Le Dossier de Juillet 2008







Par notre ami
Patrick
Berlier






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     Au cœur du Pilat se cache un petit village paisible et pittoresque, qui a su garder son charme par des restaurations intelligentes. On le découvre en remontant la vallée du Dorlay depuis la Grand-Croix, par Saint-Paul-en-Jarez et la Terrasse-sur-Dorlay. On arrive alors au creux d’une combe encaissée où se rejoignent deux torrents dévalant des montagnes. Ici le temps paraît s’être arrêté, les maisons qui s’agrippent aux coteaux abrupts ont conservé leur cachet d’antan, elles semblent être surveillées par une haute tour carrée crénelée, qui intrigue les visiteurs autant que la boulangerie où un pain savoureux se cuit encore à l’ancienne, au feu de bois. Bienvenue à Doizieu, dont le calme d’aujourd’hui cache un passé particulièrement tourmenté. En digne descendant des Berlier établis ici depuis le Moyen-Âge, je serai votre guide averti. Suivez-moi par les ruelles escarpées pour en découvrir tous les vestiges chargés d’histoire.



UNE POSITION STRATÉGIQUE

La première mention de Doizieu remonte à l’an 812, sous le nom de Doaciaco. Il est aisé de reconnaître dans ce nom celui d’un domaine (suffixe –acum = domaine de) ayant appartenu à un gallo-romain nommé Duatius. Ce patronyme est lui-même formé sur une vieille racine celtique ayant donné le latin dux et le vieux français doit, désignant en hydronymie un « conducteur », c’est-à-dire un canal, un bief d’alimentation. À l’époque gallo-romaine, sur le site de Doizieu devaient déjà être implantées un certain nombre de meuneries ou scieries actionnées par la force motrice de l’eau. De même, le nom Dorlay est lui aussi composé à partir d’une vieille racine celtique Dor- qui a donné bon nombre de noms de rivières en France et en Europe. Mais le lieu constituait surtout un carrefour où s’embranchaient plusieurs voies antiques. L’une allait en direction de Pélussin par le Collet de Doizieu, une autre montait vers le Col du Planil, franchissait à gué le Gier un peu en dessous de sa cascade, et se dirigeait vers le Vivarais par la Croix de Chaubouret. L’alternance de cols et de gués est la caractéristique classique d’une voie romaine, ainsi qu’il est expliqué dans notre dossier « Pilat Romain », consultable en rubrique Archives. Une troisième voie antique se dirigeait vers la grande route de Saint-Chamond à Pélussin et Condrieu, au niveau de la Terrasse, et la dernière grimpait vers la montagne pour franchir le Pilat quelque part entre la Perdrix et l’Œillon et se diriger ensuite vers la vallée du Rhône par Maclas. De ce passé ancien, il ne reste que très peu de vestiges, en particulier rien qui permette d’affirmer l’existence d’un habitat gallo-romain à ce carrefour.




L’arrivée très étroite sur Doizieu par la route de la Terrasse, ancienne voie romaine

(Carte postale début du XXe siècle)


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Le document de l’an 812 est conservé à la Bibliothèque Nationale. Il s’agit d’une transaction concernant une église située « 
sur la côte de Doizieu », probablement l’église de Saint-Just. Position stratégique à l’époque romaine, Doizieu conserva naturellement ce rôle dès le haut Moyen-Âge. La région était alors sous l’autorité des comtes de Lyon, qui en ces temps-là commençaient à se faire appeler comtes de Forez. C’est à cette époque que s’éleva un différend entre les comtes et les archevêques, les premiers contestant l’autorité des seconds dans le domaine du temporel. La controverse finit par dégénérer en lutte armée, les comtes ignorants de l’issue du conflit se réservant la possibilité de se retirer sur la partie occidentale de leurs terres. C’est ainsi que naquit le comté de Forez, d’abord purement virtuel, ne prenant consistance que lors du traité de Tassin en 1173, signé entre Guy II de Forez et l’archevêque de Lyon. Par cet acte, qui n’était pas autre chose qu’un contrat de vente, Guy II cédait une partie de ses terres à l’Église. Discuté parcelle par parcelle, le traité aboutit à des situations curieuses : c’est ainsi que le village de Doizieu, littéralement pris en otage, se retrouva coupé en deux, une partie restant aux mains du comte de Forez, l’autre passant dans l’escarcelle de l’Église de Lyon. Situation complexe, car le Lyonnais appartenait alors au Saint Empire romain germanique, et le Forez était une terre féodale alliée du roi de France. Non content d’être partagé entre deux comtés, Doizieu se retrouvait divisé entre deux états ! La situation est parfaitement résumée par le Dictionnaire Topographique du Forez qui signale que le village dépendait de deux mandements : « Celui de Doizieu appartenant au chapitre de Lyon, et celui des Farnanches à la famille de Lavieu. Ils étaient tous deux pourvus d’un château fort. » L’ensemble de la paroisse restait cependant sous le pouvoir spirituel du diocèse de Lyon : deux châteaux forts, mais une seule église !






Plan ancien de Doizieu


À la recherche des châteaux perdus

Pour établir l’histoire féodale de Doizieu et reconstituer la liste des seigneurs qui s’y sont succédés, il convient donc de distinguer les deux châteaux. Du côté forézien des Farnanches, les Lavieu formèrent plusieurs générations de seigneurs. Du côté lyonnais de Doizieu, se succédèrent les Guidon de Laire et les Mitte de Chevrières. En 1597 les deux seigneuries furent finalement réunies en une seule, Jacques Mitte de Chevrières ayant acheté les Farnanches pour 3000 écus d’or. En 1768, ses descendants vendirent la seigneurie de Doizieu au marquis de Mondragon. De ce château il subsiste une belle tour carrée, du début du XIVème siècle, qui domine toujours le village. Ancien donjon, ou plutôt tour-réduit, plus récemment elle servit longtemps de mairie, avant que la municipalité ne l’abandonne au profit d’un bâtiment plus vaste et plus fonctionnel, sur la place centrale du village. Du corps principal du château de Doizieu, il ne reste rien. Son existence et sa situation ne nous sont connues que par un plan géométral levé en 1775, conservé en mairie. Il s’élevait à l’emplacement de deux terrasses, aujourd’hui occupées par un chenil et un jardin, à côté de la tour. Le plan représente à cet endroit un bâtiment en L portant sur la légende l’appellation « masures du château du seigneur de Doizieu ou Delaire. » On ignore tout de son aspect. Ses pierres furent sans doute récupérées pour être réutilisées ailleurs.




