L'ÉNIGME DE TRÈVES






A l’aube de la fondation. 

Trèves, un domaine chartreux oublié …





Octobre 2011







Par Thierry Rollat

<Retour au Sommaire du Site>

   
    La charte de la fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez vit le jour dans le cloître bénédictin de Taluyers, le 24 février 1281 (nst). Cette concrétisation historique fut impulsée par Béatrix de la Tour du Pin, Dame de Châteauneuf, alors officiellement veuve du valeureux Seigneur Guillaume de Roussillon. Antoine Vachez nous précise, à ce propos, et dans son ouvrage de référence « … Cette donation comprend non seulement tout le territoire situé entre les deux ruisseaux qui baignent les murs de Sainte-Croix, mais encore les terres et les droits que la dame de Roussillon possédait à Trèves, par suite de l’acquisition qu’elle en avait faite d’Arthaud de Lavieu, sous la réserve des droits de justice appartenant à son fils Artaud … ». Artaud de Roussillon accompagna et ratifia tout ce que sa mère abandonnait à l’occasion de la fondation. Le premier Prieur du monastère, Dom Ponce de la Sablière, stipulait quant à lui et au nom de l’Ordre, qu’il ne reconnaîtrait pas d’autre protecteur qu’Artaud de Roussillon, lequel accepta ce protectorat. 

      Trèves occupe forcément une place de choix dans l’Histoire des Chartreux dans le Pilat. Nous serions en présence des seuls Domaines à avoir traversé les 512 années cartusiennes en lien au monastère de Sainte-Croix. Nous retrouvons en effet ces Domaines dans l’inventaire traditionnel des ventes aux enchères, survenues suite à la Révolution française. Antoine Vachez nous renseigne tout d’abord sur le premier d’entre eux : «… Le Mouillon – Domaine situé à Trèves, à l’est du village, près de la route d’Echalas, qui devait provenir de la donation faite aux Chartreux, par Béatrix de la Tour, dans la Charte de fondation de 1281 … ». Puis, il est question d’une seconde possession sensiblement plus importante : « …Trèves ou Domaine du Gier – Les Chartreux possédaient à Trèves, au-dessus de la gare du chemin de fer, dite de Trèves-Burel, un vignoble avec un bâtiment d’exploitation, où les Pères séjournaient quelquefois, car il y existait, dans l’aile orientale, à l’extrémité d’une petite terrasse, une chapelle voûtée, aujourd’hui ruinée. Il est fait mention de cette terre dans la reconnaissance de fief de 1676. Au-dessus de la porte d’entrée de la cour est sculpté le blason de la Chartreuse de Sainte-Croix, avec la date de 1742. C’était, sans doute, encore là, une partie des biens que Béatrix de la Tour donna aux Chartreux, par l’acte de fondation du 24 février 1281, et qui provenaient des acquisitions faites d’Arthaud de Lavieu. »



    A lire ces premières conclusions, nous serions donc amenés à croire que les deux Domaines triviens concédés par Béatrix de la Tour aux Chartreux lors de la fondation de 1281 provenaient d’une acquisition faite par elle auprès du Seigneur Arthaud de Lavieu. A priori, nous ne trouverions rien à redire sur le fait que la Châtelaine de Châteauneuf ait souhaité accompagner la fondation de la Chartreuse d’une donation de biens situés à Trèves et que, pour ce faire, elle ait été tenue d’en réaliser l’acquisition au préalable. Mais le problème se pose rapidement lorsque nous lisons chez Jean-Antoine de la Tour Varan que les acquisitions faites par Béatrix auprès d’Arthaud de Lavieu remontent à l’année 1266 : «
Le premier seigneur de Roche-la-Molière que nous trouvons est Arthaud de Lavieu, chevalier. Il vendit, en 1266, à Béatrix de la Tour, dame de Roussillon et d'Annonay, fondatrice de la chartreuse de Sainte-Croix près de Châteauneuf, avec le consentement de ses deux fils, la terre de Trèves en Jarez. De sa femme qui nous est inconnue, il eut : 1° Gaudemar qui a continué la postérité ; 2° Beraud de Lavieu, clerc. »

    En 1266, Béatrix n’est pas encore veuve de Guillaume de Roussillon et à ce titre l’acquisition réalisée aurait dû l’être du consentement de son époux présent, ce qui ne semble pas être le cas ici. Plus encore, se pose la question de l’intérêt d’un tel achat de biens à Trèves par Béatrix en personne à une époque où précisément elle attend sans doute son cinquième enfant. On ne peut pas ici, en 1266, présager de la fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix qui n’aura effectivement lieu qu’en 1281 (nst).




