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LE Dossier du Quadrimestre et sans lien avec
ce sujet, deux Invités des plus Exceptionnels .....









MARS 2017



Anne et Christian Fitte




Par Notre Ami

Christian FITTE



Chers Fidèles ou occasionnels des Regards du Pilat. Ce mois-ci c'est de nouveau un sujet, un Dossier en l'occurrence, des plus exceptionnels qui vous est proposé. La Soie est ici traitée de manière rigoureuse et interactive, au travers d'initiatives plurielles, en liens constants avec des réalités du terrain pélussinois. Christian Fitte est un grand Ami du Pilat ; une cheville ouvrière de Visages de notre Pilat depuis près d'une dizaine d'années. Il assure techniquement, dans une pudique discrétion, en presque solo, la réalisation de l'illustre revue annuelle Dan l'Tan de l'association, depuis de nombreuses années. Toujours au service du collectif, c'est pourtant bien avec son épouse, Anne, aujourd'hui décédée, qu'ils se sont lancés dans l'Aventure sur les traces des Chemins de Soie en notre territoire privilégié. Qu'ils soient ici, autant l'un que l'autre remerciés, déjà symboliquement en cette lecture que vous avez maintenant à disposition. Bonne route chers internautes.

Thierry Rollat



QUATRE SIÈCLES DE TRAVAIL DE LA SOIE DANS LE PÉLUSSINOIS,
 CINQ ANS DE TRAVAIL DE MEMOIRE





De 2011 à 2016, deux associations culturelles locales, « Des Amis et Des Livres » (DADL) et « Visages De Notre Pilat » (VDNP), ont réalisé un important travail de mémoire sur cette industrie textile qui a joué un rôle de premier plan dans l’histoire de notre région.

DADL est une association issue de l’équipe de l’ancienne bibliothèque de Pélussin qui, à l’ouverture de la Médiathèque en 2007, est venue seconder les professionnels tout en proposant ses propres animations culturelles : Ronde des livres (contes en direction des enfants), prix Exbrayat, rencontres conviviales autour des livres, tables rondes, concours, expositions.

VDNP est une société historique fondée en 1979 qui oeuvre pour la recherche, la mise en valeur, la conservation du patrimoine du Pilat Rhodanien et pour la diffusion de ces connaissances : études, expositions, conférences, exploration du massif du Pilat, collecte de documents et de témoignages, ainsi que leur restitution sous la forme de rééditions, de publications originales et d’une revue annuelle (Dan l’tan).

En tant que membre des deux associations, j’ai essayé ici de résumer cette action collective.

 

Intérieur d’un tissage à Pélussin au début du 20ème  siècle


2011-2012 : L’EXPOSITION

Nos recherches ont commencé en 2011 avec la préparation de l’exposition « Chemin de Soie » à la Médiathèque Le Shed, que son nom prédestinait à accueillir puisque ce terme désigne les toits des bâtiments industriels, nombreux dans le Pélussinois, qui sont vitrés et en dents de scie pour permettre un éclairage adapté des ateliers. Les bibliothèques des autres communes du canton de Pélussin s’étaient aussi associées à cette démarche.

 

Affiche de l'exposition

Anne Fitte avait été à l’initiative de ce projet où elle avait mis toute son énergie et l’exposition de janvier 2012 a été un très grand succès. Cette année là, Anne avait aussi organisé des balades-découverte sur ce même thème autour de la vallée du Régrillon. A quelques variantes près, c’était déjà le « Sentier de la soie » qui ne verra officiellement le jour que quatre ans plus tard, en juin 2016. Il nous avait alors semblé évident que l’installation de panneaux d’interprétation aux endroits les plus représentatifs de ce patrimoine textile, permettraient de  pérenniser ces connaissances acquises. Et ainsi de mieux les présenter dans la durée aux pélussinois ou aux touristes et visiteurs de passage.

27 janvier 2012, Inauguration de l'exposition «Chemin de soie» à la médiathèque « Le Shed » De gauche à droite : Anne Fitte et Christine Grange (DADL), Marcel Boyer (VDNP), Christine Sébire(SHED)


18 juin 2016 : inauguration du « Sentier de la soie » dans la salle des verrières du Moulinage des Rivières et discours d’usage. De gauche à droite, Dominique Chavagneux adjointe à la culture de Pélussin, Christian Fitte et Christine Grange représentant les associations « Visages De Notre Pilat » et « Des Amis et Des Livres », Georges Bonnard maire de Pélussin, Michèle Perez présidente du Parc du Pilat et Michel Devrieux également membre du Conseil municipal de Pélussin.

Ce projet de sentier, que nos deux associations voulaient mener à bien avec la Mairie, n’a pas pu être réalisé immédiatement. Nous avons alors continué l’aventure, en 2013 et 2014, en réalisant un film documentaire de 30mn : « Chemin de soie » ainsi qu’un livre avec tous les témoignages recueillis, tous les souvenirs partagés au cours de ces rencontres qui nous ont tant appris : « Mémoire de soie ».

L’écho très favorable que nous avons rencontré, au cours de l’exposition puis des projets suivants, tient en partie au fait que c’était le bon moment pour en parler.

Beaucoup plus tôt était difficile par manque de recul mais aussi parce que les cicatrices des dernières fermetures étaient encore vives. Dans les années 1980, VDNP et son président Tonin Chavas avaient essayé de créer un « musée de la soie » dans un des locaux historiques de Virieu, le projet n’avait pu aboutir.

Mais si nous avions attendu encore plus tard, cela  aurait été synonyme de « trop tard » quand on pense à toutes les personnes, ouvrières, artisans ou chefs d’entreprises dont nous avons recueillis les témoignages et qui ont disparu depuis : uniquement sur Pélussin, on peut citer Bernard Oriol, le dernier artisan tisseur, Alain Gabert héritier de l’entreprise familiale du Moulinage des Rivières, Pierre Bonnard le père du maire de Pélussin, Marcelle Donnet-Tabaillon de l’usine du Truchet, Jeannette Damoizet qui avait écrit la chanson sur nos usines et ses ouvrières, Marie Perréal, Marie Vincent, … et je dois malheureusement en oublier.

 

Bernard Oriol

Tous ces travaux ont aussi pu être réalisés grâce à de nombreux documents, écrits, photographies et films qui nous ont été prêtés par des habitants du canton (quelques exemples ci-après).


Le Personnel du moulinage Ollagnier-Matrat de Véranne devant leur usine en 1905


         A Pélussin (quartier du Berthoir) dans les années 1960          
                   Le personnel du moulinage May 
/ Pierre Bonnard et son frère dans leur tissage


2013 : LE FILM

Il a été réalisé par « TV and CO » avec l’aide financière et les subventions de la Commune de Pélussin, du député de notre circonscription, du Conseil Général de la Loire, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et du Parc Régional du Pilat.