Détail du plan : le n° 36 correspond à la tour, le n° 37 aux « masures » du château de Doizieu



Emplacement du château (1 – en clair) et la tour (2)



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La tour aujourd’hui désaffectée est l’objet de plusieurs projets de réhabilitation, visant à lui redonner son aspect primitif. Les « créneaux d’opérette » qui la couronnent ne sont évidemment pas d’origine. Une discussion s’élève pour savoir si on doit reconstituer ce donjon avec des créneaux, ou simplement coiffé d’un toit. Le Forez pittoresque et monumental, ouvrage de référence de Félix Thiollier, donne cette précision importante : « à l’étage supérieur… les quatre ouvertures jadis carrées, servant à passer sur les hourds, ont été converties en fenêtres plein cintre modernes. » Apparemment, le donjon ne possédait donc pas de créneaux, mais seulement une ouverture sur chaque face pour passer sur les hourds. Comme l’explique Eugène Viollet le Duc (1), le hourd « est un ouvrage en bois, dressé au sommet des courtines ou des tours, destiné à recevoir des défenseurs, surplombant le pied de la maçonnerie et donnant un flanquement plus étendu, une saillie très favorable à la défense. » Les hourds étaient faciles à mettre en place en quelques heures en cas de troubles, et démontables tout aussi rapidement une fois le calme revenu. On peut en voir encore à Carcassonne, en particulier. Généralement, les tours destinées à être équipées de hourds étaient coiffées d’un toit, les toits des hourds en constituant le prolongement.




Un exemple de hourd sur une petite tour carrée :

Le donjon de Doizieu devait offrir à-peu-près cet aspect



Les hourds réclamaient que soient aménagés des trous dans la maçonnerie, destinées à y insérer les poutres porteuses. À Doizieu, presque tous les trous de hourds ont été rebouchés, mais il en subsiste encore quelques uns, qu’un un œil exercé peut remarquer, au même niveau que de la base des meurtrières du haut. Car la tour conserve toujours, sur ses quatre faces, les étroites archères qui assuraient sa défense. Les élégantes fenêtres à baies géminées ont par contre été percées postérieurement. Côté sud-est, au levant, on observe que si la meurtrière du haut est bien au centre de la face, les deux situées en dessous sont déportées vers la droite, leur axe de tir s’en trouvant dès lors décalé. En fait, le donjon se trouvait dans le prolongement du château proprement dit. Ainsi ces meurtrières avaient-elles été décalées pour s’écarter de la masse du château et en même temps protéger sa façade. Les portes actuelles de la tour sont récentes, mais on remarque encore la petite porte d’entrée d’origine, de forme ogivale, placée à une certaine hauteur et décentrée. Le plan de 1775 montre que le château n’était pas accolé au donjon, on devait accéder de l’un à l’autre par une passerelle amovible, au niveau de cette porte. Une fois la passerelle retirée, le donjon protégé par ses hourds devenait quasiment imprenable. Sur la face nord-ouest, au couchant, on remarque une autre ouverture décentrée, au niveau du deuxième étage, qui était peut-être une porte ouvrant sur le chemin de ronde des remparts. L’observation attentive, alliée à la logique, permet d’envisager ces éventualités.





Quelques détails significatifs du donjon de Doizieu

1 : anciennes ouvertures servant à passer sur les hourds

2 : meurtrières

3 : trou de hourd

4 : meurtrières décentrées

5 : ancienne porte d’entrée, accessible par une passerelle depuis le château

6 : ancienne porte donnant sans doute sur le chemin de ronde

7 : baies géminées ouvertes postérieurement




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L’emplacement du château des Farnanches semble encore plus incertain pour la plupart des historiens, qui le situent très vaguement « de l’autre côté du Dorlay. » Il n’en est rien en réalité, le plan de 1775 positionne précisément deux bâtiments de Doizieu, une grange et une maison, édifiées « sur les masures du château des Farnanches. » De la grange il ne reste que quelques murs et le portail, mais la maison existe toujours, c’est la plus élevée de Doizieu, tout en haut du raide chemin du Fressonnet. Elle est facilement repérable car elle est peinte en blanc, et elle a conservé une allure massive, soulignée par sa façade quasiment aveugle. On se rend compte que les deux châteaux étaient en vérité à une portée d’arbalète l’un de l’autre !




Détail du plan ancien : les n° 15 et 17 correspondent à l’ancien château des Farnanches


Le donjon et le village vus de l’ancien château des Farnanches


Malgré la double nationalité, plus théorique que réelle, la vie quotidienne ne devait pas offrir beaucoup de différences entre les habitants foréziens ou lyonnais. La cité était alors entièrement confinée entre la rivière et la colline contre laquelle elle s’adossait. Du côté de la rivière il existait sans doute une ligne de remparts, entourant l’ensemble du village. Difficile d’en tracer les contours, le temps a fait son œuvre. On peut imaginer que la muraille allait du donjon, côté Doizieu, à cette maison, côté Farnanches, posée sur des rochers et formant une avancée surplombant le Dorlay. Ce bâtiment, où des créneaux semblent encore visibles, peut être imaginé comme une sorte de barbacane, un poste avancé et fortifié. De là, le rempart devait remonter en direction du château des Farnanches. Quant à la porte, elle se situait sans nul doute près de la rivière : en en devine encore l’emplacement, entre la rue du Moulin et la place de la Platière, où une courte voie en pente, formant aujourd’hui encore le seul accès au vieux village de ce côté-là, se subdivise en deux ruelles, la rue de la Tour à gauche et la montée de la Pichelière à droite.




Panorama de Doizieu et ses points importants

1 : emplacement du château de Doizieu

2 : donjon

3 : emplacement de la porte

4 : ancienne barbacane

5 : bâtiment sur l’emplacement du château des Farnanches

6 : soubassements de la maison forte de Jean Pierrefort


Emplacement de la porte, toujours entrée du village ancien

Enfin il faut noter que le plan de 1775 signale également qu’un bâtiment fut jadis la maison forte de Jean Pierrefort, lieutenant et juge de la juridiction de Doizieu. Cette maison était bâtie de l’autre côté du Dorlay, sur le coteau opposé au village, au bord de la route de Saint-Just. Mais on ignore à quelle époque elle remonte. Il n’en reste aujourd’hui que les soubassements.