    Une première réponse à cette interrogation nous est apportée par Edouard Perroy : « D'autre part, il (Arthaud de Lavieu) vendit après 1271, peut-être seulement en 1275, à la dame de Roussillon et d'Annonay, [Béatrice de la Tour, veuve d'Artaud de Roussillon et mère d'un autre Artaud, lui-même légataire d'Annonay], ses terres, hommes, cens et usages à Trèves : serait-ce un démembrement de la seigneurie de Doizieu, dont il pouvait être l'un des "pariers" cités par son cousin Briand en 1265 ? … Il (Arthaud de Lavieu) était mort avant 1278».

     Edouard Perroy, excellent chartiste forézien et éminent historien du 20ème siècle semble avoir eu sous les yeux cette fameuse charte de vente entre Beatrix de la Tour et Arthaud de Lavieu. Il la résume succinctement sans toutefois proposer de date précise. En tous les cas, il ne rappelle absolument pas la date de 1266 que donnait la Tour Varan. Ont-ils seulement eu le loisir de consulter le même document ? Quoi qu’il en soit, nous relèverons dans le résumé de Perroy que le nom de Béatrix de la Tour ne figurait pas dans l’acte original - l’auteur le donne entre crochets – mais qu’en contrepartie figurait la mention de Dame de Roussillon et d’Annonay, ce qui en somme, ne peut porter la date de la vente qu’à partir de l’an 1271, année où les Roussillon reçurent en héritage la seigneurie d’Annonay.

 Se fondant comme nous l’avons dit plus haut sur le fait que Guillaume de Roussillon n’apparaît pas dans l’acte de vente, Edouard Perroy propose une date postérieure à l’an 1275, année à partir de laquelle Béatrix se retrouve seule à Châteauneuf.

Cet examen montre plus qu’il ne faut, que l’année 1266 donnée par la Tour Varan n’est pas à retenir. Toutefois, nous ne pouvons non plus l’accuser d’avoir inventé sciemment cette date. Si celle-ci ne peut se situer qu’entre le mois d’août 1275 et avant 1278, nous pourrions penser raisonnablement qu’il s’agit en fait de la mention 1276 : par conséquent, soit la Tour Varan a mal lu la date en question – M° CC LXVI au lieu de M° CC LXXVI - soit le clerc ayant rédigé l’acte a oublié un « X » à celle-ci.








<Retour au Sommaire du Site>


    La date d’acquisition des Domaines sur Trèves venant d’être circonscrite à 1276/1277, il s’avère maintenant nécessaire et dans l’intérêt de la suite de notre étude, d’examiner de plus près les ventes aux enchères relatives à ces deux Domaines triviens. «  … Le lendemain, 30 mars 1791, on procéda à la vente du domaine du Gier, situé à Trèves, au-dessus de la gare du chemin de fer, dite de Trèves-Burel. Ce domaine, d’après le bref de vente, consistait : 1er, en plusieurs corps de bâtiments, tant à l’usage du domaine que des maîtres, une chapelle, une cour et un jardin, le tout d’une surface d’une bicherée (12 ares, 93 centiares), et estimé à la somme de 2420 livres, avec 6 cuves de la contenance de 240 ânées environ, et un pressoir à roue, garni de ses agrès ; 2ème, en un vignoble de 4 hectares 48 ares. Le tout fut adjugé, pour le prix de 26000 livres au sieur Joseph Isaïe de Gourcy, ci-devant comte de Lyon, demeurant dans cette ville, place de l’Evêché, lequel déclara avoir enrichi au nom et pour le compte de Joseph-Marie Guérin, maire de la ville de Saint-Chamond. Le même jour, fut vendu le domaine du Mouillon, situé aussi à Trèves et qui fut adjugé au sieur Benoît Coste, au prix de 19000 livres. Mais ce dernier n’ayant pas rempli ses obligations, il fut procédé, le 16 août 1791, à une nouvelle adjudication sur folle enchère, qui fut tranchée, au prix de 19200 livres, au profit du sieur Annet Baudrand, de Saint-Romain-en-Gier, qui déclara avoir enchéri pour le compte de Marc Joubert, citoyen de Lyon, y demeurant rue Lafont … ». Nous venons de lire des lignes reprises une fois encore à Antoine Vachez, qui lui-même éplucha strictement les brefs des ventes conservés aux archives départementales du Rhône.