Il est l'illustration du contenu de l'exposition puisqu'il en reprend de façon vivante les thèmes principaux. Avec tout d'abord l'historique de cette activité plusieurs fois millénaire issue de Chine. Puis l’introduction dans notre région, au 16ème siècle, par des artisans transalpins à la suite des guerres d’Italie. La famille Benaÿ, originaire de Bologne et qui s’était tout d’abord installée à Lyon, partit pour le Pilat pendant les guerres de religion avec ses «moulins propres à filer la soye». A La-Valla-en-Gier puis, en 1586, à Pélussin, plus précisément dans l’enceinte fortifiée du château de Virieu grâce à l’appui du seigneur de l’époque.


Leurs  moulins de bois dits « à la bolognaise », ronds et comportant deux étages de roquets et de courroies, étaient pratiques et facilement transportables. D’autres familles les imitèrent vite. Ce furent les débuts de l’industrialisation et de l’essor de Pélussin et de sa région qui possédaient dans ce domaine de nombreux atouts :

- la proximité des magnaneries (élevage du ver à soie) de la vallée du Rhône et du Midi, ainsi que celle de Lyon où se faisait le commerce des soieries.

- l’abondance et la qualité de son eau, très peu calcaire et donc idéale pour le décreusage (retrait du grès des soies naturelles) qui, avant la torsion du fil, est le préliminaire du moulinage.

Quand l’énergie tirée du bief de Virieu n’a plus suffit, ce sont ensuite nos rivières qui furent utilisées et sont devenues nos « vallées de la soie ». Par exemple la vallée du Fayon à Maclas et surtout celle du Régrillon à Pélussin avec son exceptionnelle concentration (vingt-sept usines sur 1,5 km) d’imposants bâtiments dédiés au moulinage, puis de ceux dédiés au tissage avec leurs toits en shed et leurs hautes cheminées si caractéristiques. Les photos et cartes postales du début du 20ème siècle nous les montrent en bien plus grand nombre qu’aujourd’hui.


Tissage Donnet au bord du bief de Virieu et moulinage Rolland au bord du Régrillon

Ces bâtiments sont souvent bien conservés avec les systèmes hydrauliques qui leur fournirent pendant des décennies, avant la vapeur et l’électricité, la force motrice nécessaire. Biefs, retenues, écluses, déversoirs et roues à aubes sont encore bien présents. Et il y a, même si parfois la nature tend à les effacer, les nombreux chemins d’accès piétonniers qui conduisent aux usines. Ce sont les sentiers d’une mémoire collective toujours bien vivace. Ainsi, à Pélussin, les Esses nous content la belle histoire de ces ouvrières et de ces ouvriers qui par centaines, au cours des siècles, firent la richesse de cette industrie textile et de toute une région.

Le film montre bien les beaux et nombreux restes de cette activité dans notre paysage. Il nous parle aussi des de la vie quotidienne et des conditions de travail à travers les souvenirs de plusieurs acteurs locaux emblématiques ou représentatifs. Puis s’amorça le déclin de l’activité. Peu à peu les métiers se sont arrêtés, les usines et les ateliers ont fermé.

Mais dans le canton, au moment de notre exposition, quelques entreprises perpétuaient encore ce savoir-faire exceptionnel dans la réalisation de produits textiles de très grande qualité : 

-Trois tissages : Oriol à Pélussin, Boucher à Bessey et Coupat à Saint-Appolinard ;

-Un moulinage : Barou à Lupé ;

-Un atelier de broderie : Goutarel à Chavanay (avec une partie de négoce) ;

-Un créateur de nouvelles fibres textiles : Paquet à Pélussin.


Travaux de remettage au tissage Coupat


2014 : LE LIVRE des TEMOIGNAGES

Cependant, dans ce film, nous n’avons pu utiliser qu’une petite partie des témoignages que nous avions recueillis. Pour l’exposition, nous en avions enregistré ou retranscrit environ 70, au cours de passionnantes rencontres où tous nous avaient consacré leur temps dans des moments de belle convivialité. Il nous a donc semblé nécessaire de reprendre ces souvenirs de façon exhaustive en y ajoutant quelques témoignages recueillis par l’association d’Aide à Domicile en Milieu Rural et par l’Hôpital local de Pélussin.

Avec l’aide de Jean-Paul Rivière pour l’harmonisation et la mise en page, nous avons donc édité « Mémoire de soie ».


Souvenirs des tissages de Maclas (Monique et Maxime Georges) et de Pélussin (Anne-Marie Berchoux)

Le succès rencontré auprès des habitants est sans doute du au fait que, il n’y a pas si longtemps, presque tous les foyers du Pélussinois avaient (ou avaient eu) au moins un membre ayant participé à ce travail de la soie si longtemps florissant.

De l’élevage des vers à soie à la culture des mûriers, du filage au moulinage, del’ourdissage au tissage, avec toutes les activités connexes, ce sont plusieurs milliers d’emplois qui furent en effet créés et proposés aux populations locales.

Au milieu du 19ème siècle, environ 10% de la population de notre actuel canton de Pélussin était employée à la soierie, à domicile, dans de petits ateliers familiaux ou dans de grandes usines de moulinage et de tissage. Au recensement de 1931, c’était au moins 20% de la population qui était concernée. Rien qu’a Pélussin, il y avait alors environ 70 entreprises et toutes les classes étaient représentées : patrons et artisans, mouliniers et tisseurs, gareurs et mécaniciens, quelques enfants mais surtout beaucoup de jeunes filles et de femmes ouvrières aux métiers variés : moulinières, dévideuses, tisseuses, bobineuses, ourdisseuses, tordeuses… Entrées très jeunes pour des travaux souvent longs et difficiles, elles mangeaient et vivaient pour la plupart sur place, dormant dans des dortoirs collectifs au confort sommaire au dernier étage des immenses bâtiments.

Notre travail est aussi un hommage à tous ces acteurs et à leurs exceptionnels savoir-faire qui ont permis à nos communes de grandir et de prospérer.

 

2015-2016 : LE SENTIER

Nous avons été très heureux de voir nos recherches se conclure avec ce « Sentier de la soie » que nous avions souhaité dès le début et sur lequel nous avons travaillé avec la mairie de Pélussin à partir de 2015. Inauguré en juin 2016, il est effectivement très apprécié car il permet de mieux découvrir, et de façon pérenne, cette histoire et ce patrimoine industriel textile. Ceci sur environ 6km, sans grande difficulté, et que l’on peut parcourir en famille en 2h15… ou un peu plus si l’on veut prendre le temps de bien lire les informations des huit panneaux d’interprétation et admirer les très beaux sites et paysages, moitié urbains et moitié ruraux, que ce sentier permet de découvrir, du viaduc jusqu’aux usines de la vallée du Régrillon, de la grande roue de pêche du Berthoir jusqu’aux cheminées du Truchet, des premiers sites industriels de Virieu jusqu’aux Esses empruntés par les ouvrières en bas de la Place des Croix.