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LA DESCRIPTION DE JEAN DU CHOUL

Publié en 1555, le livre de Jean du Choul constitue la toute première description du Pilat, bien que très partielle. Partant de sa maison de Longes, l’auteur montait sur les crêtes, allant jusqu’au Bessat et même s’aventurant dans le Grand Bois, et rentrait par Doizieu, la Croix du Mazet et Sainte-Croix-en-Jarez. S’il ne dit rien sur cette dernière étape, il est par contre fort bavard sur Doizieu et ses habitants, qu’il décrit avec une pointe d’humour caustique.

Les eaux de la Doyse baignent le pied de cette montagne boisée. Ce ruisseau, grossi par ses affluents, se jette dans le Rhône, après avoir réuni ses eaux à celles du Gier. Quand la Doyse est enflée par la fonte des neiges, elle mugit en descendant du Pilat, et s’élance comme un torrent furieux, en inondant ça et là les campagnes.

Les habitants les plus rapprochés de ces forêts sont ceux de Doyzieux. Ce village tire son nom des eaux qui baignent ses murs. Ces montagnards sont remarquables par leur esprit religieux et par la pénurie de leurs ressources ; mais la pauvreté, chez eux, n’est pas un déshonneur ; de là vient leur âpreté au gain et leur parcimonie dans la dépense. Ces vastes forêts leur offrent de grandes ressources. Au lieu de rester inoccupés, ils confectionnent des ustensiles en bois que leurs enfants vont vendre à la ville. Le manque de blé et d’argent les force à être laborieux.

Quant à la nourriture de ces paysans, les plus pauvres vivent principalement de fruits ; ils touchent rarement à leurs troupeaux ; mais on les dit moins sobres à la table d’autrui.

Les jours de fêtes, après les saints offices, ils ont coutume, suivant l’usage de leurs ancêtres, de s’inviter mutuellement à dîner ; puis, après le repas, de s’amuser à divers jeux, à la danse et à la lutte.

Ces campagnards portent toujours le même habit, pour se défendre des chaleurs de l’été ou des rigueurs de l’hiver. Leurs souliers sont garnis d’une centaine de clous, pour ne pas s’user facilement ; mais, à vrai dire, leur esprit est moins grossier que leur vêtement.

Les femmes ont des formes assez belles. Elles aiment à chanter dans les bois, à sauter en se tenant par la main et, suivant la coutume du pays, elles savent aussi danser au son de la voix et du chalumeau, en portant les mains et les pieds en avant ; toute leur danse est très animée.

(Traduction d’Étienne Mulsant)

Jean du Choul est sans doute le seul à donner au Dorlay le nom de Doyse. En ancien français, dois ou doiz désigne une conduite d’eau, le mot vient du latin ductum. On se rend compte que cette Doyse n’est qu’une variante mâtinée de latin de l’hydronyme celtique Dor déjà évoqué.


LÉGENDES ET CURIOSITÉS

On ne peut pas parler de Doizieu sans évoquer la terrible légende de la Roche du Suaire, escarpement rocheux à pic faisant face au village, de l’autre côté du Dorlay, près du confluent avec le ruisseau de la Frachure. L’histoire se passe à l’époque où commence la croisade contre les Albigeois, c’est-à-dire au début du XIIIème siècle. Le seigneur de Doizieu, un nommé Roger Plantevelu, décide d’y participer, sans doute croyant y sauver son âme. Il part avec son host, ne laissant au château que quelques domestiques, un écuyer, le chapelain, et surtout sa fille Blanche, promise au fringant Renaud de Malleval. Il la place ainsi que son fief sous la protection du sire de Saint-Paul, le seigneur des Farnanches. Mauvaise idée, car le sire que l’on peut qualifier de triste a bien caché son jeu. Roger n’est pas encore arrivé en terre occitane, que Saint-Paul, profitant de sa position de protecteur désigné, prend possession du château de Doizieu, comptant bien aussi par la même occasion posséder la fille. Le chapelain s’interpose, offrant son corps en rempart, le sire des Farnanches le trucide sans état d’âme. Blanche se présente dès lors comme une proie facile, mais la damoiselle, qui paraissait si frêle, défend sa vertu avec tout le courage de son innocence, et le félon ne parvient point à ses fins. Saint-Paul se résout alors à se contenter du château, et il fait enfermer Blanche dans une geôle de bas étage.

Le temps passe… Un jour, un fidèle écuyer de Roger Plantevelu parvient à déjouer la surveillance des soldats des Farnanches, il va prévenir Renaud de Malleval. Le beau seigneur, comme le Prince charmant des contes de fées, vole au secours de sa belle. L’amour rend aveugle, et dans le cas présent inconscient, car le fougueux Renaud parti attaquer seul le donjon de Doizieu s’y retrouve piégé comme un débutant, et va lui aussi faire connaissance avec la paille humide des cachots. L’écuyer décide alors d’aller rejoindre son maître Roger dans le lointain pays des Cathares, priant Dieu de l’y retrouver avant qu’il ne soit trop tard. Dieu entend ses prières sans doute, car au bout de quelques jours de chevauchée son chemin croise celui de Roger. Le seigneur de Doizieu s’en revient de la croisade : à peine était-il arrivé en Occitanie qu’il a fait une mauvaise chute de cheval, et il se serait sans doute brisé les reins dans un ravin si un solide gaillard du crû, que la Providence avait placé là, ne l’avait retenu dans sa chute. Roger a pris cela comme un signe du Ciel, il a abandonné toute idée de croisade et il rentre avec son sauveur, qu’il a pris à son service. Lorsque son écuyer le rejoint c’est pour lui apprendre l’affligeante nouvelle.

