vrai ». Il m’apparaît en effet important de découvrir un site dans sa réalité matérielle, précisément pour ce qui en émane alors d’ « immatériel », et qu’une photographie ne pourra jamais capter… Par contre, j’ignorais l’existence d’une kyrielle d’autres sites que les traditions ont rattaché à la supposée venue de Ponce Pilate dans la région, je pense notamment au rocher d’Hérode et de Pilate, que j’ai eu le plaisir de découvrir en votre compagnie… Donc, pas de changement de regard, ni d’approche. Mais une forme de confirmation supplémentaire à l’idée qu’il s’est bien passé quelque chose d’essentiel sur le sol gaulois lié à l’ « Affaire Jésus » au premier siècle de notre ère. Car enfin, même si toutes ces légendes se sont artificiellement greffées sur un certain nombre de sites qui n’ont peut-être pas vu eux-mêmes passer le préfet de Judée, il n’y a pas de fumée sans feu. En tout cas aucune raison pour que tout cela éclose brusquement  sans qu’il y ait une origine historique à ce phénomène ! Si les « historiens officiels » expliquent que le légendaire de Marie-Madeleine en Provence est né au moyen-âge dans le seul but de promouvoir le culte des reliques de la sainte, et participe ainsi en quelque sorte d’une mystification à but lucratif, comment expliquer que des esprits religieux aient fait artificiellement venir dans leur région Ponce Pilate, un personnage on ne peut plus négatif dans leur esprit ? Ils n’avaient à cela absolument aucun intérêt… Ni de valorisation, ni lucratif. 

Regards du Pilat : Ponce Pilate apparaît en filigrane dans vos livres, qu'une tradition légendaire que vous venez d’évoquer voit lié au Mont Pilat, bien qu'une autre tradition tout aussi vivace situe sa tombe au Mont Pilate en Suisse. Dans votre livre sur Marie-Madeleine, vous citez un curieux récit d’Alexandre Dumas, Impressions d’un voyage en Suisse, contant l’ascension du Mont Pilate suisse en 1531 par un frère Rose-croix. Comme vous le faites justement remarquer, la description de Dumas ressemble davantage au Pilat français… En particulier, alors que le Pilate compte sept sommets, Dumas parle de trois sommets, et signale la légende selon laquelle ces trois sommets auraient été créés pour rappeler l’image des trois croix du calvaire, soit exactement la tradition attachée au Pic des Trois Dents. Maintenant que vous avez vu de vos yeux ledit Pic des Trois Dents, pensez-vous que Dumas ait vraiment voulu laisser un message orientant vers le Pilat français ? Et parallèlement, que pensez-vous de ces croyances voyant Ponce Pilate finir ses jours dans le Pilat, au point de donner son nom à cette montagne ?

Christian Doumergue :Concernant Dumas, je pense qu’effectivement il y a une volonté d’orienter le public vers le Pilat français. Son texte n’est pas anodin. Cette citation d’un « frère Rose Croix » est très troublante. Je me défends de vouloir absolument retrouver des détenteurs du « Secret » partout (la trop grande systématisation de cette théorie risque de finir par la discréditer…), mais je crois que ce texte est néanmoins à considérer sous cet angle… En tout cas comme troublant. Et les relations de Dumas pourraient parfaitement expliquer cela. On oublie trop souvent la très forte imbrication entre le monde des Arts et celui de l’ésotérisme au XIXe siècle… Pour ce qui concerne la venue et la mort de Ponce Pilate dans le Pilat, on en revient à ce que nous évoquions précédemment. Je vous disais en reprenant une imagerie populaire qu’il n’y a, à mon sens, pas de « fumée sans feu ». Encore faut-il dans notre cas déterminer de quel feu il s’agit… Et là, la question est ardue. Il y a en quelque sorte deux hypothèses. Soit Pilate est bien venu dans la région et c’est ce qui explique la résurgence plus tardive de ce légendaire. Soit il n’y est pas venu, et c’est par un phénomène de déplacement, de déformation de la vérité historique, que ce légendaire s’est fixé ici. Cette seconde hypothèse admettrait que Pilate s’est bien rendu en Gaule, mais pas nécessairement dans la région du Pilat. En somme, seule la ressemblance phonétique entre Pilat et Pilate aurait déterminé le placage sur la région des récits relatifs à la venue de Pilate en Gaule… Il est à ce jour difficile de trancher entre ces deux idées… et seule, là encore, une découverte archéologique permettra de trancher… Maintenant, concernant le Pilat suisse, les choses me semblent un peu plus claires. Ce qui est certain d’après les historiens, c’est que, contrairement au Pilat français, le Pilat suisse est redevable de son nom au préfet de Judée. C’est bien le légendaire l’entourant qui a donné son nom au site montagneux… et non le nom porté par celui-ci qui a contribué à fixer là ces récits comme ça a été peut-être le cas pour le Pilat français. Pour autant, je ne pense pas, et là par contre avec de quasi certitudes, que Pilate se soit jamais rendu en suisse. Le Pilat suisse était appelé Septimer, à cause des sept sommets le caractérisant. Or, il est assez probable que parmi les anciens textes évoquant la venue de Pilate en Gaule, il était question, pour toute précision géographique relative à sa destination, de la Septimanie. C’est en tout cas ce que laisse conjecturer La Vengeance du Sauveur, l’écrit de 720 que j’évoquais tantôt… Reposant sur une même étymologie, les deux mots ont pu donner lieu à confusion. J’explique dans mon livre La Tombe Perdue, que, pour ma part, je considère que la localisation de la mort de Pilate dans le Pilat suisse est due à cette déformation tardive…  

