Un Coin Sympa
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Patrick Berlier |
2008 |
Pour cette nouvelle édition de notre rubrique, nous allons quitter
la région de Pélussin qui nous avait accueillis précédemment,
et diriger nos pas vers un autre secteur du Pilat, situé à
mi-distance entre les communes de Planfoy et Saint-Genest-Malifaux. Nous allons
parcourir de vieux chemins muletiers ou d’anciennes routes de diligences,
et revivre un passé, pas si lointain, dont la toponymie a gardé
le souvenir. Nous vous proposons donc aujourd’hui :
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UNE FLÂNERIE
AUTOUR DE LA CROIX DU TRÈVE
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Situé sur la D 501 entre Planfoy et Saint-Genest-Malifaux, à l’embranchement de la D 33 qui se dirige sur La Ricamarie, le carrefour de la Croix du Trève est bien connu des Stéphanois, qui dès les premiers beaux jours viennent volontiers pique-niquer à l’orée des forêts qui l’entourent, d’un côté le Bois de la Neyranche et de l’autre le Bois Farost. Ceux qui s’installent ainsi dans des chaises longues, ou autour d’une table de camping, en regardant passer les nombreuses voitures empruntant ces axes, voient bien qu’une croix de bois monumentale trône au milieu du carrefour, sur un terre-plein triangulaire qui — chose curieuse de nos jours — n’a pas encore été aménagé en rond-point. Mais savent-ils que ce nom « Trève », tiré du latin tri vium, désigne précisément un embranchement de trois voies ? Pas sûr, car ce nom est aujourd’hui accommodé à toutes les sauces, devenant au gré des cartes ou des panneaux routiers, tantôt la Croix de Trêve, de Trèves, du Treyve, etc… ![]() Jeu d’ombres
et de lumières dans le Bois de la Neyranche
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En réalité, si aujourd’hui ce lieu est toujours un embranchement de trois routes, ces routes-là ne sont pas les trois voies dont le carrefour a donné naissance au toponyme Croix du Trève, lequel Trivium était déjà signalé sur un registre en l’an 1423. Les voies anciennes existent encore pourtant, chemins muletiers jadis, elles sont devenues des sentiers de randonnée. Côté nord-ouest, un faisceau de chemins montait depuis Saint-Étienne ou la vallée de l’Ondaine, convergeant en un seul chemin muletier pour se diriger sur le Trève. Là il se subdivisait en deux directions : côté sud-est vers Bourg-Argental, par la République, côté sud vers Saint-Genest-Malifaux.
Puis les diligences ont remplacé les convois de mulets, il a
fallu tracer des routes plus larges. Ainsi est né vers 1830 l’axe
routier devenu aujourd’hui la Nationale 82, la « Route bleue »
de Paris à la Méditerranée, traversant le Pilat entre
Saint-Étienne et Bourg-Argental, en franchissant le col du Grand Bois
ou de la République (voir en Archives, rubrique « Balade »,
l’article « les mystères du Grand Bois »). La République,
d’ailleurs, pourrait bien n’être qu’une déformation de «
l’arrêt public » des diligences sur cette route, toujours respecté
aujourd’hui par les autocars reliant Saint-Étienne à Annonay…
Pour desservir Saint-Genest-Malifaux et les plateaux de Marlhes ou Jonzieux,
les diligences empruntaient à partir de Bicêtre, au sud de Planfoy,
une route que la D 501 actuelle remplace par un tracé ne suivant pas
toujours la route d’alors, laquelle est devenue une agréable piste
forestière, bien connue des amateurs de champignons.
![]() Promeneurs insouciants sur la route de Saint-Genest, hiver
1907
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LA CROIX DE PAUZOUX
Quittons la Croix du Trève par le chemin du nord-ouest, agréable
sentier en sous-bois, bien tracé et presque rectiligne. 1 km plus
loin nous voici devant une humble croix de bois, à l’embranchement
de deux chemins. C’est une croix récente, réalisée et
mise en place par quelques bonnes volontés. La croix ancestrale était
aussi en bois, mais fragilisée par un pied moussu et vermoulu elle
a fini par s’effondrer, sous l’action du vent ou des hommes, on ne sait trop.