Roger Plantevelu et son host franchissent à marches forcées la distance les séparant de Doizieu. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’armée d’occupation est défaite, Roger se fait reconnaître comme le seul maître des lieux, Blanche et Renaud sont libérés, et le traître est ligoté sur un cheval. Roger va lui appliquer le châtiment réservé aux félons. On bande les yeux de la monture, on la fait monter sur le coteau opposé, on la dirige vers la falaise, qui servira de Roche Tarpéienne… Un coup de fouet sur sa croupe et le cheval, entraînant le traître ligoté, chute dans le vide. L’homme et sa monture s’écrasent sur les rochers, l’animal est tué sur le coup, mais le sire des Farnanches agonisera pendant trois jours, le corps brisé emprisonné dans son armure. Une âme sensible finira par recouvrir sa dépouille d’un suaire de drap noir. Pendant ce temps Roger Plantevelu festoie avec sa fille retrouvée et son fiancé. Il n’oublie pas son sauveur, qui a pris une part ardente à la bataille. Il a décidé de l’installer sur ses terres, lui donnant en mariage pour l’occasion une suivante de sa fille. Dans son lointain pays, l’homme cultivait une plante comestible, la berle, il exerçait donc le métier de berlier. Ce nom deviendra son patronyme. C’est ainsi que les Berlier ont fait souche à Doizieu, en un lieu toujours nommé La Berlière. Ils ont depuis bien essaimé dans la région…




La légendaire Roche du Suaire


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Les légendes ne sont que ce qu’elles sont… Mais l’on ne peut s’empêcher de trouver bien curieux le nom du seigneur de Doizieu, seigneur imaginaire certes, mais la mémoire collective a peut-être renvoyé par ce nom quelque reflet d’un passé oublié. Plantevelu ne doit pas se comprendre « plante velue », il y aurait un E à la fin dans ce cas. « Plante » est à prendre comme la forme conjuguée du verbe planter, c’est un homme réputé pour « planter velu », c’est-à-dire engendrer des enfants poilus. Dès lors tout un relent de croyances relatives aux Mérovingiens refait surface… Les « rois velus », reconnaissables à leur forte pilosité… Mais c’est peut-être attacher trop d’importance à un personnage de conte de fées…

 Terre de légendes, Doizieu se distingue aussi par quelques originalités. Pendant des décennies, à l’époque où la mairie occupait l’ancien donjon, Doizieu offrit la particularité d’être la seule commune de France dont le cachet officiel ne représentait pas la République, mais un chirat (2) planté de sept pins, droits comme des cierges. L’image du chandelier à sept branches, la Ménorah, visible sur un vitrail pilatois (voir le dossier « un bien curieux vitrail à Véranne » en rubrique Archives), s’y décalquerait parfaitement… Sous le chirat de grosses pierres entassées apparaissait la mention « Le Mont Pila ». Sans T final… La commune finit par rentrer dans le rang, et adopta comme tout le monde le tampon républicain. L’ancien cachet est cependant précieusement conservé par la mairie, ce qui nous permet d’en montrer ici l’image, témoin d’un temps révolu.




Exemplaire de l’ancien cachet de la commune


Et puis promenons-nous dans le village… Au pied de la croix dont le socle sert également de fontaine, sur la place de la Platière, apparaissent des étoiles sculptées… et des croix basques, assez inattendues en ce lieu… Le plus étonnant, c’est que l’on retrouve la même croix basque sur un linteau de porte, récupération probable d’un ancien linteau de cheminée, au début de la ruelle montant vers la tour.



Les Croix basques


Socle de la croix
 


Linteau rue de la Tour


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L’ÉGLISE… ET SES CURÉS DÉMISSIONNAIRES

Le premier lieu de culte chrétien de Doizieu fut sans doute la chapelle du château. Une première église paroissiale fut construite apparemment au XVIème siècle, son abside a subsisté dans l’église actuelle qui date de 1804. Elle est dédiée à saint Laurent, dont on peut voir la statue sur le parvis. On récupéra pour l’occasion l’horloge de l’ancienne chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, qui avait cessé son activité peu de temps avant. Le mécanisme, mû par un système de contrepoids, possédait trois cloches d’inégales grosseurs, sonnant les quarts, les demies, et les heures. Puis au début du XXème siècle on la remplaça par une horloge plus moderne, avec des cadrans placés sur deux des faces du clocher. La commune de Sainte-Croix-en-Jarez réclama sa vieille horloge, mais en vain. Pendant longtemps, l’un des contrepoids, un cube en pierre, fut déposé sur le parvis, on pouvait y voir diverses inscriptions sur ses deux de ses faces.



Deux photos anciennes du contrepoids de l’horloge de Sainte-Croix-en-Jarez,

qui fut récupérée pour l’église de Doizieu puis abandonnée.

ci-dessus inscriptions 1631 A P


ci-dessus inscriptions I P - G V



La cure de la paroisse de Doizieu était installée dans un gros bâtiment proche de l’église. Curieusement, entre 1582 et 1700, plusieurs prêtres de Doizieu ont démissionné, remettant leur cure entre les mains de l’archevêque de Lyon dont ils dépendaient, à charge pour lui de désigner un successeur. Ces démissions furent enregistrées par des actes notariés, conservés aux Archives Départementales de la Loire. En 1631 par exemple, Messire Jean Clère, curé de Doizieu, se déclare résigné « à remettre purement et simplement entre les mains d’éminentissime et révérendissime Monseigneur Alphonse Louis Duplessis de Richelieu, Cardinal Archevêque de Lyon, patron et collateur de la cure dudit Doizieu, ou de son vicaire général, à savoir laditte cure ou église Parochialle dudit Doizieu avec ses annexes droits revenus appartenances et dépendances d’icelle .» Le curé ne précise pas les raisons de sa démission, se bornant à dire qu’il « ne peut plus vaquer comme il est dit à desservir laditte cure ou église paroissiale dudit Doizieu .» Selon une rumeur persistante, les curés de Doizieu logés dans une cure adossée à la colline, donc humide, tournée au nord, ne voyant jamais le soleil en hiver, jalousaient leurs collègues de la nouvelle paroisse de Saint-Just, installés dans une cure bien exposée et agréable à tous points de vue…




L’église de Doizieu aujourd’hui


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De la ferveur religieuse des Doizerains, notée par Jean du Choul, subsistent plusieurs croix. Sur la place de la Platière, une croix moderne a remplacé la haute croix de 1547, haute de quatre mètres, offerte par Louis de Laire, seigneur de Doizieu. On y voyait sur le croisillon, d’un côté un Christ nimbé et de l’autre la Vierge, et sur le fut plusieurs statuettes dont celles de Notre-Dame des Douleurs et de saint Laurent, patron de la paroisse. Encore visible sur les cartes postales du début du XXème siècle, cette croix, que l’on dit avoir été brisée par la manœuvre malheureuse d’un camion, a disparu. Une autre croix orne le chemin du cimetière, elle date de 1621 et on y retrouve le Christ, la Vierge et saint Laurent. On peut signaler aussi sur la route de la Terrasse, un peu avant le pont sur le Dorlay, la « croix de la quinarde », ainsi nommée parce qu’une femme y venait tous les jours pour pleurer son fils décédé (en patois quinarde = pleureuse). Sur le socle de cette croix on remarque une zone rectangulaire plus claire : c’est tout ce qu’il reste de l’affiche annonçant la mobilisation générale à la veille de la seconde guerre mondiale… à noter qu’un itinéraire pédestre balisé, au départ de Doizieu, permet de voir par une randonnée facile l’ensemble des croix intéressantes du secteur. Dépliant disponible en mairie.