Un dépliant explicatif contenant l’itinéraire détaillé du « Sentier de la soie » est disponible à l’Office du tourisme du Pilat Rhodanien et à la Mairie de Pélussin. Nous remercions d’ailleurs chaleureusement la Mairie d’avoir fait confiance à nos deux associations pour la rédaction de ces panneaux d’interprétation et porté notre projet à son terme, en particulier les membres de la commission culture et tous ceux qui ont participé au financement ou à la remise en état et au balisage du sentier.




Vue de la vallée du Régrillon hier


aujourd'hui l'un des panneaux du sentier

Outre cet important travail de mémoire, l’héritage du travail de la soie est également présent à Pélussin sous d’autres formes puisque plusieurs anciens bâtiments industriels ont déjà été réhabilités et reconvertis en lieux de commerce, d’artisanat, d’habitation, d’activité culturelle, …etc.

Le dernier et très beau projet, qui nous l’espérons se concrétisera bientôt, est celui de l’association du Moulinage des Rivières animé par Odile Proust qui avait eu l’idée de la réutilisation de ce site pendant les balades-découvertes animées par Anne Fitte et nos deux associations en 2012. Le but, au travers d’activité économiques, artistiques et patrimoniales de préférence liées au textile, est de donner une seconde vie à ce magnifique bâtiment des usines Gabert près duquel passe notre sentier.

Signalons enfin que d’autres actions sont menées actuellement par le Parc Naturel Régional du Pilat pour valoriser ce potentiel textile historique afin qu’il participe au développement économique et touristique à l’échelle du massif du Pilat.

Gageons que cette activité du travail de la soie, vieille maintenant de plus de quatre siècles, continuera encore longtemps à faire partie de la vie de notre territoire…




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Toutes les personnes qui sont devenues les invités des Regards du Pilat nous ont toujours fait un honneur en acceptant la réalisation d'un entretien avec elles. Aujourd'hui, avec Monsieur Noël Gardon, c'est un plus particulier encore. Résidant dans une petite ville du Forez, à l'extérieur du Parc Naturel Régional du Pilat, ce personnage a durablement exercé de prenantes responsabilités au sein de la renommée société savante, historique et archéologique de la Diana qui a son siège depuis sa fondation en 1863 à Montbrison : http://www.ladiana.com/. Eric Charpentier a raison d'avoir écrit que Noël Gardon a un bon sens à faire pâlir l'académicien. Particulièrement humble, doté d'une intuition conséquente et confondue d'une approche rigoureuse, ce chercheur sage s'avère pourtant à nos yeux, l'un des plus grands historiens que le Pilat puisse avoir compté. Avec une joie non dissimulée nous vous proposons à présent de faire connaissance avec lui. C'est un entretien-interview conséquent. Puissions-nous faire le souhait qu'il marque à sa hauteur jusqu'aux générations pilatoises à venir ?







I - Regards du Pilat : Votre première adhésion à La Diana.

Noël Gardon : Vous me demandez comment s’est concrétisée ma première adhésion à La Diana. 

Je connais le nom de la Diana depuis bien longtemps. Quand j’ai passé mon certificat d’études, les lauréats avaient droit à une attestation gratuite sur papier ordinaire, mais, moyennant une légère contribution, ils pouvaient avoir un diplôme illustré. Mes parents m’offrirent celui-ci.

Parmi les illustrations figure la salle de la Diana à Montbrison. Mon père m’expliqua que c’était le siège d’une association qui avait rassemblé beaucoup de livres d’histoire et de nombreuses archives concernant le département et les familles de la région.

Tout jeune je me suis intéressé à l’histoire. Un jour je voulais écrire l’histoire de ma famille, je demandais à ma mère un cahier. Evidemment après une demie page j’avais épuisé mes connaissances à ce sujet. Je n’avais pas dix ans. C’était de l’atavisme ; mon trisaïeul, né en 1798 qui fut employé à la mairie de Saint-Etienne, a laissé des notes généalogiques. Mon père s’en est servi pour faire des tableaux de cousinage.

Plus tard j’entrepris mes propres recherches. j’allais aux A.D. de la Loire. Le siège était alors à la préfecture, mais, faute de place, la plupart des documents étaient stockés dans les sous-sols d’un hôtel de l’avenue de la Libération. La liaison n’était qu’épisodique il fallait une demande émanant soit de la hiérarchie, soit d’une personne notablement connue. Ce n’était pas mon cas, et les employés étaient incapables de me dire quand je pourrai avoir accès au document demandé. J’allais voir ailleurs.

J’allais alors à la mairie de Saint-Etienne. Les archives municipales étaient stockées dans une espèce de soupente au dessus des bureaux de l’Etat-Civil. L’étage ayant été coupé en deux en hauteur, mais la soupente n’était pas très haute. Je consultais les registres paroissiaux qui ne m’apprirent pas grand chose, puisqu’ils avaient déjà été parcouru par mon ancêtre.

Pendant les vacances j’allais donc à Montbrison et poussais la porte de La Diana. Je fut reçu par une demoiselle qui me parut vieille, mais qui l’était beaucoup moins que moi aujourd’hui. Elle m’initia aux arcanes du fonctionnement de la bibliothèque et des archives. A l’époque, à part la photographie, moyen compliqué onéreux et dont je n’étais pas équipé, il n’y avait pas de moyens de reproduction rapide. Il fallait copier à la main. C’était long, et pour emprunter ouvrages ou documents il fallait faire partie de la Société, c’est ainsi que je demandais mon adhésion; Les étudiants ne payaient que demi tarif. Je fus admis définitivement lors de l’assemblée générale de juin 1953.

Les archives étaient à peu près classées,(sauf quelques unes), mais n’avaient pas de répertoires. Comme je trouvais des renseignements qui m’intéressaient, mais qui me renvoyaient à d’autres archives, je me fis un petit répertoire. De fil en aiguille j’ai ainsi répertorié plusieurs dizaines de milliers d’actes.

A la retraite, je devins un des habitués des samedis après-midi ou quelques mordus de l’histoire locale discutaient et se renseignaient les uns les autres. Je finis par bien connaître la bibliothèque et les archives, et lorsque Jean Bruel, le secrétaire, mourut, on me demanda de le remplacer, ce que j’ai accepté considérant que l’on me faisait là un grand honneur. Je suis resté secrétaire pendant cinq ans puis ai laissé la place à un plus jeune mieux au fait que moi des moyens audiovisuels alors en plein développement. A la demande du président je continuais à m’occuper de la rédaction du bulletin que j’abandonnais aussi cinq ans plus tard. Je n’étais plus que membre du conseil d’Administration, dont je démissionnais aussi laissant la place à de plus jeunes.

Je ne suis donc plus qu’un membre lambda, peut-être le vice-doyen de la société non pas en âge, mais en ancienneté. (J’ai accompli 63 ans de présence en juin dernier).

Mon travail à la Diana et surtout mes répertoires m’ont valu d’être nommé membre d’honneur de l’Association généalogique de la Loire, dès sa création, et d’être fait chevalier des Arts et des Lettres, décoration dont je suis très fier, d’autant qu’à l’école j’étais pratiquement nul en français en général et en orthographe en particulier, ce qui ne s’est d’ailleurs guère amélioré.

