NOTRE SECOND INVITÉ DE NOVEMBRE 2007
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Nous
l'avons aussi accueilli dans le Pilat. Nous l'avons aussi
rencontré à
Rennes-le-Château. Ce fin chercheur et auteur de renom, a même
rejoint l'équipe rédactionnelle, de notre site "La
Grande Affaire" et ce dès son lancement. Nous ne
pouvons qu'en être très flattés. Christian Doumergue
demeure un chercheur studieux, précis et pertinent. Il est un
constat qui consiste à retenir que nous partageons de nombreux
points de vue avec cet homme sérieux et particulièrement
crédible, qui mentionne régulièrement toutes ses sources.
Nous y reviendrons dans le futur, avec détails et arguments.
Nous sommes en phase avec lui, sur un esprit général, dont un
positionnement respectueux, qui implique
écoute, débat et dialogue avec autrui, par
conséquent avec les autres approches, sur les mêmes
sujets. Voici son <Site personnel>. Vous pouvez aussi à présent mieux le découvrir...
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Christian, entrain de prendre une photographie
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Regards du Pilat : Christian Doumergue, pour les
internautes qui ne vous connaîtraient pas encore, rappelons que malgré votre
jeunesse, vous êtes considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du
personnage de Marie-Madeleine, puisque vous avez publié un ouvrage monumental
en deux tomes, plus de 1300 pages, sur ce sujet. Vous êtes d’ailleurs très
prolixe en terme d’écriture puisque, après avoir suivi avec brio de solides
études en histoire de l’art, archéologie, lettres modernes et littérature
comparée, vous avez publié en gros un livre par an. Vos autres sujets de
prédilection sont les Cathares, la gnose, et la célèbre et énigmatique affaire
de Rennes-le-Château. Tout de suite une première question découle de cet énoncé
sommaire de vos œuvres : tous ces thèmes auraient-ils un rapport entre
eux ?
Christian Doumergue : Oui. Assurément. Le
dénominateur commun entre ces différents thèmes est le christianisme, plus
exactement : la remise en question du christianisme établi. Le catharisme,
qui n’est autre qu’une renaissance, au moyen-âge, du gnosticisme chrétien de
l’Antiquité, s’est construit, tout comme lui, sur une contestation du
christianisme de la Grande Eglise. Pour les gnostiques, comme pour les
cathares, le christianisme de l’Eglise de Rome est un christianisme dévoyé,
bien différent de celui de Jésus ― dont eux, par une filiation qui repose sur
l’idée d’une transmission d’écrits secrets, affirment être les détenteurs… Sans
entrer dans les détails, sans nous livrer à un systématique jeux des
différences, disons que ces différences reposent essentiellement sur ce que
l’on pourrait appeler la « différence fondamentale » : pour les
gnostiques, le monde matériel n’a pas été créé par Dieu, mais par une créature
inférieure qui s’est faite passer pour Dieu auprès des Juifs et que les
chrétiens de la Grande Eglise ont continué à adorer comme tel. De là, pour
ainsi dire, découlent toutes les différences entre le ou les christianisme(s)
romain(s) et les christianismes gnostiques… Marie-Madeleine est, précisément,
au centre de cette querelle dogmatique. Elle est l’incarnation de cette
scission entre plusieurs christianismes dès après la « disparition »
de Jésus et de la véritable guerre à la légitimité qui débuta alors et se
solda, osons le dire : malheureusement, par la victoire du christianisme
romain… Les écrits gnostiques des premiers siècles opposent ainsi presque
systématiquement Marie-Madeleine (qui passe pour être l’héritière légitime du
Christ) à Pierre (qui est celui qui, par conservatisme notamment, a mal compris
l’enseignement du Maître…) Quant aux écrits chrétiens de la Grande Eglise, ils
firent tout, dans les premiers siècles, pour faire oublier l’importance de la
figure de Marie-Madeleine dans le premier christianisme. Ainsi, certains
auteurs, dans les transcriptions qu’ils firent d’écrits plus anciens, remplacèrent-ils
le nom de Marie-Madeleine par celui de Marie, mère de Jésus. Il importait alors
de faire tomber dans « l’oubli » celle qui, du point de vue de la
légitimité, était une vraie menace pour l’Eglise…
L’affaire de Rennes-le-Château, quant à elle, rassemble
tous ces thèmes… Marie-Madeleine est au centre de l’œuvre de l’abbé Saunière.