Le donjon et la croix de 1547, au début du XXe siècle


NOTES

(1) L’architecte Eugène Viollet le Duc, qui restaura la cité de Carcassonne, est l’auteur du monumental Dictionnaire raisonné d’architecture médiévale, un ouvrage de référence d’une rare érudition, entièrement consultable sur Internet <ICI>.

(2) Pour les internautes étrangers à notre région, précisons qu’un « chirat » est un vaste éboulis de pierres remontant aux époques glaciaires. Les chirats sont caractéristiques du Pilat, ils se distinguent des éboulis d’autres régions par leur nature géologique, composée essentiellement de gneiss.



   Nous présentons de vives félicitations à Patrick pour avoir réalisé un Dossier à la fois copieux et inédit. Il est temps à présent de retrouver notre nouvel invité, l'audacieux Daniel Dugès.





      Daniel Dugès est un peu un touche-à-tout. Professeur d’arts plastiques, il se lance tout naturellement dans la peinture, très influencé par les surréalistes, et présente plusieurs expositions en diverses régions de France. Son goût pour les arts se développe aussi dans le domaine musical : il écrit de nombreuses chansons, enregistre trois disques, et se produit sur scène avec des amis musiciens pendant plus de vingt ans. Sportif, il goûte au golf, au pilotage d’ULM, mais surtout au tennis dont il deviendra professeur et joueur professionnel. Passionné par l’aventure cathare, en enfant du pays (il est natif de Montauban), il passe dans sa jeunesse toutes ses vacances sur les traces des Parfaits. Cela ne fait que renforcer son attrait pour le mystère. Aussi se passionnera-t-il pour l’affaire de Rennes-le-Château, lorsque le hasard l’amènera en 1989 sur la célèbre colline du Razès.
      Daniel Dugès se lance aussitôt, à son tour, dans la recherche du secret de l’abbé Saunière. En homme de terrain, il n’hésite pas à parcourir la région en tous sens, crapahutant pour en découvrir les moindres recoins cachés. Son goût pour l’enseignement le pousse à présenter de nombreuses conférences, et ses compétences professionnelles l’amènent à s’intéresser plus particulièrement aux liens entre Rennes-le-Château et Nicolas Poussin. Il publie le résultat de son travail dans une brochure,
Le secret de Nicolas Poussin, rééditée en 2006. Parallèlement, avec un œil averti de peintre percevant peut-être ce que le commun des mortels ne voit pas, il jette un regard neuf sur l’église de Rennes-le-Château, son décor, et entrevoit alors une vérité cachée… Mais il est temps de lui laisser la parole.







REGARDS DU PILAT : Bonjour Daniel. Demain est un autre jour, mais Bérenger Saunière aura marqué votre existence et « usé », ou encore consommé de vos cellules grises. Comment pouvez-vous expliquer l’engouement et son exceptionnelle massive attirance en comparaison à tant d’autres énigmes nationales ou encore internationales ?

DANIEL DUGES : Je pense qu’au départ il y a eu deux phénomènes, l’attrait du trésor et le goût pour le “caché” ,le mystère. Avec le temps, le trésor a perdu un peu de son aura, quoique certains le cherchent encore. En revanche le goût de l’homme pour le mystère est quelque chose d’éternel, c’est ce qui fait le fondement des religions. Comprendre l’incompréhensible est le paradoxe à l’origine de toute quête. Tous les gens fascinés par cette histoire, dans le monde entier, se retrouvent par leur goût naturel pour le mystère, entraînés dans le tourbillon de la découverte du secret. Il y a toujours eu des mystères fascinants, l’île de Pâques , le triangle des Bermudes, la construction des pyramides etc. Mais cette histoire ici est plus forte car elle révèle aujourd’hui une crise identitaire de notre société, puisqu’elle remet en question le Christianisme qui est la base de notre civilisation. A travers l’affaire de Rennes, et c’est ce qui a fait la force du Da Vinci Code, l’homme du vingt et unième siècle cherche à savoir qui il est, en revenant sur son histoire, sur celle de son art et en essayant de découvrir ce que l’on a pu ou voulu lui cacher.

REGARDS DU PILAT : Il n’existe pas « une » manière de s’impliquer dans l’affaire de «Rennes-le-Château ». Nicolas Poussin sera votre approche première, tout au moins une publication personnelle en 2006, pour aller au-devant du grand public. Aujourd’hui, comment pourriez-vous nous résumer l’importance de ce personnage dans l’énigme castelrennaise ?

DANIEL DUGES : Effectivement tous ceux qui sont entrés en recherche dans l’affaire de Rennes ont eu une accroche différente. Pour ma part ce fut Poussin, sans doute pour des raisons professionnelles, je ne voyais pas, à priori, pourquoi on mêlait ce peintre, assez austère de caractère, à cette histoire. J’ai appris à apprécier ce personnage en travaillant sur son œuvre, et sur sa vie. Le sérieux exemplaire dont le caractérisent ses contemporains fit qu’on l’appela après sa mort le “peintre philosophe”, il fallait donc prendre au sérieux son implication éventuelle dans l’affaire. Aujourd’hui on peut dire qu’il est le premier à laisser filtrer un peu du secret. Grâce aux “Bergers d’Arcadie” mais aussi à une grande partie de son œuvre nous entrevoyons une vérité diffuse, qu’il a su protéger, derrière le voile de l’art. Mais il est indispensable dans la recherche, car il est la caution du sérieux de l’entreprise. Sans sa présence, l’affaire de Rennes n’aurait pu rester, pour moi, que le dérapage d’un petit curé du XIXe. 

