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OCTOBRE 2019











Par Notre Ami

Patrick BERLIER



BALADE AUTOUR DE CHUYER

SUR LES ANCIENNES VOIES ROMAINES

 

Le lundi 12 août 2019, les Regards du Pilat ont invité leurs amis à leur balade pédestre annuelle. Cette année c'est la région de Chuyer qui a été choisie, et le circuit concocté par Patrick a ravi tout le monde. D'une longueur d'une dizaine de kilomètres pour 200 m de dénivelé cumulé, sa particularité est qu'il emprunte en grande partie d'anciennes voies romaines, qui elles mêmes sans doute n'ont fait que remplacer des chemins gaulois.

Nous nous retrouvons de bon matin devant l'église de Chuyer. Le temps est incertain, mélange d'éclaircies et de passages nuageux. Quelques gouttes de pluie s'inviteront même dans la matinée, contredisant les prévisions météo, mais il en faut plus pour nous décourager, et d'ailleurs l'ondée cessera avant même que nous ayons besoin de sortir les capes de pluie.

 

Vue générale de Chuyer

Forcément une pensée pour le regretté Tonin Chavas, Président fondateur de l'Association Visages de notre Pilat


 
Chuyer est un vieux village du Pilat rhodanien, mentionné dès le début du XVe siècle, mais d'origine plus antérieure encore puisque son église remonte au XIIe siècle pour sa partie la plus ancienne, le chœur supportant le clocher carré à baies géminées. L'église primitive a brûlé en 1838, et peu après une nouvelle église a été construite dans le prolongement de la première, l'ancien chœur devenant la sacristie. On peut y admirer des vitraux de la maison Mauvernay, célèbre atelier de peintres verriers de Saint-Galmier, à qui l'on doit de nombreux vitraux dans la région. Le village est célèbre aussi pour sa maison au fronton galbé, une curiosité architecturale unique. C'est un bâtiment à trois niveaux : un rez-de-chaussée servant essentiellement de cave, un premier étage noble auquel on accède par un double escalier extérieur, un deuxième étage. La belle façade aux pierres apparentes se termine par le fronton et sa rangée de génoises. Cette maison paraît remonter au XVIIe siècle. Chuyer était jadis un centre viticole, et produisait un vin connu depuis l'Antiquité. On dit même que Jules César, passant par là lorsqu'il partit conquérir le reste de la Gaule, se serait arrêté à Chuyer et aurait goûté son vin. Mais en 1880 une épidémie de phylloxéra a totalement détruit les vignobles.

 

Le village et sa maison au fronton galbé

 

Après avoir traversé le village, nous prenons le chemin en direction du Grand Marat. Une descente pour franchir le ruisseau de Vérin, simple filet d'eau à ce niveau, puis une montée nous amène sur la colline où s'élève une croix et quelques bâtiments, dont une maison massive qui paraît ancienne. Grand Marat est la déformation de Grange Marat, du nom du métayer qui l'occupait au XVIIe siècle. On prétend que ce Marat fut un ancêtre du révolutionnaire Jean-Paul Marat, célèbre pour avoir été assassiné dans sa baignoire. La grange fut l'une des nombreuses propriétés de ces riches familles lyonnaises, qui aux XVIe et XVIIe siècles avaient décidé d'investir dans des domaines agricoles sur le piémont rhodanien du Pilat. Ces propriétés leur assuraient revenus et ravitaillement, mais pour payer moins d'impôts fonciers elles avaient été déclarées comme simples granges. En l'occurrence cette grange-là appartenait à la célèbre famille de Villars.

 

Grand-Marat – la croix

 

Nous descendons par la petite route et nous voici à la Croix Blanche. Ici la route croise l'ancienne voie romaine de Vienne à Pélussin. Elle est encore visible à gauche de la route, montant de Métrieux, mais a disparu à droite. Une modeste croix en ferronnerie, blanche en effet, s'élève là sur un petit socle maçonné. En fait cette croix n'est pas blanche par hasard, cette couleur indique qu'elle remplace la borne miliaire de la voie romaine, et ces bornes étaient généralement en pierre calcaire blanche. Dans toute la région au sud de Lyon on ne comptait pas les distances en miles romains (1480 m) mais en lieues gauloises (2426 m), donc il y avait des bornes tous les 2,5 km environ. Mais elles ont presque toutes disparu, quelques unes ont été remplacées par des croix. C'est ainsi que la borne suivante, à 2,5 km donc, qui se situait au niveau de l'actuel hameau de la Guintranie, et a été remplacée par la croix s'élevant au départ du beau morceau de voie pavée descendant vers le Moulin.