Surtout, dans la reconstruction « plantardienne » de l’affaire
Saunière, le fin mot de l’Affaire de Rennes est un secret d’ordre religieux,
une remise en question du christianisme établi, dans laquelle Marie-Madeleine
joue un rôle central… Après l’ère des « chercheurs de trésors »,
cette dimension de l’Affaire de Rennes est aujourd’hui devenue la plus
importante… et quelque soit son origine, elle nous semble essentielle. Et de
salut public.
Regards du Pilat : Vous paraissez actuellement vous recentrer
sur Rennes-le-Château et sur le personnage de son sulfureux curé, l’abbé
Bérenger Saunière. Votre ouvrage en deux tomes « L’affaire de
Rennes-le-Château » fera sans doute date dans la compréhension de
l’énigme. En particulier, il apporte un jour bien nouveau sur l’histoire de
l’abbé Saunière, comparativement aux premiers écrits sur le sujet, ceux de
Gérard de Sède en particulier. Comment jugez-vous la personnalité de Saunière,
à la lumière de vos recherches ?
Christian Doumergue : Difficile de juger la personnalité d’un homme
sur lequel on sait à la fois beaucoup et si peu. Quand je dis que l’on sait
beaucoup, c’est surtout par rapport à la représentation que l’on avait de
l’abbé du temps des écrits de Gérard de Sède que vous évoquez. Ecrits qu’il ne
convient pas de dénigrer, puisque sans eux nous ne serions sans doute pas là à
discuter d’aussi intéressantes questions, et qu’ils font partie d’un
« processus » important dont on n’a pas encore mesuré toutes les
dimensions… Pour différentes raisons, que j’ai exposées dans mon livre L’Affaire
de Rennes-le-Château (ed. Arqa) ces écrits présentaient de l’abbé Saunière
une vision romanesque : inventeur d’un mirifique trésor et amant de la
belle Emma Calvé. Or on sait aujourd’hui grâce aux documents depuis lors
retrouvés dans différentes archives que si l’abbé a trouvé un petit trésor,
c’est essentiellement des donations pour beaucoup dues aux relations de son
frère Alfred, prêtre lui aussi, qui ont fait sa fortune. Quant à sa supposée
relation avec Emma Calvé… je pense personnellement qu’il s’agit d’une invention
de plus de Pierre Plantard. Une invention qui est cependant loin d’être
gratuite…
Si l’intérêt que l’on a prêté à l’étude de l’abbé
Saunière depuis les livres de Gérard de Sède nous a permis de nous débarrasser
des faux semblants, on ne peut cependant dire pour autant que la personnalité
de l’abbé Saunière est aujourd’hui bien cernée. Pour l’homme public,
certainement : Bérenger Saunière est un monarchiste convaincu et un
caractère fort. Pour le Saunière intime, c’est plus complexe. De nombreux
documents ont disparu. D’autres restent dans l’ombre. Ainsi, il est quasiment
impossible d’appréhender certains aspects de sa vie. Pour ne prendre qu’un exemple :
alors que ses carnets de correspondances gardent trace d’un abondant échange de
missives avec son meilleur ami Edouard Auriol, on ne possède quasiment plus
aucune de ces lettres qui auraient été d’un riche enseignement sur la vie
intime du prêtre…
Ainsi, l’idée de « zones d’ombre » est-elle
l’image qui résume le mieux la vie du prêtre. Ceci étant dit, on peut dessiner
quelques contours. Même si cette image « angélique » est remise en
question par beaucoup, je persiste à croire (notamment à la lecture de
certaines lettres à Marie), que l’abbé Saunière était animé d’une véritable
foi, et qu’il demeura dans le giron de l’Eglise. Y compris lorsqu’il fut en
conflit avec son évêque : pensant à quitter Rennes-le-Château, il imagine
s’installer à Lourdes. C’est assez significatif…
Toutefois, si on regarde bien les relations de l’abbé,
on se rend compte qu’il n’est pas aussi « sectaire » que son
« intégrisme » affiché pourrait le laisser penser… Les Roché,
pourtant franc-maçons et anti-cléricaux affichés, évoluent dans son entourage…
Entre autres. Cela ouvre bien des possibilités pour comprendre ce qui a pu se
passer à Rennes-le-Château…
Regards du Pilat : Pensez-vous que l’abbé Saunière ait agi de
son propre chef ? Ou bien était-il manipulé, et par qui ?