    Une synthèse rapide tendrait à conclure qu’entre 1281 et 1791, deux Domaines sur Trèves seulement, furent la propriété des Pères Chartreux, et ce durant toute leur présence dans le Pilat ? On peut même immédiatement ajouter qu’effectivement l’Histoire a franchi le pas ou plus simplement légitimé cet état de fait comme authentiquement fiable et donc ici recevable. Nous pensons pourtant que la vérité est en réalité beaucoup moins perceptible. Revenons d’abord sur un passé encore plus ancien. On a noté que dès la fondation de la Chartreuse, Trèves est mentionnée parmi les donations de Béatrix de la Tour du Pin. La charte scellée à Taluyers le 24 février 1281 n’a jamais précisé de quels territoires il s’agissait. On est seulement certains que notre généreuse Châtelaine possédait ces biens pour avoir loisir à les remettre à leur arrivée au nouveau monastère à des vénérables Fils de Saint-Bruno.


    Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, c’est en 1220, que l’on trouve les premières possessions des Roussillon sur le territoire de Trèves. En 1896, Antoine Vachez nous rapporte avec des sources puisées dans les écrits de Claude Le Laboureur «  … Enfin, le chapitre céda à Artaud (Artaud III de Roussillon) diverses terres à Longes, Disimieu, Griffonet, Trèves, la Garde, etc … ». Si à première vue, il semblerait délicat de situer avec précision les terres triviennes, on a néanmoins ici une bonne preuve, que les Roussillon possédaient des terres à Trèves bien avant que Dame Béatrix n'en achète d'autres au Seigneur de Lavieu.

    L’abbé Chavannes dont on va reparler dans cette étude, stipule et traduit du latin, dans sa méritante notice historique sur Trèves, dont la première version date de 1862 « … Moi, Béatrix de la Tour, veuve, etc…, je donne à l’ordre des Chartreux que j’ai établi à Sainte-Croix-en-Jarez tout ce que je possède au village de Trèves, avec mes droits et toutes mes redevances sur mes terres, tant cultivées qu’incultes, tous mes revenus et usages quelconques, en un mot, tout ce que j’ai acheté du Seigneur de Lavieu, Arthaud, dans le territoire dudit village. A l’exception, toutefois, de mes droits seigneuriaux, armes et insignes personnels, et ma haute juridiction qui sont concédés à mon fils Artaud de Riverie et à ses successeurs … ».

L’expression « en un mot » irait dans le sens que les terres acquises en 1220 sur Trèves par Artaud III de Roussillon ne feraient donc pas partie de la donation de Béatrix aux Pères Chartreux lors de la fondation. On peut même se demander si en 1281, elles étaient toujours la propriété des Roussillon ? Nous n’avons pas la réponse. Il n’est pas inutile de rappeler que depuis le début de cette étude, nous n’avons à aucun moment eu la certitude de savoir de quels secteurs triviens nous parlons, quant à ces successives possessions des Roussillon. Ce constat reste valable lorsque l’on évoque Artaud III en 1220 ou Béatrix en 1276, puis en 1281.
 



    On sait par les historiens sérieux de Sainte-Croix, qu’en 1791, deux Domaines ont été vendus aux enchères à Trèves : le Mouillon et le Domaine du Gier. A noter que ces derniers existent toujours en 2011. Le Domaine du Gier se nomme tout bonnement les Pères, tandis que le Mouillon, lui, n’a jamais changé de nom. En 1999, Lionel Chevallier précise en se référant à ces mêmes Domaines qu’ils « …faisaient partie des biens donnés par la fondatrice de la Chartreuse : Béatrix de la Tour … ». C’est donc sur toutes ces présomptions que nous retiendrons que ces deux Domaines correspondent aux legs de 1281 faits par Béatrix de la Tour du Pin aux bons Pères Chartreux ? Le même auteur mentionne aussi, en rapport à l’époque de la fondation « … Le domaine du Gier (Les Pères) devait être déjà construit à cette époque (puis modifié et agrandi plus tard en 1742). … ». Nous considérons en réalité que l’historique ne se présente pas exactement ainsi. Il s’impose comme légitime et authentiquement vérifiable de faire entrer dans l’Histoire, un troisième Domaine ayant appartenu aux Chartreux à Trèves : celui du Fay. Plus proche du Mouillon, le Fay se situe entre ce dernier et le Domaine du Gier qui lui n’a porté ce nom, à nos yeux, qu’en dernier ressort. Le Fay est un hameau en 2011, d’une seule habitation, posée sur des coteaux abrupts, communément appelés depuis Chavannes, le versant nord.