II - Regards du Pilat : Quand est apparu le premier comte de Forez ?

Noël Gardon : A priori je devrais répondre je n’en sais rien puisque les documents écrits font entièrement défaut, néanmoins en langage local comte se dit Cuens, ou Coens, cela semble indiquer une origine Burgonde. Cependant l’appellation de Comitatus forensis n’apparaît qu’au milieu du Xe siècle.  Le nom de Cuens se serait donc appliquer d’abord aux comtes de Lyon. J’avoue que pour moi la question reste assez obscure.

A la Diana deux communications relativement récentes, l’une de M. Ganivet en 2002-2003 et l’autre de Me Pouzols-Napoléon ont essayé d’apporter quelques éclaircissements sur le début et les origines des premiers comtes de Forez, mais cela ne m’est pas apparu d’une limpidité absolue.

A parler très rigoureusement le Forez n’a été régulièrement défini comme territoire indépendant que par le traité de 1173, donc le premier comte de Forez stricto sensu est donc : Le comte Guy III. Mais il y eut auparavant des comtes de Forez, dans le sens de pays en dehors de Lyon. En effet si Guillaume II est dit comte du Lyonnais, son fils Artaud Ier fut le premier comte de Forez puisque Le roi de France Lothaire céda Lyon à Conrad roi de Bourgogne en 955 à l’occasion du mariage de ce dernier avec sa fille Mathilde de France.

Quand au premier comte de Lyon il s’appelait Armentaire, il était en place vers 530, en principe à l’époque la fonction n’était pas encore héréditaire. Le dernier comte de Lyon non héréditaire est Gérard de Roussillon qui était aussi comte de Paris et comte de Vienne. Son histoire a donné lieu à beaucoup de légendes dont il est difficile de démêler le vrai de l’imaginaire.  Mais ce personnage a certainement joué un rôle important dans notre région.

III - Regards du Pilat : Origines étymologiques qui ne prennent pas leur origine dans le latin.

Noël Gardon : Il s’agit là d’une vaste question, et il faudrait plusieurs dizaines de pages pour le traiter. Dire que le français viens du latin est une invention qui a prit corps au XVIe sicle, souvenons nous de Joachim du Bellay et sa “défense et illustration de la langue française”..

On dit que notre alphabet vient du latin, rappelons que l’empereur Claude, qui fut élevé à Lyon, parlait tellement mal le latin qu’il fallut ajouter des lettres à l’alphabet latin pour écrire sa prononciation,  L’alphabet latin viendrait de l’alphabet grec, mais les lettres ne sont pas dans le même ordre, l’un va d’Alpha à Oméga, l’autre de A à Z, ce qui n’est pas la même chose.

Remarquons que la 17ème lettre de notre alphabet est la lettre “Q”, que nous appelons “Qu” parce que dans la composition de nos mots elle est toujours suivie de la voyelle “U”. Sans cette lettre complémentaire on  devrait l’appeler “Que(ue)”. Or elle est la représentation schématisée du cul d’un animal, cheval par exemple, avec la queue au milieu. Voici donc une lettre qui porte le nom de ce qu’elle représente.

La lettre “i” avec son point est aussi la représentation schématisée d’un homme debout. Elle n’est pas sans rappeler le pictogramme présentant un petit bonhomme qui attend, au passage piétonnier que le feu l’autorise à traverser. Or “I”, en anglais veut dire “moi”. En français nous remplaçons quelquefois ce “I” par un “J”,  les dictionnaires anciens ne font pas de différence, or “J” est “Je”, ce qui veut dire “moi”;

La lettre “B” est aussi la schématisation d’une femme enceinte vue de profil, seins généreux et ventre proéminent, or d’après Curt de Gébebin ou Fabre d’Olivet le son “Bé”  indique généralement la paternité, nous devrions dire la maternité.

On peut multiplier les exemples, mais cela permet de conclure que comme pour les hiéroglyphes égyptiens ou les caractères chinois, nos lettres ont, à l’origine, été des dessins qui représentaient ce dont on voulait parler; Mais comme on ne peut dessiner que des choses matérielles, ces dessins ont aussi prit la signification de certaines choses abstraites, comme aujourd’hui on voit beaucoup de cœurs dessinés précédés d’un ‘J’ apostrophe pour dire j’aime. Le coeur matériel prenant la signification de l’idée “Amour”.

Plus tard, dans les mots venus d’ailleurs, les lettres ont été utilisées uniquement pour le son qu’elles représentaient. Or en toponymie les noms ont souvent une origine ancienne, et il faut bien souvent décomposer le nom dans les sons qui le composent  pour connaître sa signification.

Ne nous y trompons pas beaucoup de mots de notre langue française ne résultent pas d’une évolution compliquée, ils sont souvent restés tels qu’à leur naissance. Prenons un exemple que je cite souvent. Le mot Tortue, officiellement vient, moyennant quelques influences secondaires du mot latin Tartaruca. De même pour eux le mot Tourte viendrait du latin Torquere à travers son avatar Torta. Il n’est pas besoin d’avoir fait d’importantes études pour voir que Tourte et Tortue sont deux mots voisins, composés de deux fois le sont “te” séparés par le son “ère” Or ces deux mots voisins auraient des origine différentes. Mais une tortue apparaît comme composée d’une partie inférieure dure la carapace inférieure, et d’une partie supérieure également dure, la carapace supérieure, et entre les deux une partie molle, la chair de l’animal. De même la tourte apparaît comme composée, d’une partie inférieure dure la croûte inférieur qu’on appelait autrefois la croûte du petit Jésus parce qu’elle évoque la forme d’un berceau, et d’une partie supérieure dure, la croûte supérieure dite de Saint Joseph parce qu’elle recouvre tout, et entre les deux une partie molle : la mie. Voici donc deux choses très différentes, mais qui ont une apparence semblable, et qui porte des noms semblables. Il parait évident que ces noms ont été donnés directement parce qu’ils décrivent ce que l’on voit et qu’ils ne sont pas dérivés de mots latin différents. En confirmation je citerai le mot “tourteau”, qui d’après les linguistes est le nom usuel d’une espèce de crabe comestible : le cancer paguros. Or le crabe apparaît lui aussi comme composé de deux parties dures séparées par une partie molle. Si tourteau vient d’un nom usuel il en est de même de Tourte et de Tourteau.

Donc pour trouver l’étymologie véritable d’un nom de lieu il faut connaître l’endroit et voir ce que signifie chacune de ses syllabes.

IV - Regards du Pilat : Quel est l’origine du mot Forez. ?

Noël Gardon : Vous savez comme moi qu’officiellement ce nom vient de Feurs, ancienne ville gallo-romaine faisant figure de capitale des Ségusiaves. Cependant une première question se pose. Dans notre région les noms de territoire dérivés du nom de leur ville principale se terminent par “ais” : Lyon donne Lyonnais, Roanne- Roannais, Beaujeu -Beaujolais, Viviers -Vivarais etc. Or Forez bien que se prononçant de la même façon se termine par “ez”, comme “Jarez” d’ailleurs, nous avons aussi Velay dont la terminaison est différente. Or ni Jarez ni Velay ne viennent du nom d’une ville, n’en est-il pas de même pour Forez ?