Christian Doumergue :
La notion de « zones d’ombre » que
je viens d’évoquer revient ici au premier plan et il est
difficile de donner, à
ce jour, une conclusion définitive… On en est, il faut
l’admettre, réduit à
l’hypothèse. Et on peut même hésiter à
relier l’abbé Saunière au
« mystère »
qui constitue aujourd’hui le véritable arrière plan de
l’affaire de Rennes. Je
m’explique…
On sait aujourd’hui que le dénouement, le début et la
fin de l’histoire, se trouve non pas à Rennes-le-Château, mais à
Rennes-les-Bains. Lorsqu’il a monté le mythe du « curé aux
milliards » par le moyen d’opuscules déposés sous de faux noms à la
Bibliothèque Nationale de France (ce sont ces opuscules qui donnent pour la
première fois la trame « mythologique » complète de l’affaire
Saunière : découverte de parchemins, montée à Paris, à St Sulpice,
rencontre avec Emma Calvé, etc. ; de Sède en reprendra certains passages
presque mot pour mot), Pierre Plantard n’a cessé, alors qu’il mettait Saunière
au premier plan, d’attirer discrètement, et de plus en plus, l’attention sur Rennes-les-Bains.
Ainsi, la plupart des pseudonymes choisis par Pierre Plantard et Philippe de
Chérisey pour signer les opuscules de la BNF, renvoient-ils à la petite station
thermale. Prenons un exemple : Walter Celse-Nazaire. Celse et Nazaire sont
les deux saints auxquels est dédiée la petite église de Rennes-les-Bains. Autre
exemple : Madeleine Blancasall évoque clairement la Blanque et la
Salz, deux rivières se rejoignant à l’entrée Sud de Rennes-les-Bains,
précisément à proximité de la source de la Madeleine… Bref, tout cela pour dire
que Pierre Plantard n’a donné de l’abbé Saunière la vie romancée que l’on sait
que pour attirer artificiellement l’attention sur Rennes-le-Château et, de là,
conduire « ceux qui savent lire entre les lignes » jusqu’à Rennes-les-Bains.
Si dans ce développement récent, Rennes-le-Château fait donc partie intégrante
de l’Enigme à déchiffrer, la question se pose quant à son rôle du vivant de
l’abbé Saunière. Faut-il penser que l’on a voulu faire jouer aux constructions
du prêtre le même rôle de « phare » dont Plantard allait les investir
dans son « Œuvre », ou bien s’agit-il d’un phénomène distinct que le
pur hasard aurait placé à proximité de Rennes-les-Bains… et qui aurait par la
suite été habilement utilisé par Pierre Plantard, pour « parler en étant
sûr qu’on ne puisse le comprendre…» (je reprends ici l’intention que lui prête
Gérard de Sède dans L’Or de Rennes…)
On aurait tendance de pencher en faveur de cette
seconde idée à la lecture des papiers de l’abbé Saunière, puisque l’on y trouve
absolument aucun élément laissant envisager que le prêtre ait pu appartenir à
un quelconque groupe occulte… Mais l’étude de ses constructions, notamment de
l’église, nous incite à penser que certains ont alors bien conçu
Rennes-le-Château comme ce « Phare » nécessaire pour attirer
l’attention sur le secret de Rennes-les-Bains…
Même si l’on a beaucoup exagéré cette idée, au point de
la discréditer, il y a de fait des « anomalies » dans l’église de
Rennes-le-Château, dont la plus signifiante est sans doute celle qu’on ne voit
pas : l’absence de la représentation de l’apparition du Christ ressuscité
à Marie-Madeleine. Alors que toutes les scènes de la vie de la sainte sont
présentes, la plus importante n’a pas été figurée… Et l’on peut vite comprendre
pourquoi lorsque l’on s’intéresse à la question de la Résurrection…
Ces éléments (pensons encore au grand relief dominant
le confessionnal, et à ses détails incontestablement singuliers…)
laissent envisager l’existence d’une intention cachée dans ces réalisations.