   Le versant nord, se positionne sous la forme d’un coteau plus ou moins prolongé sur toute son étendue, s’étalant sur un peu plus d’un kilomètre et comprend les trois Domaines que nous retenons sans l’ombre d’un doute maintenant : le Mouillon, le Fay et le Domaine du Gier. Le premier indice administratif pointu qui tendrait à éveiller des soupçons plus que légitimes, provient de la carte de Cassini qui mentionne comme toponyme à l’emplacement du hameau du Fay, en s’étendant sur la gauche, donc du côté des Pères et jusqu’à l’englober : « … Les Chartreux ou le Fay … ».

Ce premier élément capital sera validé par un second le confirmant. Mais avant de l’aborder, nous nous proposons d’apporter quelques éléments de compréhension complémentaires sur le Fay. La très vieille bâtisse du Fay, relativement bien rénovée, propose aujourd’hui un authentique cachet digne d’antan. Une âme prenante émane du Fay. Il s’y dégage une profondeur religieuse caractérisée par un symbolique fronton. C’étaient évidemment des métayers qui géraient les intérêts des Chartreux dans leurs divers Domaines agricoles ; mais aussi parfois des bûcherons lorsqu’il s’agissait par exemple de bois ou encore toute autre profession en fonction des corps de métiers concernés par les besoins des moines. Au Fay figure donc ce fronton, curieux, indiscutablement pieux, voire codé selon certains, et sur lequel une date perceptible indique 1757. Si cette date n’a jamais livré d’explication bavarde, elle peut légitimement au moins être acceptée comme datant de l’année indiquée. On développera plus loin des arguments précis visant à démontrer que les Pères Chartreux de Sainte-Croix furent déjà les propriétaires à cette date. Partant de cette donnée que nous allons définitivement prouver, on est alors en droit de dire que Dom Bruno Fuzeau, Prieur de Sainte-Croix à cette époque, eut, d’une manière ou d’une autre, son mot à dire dans cette réalisation intrigante, qui possède un cœur, un S inversé (sur un IHS) et une croix pattée dans un cercle.

Dom Bruno Fuzeau aura indiscutablement marqué Sainte-Croix. Il y est resté 21 années consécutives, jusqu’à son décès survenu en l’an 1766. Il est aussi l’un des deux seuls Prieurs du monastère dont on a retrouvé la croix funéraire. Il fut Profès à la Grande Chartreuse, puis Procureur à celle de Lyon, avant d’arriver à Sainte-Croix en 1745. Il avait incontestablement du goût. ; laissons soin à Jean Combe de nous le rappeler : « … La bibliothèque des Chartreux, contiguë à cette pièce, conserve, dissimulée par une légère cloison, ses rayonnages primitifs. A côté, la cellule du Prieur garde encore de magnifiques boiseries Louis XV, posées au temps où Dom Bruno Fuzeau était supérieur de la Chartreuse de Sainte-Croix … ». Il parle aussi des incendies qui ravagèrent la Chartreuse, et rappelle qu’à la suite d’un sinistre important « … Les travaux de restauration étant achevés, Dom Bruno Fuzeau … procéda à de grands embellissements dans différentes parties du monastère. Il fit, par exemple, ajouter aux stalles du 16ème siècle des dossiers ornés de moulures … ».

    Avec l’ère de ce Prieur, on se rapproche du triste gong révolutionnaire, amer synonyme de départ contraint et forcé des Pères Chartreux du massif du Pilat.