Deuxième remarque Feurs fut un temps le marché gallo-romain des Ségusiaves. Marché, c’est en latin Foro, Forum, Forus, c’est cette dernière forme qui a donné Feurs. Or Forez ne vient pas de Forus, mais de Foris. Q’ailleurs en parler local on ne désigne pas les habitants du Forez sous le nom de Foréziens, mais de Forisiens. Alors qu’en est-il ?

Autrefois les Segusiaves occupaient un territoire correspondant, grosso-modo, à celui occupé aujourd’hui par les départements du Rhône et de la Loire. Ce peuple gaulois avait sa propre administration avec sa capitale Mediolanum.  Après la conquête des Gaules par Jules César, le Romains créèrent, pour l’administration des régions conquises, une ville nouvelle: Lyon implantée en territoire Ségusiave. Cette ville capitale des Gaules fut dotée de droits exorbitants du régime habituel, ce fut une ville inserta et excepta comme dit Sénèque. Mais les Romains laissèrent les Ségusiaves s’occuper de leurs affaires ils se contentèrent de faire du commerce et de se faire payer l’impôt.

Après la grande dépopulation de nos régions, au milieu du 3ème siècle de notre ère, Lyon perdit son rang de capitale des Gaules pour devenir simple capitale de province. L’administration indigène vint s’établir ouvertement à Lyon. Lorsque l’empereur Constantin se convertit au christianisme, pour gouverner  son empire, il s’appuya sur l’Eglise chrétienne, qui avait sa propre organisation,  Il y eut donc à Lyon deux autorités, L’Impériale qui se confondait avec l’Eglise et représentée par son chef l’Archevêque, et l’autorité locale incarnée par son chef que par commodité nous appellerons le comte. Mais Lyon avait gardé ou reconquit un grand nombre de ses privilèges, aussi quand le comte prenait une décision il devait préciser que celle-ci concernait les habitants de Lyon comme les autres, d’où cette expression “Comes Lugdunensium et Forensium”, qui ne veut pas dire Comte de Lyon et de Feurs, cette ville ne représentait alors rien, elle était à peine la capitale d’un petit pagus, comme il y en avait tant d’autres dans le comté. par conséquent “Forensium” ne veut pas dire de Feurs, mais ce qui est hors de Lyon , le “forain” comme on dirait aujourd’hui. Toutes proportions gardées, Lugdunensium et forensium à la même signification que lorsque l’on dit que le pape s’adresse Urbi et Orbi, c’est à dire pour la ville Rome et ce qi es au dehors de Rome, le reste du monde.

Il y avait donc à Lyon un gouvernement pour la ville et un gouvernement pour le forain. Il existe encore aujourd’hui en France, dans la Lozère deux communes qui ont le même chef-lieu et portent les noms de Malzieu-ville et Malzieu-forain.  C’est donc le mot Foris qui a donné le nom de Forez. Cette étymologie a d’ailleurs été longtemps celle défendue par Auguste Bernard, il ne l’a abandonnée, semble-t-il, que pour éviter des polémiques avec les érudits de Feurs qui défendaient âprement l’étymologie proposée par La Mure ce qui donnait de l’importance à leur ville.

Jusqu’au milieu du XIe siècle le pouvoir temporel influençait beaucoup la nomination des évêques mais avec la réforme grégorienne cela changea, il y eut alors des conflits entre les deux autorités. Plusieurs traités furent signés et plus ou moins bien observés  Et si après le traité de 1173 séparant définitivement le Forez de Lyon les comtes de Forez ont prit pour capitale Montbrison et non Feurs, c'est bien que Feurs ne représentaient rien pour eux. d’ailleurs ils n’y possédaient rien et il a bien longtemps que Montbrisonn était le siège de “l’archiprêtré forensis” qui à l’évidence ne pouvait pas être l’archiprêtré de Feurs.

V - Regards du Pilat : Origine du nom de Pilat

Noël Gardon : Comme vous le dite le débat sur l’origine du nom de Pilat n’a jamais été vraiment tranché. Je connais de nom 3 pilats. Le notre, un en Suisse et la dune dans les Landes.

Théoriquement je devrais traduire Pilat par le pic étalé, ce qui est contradictoire, d’où l’ambiguité du nom.

Cette traduction peut néanmoins s’appliquer à la dune de Pilat. je ne connais pas le mont Pilat Suisse et ne peut rien en dire.

Chez nous il n’y a pas vraiment de Mont Pilat il y a le massif du Mont Pilat. On peut donc expliquer ce nom par la présence de plusieurs sommets sur une large étendue.

Dans le Pilat il n’y a que le “Pic des trois dents, qui est vraiment un pic, les autres sommets sont des crêts c’est-à dire des pics émoussés. Comme il y a trois pics assemblés c’est peut-être ce sommet, que l’on voit nettement à partir de la région lyonnaise, qui est à l’origine du nom de Pilat : les pics lez (les uns des autres).

Je pense néanmoins en rester à l’explication plusieurs sommets sur une grande superficie.

VI - Regards du Pilat : Que ce passait-il à Prarouet ?

Noël Gardon : Je ne connais pas suffisamment le site, et les bâtiments de Prarouet pour émettre une opinion valable. Je ne pense pas que Prarouet, veuille vraiment dire le “pré du roi”. Si c’était le cas, ce ne pourrait être qu’un nom relativement récent, et comme il existait déjà au XIIIe siècle je n’y crois guère.

C’était il est vrai un fief des Roussillon, mais au même titre que Rochetaillée, et d’autres lieux dans la région. Ce devait-être quelque poste avancé de la défense du Forez; L’étude du passé de ce fief serait certainement intéressante, mais j’avoue n’avoir aucun élément à ce sujet.

Pour en revenir à une éventuelle étymologie, si on peut admettre “Pra”, comme désignant un pré. La seconde syllabe me semble avoir la même origine que “la Roa” à Saint-Genest-Lerpt et au Chambon-Feugerolles. J’y verrais donc un dérivé de “Roye” “Royat”, et , quitte à contrarier d’autres hypothèses, je ne verrais dans “Prarouet” que le “pré avec une source”. Mais mon opinion est-elle valable ? Je ne connais pas assez l’endroit, mais si il y a, ou si il y a eut,  une source abondante il n’y a pas de doute.

VII - Regards du Pilat : Le crêt de l’Airelier.

Noël Gardon : Nous ne connaissons officiellement pas grand chose sur les druides en Gaule, à part ce qu’en a dit Jules César. Une des rares informations qu’il donne est que les druides exerçaient leur culte à ciel ouvert, ils n’avaient pas de temple, cette affirmation est sans doute à nuancer un peu, mais là n’est pas la question.