Mais, au vue de ce que je disais précédemment sur le catholicisme toujours
constant du prêtre, je ne pense pas que l’abbé Saunière ait été le chef
d’orchestre du projet. Ce qui laisserait entendre qu’il ait été manipulé. Cela
cadre avec le portrait psychologique qu’on sait de lui. Il avait,
psychologiquement et caractériellement parlant, les traits requis pour être
l’ « entrepreneur » idéal des œuvres de Rennes-le-Château,
notamment une volonté de laisser sa trace ici-bas. Cela le rendait facilement
influençable et aveugle au véritable sens du projet que certains lui
soufflèrent…
Mais si l’on peut conjecturer que Saunière a été
manipulé… difficile de dire par qui. Mon idée à ce sujet est qu’il faille sans
doute chercher au sein même de ses relations ecclésiales… Mais là encore, la
carence de documents est telle, qu’il est à ce jour impossible d’apporter une
réponse certaine. Tout au plus peut-on constater l’emprise de cette influence
sur certains papiers du prêtre relatifs aux travaux. Ainsi les changements de
nom de la Tour Magdala, d’abord appelée Tour du Midi, puis Tour de l’Horloge ―
deux noms probablement jugés trop explicites par les véritables chefs
d’orchestre du projet…
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(couverture) La Tombe perdue, le nouvel ouvrage de
Christian Doumergue, dont la sortie est annoncée pour le 3 décembre aux
éditions Pardès. Il est dès à présent en pré-commande sur <Amazon.fr>
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Regards du Pilat : Vous faites partie des tenants de
l’hypothèse « tombeau du Christ » pour expliquer le secret de
Rennes-le-Château. Pouvez-vous développer rapidement cette théorie ?
Repose-t-elle sur des éléments tangibles ?
Christian Doumergue :
L’idée de la présence du tombeau du Christ à
Rennes-le-Château, ou plus exactement à Rennes-les-Bains,
repose sur divers
éléments… Les plus anciens remontent à
l’Antiquité, aux premiers temps du
christianisme et à la question que pose la disparition du corps
de Jésus de la
tombe où on l’avait disposé après la descente de
la croix… Le christianisme romain
a expliqué cette disparition en s’appuyant sur la croyance en la
résurrection
charnelle de Jésus. Et depuis c’est cette vision qui a
prévalu. Mais les choses
ne sont pas aussi simples… De nombreux christianismes dissidents,
notamment
gnostiques, ont, dans l’Antiquité, rejeté cette
idée. Ils croyaient en la
résurrection, mais donnaient à celle-ci une
définition strictement spirituelle,
une définition en tout point comparable à celle que les
bouddhistes donnent au
processus de l’Eveil. Les deux termes sont d’ailleurs employés
comme synonymes
l’un de l’autre dans certains écrits gnostiques. Et donc, pour
ces chrétiens,
Jésus était ressuscité, puis était mort. Et
non l’inverse. Les milieux Juifs,
de leurs côtés, ont colporté très tôt
l’idée que le corps de Jésus avait été
secrètement enlevé de la tombe où il avait
été ostensiblement déposé, pour être
mis à l’abri ailleurs. Ce qui est intéressant, c’est que
ces traditions mettent
en scène, pour certaines d’entre elles, un jardinier. Or, c’est
à un jardinier que
Marie-Madeleine s’adresse dans l’Evangile de Jean pour lui demander de
la conduire jusqu’au corps de son Maître, corps dont elle attribue précisément
le rapt au dit jardinier. Bien sûr, elle reconnaît ensuite sous les traits du
soi-disant jardinier ceux de son Maître. Mais le texte de Jean est de ce point
de vue si confus qu’on ne peut que penser qu’il a été maintes fois remanié,
réécrit, pour cadrer avec l’évolution progressive du dogme. Ainsi,
Marie-Madeleine est-elle placée au centre du mystère de la disparition du corps
du Crucifié et tout laisse penser que c’est elle qui, à cause de la proximité
qui l’unit à Jésus du vivant de celui-ci, récupéra le corps et en prit soin…
Qu’en fit-elle ? La réponse à cette question découle de la résolution d’une
autre : que devint-elle ? De nombreuses traditions affirment qu’elle
se rendit dans le Sud de Gaule où elle termina sa vie… L’Histoire officielle
remet en question l’origine historique de ce légendaire. Mais l’Histoire
officielle est partisane, et j’ai par ailleurs démontré que la présence dans ce
