OCTOBRE 2019
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Par
Notre Ami
Patrick
BERLIER
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BALADE
AUTOUR DE CHUYER SUR LES
ANCIENNES VOIES ROMAINES Le lundi 12 août 2019,
les Regards du Pilat ont
invité leurs amis à leur balade pédestre annuelle.
Cette année c'est la région
de Chuyer qui a été choisie, et le circuit
concocté par Patrick a ravi tout le
monde. D'une longueur d'une dizaine de kilomètres pour 200 m de
dénivelé
cumulé, sa particularité est qu'il emprunte en grande
partie d'anciennes voies
romaines, qui elles mêmes sans doute n'ont fait que remplacer des
chemins
gaulois. Nous nous retrouvons de bon
matin devant l'église
de Chuyer. Le temps est incertain, mélange d'éclaircies
et de passages nuageux.
Quelques gouttes de pluie s'inviteront même dans la
matinée, contredisant les
prévisions météo, mais il en faut plus pour nous
décourager, et d'ailleurs
l'ondée cessera avant même que nous ayons besoin de sortir
les capes de pluie. Vue générale de Chuyer
Le
village et sa maison au fronton galbé Après avoir
traversé le village, nous prenons le
chemin en direction du Grand Marat. Une descente pour franchir le
ruisseau de
Vérin, simple filet d'eau à ce niveau, puis une
montée nous amène sur la
colline où s'élève une croix et quelques
bâtiments, dont une maison massive qui
paraît ancienne. Grand Marat est la déformation de Grange
Marat, du nom du
métayer qui l'occupait au XVIIe siècle. On
prétend que ce Marat fut
un ancêtre du révolutionnaire Jean-Paul Marat,
célèbre pour avoir été assassiné
dans sa baignoire. La grange fut l'une des nombreuses
propriétés de ces riches
familles lyonnaises, qui aux XVIe et XVIIe
siècles
avaient décidé d'investir dans des domaines agricoles sur
le piémont rhodanien
du Pilat. Ces propriétés leur assuraient revenus et
ravitaillement, mais pour
payer moins d'impôts fonciers elles avaient été
déclarées comme simples
granges. En l'occurrence cette grange-là appartenait à la
célèbre famille de
Villars. Grand-Marat
– la croix Nous descendons par la petite
route et nous voici
à la Croix Blanche. Ici la route croise l'ancienne voie romaine
de Vienne à Pélussin.
Elle est encore visible à gauche de la route, montant de
Métrieux, mais a
disparu à droite. Une modeste croix en ferronnerie, blanche en
effet, s'élève
là sur un petit socle maçonné. En fait cette croix
n'est pas blanche par
hasard, cette couleur indique qu'elle remplace la borne miliaire de la
voie
romaine, et ces bornes étaient généralement en
pierre calcaire blanche. Dans
toute la région au sud de Lyon on ne comptait pas les distances
en miles
romains (1480 m) mais en lieues gauloises (2426 m), donc il y avait des
bornes
tous les 2,5 km environ. Mais elles ont presque toutes disparu,
quelques unes
ont été remplacées par des croix. C'est ainsi que
la borne suivante, à 2,5 km
donc, qui se situait au niveau de l'actuel hameau de la Guintranie, et
a été
remplacée par la croix s'élevant au départ du beau
morceau de voie pavée
descendant vers le Moulin. La
Croix Blanche Puisque nous avons
croisé notre première voie
romaine, il est temps d'exposer sommairement comment s'articulait le
réseau
routier romain du piémont rhodanien. Il était
composé de voies vicinales, ou
secondaires, entretenues par les collectivités locales, et de
voies privées
desservant certains domaines, entretenues par leurs
propriétaires qui les
mettaient à disposition de tous. La grande voie publique,
entretenue par
l'état, empruntait la vallée du Rhône, c'est la N
86 qui l'a plus ou moins
remplacée. La voie vicinale venant de Vienne rejoignait au Pilon
celle montant
de la vallée du Gier. Cette route se dirigeait alors vers
Pélussin, en passant
par ce qui sera la Chapelle-Villars. Elle franchissait le ruisseau de
Vérin,
sans doute par un petit pont. On comprend le nom de Pont Nové
(Pont Neuf) donné
au pont de la départementale actuelle, qui franchit le
même ruisseau à peu de
distance en amont. Un peu avant la Chapelle-Villars, un embranchement