La deuxième information est qu’ils se réunissaient au moins une fois par an.

De ces deux informations il résulte que leurs réunions se faisaient en plein air, et au temps de César ces réunions se faisaient, dit-on dans la forêt des Carnutes.

Or ces réunions contrariaient Rome, dans la mesure où s’y maintenait un esprit d’indépendance, d’où la création, à Lyon, du Temple d’Auguste et de Rome, construit pour faire venir les prêtres dans Lyon et mieux contrôler ces assemblées. Or ce temple était en plein air, et chaque peuple gaulois y avait son autel.

Il était naturel pour moi de penser que ce temple d’Auguste, si opposé aux temples des dieux romains, était directement inspiré de ce que pouvait-être le lieu de rassemblement des druides. Or Autel se dit  Ara., où l’on retrouve le radicale “Ar” qui dans la langue gauloise a la signification de pays. 

Dans le massif du Pilat il devait donc, pour moi, y avoir un endroit qui rappelait ce rassemblement d’autels, chacun correspondant à un peuple. Comme Airellier, n’est pas un arbrisseau d’une caractéristique suffisante pour désigner avec précision un endroit, ce nom ne pouvait-être que la déformation en un mot compréhensible dans le langage récent d’une appellation ancienne dont on avait perdu la signification.  Airellier s’approchant suffisamment  de de Ara -(lier), comme on dit encore “lez” pour dire qu’une chose est près d’une autre “Ara lez” m’a paru convenir a l’appellation d’un lieu où il y aurait eu plusieurs autels assemblés.

VIII - Regards du Pilat : Auriez-vous de gros correctifs à faire à votre ouvrage sur le Pilat.

Noël Gardon : J’ai beaucoup réfléchi à cet ouvrage pendant mon “exil” en région parisienne, et je l’ai fait paraître dès que les moyens de publication à très petit nombre d’exemplaires ont été accessibles à des prix abordables.

Cette longue réflexion fait que je n’ai pas grand chose à y changer.  Il y a cependant quelques points que j’aurai aimé approfondir,je n’ai pas les connaissances suffisantes en langues proche-orientales en général et en Araméen en particulier. Je suis donc un peu frustrer de ce côté. Quand à apprendre l’araméen, j’avoue qu’à mon âge je n’en ai guère envie, alors tant pis.

Je pense que dans mon livre il y a suffisamment d’indications pour qu’un jour, si Dieu le veux, un autre écrive la suite.

IX - Regards du Pilat : A propos du livre d’Eric Charpentier.

Noël Gardon : Je suis admiratif du travail extrêmement consciencieux, et exceptionnel d’Eric Charpentier. Il apporte un éclairage nouveau et très très intéressant sur la géométrie mégalithique très méconnue, et parfois même diffamée. J’admire le temps passé à mesurer, tracer, comparer et ensuite pour vérifier contrôler c’est considérable.

Les déductions d’Eric Charpentier sont étonnantes, mais la réalisation de ces ensembles mégalithiques ne peuvent avoir été faits que par des techniciens qui connaissaient particulièrement l’astronomie.

Nos ancêtres adoraient le soleil c’est indéniable, nos ostensoirs en sont la réminiscence, y avait-il une interférence de la Lune ? ce n’est pas impossible, d’anciennes pierres utilisées dans certaines églises ont parfois ces deux représentations côte à côte. Cela peut intervenir dans les emplacements retenus pour les mégalithes. Notons que la Vierge est souvent associée à la représentation de la lune. (Petite remarque l’emplacement de la madone du Champ du Peu n’est pas le fait du hasard, elle est à l’emplacement de la pierre qui a donné son nom à l’endroit)

Son étude confirme l’ancienneté du site de Sainte-Croix et son intérêt, mais il faudrait d’autres passionnés qui s’occuperaient aussi à fonds d’autres sites semblables dans notre pays. Je pense en particulier à Saint-Benoît-sur-Loire ou Vézelay. Malheureusement il risque bien de ne pas avoir d’émules rapidement. En France il y a une Histoire officielle et malheur à celui qui ne reste pas dans le cadre tracé, au mieux il sera ignoré, et plus généralement considéré comme un énergumène farfelu et pourtant “l’histoire officielle n’est qu’une suite de mensonges sur lesquelles on est d’accord” disait, paraît-il, Napoléon. Et quand une réalité dérange elle est niée j’ai à l’instant deux faits en mémoire.

Le premier est le site de Glozel. Je l’ai visité il y a quelques années et j’avais discuté assez longuement avec M. Fradin. Au cours de la conversation je lui ai demandé où il en était avec les savants officiels, et il me répondit : « il y a quelques temps j’ai eu la visite de M. Henri Delporte, (à l’époque celui-ci était conservateur au musée des antiquités nationales à saint-Germain-en-Laye), En arrivant il était très monté contre Glozel il a tout visité avec beaucoup d’attention et en partant il m’a dit : cela ne peut pas être vrai cela remettrait trop de choses en question ». Or je connaissais Henri Delporte et  à quelques temps de là je lui posais la question pour savoir si c’était bien ce qu’il avait dit. Il me répondit  :« Ah ! Glozel, c’est bien possible, les jours pairs je suis pour, les jours impairs je suis contre. »

Le deuxième est à propos de fouilles de sauvetage. Lorsque fut construite l’autoroute de Saint-Etienne à Clermont-Ferrand un site archéologique fut mis au jour au "Marais” commune de Cleppé. Des fouilles de sauvetages furent entreprises sous la direction de Myriam Philibert. Le compte rendu de ces fouilles a été publié conjointement par La DRAC et La Diana. Page 95 de ce rapport on peut lire : « Toute la partie inférieure, comme toute la partie supérieure est stérile. L’occupation humaine se situe dans la zone moyenne du remplissage. En outre, aucune sédimentation ne sépare l’installation néolithique de celle du Bronze final, bien que près d’un millénaire se déroule entre les deux occupations du site. Elles ont remanié l’aspect de la terrasse par l’apport de galets et le creusement de fosses entamant la terrasse inférieure. Après le Bronze final, le site est abandonné, des dépôts sédimentaires ont lieu. Leur sommet est un horizon unique de 0,30 m; retourné par les labours.»

J’ai demandé à Myriam Philibert comment expliqué cette absence de sédimentation pendant l’intervalle entre le néolithique et le Bronze final. Elle m’a répondu que ce n’était pas à elle de l’expliquer, qu’elle ne devait que dire ce qu’elle avait trouvé. J’ai donc posé la question à un archéologue patenté qui m’a répondu : « C’est que les fouilles ont été mal faites.»

Cela m’a rappelé les commentaires à propos de fouilles faites au XIXe siècle par des amateurs qui publiaient leurs découvertes à l’occasion des réunions de l’Association Française pour l’avancement des sciences, et qui n’étaient pas toujours d’accord avec les conclusions des Cartaillac ou Mortillet et autres, à l’époque, magisters en la matière, qui disaient qu’il ne fallait pas tenir compte de ces données soit parce que les fouilles avaient été mal faites, soit parce que des concurrents avaient farcis leur champ de fouilles avec des éléments étrangers.