<Retour au Sommaire du Site>

   
    L’étude d’une noble famille pourrait bien maintenant nous apporter des explications complémentaires quant à l’appartenance du hameau du Fay aux Domaines des Chartreux. Nous voulons parler des puissants Seigneurs de Fay qui sur plusieurs générations ont marqué leurs temps. L’abbé Chavannes nous glissait une éventualité dans sa première notice de 1862. Nous avons déjà signalé dans ce chapitre, que le prêtre trivien procéda à deux éditions de sa notice historique consacrée à son village (commune indépendante depuis 1849). Dans la première, il écrivait donc « … Cette maison des Fayes au-dessus du Gier, n’est peut-être autre que le domaine appelé encore aujourd’hui au Fay, possédé anciennement par Gabriel du Fay, puis jusqu’à nos jours par Mr Bonifay, dont la fille unique a épousé Mr Bret, maire de Trèves … ». Dans la seconde publication, qui se veut améliorée, datant de 1871, il réajuste alors ainsi « … Cette maison des Fayes, au-dessus du Gier, n’est peut-être autre que le domaine appelé Fay, habité jusqu’à nos jours, par M.Bonifay, dont la fille unique a épousé M.Pierre Bret, premier maire de Trèves … ». Dans Le Vieux Secret, nous avons procédé à un long décryptage de ce passage comparé, élargissant celui-ci à une note manuscrite, probablement de l’abbé lui-même. Cette interprétation reste d’actualité sur bien des conclusions, cependant, nous croyons nécessaire d’insister davantage encore sur l’importance des de Fay dans la grande Histoire de Sainte-Croix. Si on se fie à l’abbé Chavannes, il serait utile de retenir le règne de Gabriel de Fay. N’ayant pas de descendance, il est le dernier à avoir porté ce nom. La Cour des Pères de la Chartreuse, comptait 13 cellules en 1789, celle du Prieur étant comprise dans ce nombre. Lorsque la Cour fut construite, remplaçant progressivement dans le même temps l’antique Chartreuse, deux cellules furent financées par la veuve de Gabriel de Fay et le neveu de celle-ci ; leurs blasons sont toujours visibles au-dessus des portes des cellules en 2011, tout au fond dans la largeur de cette même Cour.

   A partir de quand, la grande et puissante famille de Fay a-t-elle officiellement commencé à choyer Sainte-Croix ? Après la mort de Gabriel de Fay survenue en 1661, nous voyons sa veuve et ensuite son héritier, son neveu Claude de l’Estang, poursuivre à la fois la lignée de la baronnie jusqu’au tout début du 18ème et aussi garder un œil bienveillant sur la Chartreuse, et de surcroît, en des périodes ou les travaux d’embellissements et les agrandissements allaient bon train. Dès 1551, cette baronnie comprenait trois fiefs, Malleval, Virieu (Pélussin) et Chavanay. On se retrouve à cette date sous le règne de Jean de Fay, puis viendra celui de François, respectivement grand-père et père de Gabriel. S’il y a réellement un lien à prendre en compte, ce qui reste plausible, entre l’origine étymologique du Domaine du Fay de Trèves et le nom de cette même famille, nous venons en réalité de mentionner la date clef qui fixe la limite réaliste de l’apparition la plus ancienne du nom du Fay à Trèves en cette provenance : 1551. Cependant, soyons prudents, Jean de Fay était un cadet et ce nom fut importé sur ces seigneuries (Malleval, Virieu, Chavanay) formant la baronnie, à l’occasion de son mariage. Jean de Fay épouse Louise de Varey en 1551, la fille d’Antoine de Varey originaire d’Azergues. Ce dernier tenait lui-même ses importantes seigneuries seulement depuis 1517. Elles lui avaient été vendues par Charles de Bourbon, Comte de Forez et d’abord Duc de Bourbon.

    Afin d’élargir les éléments historiques à notre disposition et éventuellement les faire entrer dans une analyse complémentaire, précisons que les de Fay avaient adhéré à la réforme protestante. Ils l’importaient même activement dans le Pilat, jusqu’à ce que le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572 les ramène définitivement vers le  catholicisme. Cette date est très certainement décisive à bien des titres. Pour ouvrir d’autres réflexions, notons que le père de Jean, Noël de Fay, présente une carte de visite qu’il serait regrettable de ne pas signaler. Laissons la parole à l’abbé Batia qui la renseigne avec un brin d’héroïsme : « … Noël de Fay avait été un des plus fameux chevaliers de son temps. Parti avec Louis XII, à la conquête du royaume de Naples (1500), il combattit à Cérignole (1503), au siège de Gaète, à la conquête du duché de Milan (1507), au siège de Bologne, Brescia et Ravenne (1512). En 1504, à Trani, où Français et Espagnols s’étaient défiés en champ clos, Noël de Fay fut, avec Bayard et François d’Urphée, un des onze chevaliers choisis entre les plus vaillants pour combattre les onze champions espagnols ; il fit merveille devant toute l’armée et s’acquit grand honneur. Il était Lieutenant de l’Amiral Bonivet à la journée des Suisses (13 septembre 1515), après laquelle François Ier se fit armer par Bayard, sur le champ de bataille … ». Bayard fervent catholique, restera un symbole de fidélité à la royauté et au Christ. Décédé en 1524, il n’a pour ainsi dire pas connu les Guerres de Religion débutées en 1520, mais activées à partir de 1540. Nous refermons cette parenthèse peu banale, en signalant que le Pilat possède sa grosse ferme fortifiée dite de Bayard, là où soit disant il serait venu. Nous parlons en l’occurrence du hameau de la Jurarie, bel ensemble bâti qui devait avoir fière allure vers les années 1500. Il appartient à la commune de Longes, dont dépendait Trèves jusqu’en 1849.