descendait plein sud en direction de Chavanay. Une autre route vicinale
croisait ce premier réseau ; montant de Condrieu, elle se
dirigeait vers
le col de Pavezin et la vallée du Gier. Enfin une voie
privée s'embranchait sur
cette route-là, pour desservir un domaine sans doute à
Sympérieux. Carte
des voies romaines du piémont rhodanien Tout en devisant sur le riche
passé de ce
secteur, notre petite troupe a rejoint le sentier Béatrix de
Roussillon, que
nous suivons jusqu'aux étangs de Bailly. Ces retenues
collinaires sont le
paradis des pêcheurs. C'est dans ce cadre tranquille, bucolique
et charmant,
que nous choisissons de pique-niquer. Les
étangs de Bailly Après la pause
casse-croûte, nous quittons le
sentier pour emprunter un large chemin, l'ancienne voie romaine du
Pilon à
Chavanay. Nous franchissons le ruisseau de Vérin, puis faisons
un petit crochet
jusqu'au vieux hameau de Sympérieux. La carte de Cassini le
nommait
Saint-Périeu. On dit que ce nom vient de « saint et
pierreux ». C'est
vrai qu'il y a des croix, et des pierres... Sympérieux a aussi
appartenu aux
moines de l'abbaye Saint-Pierre de Vienne, alors ce nom est
peut-être aussi une
déformation de Saint-Pierre ? Mais la terminaison en
« ieux »
indiquant généralement un nom d'origine gallo-romaine, en
l'occurrence il
faudrait y voir le domaine de Symperius. Peut-être
était-ce la riche romain qui
avait créé la route privée, s'embranchant sur la
voie de Condrieu au col de
Pavezin, pour desservir son domaine. Quoi qu'il en soit, c'est un
hameau
compact, semblant ancien, avec des traces de portes cochères.
Ici se serait
trouvée une maladrerie, qui aurait accueilli les blessés
de la fameuse bataille
dite de Vire-Cul. Nous profitons de la pause dans ce hameau pour
rappeler les
subtilités de la langue française : une maladrerie,
dite aussi maladière
dans les régions plus au nord, était un lieu où
l'on soignait malades et
blessés, une infirmerie recevait les infirmes, et un
hôpital était un lieu d'hospitalité.
Les mots ont changé de sens au cours des siècles. Croix
de Sympérieux Nous empruntons ensuite
l'ancienne voie romaine
privée pour revenir en direction de Chuyer. Elle s'est
transformée en un beau
chemin. Puis nous rejoignons l'ancienne voie vicinale de Condrieu au
col de
Pavezin, qui est devenue aujourd'hui la D 30. Nous voici au lieu-dit le
Gouyat,
où nous croisons l'ancienne voie venant du Pilon et se dirigeant
sur Pélussin,
chemin qui a conservé par endroits les deux fossés qui
bordaient la voie
romaine. C'est ici que s'est déroulée la
célèbre bataille de Vire-Cul. Nous
avons déjà par le passé raconté en
détails ce combat qui, au temps des guerres
de religion opposa protestants et catholiques (voir en rubrique Guerres du
Pilat).
Rappelons-en brièvement les grandes lignes. En 1587, depuis 25
ans la France
est déchirée par les guerres de religion. Le roi Henri
III a trouvé dans le
chef protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, un adversaire
coriace, qu'il
connaît bien puisque c'est aussi son beau-frère,
étant encore marié à sa sœur
Marguerite de Valois. Par ailleurs Henri III doit composer avec Henri
de Guise,
chef de la Ligue catholique, qui ne rêve que d'en découdre
avec les Huguenots.
On a nommé cette période « la guerre des trois
Henri ». Rentrant de la bataille
d'Auneau (près de
Chartres) au soir du 10 décembre 1587, une petite armée
protestante, emmenée
par François de Châtillon, tente de regagner sa base
d'Annonay. Passant au large
de Lyon, ils ont réussi à éviter l'accrochage avec
l'armée catholique commandée
par le sinistre Mandelot, gouverneur de Lyon. Mais cette troupe les a
pris en
chasse, et gagne petit à petit du terrain. François de
Châtillon comprend que
les catholiques vont lui tomber dessus avant qu'il ait eu le temps de
rejoindre
Annonay. Alors en fin stratège il cherche un endroit qui lui
permettrait de
tendre une embuscade à ses ennemis. Ils sont supérieurs
en nombre, mais une
attaque surprise lui permettrait peut-être de rétablir
l'équilibre.