 

La Croix Blanche

 

Puisque nous avons croisé notre première voie romaine, il est temps d'exposer sommairement comment s'articulait le réseau routier romain du piémont rhodanien. Il était composé de voies vicinales, ou secondaires, entretenues par les collectivités locales, et de voies privées desservant certains domaines, entretenues par leurs propriétaires qui les mettaient à disposition de tous. La grande voie publique, entretenue par l'état, empruntait la vallée du Rhône, c'est la N 86 qui l'a plus ou moins remplacée. La voie vicinale venant de Vienne rejoignait au Pilon celle montant de la vallée du Gier. Cette route se dirigeait alors vers Pélussin, en passant par ce qui sera la Chapelle-Villars. Elle franchissait le ruisseau de Vérin, sans doute par un petit pont. On comprend le nom de Pont Nové (Pont Neuf) donné au pont de la départementale actuelle, qui franchit le même ruisseau à peu de distance en amont. Un peu avant la Chapelle-Villars, un embranchement descendait plein sud en direction de Chavanay. Une autre route vicinale croisait ce premier réseau ; montant de Condrieu, elle se dirigeait vers le col de Pavezin et la vallée du Gier. Enfin une voie privée s'embranchait sur cette route-là, pour desservir un domaine sans doute à Sympérieux.

 

Carte des voies romaines du piémont rhodanien

 

Tout en devisant sur le riche passé de ce secteur, notre petite troupe a rejoint le sentier Béatrix de Roussillon, que nous suivons jusqu'aux étangs de Bailly. Ces retenues collinaires sont le paradis des pêcheurs. C'est dans ce cadre tranquille, bucolique et charmant, que nous choisissons de pique-niquer.

 

Les étangs de Bailly

 

Après la pause casse-croûte, nous quittons le sentier pour emprunter un large chemin, l'ancienne voie romaine du Pilon à Chavanay. Nous franchissons le ruisseau de Vérin, puis faisons un petit crochet jusqu'au vieux hameau de Sympérieux. La carte de Cassini le nommait Saint-Périeu. On dit que ce nom vient de « saint et pierreux ». C'est vrai qu'il y a des croix, et des pierres... Sympérieux a aussi appartenu aux moines de l'abbaye Saint-Pierre de Vienne, alors ce nom est peut-être aussi une déformation de Saint-Pierre ? Mais la terminaison en « ieux » indiquant généralement un nom d'origine gallo-romaine, en l'occurrence il faudrait y voir le domaine de Symperius. Peut-être était-ce la riche romain qui avait créé la route privée, s'embranchant sur la voie de Condrieu au col de Pavezin, pour desservir son domaine. Quoi qu'il en soit, c'est un hameau compact, semblant ancien, avec des traces de portes cochères. Ici se serait trouvée une maladrerie, qui aurait accueilli les blessés de la fameuse bataille dite de Vire-Cul. Nous profitons de la pause dans ce hameau pour rappeler les subtilités de la langue française : une maladrerie, dite aussi maladière dans les régions plus au nord, était un lieu où l'on soignait malades et blessés, une infirmerie recevait les infirmes, et un hôpital était un lieu d'hospitalité. Les mots ont changé de sens au cours des siècles.

 

Croix de Sympérieux

 

Nous empruntons ensuite l'ancienne voie romaine privée pour revenir en direction de Chuyer. Elle s'est transformée en un beau chemin. Puis nous rejoignons l'ancienne voie vicinale de Condrieu au col de Pavezin, qui est devenue aujourd'hui la D 30. Nous voici au lieu-dit le Gouyat, où nous croisons l'ancienne voie venant du Pilon et se dirigeant sur Pélussin, chemin qui a conservé par endroits les deux fossés qui bordaient la voie romaine. C'est ici que s'est déroulée la célèbre bataille de Vire-Cul. Nous avons déjà par le passé raconté en détails ce combat qui, au temps des guerres de religion opposa protestants et catholiques (voir en rubrique Guerres du Pilat). Rappelons-en brièvement les grandes lignes. En 1587, depuis 25 ans la France est déchirée par les guerres de religion. Le roi Henri III a trouvé dans le chef protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, un adversaire coriace, qu'il connaît bien puisque c'est aussi son beau-frère, étant encore marié à sa sœur Marguerite de Valois. Par ailleurs Henri III doit composer avec Henri de Guise, chef de la Ligue catholique, qui ne rêve que d'en découdre avec les Huguenots. On a nommé cette période « la guerre des trois Henri ».