Regards du Pilat : Restons dans le Pilat pour revenir à vos premières amours, Marie-Madeleine. On sait que son séjour à la Sainte-Baume en Provence est très largement légendaire, et semble constituer un contre-feu de l’église à l’époque où se développait le catharisme en Languedoc. Divers écrits, en particulier ceux de Patrick Berlier, ont envisagé sous le couvert d’une hypothèse de travail un séjour de Marie-Madeleine dans le Pilat. Croyez-vous que la sainte ait pu au moins passer par notre région, puisque d’autres traditions la voient aussi séjourner en Auvergne ?

Christian Doumergue : Oui. C’est tout à fait possible. Même si on a limité la geste magdalénienne à la seule Provence, il apparaît (notamment avec l’exemple de Massiac, dans le Cantal, où selon la tradition locale la sainte aurait vécu en ermite durant plusieurs années…) que ce périmètre est à élargir… Une raison qui aurait pu pousser Marie-Madeleine à se rendre dans votre région, c’est la présence de Pilate… Personnellement, je n’ai toutefois rien trouvé à ce sujet. Tous les éléments à ma disposition me ramènent, invariablement, vers la Narbonnaise… Mais, évidemment, ces éléments ne représentent que, disons 10% du puzzle… et encore, en étant généreux dans notre estimation. Donc, concrètement, rien d’impossible à ce que Marie-Madeleine, ou, et j’aurais tendance à préférer cette idée, des membres de sa « famille spirituelle » (appelons ainsi les premiers disciples rassemblés autours d’elle…), se soient rendus dans le Pilat. N’oublions pas que les rives du Rhône furent un des grands centres gaulois du christianisme gnostique, comme devait en témoigner Irénée de Lyon dans ses écrits…   

Regards du Pilat : Votre carrière littéraire semble promise à un bel avenir. Avez-vous d’autres projets, à court ou long terme, et sur quels thèmes ?

Christian Doumergue : (Sourire) Oui, plusieurs projets, tous unis par la même thématique, à savoir celle qui unissait déjà entre eux mes précédents ouvrages (la quête du christianisme premier) et, au-delà, la rencontre avec un système de pensée apte à rendre l’homme « libre ». Donc, concrètement, plusieurs essais en tête, dont l’un, achevé, sortira au début du mois de décembre. Je l’ai déjà évoqué brièvement au fil de cet entretien. Ce nouveau livre a pour titre : La Tombe perdue et est sous-titré : « Le corps du Christ repose-t-il dans le Sud de la France ? » Ce sont les éditions Pardès qui se chargent de l’éditer. L’ouvrage est entièrement consacré à la question du devenir du corps de Jésus après sa mort et vous devinez bien, à son sous-titre, où je pense qu’il se trouve encore aujourd’hui. Je ne vais pas évoquer ici cet ouvrage dans le détail, mais signaler simplement qu’il sera, entre autre, question d’un nouveau site, jamais évoqué jusque là par aucun chercheur… site que j’ai pu retrouver à partir d’un texte daté du moyen-âge ― et que ce site pose énormément de questions. Mais bon, je n’en dirais pas plus pour le moment… Pour ce qui est de mes autres projets, parmi beaucoup d’autres, il y en a notamment un sur l’Eglise gnostique de Doinel… qui m’apparaît comme un mouvement essentiel, et pas seulement pour les raisons évoquées précédemment dans mes livres, à savoir ses connexions avec l’Affaire de Rennes-le-Château… Le plus important la concernant est peut-être ailleurs, dans un rendez-vous politique manqué qui aurait pu donner une autre direction à nos sociétés… Puis un autre projet, aussi, qui me tient à cœur, et que j’inscris dans cette logique combinant quête de sens et action politique… Je reste volontairement flou sur le sujet. (Sourire) Je travaille également à la publication d’un roman. Vous n’aurez sans doute aucun mal à en deviner la thématique première, le point de départ… Mais la forme fictionnelle me permet d’aller plus loin. D’aborder des sujets que je n’ai pas encore traités dans mes essais, la fiction s’appuyant ici sur la réalité, et donc un travail de recherche préalable. La fiction me permet en outre, en mettant en scène des personnages « vivants », d’explorer plus en profondeur l’âme humaine. Ce qui est finalement notre propos dans nos recherches : retrouver notre âme…       

Regards du Pilat : Christian Doumergue, il nous reste à vous remercier pour votre accueil chaleureux et simple, reflet de votre personnalité, et pour ces réponses qui vont sans doute éclairer nos fidèles internautes.

Christian Doumergue : Merci à vous…

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Les Trois Dents

Christian dans le Pilat

La Pierre qui Chante


(Reliquaire) Détail d’un reliquaire conservé à la Sainte Baume (Var) : à l’avant de
la barque conduisant Marie-Madeleine en Gaule figure un corps momifié…


En MARS 2008, avec Patrick BERLIER,
un très "fin" Dossier,
où nous étudierons

"Un Trésor de symbolismes :
le portail roman de Bourg-Argental"