![]() La Croix de
Pauzoux actuelle
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Voici que sort du sous-bois notre ami Rémy Robert, en promenade
avec femme et enfants. Sa tendre épouse est native du coin, lui-même
aurait eu des ancêtres dans le secteur, en connaisseur il nous raconte
la petite histoire de la Croix de Pauzoux… « Mon beau-père
habite La Palle (un hameau tout proche, 800 m au nord-ouest, à la
lisière du bois) ; grand amoureux de l'histoire locale, il avait l'habitude
de se promener avec ma fille aînée Alice dans les bois. Leurs
lieux privilégiés étaient la Font du Loup, le pierre
Bégusieux, la Font Ria et surtout la Croix de Pauzoux que ma fille
alors âgée de 4 ans nommait Pouzoux. Elle avait un intérêt
tout particulier pour ce lieu. Mais en 2005 quelle ne fut pas sa déception
d'apprendre que quelqu'un ou quelque chose avait enlevé cette croix
! Plus de Pouzoux ! En vacances chez son grand-père pour l'Ascension
2005, ils décidèrent de construire une vulgaire croix de branchage
afin que ce lieu ne disparaisse pas des mémoires. Celle-ci perdurera
jusqu'en mars 2006 où un certain Jean-Paul Jourgeon, régisseur
de la famille Rolland de Pleney, a fabriqué et placé une nouvelle
et solide croix de bois à Pauzoux. Mais cette histoire de disparition
me travaillait. Ainsi pour les vacances de Pâques 2006 alors que j'étais
sur place en promenade, j'ai été pris d'un étrange élan
me conduisant directement de l'autre coté du chemin dans le contrebas
en face de la croix. À quelques dizaines de mètres (quand
même !) je retrouvai l'ancienne croix dans les ronces. Belle découverte,
mais devenue inutile puisque une nouvelle croix avait déjà
pris place. J'ai donc charrié cette croix jusqu'à la Palle,
ce qui fut assez facile mais cette démarche, la croix sur l’épaule,
m'a rappelé une autre histoire, vieille de 2000 ans… Nous l'avons
donc réemployée au grand bonheur de mes enfants et elle est
devenue la Croix de la Palle. »
La croix ancienne
retrouvée
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Rémy nous fait observer que Pauzoux est un patronyme que l’on rencontrait
dans le secteur au XVIIe siècle. Il viendrait de Piosou, « petite
puce », un mot bien connu des Stéphanois pour désigner
le plus petit des enfants d’une famille, ou quelqu’un de petite taille. La
croix initiale était peut-être le résultat d’un vœu d’une
personne ainsi nommée. Mais des promeneurs savants nous donnent une
autre explication : ici se rassemblaient les chemins montant des vallées,
ici aussi se terminaient les rudes côtes permettant de se hisser sur
ce plateau à plus de mille mètres d’altitude. Quoi de plus
normal donc, que les équipages marquassent une pause sur ce replat,
d’où le nom de Pauzoux, hérité du patois local, donné
au lieu où ils prenaient ce repos mérité. Après
tout, notre « Piosou » aussi s’arrêtait peut-être
ici pour souffler… Par le chemin de gauche nous pourrions rejoindre La Ricamarie,
par celui de droite Saint-Étienne. Mais revenons au Trève.
Rémy Robert nous montre fièrement la vieille
Croix de Pauzoux restaurée et réemployée
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LA PIERRE BÉGUSIEUX
Nous prenons cette fois la piste qui se dirige vers Planfoy, que nous
quittons rapidement par un sentier plein nord. Celui-ci oblique ensuite sur
la gauche, et grimpe vers le sommet de la colline, à 1098 m d’altitude.
Là une grande pierre marque ce point culminant, roche plus ou moins
parallélépipédique qui sert aussi de limite de parcelles.
C’est la Pierre Bégusieux, et la terminaison en ieux du nom trahit
une probable origine gallo-romaine, ce devait être le domaine d’un
nommé Begusius. Seulement nous sommes ici dans le royaume des croyances
populaires. « C’est un dolmen couché », affirment des promeneurs
rencontrés au coin du bois… Sauf qu’on ne comprend pas très
bien comment cette pierre pourrait former un dolmen si elle était «
debout ». D’autant qu’elle est naturelle cette roche, elle émerge
du sol, simplement. Mais les explications scientifiques des géologues
sont balayées par un argument imparable : « vous voyez cette
tranchée, qui part du rocher et se dirige, toute droite, vers le tréfonds
des bois ? Eh bien c’est la trace laissée par la pierre lorsqu’un
géant la traîna sur le sol pour venir la planter ici ! »
La tranchée n’est qu’un modeste layon limite de parcelle, mais il
est trop banal, on l’a passé par la moulinette de l’imaginaire collectif.
Alors c’est en rêvant au géant Bégusius, de type gargantuesque
sans doute, qui aurait hanté les lieux, que nous revenons vers le
carrefour…
![]() La Pierre
Bégusieux
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LA TOURBIÈRE DES VERNELS
Nous reprenons l’ancien chemin muletier, cette fois celui qui se dirige
vers le sud-est, sur la République. 800 m plus loin nous sortons du
bois pour aborder, au terme d’une large courbe, la tourbière des Vernels.
Une tourbière est un milieu naturel très particulier. C’était
à l’origine un petit lac, qui a été colonisé
par des plantes spécifiques, des sphaignes en particulier, capables
de « pomper » des quantités d’eau phénoménales.
L’humidité empêchant les végétaux morts de se
décomposer, ceux-ci forment au fil du temps une épaisse couche
de tourbe qui peu à peu comblera le lac, et sur laquelle se développeront
d’autres végétaux typiques, tels que les droséras, plantes
dites « carnivores », et des linaigrettes aux délicats
plumets cotonneux. La tourbière des Vernels bénéficie
de panneaux didactiques, mis en place par le Parc Naturel Régional
du Pilat, rappelant les conditions de vie de cet environnement étrange.