REGARDS DU PILAT : A la fin des années 1980, vous avez posé votre premier orteil sur la jolie colline du Razès, en tous les cas, la plus célèbre. Gérard de Sède et Henry Lincoln, en ces époques qui certes s’éloignent, ne peuvent vous avoir été indifférents. Avec ce recul, jugez-vous positives ou efficaces, les évolutions des hypothèses, les développements postérieurs aux travaux respectifs de ces deux personnages notoires que nous venons de vous citer ?

DANIEL DUGES : Il n’y aurait peut-être pas d’affaire de Rennes sans les livres de Gérard de Sède, même si nous savons aujourd’hui, dans quelles circonstances et sous quelles influences le premier livre a été écrit. Il a été l’élément déclencheur de l’enthousiasme pour ce petit village de l’Aude, et son livre “l’or de Rennes” est un élément fondamental que tout chercheur se doit d’avoir lu. On a beaucoup critiqué le travail de Gérard de Sède au fur et à mesure que des nouvelles hypothèses apparaissaient, pourtant à la relecture, on se rend compte qu’un certain nombre d’informations qu’il détenait, même quand il ne donnait pas ses sources, se sont avérées exactes. Dans son dernier ouvrage : “Le dossier, les impostures, les fantasmes, les hypothèses”, il remet en question une partie de ses travaux précédents et il touche de très prêt ce qui sera pour lui une hypothèse et qui devient dans mon dernier ouvrage, pour moi, une réalité. D’ailleurs je tenais à lui rendre hommage, car au milieu des hypothèses farfelues une partie des siennes, en particulier dans son dernier livre, nous paraissent maintenant bien solides. Quant à Henry Lincoln, il est avec “l’énigme sacrée” un des moments incontournables de cette affaire. Même en sachant aujourd’hui l’influence néfaste qu’a eu le pseudo “Prieuré de Sion” sur son travail, il a soulevé par ce livre les enthousiasmes et provoqué sans nul doute un grand nombre de vocation de chercheurs. Pour comprendre cette histoire il n’est pas nécessaire d’avoir lu beaucoup de livres, peut être moins d’une dizaine, ceux de Gérard de Sède et « l’Enigme sacrée » en font incontestablement partie. Après eux, les choses se sont précisées, soit par leur contestation, soit au contraire en contribuant à démontrer la justesse de certains détails, mais on peut dire qu’ils ont été les catalyseurs de l’aventure castelrennaise. Le bouillonnement culturel qu’a généré cette recherche a évidemment provoqué l’apparition de théories qui ne me paraissent pas solides ou peu crédibles, mais il n’y a pas de recherche sans fausses pistes, et on ne peut nier que la force de l’imagination créatrice préside souvent à l’élaboration des hypothèses. La seule chose que je déplore, dans le travail de certains chercheurs, est de passer plus de temps à démolir les hypothèses des autres qu’à apporter de vraies solutions. Ce n’est pas la peine de perdre du temps à dire ou à essayer de prouver que tel ou tel chercheur a dit une bêtise, d’abord parce que ces démonstrations sont souvent aussi ridicules que les hypothèses qu’elles prétendent démonter, mais aussi, parce que devant la progression des travaux, les idées erronées s’effondrent toutes seules, et la recherche continue.

REGARDS DU PILAT : Vous êtes l’un des quatre auteurs principaux de l’ABC de RLC, la première encyclopédie de Rennes-le-Château publiée au printemps dernier. Comment avez-vous été amené à travailler à ce projet, que lui avez-vous apporté, et que vous a apporté cette expérience ? 

DANIEL DUGES  : C’est Christian Doumergue que je connais depuis quelques années et avec qui s’est établie une relation d’amitié, qui travaillait déjà sur le projet et qui m’a présenté à Thierry Garnier. Celui-ci m’a intégré à l’équipe et m’a présenté à son tour à Patrick Berlier, avec qui j’ai rapidement sympathisé. Je suis surtout intervenu dans deux domaines : la géographie des lieux et des sites que je connais bien, pour les avoir parcourus pendant vingt ans, et la cryptographie qui est un domaine qui me passionne. Mais je suis loin d’avoir fait toutes les “entrées” dans ces domaines, d’ailleurs chacun de nous, s’il avait une couleur dominante dans ses responsabilités, a travaillé sur des entrées particulières dans lesquelles il s’avérait détenir plus de connaissances. Je crois qu’aucun d’entre nous n’aurait été capable de faire ce travail tout seul, l’ABC de RLC est le fruit de l’affrontement de nos connaissances et de nos spécialités. Sur beaucoup de sujets, nous étions d’accord, mais pas sur tous, il a fallu gratter, aller chercher les preuves et les références de ce que nous avancions avant de pouvoir les intégrer dans l’ABC. En cela je crois que chacun d’entre nous a appris des autres beaucoup de choses, et tout en écrivant l’ABC nous avons fait avancer la recherche en général, mais aussi nos propres connaissances, car la vérification de certains éléments nous a apporté bien des surprises. C’est pourquoi l’ABC n’est pas seulement un livre de compilation mais c’est aussi un ouvrage de recherche qui permettra à tout un chacun de faire un pas en avant dans la connaissance de cette histoire. Je voudrais ici rendre hommage à Thierry Garnier qui a su ménager les sensibilités, et organiser le travail de chacun de nous et nous  demander d’aller toujours plus loin au fond de nos ressources. Sans parler du travail de gestion des informations, car s’il y a quatre auteurs principaux, il y a en fait douze collaborateurs. Imaginez sur l’ensemble des sujets traités, la masse incroyable d’informations que notre homme a du orchestrer. Il fallait toute sa persévérance et son talent pour aller au bout de l’entreprise. Mais il y est arrivé le diable et avec ça nous, les auteurs, non seulement sommes toujours amis mais sans doute plus près que nous ne l’avons jamais été.

REGARDS DU PILAT : Après cette collaboration, et la publication de votre propre livre sur les liens entre Nicolas Poussin et Rennes-le-Château, il est clair que vous faites partie des spécialistes de ce mystère, ce que confirme votre engagement au sein de l’association Terre de Rhedae. Quelle est votre vision personnelle de l’énigme de Rennes-le-Château ?