Alors mon opinion à propos du travail exceptionnel d’Eric Charpentier, c’est que la reconnaissance de la communauté scientifique ne viendra pas des magisters français actuels, mais qu’il faut traduire son travail en Anglais et en Allemand et le transmettre aux personnes compétentes dans ces pays.

X - Regards du Pilat : La chapelle des fous, d'où provient ce nom ? 

Noël Gardon : On peut donner deux origines à cette appellation.

 La première est celle que je suggère dans mon livre sur le Pilat. 

Il y a dans cette chapelle deux statues l’une représente saint Etienne et l’autre saint Laurent. Saint Etienne est représenté avec un pierre sur la tête qui symbolise sa lapidation, et  il a un air tout à fait béat. Un peu “bayayet”, c’est à dire illuminé comme les Innocents de village qui passaient autrefois pour être un peu fou. Saint Etienne ici serait le patron de ces Innocents, de ces fous, d’où le surnom donné à la chapelle.

Cette explication est simple et ne comporte pas de risques pour celui qui la défend.

Deuxième explication :

Bien que la Chartreuse de Sainte-Croix soit appelée Sainte-Croix-en Jarez, on est à l’extrême limite du Jarez, et même un peu au delà.  Cette région et donc Jurieu où s’élève la chapelle des fous est une région frontière, un “finis” comme on disait autrefois. De ce vieux mot qui a donné : Finistère par exemple, voire : confins et vers la Bourgogne : Finage.

La chapelle a été désignée sous l’appellation : chapelle “del finis”. De “del finis” on est passé naturellement à : Dauphin que sans changer la prononciation on peut écrire ou comprendre : d’Auffin. Or au jeu d’échec “l’Auffin”, est le fou.

“Je n’avoye pion, ne chevalier, Auffin, ne rocq, qui puissent ma querelle Si bien aider ...  ( Ch. d’Orléans, Ballade)

Or les pions ont gardé leur nom, le “chevalier” est devenu le “cavalier”, le “rocq” est la “tour”, “Auffin est donc le fou.

La chapelle “del finis” est donc devenue la chapelle des fous.

A tout hasard je rappelle que Saint Ennemond et son frère, enfants de Sigonius, comte de Lyon, étaient appelés Delphinius.

Monsieur Gardon nous vous remercions, de nous avoir accordé cet entretien-interview et sachez qu'en être honoré n'est pas ici un vain mot. Vous êtes un Flambeau.



    


Aujourd'hui en retraite, Gérard Mathern exerçait actif la noble et fort respectable profession de Docteur à Saint-Chamond dans la Vallée. Il nous comble d'être notre second invité. Nous ne lui donnons pas forcément un rôle facile en apparence en lui donnant de passer en même temps que Noël Gardon. Pourtant ce choix reste bien volontaire en raison du grand personnage qu'il incarne lui aussi. En réalité peut-être qu'une  autre étiquette mériterait également de lui être attribuée, celle de paysan, de par sa définition première, celui qui aime le pays. Nous allons apprendre à mieux connaître un fidèle du Haut Pilat et ce depuis sa naissance. Il a appris à lire studieusement le passé des sommets pilatois, celui-ci recèle une Histoire riche et bien trop mal connue. En découvrant cet entretien franc et précis, beaucoup d'entre vous prendrez conscience que là-haut il n'y a pas que la neige qui s'impose, comme on le dit symboliquement, dix mois sur douze. Gérard Mathern est l'enfant de ce territoire qui culmine à plus de 1100 mètres d'altitude avec le point Haut, le Crêt de la Perdrix à 1434 mètres, point dominant du département de la Loire. Alors en route, vous allez prendre un sérieux bol d'air et faire plus avant connaissance avec un authentique héritage laissé par des générations et des générations successives.






Regards du Pilat : Bonjour Monsieur Mathern. Discret, vous demeurez pourtant sans doute notre contemporain le plus féru sur l’Histoire et le Patrimoine concernant la commune du Bessat dans le Haut-Pilat. D’où vous provient cette passion pour ces sommets que vous avez complètement apprivoisés ?

Gérard Mathern : Je vais en vacances au Bessat depuis ma tendre enfance, comme ma mère et mon grand-père maternel. J’ai, au Bessat, les meilleurs souvenirs de ma jeunesse. Nous étions une bande de 40 jeunes à inventer tous les jeux possibles et, aujourd’hui encore, nous aimons nous rappeler ces bons moments. J’y ai fait construire une maison dès que me moyens me l’ont permis et j’y passe mes étés et les beaux jours. En un mot, c’est mon pays.

Regards du Pilat : Vous vous êtes mieux fait connaître si l’on peut dire à partir des années 1990-1991, en publiant deux remarquables articles consacrés au Château du Toile dans la revue des Amis du Vieux Saint-Chamond, Le Jarez d’hier et d’aujourd’hui. Concernant l’origine toponymique de ce lieu vous penchez pour un dérivé du mot tilleul. Que pensez-vous de la réflexion de Noël Gardon qui en amateur confirmé de la langue gauloise disparue semble y voir de son côté une évolution du gaulois tor qui signifie fort ?

Gérard Mathern : Le mot Bessat dérive du gaulois Bouleau (Dufour et bien d'autres sources). Il me semble logique de croire les mêmes sources qui évoquent le Tilleul, mais je ne me battrai pas là-dessus.

Regards du Pilat : Indéniablement ce site ancestral recela une notion première de fortification, une sorte de place forte visant à surveiller et contrôler les routes. Perché sur un monticule rocheux significatif, il n’en demeure pas moins que ce poste militaire se trouvait au creux d’un pan de montagne incliné. Vous envisagez qu’Hugues de Pagan, Seigneur d’Argental et de Mahun puisse être l’initiateur de cette réalisation. Quels sont les éléments qui poussent sérieusement cette hypothèse et à quelles dates nous retrouvons nous ?

Gérard Mathern : Il s'agit d'une déduction simple des sources. Lors du mariage entre Jacques de Jarez et Béatrix de Pagan en 1292, on évoque le Toile, encore allodial, c'est à dire n'ayant pas encore fait l'objet d'aveu. D'autre part, lors du partage entre le Lyonnais et le Forez en 1173, on retrouve dans l'acte un détail précis des châteaux présents, mais pas un mot sur le Toile. J'en déduis donc qu'il a été construit dans l'intervalle, et le propriétaire, lors de sa première mention était Pagan.
Peut-être, mais rien ne le prouve, existait-il quelque chose auparavant, mais s'il faut des éléments et la littérature (bien modeste au XIIè siècle) est vierge à ce sujet.