Rentrant de la bataille d'Auneau (près de Chartres) au soir du 10 décembre 1587, une petite armée protestante, emmenée par François de Châtillon, tente de regagner sa base d'Annonay. Passant au large de Lyon, ils ont réussi à éviter l'accrochage avec l'armée catholique commandée par le sinistre Mandelot, gouverneur de Lyon. Mais cette troupe les a pris en chasse, et gagne petit à petit du terrain. François de Châtillon comprend que les catholiques vont lui tomber dessus avant qu'il ait eu le temps de rejoindre Annonay. Alors en fin stratège il cherche un endroit qui lui permettrait de tendre une embuscade à ses ennemis. Ils sont supérieurs en nombre, mais une attaque surprise lui permettrait peut-être de rétablir l'équilibre. Précisément, la topographie du terrain autour du carrefour va s'y prêter parfaitement. Il y a là en effet des prés marécageux, un « gouyat » en patois local, qui pourraient constituer un piège mortel pour les cavaliers, s'il réussissait à les obliger à s'y engager. Et au-dessus de ces prés, le hameau du Mollard, situé comme son nom l'indique sur une petite éminence derrière laquelle les soldats pourraient se cacher. L'armée catholique n'est pas encore en vue, alors François de Châtillon met son idée à exécution. Sa troupe se compose d'environ 600 hommes, cavaliers et fantassins. L'armée catholique quant à elle compte plus de 1000 hommes, chevau-légers en tête, suivis des fantassins et des cavaliers.

 

Le Gouyat, site de la bataille de Vire-Cul

 

Le plan réussit parfaitement. Dès que les catholiques sont en vue, la troupe protestante surgit de derrière la colline et dévale la côte en braillant. L'escouade des redoutables chevau-légers bifurque dans leur direction, et s'engage dans les prés marécageux. C'est le crépuscule, il ne fait plus très clair, ils n'ont pas vu le piège. Les chevaux s'embourbent, ne parviennent plus à avancer, et offrent des cibles faciles. Les protestants, qui ont déployé leurs arquebusiers à cheval, n'ont aucun mal à décimer la troupe des chevau-légers. Forts de leur victoire, ils se regroupent et remontent en direction des fantassins. Mais ceux-ci ne sont que des braves paysans, enrôlés de force dans l'armée catholique. Armés seulement de piques, ils n'ont aucune envie de s'opposer à des arquebusiers, à pied ou à cheval. Ils déguerpissent et s'égayent dans la campagne. Les protestants se heurtent maintenant aux cavaliers catholiques. Plus aguerris, ceux-ci parviennent à les repousser, mais il fait de plus en plus sombre et ils ne réussissent pas à prendre l'avantage. Les protestants en profitent pour s'éclipser.

Ce combat, considéré comme une victoire des protestants, fera beaucoup parler de lui. Mandelot qui n'a pas que des amis, même dans le camp catholique, est vivement critiqué, et ses adversaires nommeront par dérision « vire-cul » cette bataille qui s'est soldée par la désertion de chacun des deux camps.

 

Maison ancienne du hameau du Mollard

 

Poursuivant toujours sur l'ancienne voie romaine montant vers le col de Pavezin, nous atteignons le hameau du Mollard. Il est composé de vieilles bâtisses, datant du XVIe siècle pour les plus anciennes, dont une avec des pierres de granite d'une taille imposante. Une autre maison conserve au-dessus d'une fenêtre, murée aujourd'hui, un linteau de pierre blanche portant la date 1720.

 

Linteau de fenêtre au Mollard

 

Nous poursuivons par l'ancienne voie romaine, qui monte tout droit, franchit une route, et se poursuit en direction du col de Pavezin. Nous longeons le hameau de Grange Blanche, un toponyme typique révélant le passage d'une voie romaine. Les bornes miliaires en pierre blanche étaient souvent remployées dans les maçonneries des maisons, lesquelles devenaient donc Maison Blanche, Grange Blanche, etc. Cette voie-là offre la particularité d'être abritée par un mur côté aval, ainsi depuis la vallée il était impossible de voir ce qui  passait par la route. Nous ne monterons pas jusqu'au col de Pavezin puisqu'il nous faut bien rentrer à Chuyer. Un chemin rapide nous y conduit. À l'orée du village se dresse la Croix du Coq, ainsi nommée parce qu'un coq minuscule en orne la pointe sommitale.

 

La Croix du Coq

 

Certains qui sont un peu fatigués on préféré écourter la balade et rentrer directement lorsque nous avons croisé la route. Nous les retrouvons à Chuyer, tranquillement assis sur un banc. Finalement le soleil brille généreusement en cette fin d'après-midi. C'était une bien belle balade, vivement l'année prochaine !



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