DANIEL DUGES : Personnellement ayant abordé l’histoire par le biais de Nicolas Poussin je n’ai jamais été vraiment attiré par l’idée d’un trésor, même si trésor il y a ou si trésor il y eut. D’abord parce que l’idée d’un trésor ne me “branche” pas tellement, et surtout parce que l’attitude de Béranger Saunière ne m’a jamais paru être celle d’un inventeur de trésor. Assez rapidement je me suis orienté vers un secret qui aurait concerné le Razès, et en particulier d’un secret religieux. j’ai eu l’occasion d’avoir en main des documents privés qui se rapportaient à cette affaire et qui confirmaient l’hypothèse de ce secret, dont la région de Rennes-les-Bains aurait été l’épicentre. Ce que confirme le livre incontournable, mais difficile d’accès, de l’abbé Boudet. Mais les propriétaires de ces documents ne souhaitant pas qu’il soit fait de la publicité autour d’eux, je ne peux en parler plus. j’ai toujours essayé de traiter cette affaire en historien, c’est-à-dire de ne pas avoir d’idées préconçues. Si l’idée du trésor ne m’intéressait pas, je n’ai jamais exclu l’idée qu’il pouvait y en avoir un. Certains éléments me laissent à penser qu’il y a effectivement un dépôt d’objets anciens et précieux, mais auxquels l’abbé Saunière n’aurait jamais eut accès. En revanche toutes mes recherches me portent à penser qu’il y a un secret, dans le Razès, lié à la tombe de Marie Madeleine et à l’éventuel dépôt du corps du Christ. Je rejoins en cela les hypothèses de mon ami Christian Doumergue. Ceci dit, j’avance posément sans essayer de soutenir une hypothèse contre vents et marées, ce qui m’a amené parfois sinon à changer de cap mais du moins à nuancer mes pensées. ”Errare humanum est sed perseverare diabolicum est.” Certaines choses se sont décantées, aujourd’hui on peut envisager l’histoire d’une manière qu’il était impossible de soutenir dans les années soixante. Par exemple on sait maintenant que Bérenger Saunière n’est pas le centre de cette histoire et qu’il n’est pas un grand mystique qui réalise une église à sa démesure. On a découvert pas mal de choses sur lui qui le placent un peu au second rang. Lorsque je faisais mes premières conférences, il y a plus de quinze ans, et que je disais qu’il était probablement un “second couteau”, je voyais bien des visages se fermer comme si j’avais commis un sacrilège. L’approche de l’histoire évolue, on a vu apparaître quelques chercheurs consciencieux, et peu à peu quelques vérités se font jour.  







REGARDS DU PILAT : Vous venez de publier un nouveau livre sur ce sujet brûlant “Entre la rose et l’équerre”, avec une approche totalement nouvelle de l’affaire, fondée entre autres sur une lecture inédite de l’église de Rennes-le-Château. Pouvez-vous nous en dire plus et nous donner envie de lire cet ouvrage sûrement passionnant ?

     

DANIEL DUGES : Mes recherches m’ont amené à travailler plutôt sur la région de Rennes-les-Bains pendant des années, et j’avoue que j’avais un peu délaissé Rennes-le-Château et l’abbé Saunière lui-même. Pour moi, on ne savait que très peu de choses de sa véritable vie, et on lui a fait dire et faire tellement de choses que le personnage m’échappait et pour tout dire m’agaçait un peu. En revanche la mode consistant à dire : “Il ne s’est rien passé de spécial à Rennes-le-Château” m’irritait grandement. On a vu un certain nombre de personnalités des médias prendre de haut les “pauvres fous” qui cherchaient à comprendre cette énigme, et je trouvais cette suffisance et ce “politiquement correct”, un rien déplacé, quand, au même moment, personne n’était capable de dire ce que représentait le “Grand Bas Relief” du fond de l’église. Car, à mes yeux, nul doute qu’il ne s’agissait pas du “Sermon sur la montagne,” comme on le dit volontiers, la phrase l’illustrant n’étant pas dans ce fameux discours. Or aucun religieux n’aurait pu faire une telle faute. J’ai donc cherché la signification de cette œuvre en repartant de zéro. J’ai surtout abandonné l’idée qu’elle pouvait être une indication de nature à orienter un éventuel chercheur vers un trésor. Après deux ans de recherches, j’ai fini par trouver sa destination exacte.  Elle n’est pas conçue pour éclairer quelqu’un qui cherche, mais pour illustrer le savoir de quelqu’un qui sait déjà. En fait il s’agit de personnage exécutant des signes appartenant tous à la tradition maçonnique. Je ne donnerai qu’un exemple : le personnage de droite en haut qui semble présenter quelque chose à Jésus est en réalité en train de lui montrer qu’il pose son pouce sur la phalange de son doigt. C’est là un attouchement maçonnique au grade de compagnon. Le bas-relief est donc dans son ensemble une exposition de la tradition maçonnique. Ayant ce fil en main j’ai tiré la bobinette et l’ensemble du décor de l’église a chut. L’église paroissiale de Rennes le château est un temple maçonnique ! Cet édifice a été réalisé par des gens qui étaient proches de l’Eglise mais qui revendiquaient la tradition maçonnique comme leur appartenant, en s’opposant par là à la Franc-maçonnerie régulière que nous connaissons. Il fallait en fait replacer la construction de ce lieu dans le conteste politico-religieux de l’époque. Au début du XIXe les loges maçonniques sont constituées de personnes plutôt monarchistes et proches de l’église, à la fin du XIXe tout a basculé, les loges sont devenues républicaines et laïques. Dans cette fin de siècle, une guerre souterraine s’est déclarée entre deux visions maçonniques. La Franc-maçonnerie ayant pris la tête du combat laïc en contribuant largement à faire voter la loi de 1901 sur les associations et celle de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état. On trouve dans un bon nombre de régions de France des traces discrètes de ce combat, et plus la région est marquée par la Franc-maçonnerie moderne, plus une réaction de tradition maçonnique s’installe dans les églises. Mais officiellement il n’y a pas de noms pour ces associations, elles sont restées totalement secrètes, face à la Franc-maçonnerie qui, elle, est devenue une organisation “discrète”, c’est-à-dire dont on connaît quelque peu l’histoire. Ainsi dans l’église de Rennes-le-Château tout a un sens, du Grand Bas Relief au diable de l’entrée. Je vous invite à lire mon livre pour en savoir plus, j’y apporte des preuves irréfutables et j’ouvre quelques portes, par lesquelles j’espère bien découvrir d’autres vérités dans l’avenir.