légendaire couché par écrit au moyen-âge d’éléments appartenant à des
christianismes antiques (la place accordée à la femme dans la prédication par
exemple), suffit à démontrer l’origine ancienne de ces traditions. Et donc le
fait qu’elles reposent bien sur une base historique. Peut-on pour autant dire
que le corps de Jésus a été ramené en Gaule à ce moment là ? On en est
encore, de ce point de vue là, au stade des conjectures, des recoupements de
faits. Il en sera ainsi tant qu’aucune découverte archéologique ne sera là pour
vérifier l’hypothèse. Mais en matière d’éléments tangibles, on peut déjà en
citer quelques-uns… Il y a déjà plusieurs années, j’ai mis en avant un
reliquaire conservé à la Sainte Baume et représentant l’embarcation amenant
Marie-Madeleine et les siens d’Orient en Occident… A l’avant de cette barque
repose un corps momifié qui, incontestablement, garde le souvenir du
rapatriement d’un corps embaumé en Gaule… Plus récemment, j’ai trouvé une
confirmation à l’hypothèse de la présence du tombeau du Christ dans le Sud de
la France dans un écrit rédigé vers 720 dans le Midi. Ce texte consacré à la
conversion au christianisme de l’empereur romain Tibère affirme que celui-ci se
rendit en Septimanie (l’actuel Languedoc Roussillon…) pour y construire une
grotte au nom du Christ, autrement dit y ériger un ensemble souterrain auquel
on a du mal à trouver une fonction autre que funéraire… Affirmation troublante
quand on sait que plusieurs traditions conservées dans différents apocryphes
affirment que Marie-Madeleine se rendit à Rome pour y rencontrer l’empereur
Tibère et lui demander réparation de la mort de Jésus. L’appui d’un empereur
pourra sembler surprenante, mais, comme je le démontre dans mon dernier livre à paraître début décembre (La
Tombe Perdue, éditions Pardès), tout cela n’est qu’une « affaire de
famille »...
Regards du Pilat : On a vu l’abbé Saunière se rendre en divers
lieux ; on parle aujourd’hui des Alpes Maritimes, de l’Espagne, ou même de
la Serbie… il y a quelques années s’était développée l’hypothèse dite « du
Pilat », selon laquelle l’abbé Saunière serait venu dans notre région pour
y trouver une partie du secret de sa richesse, destination qu’il aurait
signalée par divers signes dans l’ornementation de son église. Globalement,
qu’en pensez-vous ?
Christian Doumergue : Difficile de se prononcer sur la question. En
réalité, l’hypothèse Pilat, qui paraît bien séduisante, repose sur peu
d’éléments, et, pour ainsi dire, aucune preuve. Je parle, bien sûr, de
l’implication de l’abbé Saunière. Personne n’a pu en effet voir les documents
originaux sur lesquels s’appuie, notamment, cette piste de recherche. Dès lors,
difficile de la considérer comme certaine. Quant aux supposés clins d’œil au
Pilat dans l’église de Rennes-le-Château, là encore, je reste assez sceptique.
Il m’apparaît ainsi assez artificiel de faire correspondre l’arrière plan du
bas relief de l’autel de l’église de Rennes-le-Château avec les paysages du
Pilat. Dire que les créneaux de l’une des constructions visibles sont une
allusion au Pic des Trois Dents, me semble, par exemple, un rien abusif… En
outre, mais j’avoue que cette question est difficile à trancher, je ne crois
pas, comme je l’ai dis tantôt, que l’abbé Saunière ait eu un rôle aussi actif
dans l’élucidation du mystère qui plane sur la région de Rennes-le-Château et
qui est peut-être, pour sa part, relié au Pilat…
Regards du Pilat : Parallèlement, on a vu l’abbé Saunière
résider régulièrement à Lyon, ville qui lui aurait servi de base pour ses
excursions pilatoises, et où il aurait participé aux activités de diverses
sociétés secrètes ou discrètes. Là encore, globalement, qu’en
pensez-vous ?
Christian Doumergue : J’aurais tendance à vous faire la même
réponse. Là encore, aucune preuve n’existe à ce sujet… Bien sûr, ce n’est pas
un argument pour rejeter en bloc cette piste. Mais lorsque l’on s’intéresse à
l’abbé Saunière, d’aucuns ont tellement dit sur sa vie, ont prêté à celle-ci
tellement d’épisodes jamais advenus, qu’il incombe de pratiquer une démarche de
vérification systématique. Et cela passe malheureusement par la preuve
irréfutable.