Précisément, la topographie du terrain autour du
carrefour va s'y prêter
parfaitement. Il y a là en effet des prés
marécageux, un « gouyat »
en patois local, qui pourraient constituer un piège mortel pour
les cavaliers,
s'il réussissait à les obliger à s'y engager. Et
au-dessus de ces prés, le
hameau du Mollard, situé comme son nom l'indique sur une petite
éminence
derrière laquelle les soldats pourraient se cacher.
L'armée catholique n'est
pas encore en vue, alors François de Châtillon met son
idée à exécution. Sa
troupe se compose d'environ 600 hommes, cavaliers et fantassins.
L'armée
catholique quant à elle compte plus de 1000 hommes,
chevau-légers en tête,
suivis des fantassins et des cavaliers. Le
Gouyat, site de la bataille de Vire-Cul Le plan réussit
parfaitement. Dès que les
catholiques sont en vue, la troupe protestante surgit de
derrière la colline et
dévale la côte en braillant. L'escouade des redoutables
chevau-légers bifurque
dans leur direction, et s'engage dans les prés
marécageux. C'est le crépuscule,
il ne fait plus très clair, ils n'ont pas vu le piège.
Les chevaux
s'embourbent, ne parviennent plus à avancer, et offrent des
cibles faciles. Les
protestants, qui ont déployé leurs arquebusiers à
cheval, n'ont aucun mal à
décimer la troupe des chevau-légers. Forts de leur
victoire, ils se regroupent
et remontent en direction des fantassins. Mais ceux-ci ne sont que des
braves
paysans, enrôlés de force dans l'armée catholique.
Armés seulement de piques,
ils n'ont aucune envie de s'opposer à des arquebusiers, à
pied ou à cheval. Ils
déguerpissent et s'égayent dans la campagne. Les
protestants se heurtent
maintenant aux cavaliers catholiques. Plus aguerris, ceux-ci
parviennent à les
repousser, mais il fait de plus en plus sombre et ils ne
réussissent pas à
prendre l'avantage. Les protestants en profitent pour s'éclipser. Ce combat,
considéré comme une victoire des
protestants, fera beaucoup parler de lui. Mandelot qui n'a pas que des
amis,
même dans le camp catholique, est vivement critiqué, et
ses adversaires
nommeront par dérision « vire-cul » cette
bataille qui s'est soldée
par la désertion de chacun des deux camps. Maison
ancienne du hameau du Mollard Poursuivant toujours sur
l'ancienne voie romaine
montant vers le col de Pavezin, nous atteignons le hameau du Mollard.
Il est
composé de vieilles bâtisses, datant du XVIe
siècle pour les plus
anciennes, dont une avec des pierres de granite d'une taille imposante.
Une
autre maison conserve au-dessus d'une fenêtre, murée
aujourd'hui, un linteau de
pierre blanche portant la date 1720. Linteau
de fenêtre au Mollard Nous poursuivons par
l'ancienne voie romaine, qui
monte tout droit, franchit une route, et se poursuit en direction du
col de
Pavezin. Nous longeons le hameau de Grange Blanche, un toponyme typique
révélant le passage d'une voie romaine. Les bornes
miliaires en pierre blanche
étaient souvent remployées dans les maçonneries
des maisons, lesquelles
devenaient donc Maison Blanche, Grange Blanche, etc. Cette
voie-là offre la
particularité d'être abritée par un mur
côté aval, ainsi depuis la vallée il
était impossible de voir ce qui passait
par la route. Nous ne monterons pas jusqu'au col de Pavezin puisqu'il
nous faut
bien rentrer à Chuyer. Un chemin rapide nous y conduit. À
l'orée du village se
dresse la Croix du Coq, ainsi nommée parce qu'un coq minuscule
en orne la
pointe sommitale. La
Croix du Coq Certains qui sont un peu
fatigués on préféré
écourter la balade et rentrer directement lorsque nous avons
croisé la route.
Nous les retrouvons à Chuyer, tranquillement assis sur un banc.
Finalement le
soleil brille généreusement en cette fin
d'après-midi. C'était une bien belle
balade, vivement l'année prochaine ! |