    Est-ce que les de Fay sont intervenus au Fay ? Nous ne pourrons nous prononcer avec une certitude absolue. Rien n’empêchera de penser très sérieusement qu’ils ont pu en devenir des bienfaiteurs et même des protecteurs, le Domaine prenant alors leur nom en complément d’un autre nom usuel des lieux. S’il est certain que les Pères Chartreux possédaient des terres à Trèves dès la fondation en 1281 et que deux Domaines figuraient à la vente aux enchères de 1791, d’autres éléments sont à prendre en considération. Pour bien tout comprendre, il faut ici lire, très paisiblement.

    Comme nous l’évoquions plus avant, la carte de Cassini reste dans notre enquête un document très important. Une source qui nous emmène aux alentours de 1756, date à laquelle ces cartes de référence commencèrent seulement à être réalisées.



    En outre, historiquement parlant, des indices permettent de confondre le Domaine du Fay avec l’un des Domaines chartreux. « …
Du premier de ces domaines nous savons seulement qu'il était en 1790 imposé pour 281 livres 16 sous, ce qui donne à penser qu'il était considérable. Le domaine de Gier ou du Fay, à Trèves, était un bien d'église. Si l'on ne savait pas que l'acquisition de biens d'église fut alors regardée comme l'action la plus correcte, on en aurait la preuve en voyant Joseph-Marie Guerin acheter des propriétés de ce genre. Le domaine du Fay dépendait des ci-devant Chartreux de Sainte-Croix (en Jarez). Il fut adjugé le 30 mars 1791 à M.Joseph-Isaïe de Courcy (probablement le chanoine, comte de Lyon de ce nom) pour son ami à élire qui fut M.Guerin maire de saint-Chamond. Le prix de l'adjucation fut de 26 000 livres. Hugues-Louis Guerin, successeur de son père, subrogea dans cette acquisition, le 1er floréal an XI (21 avril 1803), le sieur Joseph-Marie Vancy, moyennant le prix de 24 000 F… ». Une certaine providence qui bouleverse l’Histoire retenue jusque là … Nous devons cet extrait qui double historiquement nos sources, à un certain Auguste Le Sourd (1875-1934) ; un personnage de très grande valeur.

    Suite à la publication du Vieux Secret, dès la fin de l’année 2004, des descendants de Monsieur Guerin, premier Maire de Saint Chamond, sont entrés en contact avec nous pour nous communiquer les écrits d’Auguste Le Sourd. Né à Vals le 30 août 1875, ce repère bibliographique appartenait à une vieille famille du Vivarais. Après de très brillantes études, achevées au lycée Henri IV à Paris, il intégra l'Ecole des Chartes. A sa sortie, diplômé archiviste paléographe, il collabora au Ministère des Affaires Etrangères à la division des archives. Il se maria en 1914 avec Marthe Guerin (1882-1934). Après quelques années, il démissionna et se retira dans la propriété familiale de Saint Maurice. Grand érudit, il consacra une bonne partie de son temps au Vivarais ; pendant plus de trente ans, il fut un des principaux animateurs de la Revue et Président de l'Académie du Vivarais. A partir des archives de sa belle-famille, il écrivit un ouvrage exceptionnel destiné à sa famille, qu'il ne diffusa qu'à six exemplaires. Décédé en 1934, sa disparition fut ressentie avec peine bien au-delà du seul Vivarais, tant était devenue immense sa notoriété. Il avait publié de nombreux articles dans des revues historiques et s'était fait une réputation en héraldique. Trois descendants contemporains, férus et passionnés, eurent la bonne idée de rééditer ce livre, toujours en tirage limité, mais cette fois à plus de deux cents exemplaires, distribués également dans un cadre restreint. Bien connus à Saint-Chamond des spécialistes, cet ouvrage rare demeure une oeuvre incomparable et notamment particulièrement fiable pour le sujet qui nous occupe rigoureusement ici.