Ceci étant dit, si je doute que l’abbé Saunière
lui-même ait eu contact avec les diverses sociétés lyonnaises du XIXe siècle et
du début du XXe qui ont évolué dans le monde de l’ésotérisme, celles-ci sont
intéressantes et, pour certaines, présentent des liens directs avec l’Affaire
qui nous intéresse. Lyon est ainsi un lieu important pour l’Eglise Gnostique.
On y trouve Bricaud qui est un proche du docteur Fugairon. Ce dernier,
s’éloignant de Léonce Fabre des Essarts, qui succéda à Jules Doinel à la tête
de l’Eglise Gnostique, va fonder avec Bricaud une nouvelle église gnostique…
Or, comme je crois l’avoir montré dans mon livre L’Affaire de
Rennes-le-Château, Fugairon est une pièce maîtresse du puzzle qu’il nous
intéresse de reconstituer. Lié à ces figures, en ayant vu passer d’autres, le
Lyon des dernières années du XIXe et des premières du XXe garde donc des
éléments importants pour comprendre l’Enigme. Que Saunière ait directement à
voir avec cela, par contre, reste pour moi à démontrer…

(Ostie) Christian Doumergue devant le comptoir de Narbonne à
Ostie (Italie), ancien port de Rome. C’est vraisemblablement de là que
Marie-Madeleine embarqua pour la Gaule…
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(Rennes-les-Bains) Christian Doumergue à Rennes-les-Bains,
le véritable point de départ de l’ « Affaire de
Rennes-le-Château » et le cadre de son dénouement, à venir…
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Regards du Pilat : Christian Doumergue, vous avez vous-même
récemment séjourné dans le Pilat, à l’invitation de l’équipe des « Regards
du Pilat ». Qu’avez-vous retenu de ce périple pilatois, que vous a-t-il
apporté, a-t-il changé votre regard et votre approche personnelle ?
Christian Doumergue : Ce que j’ai surtout retenu, c’est
l’incroyable omniprésence du légendaire de Ponce Pilate dans la région. Je
connaissais bien sûr le supposé tombeau de Pilate à Vienne, que j’ai pu enfin
voir en « vrai ». Il m’apparaît en effet important de découvrir un
site dans sa réalité matérielle, précisément pour ce qui en émane alors
d’ « immatériel », et qu’une photographie ne pourra jamais
capter… Par contre, j’ignorais l’existence d’une kyrielle d’autres sites que
les traditions ont rattaché à la supposée venue de Ponce Pilate dans la région,
je pense notamment au rocher d’Hérode et de Pilate, que j’ai eu le plaisir de
découvrir en votre compagnie… Donc, pas de changement de regard, ni d’approche.
Mais une forme de confirmation supplémentaire à l’idée qu’il s’est bien passé
quelque chose d’essentiel sur le sol gaulois lié à l’ « Affaire
Jésus » au premier siècle de notre ère. Car enfin, même si toutes ces
légendes se sont artificiellement greffées sur un certain nombre de sites qui
n’ont peut-être pas vu eux-mêmes passer le préfet de Judée, il n’y a pas de
fumée sans feu. En tout cas aucune raison pour que tout cela éclose
brusquement sans qu’il y ait une origine historique à ce phénomène ! Si
les « historiens officiels » expliquent que le légendaire de
Marie-Madeleine en Provence est né au moyen-âge dans le seul but de promouvoir
le culte des reliques de la sainte, et participe ainsi en quelque sorte d’une
mystification à but lucratif, comment expliquer que des esprits religieux aient
fait artificiellement venir dans leur région Ponce Pilate, un personnage on ne
peut plus négatif dans leur esprit ? Ils n’avaient à cela absolument aucun
intérêt… Ni de valorisation, ni lucratif.
Regards du Pilat :
Ponce Pilate apparaît en filigrane dans vos livres, qu'une tradition légendaire
que vous venez d’évoquer voit lié au Mont Pilat, bien qu'une autre tradition
tout aussi vivace situe sa tombe au Mont Pilate en Suisse. Dans votre livre sur
Marie-Madeleine, vous citez un curieux récit d’Alexandre Dumas, Impressions d’un voyage en Suisse,
contant l’ascension du Mont Pilate suisse en 1531 par un frère Rose-croix.
Comme vous le faites justement remarquer, la description de Dumas ressemble
davantage au Pilat français… En particulier, alors que le Pilate compte sept
sommets, Dumas parle de trois sommets, et signale la légende selon laquelle ces
trois sommets auraient été créés pour rappeler l’image des trois croix du
calvaire, soit exactement la tradition attachée au Pic des Trois Dents.