Regards du Pilat : Apparemment le Toile, en tant que Château cette fois, aurait définitivement disparu en toute fin du 16ème siècle. Aujourd’hui il ne subsiste absolument aucune pierre à l’emplacement où jadis il s’imposait ; tout à côté on devine par contre facilement les restes d’une vieille ferme qui fut probablement construite alors avec les ruines du Toile. Un incendie, volontaire ou involontaire, survenu sur la fin des guerres de religion, lié ou non lié, peut-être la cause de la fin précipitée de ce qui était une référence médiévale du Pilat. Avec le recul et une certaine expérience, avez-vous un avis précis visant à expliquer la disparition du Toile ?

Gérard Mathern : Je pense que sa présence ne se justifiait plus, en particulier par la modification des voies de communications et les enjeux de l’époque. Le site était austère, loin de tout, et il n’intéressait plus ses possesseurs (vente, puis rachat puis revente etc …). Il a vraisemblablement brulé à deux reprises comme l’attestent des coupes de terrain faites en catimini il y a au moins 40 ans avec ma bande de copains. Mais pas d’élément décisif. Un jour, en montrant une tuile ou une brique (je n’ose pas parler de tegulae), à un archéologue, il s’est écrié « ne touchez pas à ce site ! ».

Regards du Pilat : Les sarrasins ou maures, ont occupé le Pilat et principalement le Haut Pilat de l’an 725 à l’an 765. Jean Combe nous raconte utilement cette triste réalité où régna une terreur indéfinissable. Plus tard André Douzet développera plus avant les massacres perpétués par ces derniers et précisément sur la petite ville d’alors de Saint-Etienne. Au Bessat, votre commune de prédilection, il se trouve toujours de nos jours la minuscule grotte dite de la Sarrazinière. Etablissez-vous un rapprochement porté alors par la mémoire collective avec cette présence sarrasine au haut Moyen-Age et si oui que pouvait être alors ce repère de la dite grotte Sarrazinière si bien entendu vous avez un avis sur ce point-là ?

Gérard Mathern : Sur ce point, il faut être un peu romantique. La Sarrazinière aurait été une mine (?), mais le mot Sarrazin doit être ici raccroché à la tradition ancienne qui nommait par ce vocable les petits gnomes de la forêt et les esprits de toutes sortes.

Regards du Pilat : En restant encore un peu sur des horreurs manifestes, consommées également sur la commune du Bessat, il semblerait qu’aux temps des guerres de religion, une ou plusieurs batailles se soient déroulées quelque part sur ce territoire. Le puissant chef catholique, Christophe de Saint-Chamond en restant peut-être bien le symbole historique. Ne pouvant pas ignorer cet épisode des plus crédible, pouvez-vous nous narrer quelques commentaires directement tirés de votre réflexion construite au fil de ces dernières décennies ?

Gérard Mathern : Là encore, pas de fait avéré. Il y a certainement eu quelque chose et Christophe de St Chamond n’était pas un tendre (voir la mise à sac d’Annonay et les massacres qu’il y commit). Il passa au Bessat pour s’y rendre bien entendu. L’escarmouche au « Pas du Bessat » a certainement eu lieu, mais on ne sait pas où et combien d’hommes elle opposa. Les écrits sont des plus contradictoires, des « Thermopyles foréziennes » à la négation même de son existence. Encore une fois, pas de preuves sur la localisation même de la bataille, on parle d’un « défilé » ???

Le lieu dit « le Mort » à l’entrée du village atteste probablement de sépultures, mais la Croix des fosses nullement. En effet, un vieux paysan m’a raconté qu’elle se situait primitivement sur la commune de Thélis-la-Combe et ramenée sur le Bessat au XIXe siècle. C’est là que deux gardes forestiers furent égorgés et ensevelis par des personnes venues voler du bois comme c’était la coutume autrefois.

Regards du Pilat : Au Bessat, il perdure un curieux patronyme visant à qualifier un hameau : les Palais. Est-ce que pour vous, il existe une et une seule explication pouvant être retenue et qui expliquerait alors l’origine du nom de ce lieu ?

Gérard Mathern : Le Palais n’a rien à voir avec la « bataille du Bessat » car les attestations que l’on en a  sont antérieures aux guerres de religion. Là encore, il faut chercher ailleurs l’étymologie de ce nom.

Regards du Pilat : L’emblématique Jasserie, où a dormi une nuit le suisse Jean-Jacques Rousseau, demeure un fleuron traditionnel du Pilat. Un restaurant régale entre autres les touristes depuis plus d’un siècle. Jean Du Choul en 1555 semble indiquer la source du Giers qui prend corps ici même comme tombeau naturel de Ponce Pilate dont l’ombre a longtemps hanté le Pilat. Pour vous quelle a été la plus ancienne utilisation de ce site de la Jasserie ?

Gérard Mathern : Rousseau a dit pis que pendre de son voyage au Pilat et de sa nuit à la Jasserie. En fait, on parle depuis bien longtemps de la « ferme de Pilat ». Ce terme, sans doute importé des Monts du Forez où elles sont nombreuses, est apparu récemment, et probablement à la fin du XIXe siècle comme l’atteste le livre d’or que j’ai photocopié de 1900 à 1908.

Regards du Pilat : En 2016 nous avons pu constater votre présence à plusieurs des manifestations organisées par l’association Visages de notre Pilat et consacrées à la fabuleuse Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez. Des milliers de pilatois s’intéressent de plus ou moins près à ce monument cartusien d’un autre temps. Pour votre part qu’est-ce qui vous attire plus particulièrement en cette direction médiévale ?

Gérard Mathern : Un livre laissé par mon grand-père, Le Vachez que j’avais en édition originale, prêté et non rendu (à qui ?). Depuis je l’ai de nouveau acheté en reprint à votre association. Et puis, je suis né à Rive-de-Gier. Depuis mon adolescence j’ai lu ce livre. Et puis au Bessat, il y a tant de traces (le Bois des Pères, la scie des Chartreux, Praroué …).

Regards du Pilat : Enfin pour terminer cet entretien et en restant avec vous à Sainte-Croix, quel regard portez-vous sur les recherches complètement novatrices d’Eric Charpentier visant à faire découvrir avec arguments rigoureux et au plus grand nombre, un passé vieux de plus de 4000 ans ici même ?

Gérard Mathern : C’est la seule conférence que j’ai raté ! Mais je compte bien acquérir son livre rapidement. Je ne puis donc me prononcer sur ses hypothèses.

Monsieur Gérard Mathern nous vous remercions de toute la peine que vous avez prise à répondre aimablement à nos questions.

Mais ce fut un plaisir. Mon article sur le Toile doit ressortir cette année dans le bulletin de la Société d’Histoire de St Genest Malifaux, revu, complété et enrichi de l’histoire des Pagan et des Tournon et Retourtour, passionnants.

J
e reste à votre disposition.




Pour celles et ceux d'entre vous, chers Internautes, qui auront lu d'un trait cette trilogie, composée du Dossier de Christian Fitte et des deux entretiens-interviews, ils savent donc maintenant qu'ici a bien été cumulé l'Utile et l'Agréable, la Qualité et une certaine Quantité. Sachez l'apprécier. Vive le Pilat !



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