C’est un lieu calme, propice au repos, et avec beaucoup de patience vous apercevrez
peut-être quelques uns des habitants typiques de ce milieu : une vipère
péliade se chauffant au soleil sur une butte sèche, un lézard
vivipare, une cordulie arctique, libellule noire que l’on trouve plus habituellement
dans les pays froids mais qui s’est adaptée aux tourbières
de nos régions.
![]() ![]() Droséra
et linaigrette, deux fleurs communes des tourbières
![]() |
Revenir à la « civilisation » des pique-niqueurs qui s’agglutinent
autour du carrefour du Trève, après cette immersion hors du
temps, serait trop brutal… Aussi nous allons poursuivre sur le même
sentier, passer devant la belle ferme de Bel-Air, typique des hauts plateaux,
prendre à droite le chemin traversant le hameau d’Épagne, en
admirant au passage ce tilleul qui a « posé ses fesses »
sur un rocher bordant le chemin. Nous continuons tout droit pour déboucher,
après avoir traversé le bien nommé Bois Rond (devenu
Boirond sur les cartes…), en vue d’un étang allongé et selon
toute évidence artificiel.
![]() Le chemin
muletier à Bel-Air
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LES GLACIÈRES
Un coup d’œil à la carte, nous sommes aux Glacières. Au début
du XXe siècle, et jusque dans les années 1920, la glace qui
se formait sur les étangs en hiver était découpée,
débitée en pains, entreposée dans des abris en pierre,
où elle se conservait jusqu’à l’été. Elle était
alors livrée à Saint-Étienne, destinée aux cafetiers,
hôpitaux, etc. Puis cette activité sera couplée avec
celle de la production laitière, mise en place sur les hauts plateaux
par le baron Louis Courbon et la famille Courbon-Lafaye. La laiterie coopérative
des Glacières organise la distribution du lait dans le bassin stéphanois,
abandonnant le site des Glacières, dont elle ne gardera que le nom,
pour ouvrir dans les années cinquante la Laiterie des Glacières
à Saint-Étienne. En 1964, cette coopérative se fond,
avec d’autres laiteries de la région Rhône-Alpes, dans une société
fabricant des produits laitiers nés de la fusion de Yola et Coplait,
les marques précédemment exploitées, désormais
commercialisés sous une marque bien connue : Yoplait.
![]() Le lac des
glacières, vers 1920
Après cette évocation de l’histoire économique
des Glacières, c’est avec un certain goût de yaourt dans la
bouche que nous quittons les lieux pour rejoindre la D 501, que nous ne ferons
que traverser pour poursuivre par la petite route en face.
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LE CHÂTEAU DE PÉRUSEL
Dans la montée, la vue se dégage à droite sur un beau
manoir, qui avec ses tours coiffées de toits pointus semble sorti
tout droit d’un conte de fées. Inspiré des châteaux de
la Loire, mais de bien plus modestes dimensions, voici le château de
Pérusel. Il ne date que de 1858, et a été construit par
la famille Courbon, qui l’occupa jusque dans les années 1930. Le nom
Pérusel indique semble-t-il un lieu où abondaient les poiriers
sauvages. Le château s’élève sur un terre-plein joliment
exposé, adossé à la colline qui le protège du
vent du nord. On dit que c’est l’épouse du baron Courbon qui, de la
pointe de son ombrelle, dessina le tracé du futur château sur
le sol. C’est aujourd’hui un centre médico-social pour enfants.
![]() Une vue aérienne du château de Pérusel,
vers 1930
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Nous passons
entre le château et sa ferme, et poursuivons par un chemin qui rejoint
l’ancienne route de Saint-Genest-Malifaux. Par la gauche nous pourrions atteindre
rapidement la Croix Verte et son aire de pique-nique, puis Magnoloux, qui
offre une si belle vue sur le Mézenc et autres montagnes du Velay
ou du Vivarais. Mais nous allons tourner à droite pour revenir à
la Croix du Trève, par cette belle piste forestière, puis par
un sentier parallèle à la route départementale, mais
curieusement absent sur la carte… Nous sommes dans le Bois Farost, un nom
que le poète local Louis Jacquemin assimilait aux pharaons d’Égypte,
et où il situait une bataille légendaire menée par
Hercule et ses soldats gaulois. Au-delà de la vision poétique
se cache sans doute le souvenir d’un combat antique, sur lequel Regards
du Pilat reviendra un jour par sa rubrique « les guerres du Pilat
». Le même poète aimait à vanter les charmes de
la Font-Ria, une source sacrée toute proche du carrefour, sur laquelle
nous nous sommes déjà longuement penchés naguère.
Vous retrouverez en Archives, rubrique « Histoires d’eaux »,
l’article « La Font-Ria, ou l’énigme des sources qui parlent
».
Pour l’heure une belle pile de troncs d’arbres
équarris, séchant au soleil, semble nous tendre les bras et
nous inviter au repos. À bientôt pour un autre coin sympa !
![]() L’heure de la sieste !
Patrick Berlier
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