Maintenant que vous avez vu de vos yeux ledit Pic des Trois Dents, pensez-vous
que Dumas ait vraiment voulu laisser un message orientant vers le Pilat
français ? Et parallèlement, que pensez-vous de ces croyances voyant Ponce
Pilate finir ses jours dans le Pilat, au point de donner son nom à cette
montagne ?
Christian Doumergue :Concernant
Dumas, je pense qu’effectivement il y a une volonté d’orienter
le
public vers le Pilat français. Son texte n’est pas anodin. Cette
citation d’un
« frère Rose Croix » est très
troublante. Je me défends de vouloir absolument
retrouver des détenteurs du « Secret »
partout (la trop grande
systématisation de cette théorie risque de finir par la
discréditer…), mais je
crois que ce texte est néanmoins à considérer sous
cet angle… En tout cas comme
troublant. Et les relations de Dumas pourraient parfaitement expliquer
cela. On
oublie trop souvent la très forte imbrication entre le monde des
Arts et celui
de l’ésotérisme au XIXe siècle… Pour ce qui
concerne la venue et la mort de
Ponce Pilate dans le Pilat, on en revient à ce que nous
évoquions précédemment.
Je vous disais en reprenant une imagerie populaire qu’il n’y a,
à mon sens, pas
de « fumée sans feu ». Encore faut-il dans
notre cas déterminer de
quel feu il s’agit… Et là, la question est ardue. Il y a en
quelque sorte deux
hypothèses. Soit Pilate est bien venu dans la région et
c’est ce qui explique
la résurgence plus tardive de ce légendaire. Soit il n’y
est pas venu, et c’est
par un phénomène de déplacement, de
déformation de la vérité historique, que ce
légendaire s’est fixé ici. Cette seconde hypothèse
admettrait que Pilate s’est
bien rendu en Gaule, mais pas nécessairement dans la
région du Pilat. En somme,
seule la ressemblance phonétique entre Pilat et Pilate aurait
déterminé le
placage sur la région des récits relatifs à la
venue de Pilate en Gaule… Il est
à ce jour difficile de trancher entre ces deux idées… et
seule, là encore, une
découverte archéologique permettra de trancher…
Maintenant, concernant le Pilat
suisse, les choses me semblent un peu plus claires. Ce qui est certain
d’après
les historiens, c’est que, contrairement au Pilat français, le
Pilat suisse est
redevable de son nom au préfet de Judée. C’est bien
le légendaire
l’entourant qui a donné son nom au site montagneux… et non le
nom porté par celui-ci
qui a contribué à fixer là ces récits comme
ça a été peut-être le cas pour le
Pilat français. Pour autant, je ne pense pas, et là par
contre avec de quasi
certitudes, que Pilate se soit jamais rendu en suisse. Le Pilat suisse
était
appelé Septimer, à cause des sept sommets le
caractérisant. Or, il est assez
probable que parmi les anciens textes évoquant la venue de
Pilate en Gaule, il
était question, pour toute précision géographique
relative à sa destination, de
la Septimanie. C’est en tout cas ce que laisse conjecturer La Vengeance du
Sauveur, l’écrit de 720 que j’évoquais tantôt… Reposant sur une même
étymologie, les deux mots ont pu donner lieu à confusion. J’explique dans mon
livre La Tombe Perdue, que, pour ma part, je considère que la
localisation de la mort de Pilate dans le Pilat suisse est due à cette
déformation tardive…
Regards du Pilat : Restons dans le Pilat pour revenir à vos
premières amours, Marie-Madeleine. On sait que son séjour à la Sainte-Baume en
Provence est très largement légendaire, et semble constituer un contre-feu de
l’église à l’époque où se développait le catharisme en Languedoc. Divers
écrits, en particulier ceux de Patrick Berlier, ont envisagé sous le couvert
d’une hypothèse de travail un séjour de Marie-Madeleine dans le Pilat. Croyez-vous
que la sainte ait pu au moins passer par notre région, puisque d’autres
traditions la voient aussi séjourner en Auvergne ?