REGARDS DU PILAT : Parallèlement, vous nourrissez un véritable amour pour la terre cathare, pour ses traditions, son histoire, pour la langue occitane, amour sans doute attisé par votre âme d’artiste. Pouvez-vous nous parler, en quelques lignes, de cette autre passion ?

DANIEL DUGES : Effectivement, j’ai passé toutes mes vacances à l’âge de vingt ans au pied du château de Montségur, à Serrelongue. J’ai parcouru le “pog” dans tous les sens pour vivre l’histoire de ces hommes qui ont connu là une aventure si courte (40 ans) et si définitive en même temps. C’est là que j’ai rencontré les personnages qui figurent dans mon roman :”Le temps du laurier”. Ils sont nés de mes souvenirs de promenade dans les “chemins secrets” jalonnant le pog. Je me souviens de sortie sur le terrain avec le livre de Fernand Niel “Les cathares de Montségur” à la main, pour voir tout ce dont il parlait, pour chercher la nécropole jamais trouvée, comme plus tard je crapahutais dans le “cromlech” de l’abbé Boudet sur les traces de la vraie langue celtique. Ce plaisir-là de lire et de vivre ensuite ce qu’on a lu est une sensation pour moi inoubliable, et un plaisir inégalable. C’est encore là que j’ai rencontré la langue occitane pour laquelle je me suis enflammé, et c’est une rencontre avec Claude Marty, le barde de l’Occitanie qui m’a poussé à écrire mes premières chansons en occitan. Avec un de mes amis nous avions fait un film et notre idée fut de tourner les jours où les événements se sont produits. Nous étions donc au château un 16 mars très tôt le matin, et là nous avons ressenti ce que les parfaits ont pu percevoir en descendant vers le bûcher, il faisait froid et il neigeait. Jamais nous n’aurions pu imaginer qu’il y eut de la neige ce jour-là et pourtant... Je suis plutôt un solitaire, mais, partager ces moments-là est sans doute une des plus grandes joies de ma vie. C’est ainsi qu’il y a plus de quarante ans, j’ai découvert Quéribus, Peyrepertuse, Puylaurens  etc. A l’époque, il n’y avait pas de route, il fallait une heure pour monter à Peyrepertuse , et l’on s’y retrouvait seul, mais quelle récompense après l’effort !  Quand on est à Montségur, on est devant le mythe, on ressent les mêmes choses qu’à Rennes-le-Château, on se dit je vais tout comprendre et on ne comprend pas. Et cette envie de savoir vous tenaille et vous pousse à venir et à revenir sans cesse. C’est sans doute cela le sens de la quête, cette recherche de l’absolue vérité. 

REGARDS DU PILAT : L’heure de la retraite ayant sonné depuis peu, envisagez-vous à présent de consacrer un temps beaucoup plus conséquent, pour par exemple, vous efforcer de valider un cap ou des résultats vous semblant à portée de main, de pioche ou de tout autre moyen, informatique aussi, et visant à résoudre en partie, voir significativement l’affaire de RLC ?

DANIEL DUGES : J’aurai sans doute beaucoup plus de temps à consacrer à des conférences pour partager mon plaisir, à écrire, à réfléchir, mais je n’ai pas la prétention de résoudre l’énigme de Rennes, je prendrai ce qui viendra ! Cette affaire est tellement compliquée et tant de gens ont brouillé les pistes, que nul ne peut avoir la prétention de débrouiller cet écheveau, et ceux qui disent : “c’est tout simple” sont, en fait, noyés dans leur propre rêve. En revanche j’espère aller le plus loin possible dans la découverte de la vérité historique. Il reste bien des questions en suspend, qui paraissent des points de détail mais qui peuvent faire basculer toute l’histoire. 

REGARDS DU PILAT : Envisagez-vous parfois sérieusement de tourner un jour définitivement la page, que l’affaire soit d’ailleurs ou non résolue, par conséquent passer à tout autre chose, en passionné caractéristique que vous êtes, se laissant porter par des ressentis qui ne se contrôlent pas forcément ?
 
DANIEL DUGES : J’ai passé ma vie à sauter de passions en passions, qu’elles soient sportives ou culturelles, donc, j’ai peur de continuer encore comme ça... Je fais les choses dans la mesure où j’y prends du plaisir. Pour l’instant je dois dire que j’en prends beaucoup sur la piste des prêtres de l’Aude. Ceci-dit, si le poids des joies venait à être contrebalancé par les inconvénients, je passerais certainement à autre chose. Parallèlement à mes recherches, j’écris des romans, j’en suis à mon troisième. Ils sont teintés bien sûr de tout ce que j’ai appris dans mes recherches sur l’affaire de Rennes-le-Château. Je trouve dans ce travail un plaisir sans cesse grandissant et si je décidais de tourner la page de l’affaire de Rennes peut être m’orienterais-je vers le roman. J’affectionne particulièrement le style polar-ésotérique. A moins qu’une nouvelle passion ne vienne me surprendre entre temps, sans que je n’y prenne gare ! 

REGARDS DU PILAT : Aurons-nous un jour le bonheur de vous accueillir dans le Pilat, dont vous avez semble-t-il apprécié les « Regards » ?

DANIEL DUGES : Je ne connais pas du tout la région de Lyon, mon histoire personnelle ne m’ayant jamais entraîné jusque là. Mais, à la lecture du livre de Patrick Berlier et à sa fréquentation, je sens confusément que l’on trouve bien des points communs entre ce coin de France et l’affaire de Rennes. Ne serait-ce que l’éventuel déplacement de Saunière à Lyon. Le site des “Regards du Pilat” semble m’inciter à considérer l’histoire de cette montagne et celle de Rennes comme celle d’une “Grande Affaire” c’est pour moi une incitation à venir renifler un peu de ce mystère. Il y a donc de grandes chances pour que je vienne dans votre région un beau matin.

REGARDS DU PILAT : Grand merci et bonne route Daniel. Retrouvez son dernier livre en notre <Librairie>.








En Novembre 2008 avec Eric Charpentier,
nous étudierons, donc avec lumière douce :


Le Songe merveilleux de Béatrice