   Auguste Le Sourd, n'a apparemment pas cerné que le Fay n'avait pas été acquis comme le Domaine du Gier, mais il l’a mentionné en ayant à disposition des actes, d'achats probablement. Il l'assimilera pourtant aux superficies du Domaine du Gier, ce qui n'est pas très logique. Toutefois, il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre en ces époques sombres et déboussolées. De plus, la confusion semble commencer à s’expliquer puisqu’il est renseigné « … Du premier de ces domaines, nous savons seulement qu'il était en 1790 imposé pour 281 livres 16 sous, ce qui donne à penser qu'il était considérable ... ». Or, ce n’est pas la seule surface du Domaine du Gier retenue par les chiffres de surface qui puissent justifier ce « Considérable ». Auguste Le Sourd, plus d’un siècle après les événements chaotiques suivants 1789, laisse transparaître ou croit lui-même que ces propriétés ont été  vendues ensemble. Ce n'est pas si simple pour un œil non averti, d’autant plus que les ventes officielles rapportées de longue date par des auteurs, ont toujours mentionné que le seul Domaine du Gier. Bien entendu celui du Mouillon, mais là, on parle réellement d’un autre Domaine, avec aussi un autre propriétaire, même deux, puisque la vente fut cassée comme nous l’avons déjà stipulé. La très bonne foi d'Auguste le Sourd respire d’autant plus l'impartialité, une neutralité indéniable. Toutes ces conclusions tellement limpides n'en deviennent que plus crédibles sur leur fondement et leur authenticité. Il y a bien eu, au moins encore au 18ème siècle, trois Domaines chartreux à Trèves. Heureux d’avoir prouvé que Le Fay était la propriété des bons Pères Chartreux de Sainte-Croix, nous pourrions arrêter la réflexion ici. Il y a pourtant encore à dire et envisager ; alors juste un petit et dernier décryptage bien tentant.

     Les Pères avaient intérêt à parler d’un seul Domaine pour les deux groupes de bâtisses presque éloignés d’un kilomètre, que constituaient le Domaine du Gier et le Fay, couvrant ainsi une grande partie du versant nord. Cet ensemble pouvait alors ne compter que pour un ; la notion numérique étant très stricte en ce qui concerne les propriétés possédées, par chaque monastère chartreux. Le Domaine du Mouillon restait indépendant, situé plutôt sur le plateau. Rappelons pour information les écrits de l’abbé Chavannes dans sa version corrigée de 1871« … Au nord de la commune, dans le domaine de M.Bret, maire, existe un souterrain long de 1 kilomètre dans lequel on prétend que l’on cachait les objets précieux dans les jours de troubles … ». Après des années d’implication, les lignes ici assez mystérieuses du religieux historien – lequel fut prêtre de 1831 à 1880 sur la paroisse de Trèves - ne se prennent pas toutes au premier degré. Il n’empêche que si vous aviez pu éventuellement supposer que notre ambition se cantonnait dans cette étude novatrice, à des avancées moindres que celles acquises dans l’énigme traitée dans Le Vieux Secret, elle est pourtant au final nettement plus ambitieuse devant les résultats obtenus. Effectivement, nos conclusions ici dûment livrées, sont aux antipodes d’un prudent conditionnel. Oui, Le Fay, le Domaine du Fay oublié, fut incontestablement une propriété des Pères Chartreux de Sainte-Croix. Cette phrase que nous assumons avec grand bonheur impose de corriger l’Histoire retenue comme référence.

    Qu’a concrètement souhaité s’approprier Monsieur Guerin à Trèves en se portant acquéreur des plus vieux Domaines des Pères Chartreux de Sainte-Croix, d’un lieu dont le nom antique ou premier, peut légitimement avoir été tout bonnement Les Chartreux ? L’Histoire n’a jamais effacé que des Domaines triviens appartenaient aux donations de Béatrix datant de 1281. Trèves conserve un vieux secret qui n’est peut-être pas sans rapport avec ces mêmes propriétés possédées jadis par les moines. Mais c’est là une histoire qui dort paisiblement depuis des siècles et des siècles …









Auguste LE SOURD




<Imprimer la page> <Retour au Sommaire du Site> <Haut de page>