Christian Doumergue : Oui. C’est tout à fait possible. Même si on a limité la
geste magdalénienne à la seule Provence, il apparaît (notamment avec l’exemple
de Massiac, dans le Cantal, où selon la tradition locale la sainte aurait vécu
en ermite durant plusieurs années…) que ce périmètre est à élargir… Une raison
qui aurait pu pousser Marie-Madeleine à se rendre dans votre région, c’est la
présence de Pilate… Personnellement, je n’ai toutefois rien trouvé à ce sujet.
Tous les éléments à ma disposition me ramènent, invariablement, vers la
Narbonnaise… Mais, évidemment, ces éléments ne représentent que, disons 10% du
puzzle… et encore, en étant généreux dans notre estimation. Donc, concrètement,
rien d’impossible à ce que Marie-Madeleine, ou, et j’aurais tendance à préférer
cette idée, des membres de sa « famille spirituelle » (appelons ainsi
les premiers disciples rassemblés autours d’elle…), se soient rendus dans le
Pilat. N’oublions pas que les rives du Rhône furent un des grands centres
gaulois du christianisme gnostique, comme devait en témoigner Irénée de Lyon
dans ses écrits…
Regards du Pilat : Votre carrière littéraire semble promise à
un bel avenir. Avez-vous d’autres projets, à court ou long terme, et sur quels
thèmes ?
Christian Doumergue : (Sourire) Oui, plusieurs projets, tous unis par la même
thématique, à savoir celle qui unissait déjà entre eux mes précédents ouvrages
(la quête du christianisme premier) et, au-delà, la rencontre avec un système
de pensée apte à rendre l’homme « libre ». Donc, concrètement,
plusieurs essais en tête, dont l’un, achevé, sortira au début du mois de
décembre. Je l’ai déjà évoqué brièvement au fil de cet entretien. Ce nouveau
livre a pour titre : La Tombe perdue et est sous-titré :
« Le corps du Christ repose-t-il dans le Sud de la France ? » Ce
sont les éditions Pardès qui se chargent de l’éditer. L’ouvrage est entièrement
consacré à la question du devenir du corps de Jésus après sa mort et vous
devinez bien, à son sous-titre, où je pense qu’il se trouve encore aujourd’hui.
Je ne vais pas évoquer ici cet ouvrage dans le détail, mais signaler simplement
qu’il sera, entre autre, question d’un nouveau site, jamais évoqué jusque là
par aucun chercheur… site que j’ai pu retrouver à partir d’un texte daté du
moyen-âge ― et que ce site pose énormément de questions. Mais bon, je n’en
dirais pas plus pour le moment… Pour ce qui est de mes autres projets, parmi
beaucoup d’autres, il y en a notamment un sur l’Eglise gnostique de Doinel… qui
m’apparaît comme un mouvement essentiel, et pas seulement pour les raisons
évoquées précédemment dans mes livres, à savoir ses connexions avec l’Affaire
de Rennes-le-Château… Le plus important la concernant est peut-être ailleurs,
dans un rendez-vous politique manqué qui aurait pu donner une autre direction à
nos sociétés… Puis un autre projet, aussi, qui me tient à cœur, et que
j’inscris dans cette logique combinant quête de sens et action politique… Je
reste volontairement flou sur le sujet. (Sourire) Je travaille également
à la publication d’un roman. Vous n’aurez sans doute aucun mal à en deviner la
thématique première, le point de départ… Mais la forme fictionnelle me permet
d’aller plus loin. D’aborder des sujets que je n’ai pas encore traités dans mes
essais, la fiction s’appuyant ici sur la réalité, et donc un travail de
recherche préalable. La fiction me permet en outre, en mettant en scène des
personnages « vivants », d’explorer plus en profondeur l’âme humaine.
Ce qui est finalement notre propos dans nos recherches : retrouver notre
âme…
Regards du Pilat : Christian Doumergue, il nous reste à vous
remercier pour votre accueil chaleureux et simple, reflet de votre
personnalité, et pour ces réponses qui vont sans doute éclairer nos fidèles
internautes.
Christian Doumergue : Merci à vous…

Les Trois Dents
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Christian dans le Pilat
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La Pierre qui Chante
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(Reliquaire) Détail d’un reliquaire conservé à la Sainte
Baume (Var) : à l’avant de
la barque conduisant Marie-Madeleine en
Gaule figure un corps momifié…
En MARS
2008, avec Patrick BERLIER,
un très "fin" Dossier, où nous étudierons
"Un Trésor de symbolismes :
le portail roman de
Bourg-Argental"
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