LA GRANDE AFFAIRE

Henri GISCARD
Fabricant de Statues
... entre Razès et Pilat ...


Septembre 2007
Par Patrick BERLIER


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            Il existe à Toulouse, au 25 de l’avenue de la Colonne, une entreprise qui possède l’extraordinaire particularité d’être entièrement classée Monument Historique : le bâtiment d’accueil depuis 1975, et les locaux industriels depuis 1998. Il s’agit de la Maison Giscard, une véritable institution, qui se visite tel un musée lors des journées du patrimoine. 

La Fabrique d’ornements en terre cuite Giscard a été fondée en 1855 par Jean-Baptiste Giscard et son fils Bernard. Trente ans plus tard, elle s’est spécialisée dans l’art sacré, devenant la Manufacture d’ameublement d’église Giscard. Vers la même époque, c’est le fils de Bernard qui prit la tête de l’entreprise : Henri Giscard, sculpteur, professeur à l’école des Beaux-Arts de Toulouse. Son fils Joseph lui succéda, jusqu’à son décès en 2005, sans postérité hélas. 

Aucun rapport entre ces Giscard et notre ancien Président de la République, Giscard est d’ailleurs un nom assez répandu dans le sud-ouest. Sa célébrité, la maison Giscard l’a acquise dans un certain milieu, pour avoir fourni la plupart des ornementations de l’église de Rennes-le-Château, commandées par son sulfureux curé, l’abbé Bérenger Saunière. 

Le cas est bien loin d’être unique, de multiples églises de la région possèdent des œuvres venant de la Maison Giscard, entreprise employant à l’époque plus de 50 personnes, et qui s’était spécialisée par exemple dans les représentations d’une sainte locale, Germaine de Pibrac, ou qui avait obtenu le monopole des statues de sainte Thérèse de Lisieux. Après la première guerre mondiale, la Manufacture Giscard a proposé à de nombreuses paroisses son monument aux morts, bas-relief représentant un soldat mourant voyant apparaître le Christ et un ange avec l’ancre de l’espérance. La base de données Palissy du très officiel site Internet du Ministère de la Culture nous apprend que l’original en marbre de ce monument, datant de 1924, est à Lyon, dans l’externat Sainte-Marie appartenant aux Frères Maristes. 

À partir de cet original, Henri Giscard réalisa d’abord une répétition de série, qui se trouve dans l’église de Besmont (Aisne), puis des épreuves de série dont les trois premières ont été livrées aux églises de Tarascon (Bouches-du-Rhône), Pouvourville (Haute-Garonne), et Couiza (Aude). Ensuite d’autres modèles, de tailles différentes et offrant quelques menues dissemblances, ont été livrés un peu partout en France. 

La ville de Couiza n’étant qu’à une portée d’arbalète de Rennes-le-Château, on a bien vite oublié la multiplicité de ce monument aux morts, certes très symbolique, pour en faire un signe de piste supplémentaire dans l’énigme, comme si Henri Giscard avait été l’ultime dépositaire du secret de l’abbé Saunière. Gérard de Sède, en particulier, se chargea d’enfoncer le clou, et la mayonnaise prit si bien que pendant des années l’on considéra le monument de Couiza comme unique. Dès lors, y voir un message ésotérique en rapport avec l’affaire de Rennes-le-Château était facile.

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Ce fut d’abord notre ami Roger Corréard qui découvrit un frère jumeau du monument de Couiza à La Motte-du-Caire, localité près de Sisteron (Alpes de Haute-Provence). Puis moi-même j’eus la surprise d’en trouver un troisième dans notre Pilat, en l’église de Tarentaise. Dans le tome I de mon livre La Société Angélique, j’évoquais « le trio des monuments aux morts », une notion bien dépassée aujourd’hui. Le site Internet du Ministère de la Culture permet d’en recenser au moins une douzaine parmi les églises classées Monument Historique, et de nombreux autres doivent exister dans des églises plus modestes. 

On peut se demander quelle fut la source d’inspiration d’Henri Giscard pour cette stèle commémorative des morts de la première guerre mondiale. L’arrière-plan suggère un champ de bataille : on distingue des arbres fracassés, l’affût d’un canon. Au premier plan, en bas, un soldat français gît allongé au sol, son bras gauche replié contre lui. Dans un dernier sursaut de vie, il s’appuie du coude droit sur un rocher, et lève la tête vers un Christ en croix qui lui apparaît. La scène est une méditation sur la mort, elle établit clairement un parallèle entre le sacrifice du Christ et celui du soldat. Un ange surgit du ciel, du bras droit il tend au soldat une couronne végétale, symbole de victoire, préfigurant la récompense glorieuse promise au martyr dans l’au-delà. De l’autre bras il lui apporte une ancre de marine, elle figure très classiquement l’espérance du chrétien en une vie éternelle : le royaume de Dieu est le port où il a la certitude de trouver la paix en y jetant l’ancre. Dans le coin en bas à gauche, une petite plante étale ses feuilles, en signe justement de renaissance et de vie éternelle. 

Oublions l’aspect militaire et guerrier de la scène, pour ne retenir que l’essentiel : un homme couché, s’appuyant sur le coude droit, la méditation sur le thème de la mort, la petite plante symbole d’éternité. Maintenant, et selon la formule consacrée, je laisse la place au « choc des photos ».


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En haut le détail de « l’homme mort » du monument de Couiza. En bas le bas-relief bien connu visible dans la seconde cour de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, marquant la fondation d’une cellule au XVIIe siècle par la famille Mazenod, et représentant saint Bruno méditant sur la mort. Le parallèle est quand même saisissant ! Mais ce n’est pas tout, voyons maintenant le détail de la petite plante, car le bas-relief de Sainte-Croix-en-Jarez la possède aussi, en bas à droite.





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À gauche Couiza, à droite Sainte-Croix-en-Jarez. Le « poids des mots » est, quant à lui, superflu. Je précise que j’ai cherché à identifier cette plante en forme d’étoile de mer, j’ai posé le problème au « Guichet du Savoir » de la Bibliothèque Municipale de Lyon, qui — chose rare — s’est avéré bien embarrassé pour l’identifier et a conclu plutôt à une fantaisie de l’artiste. Je ne tire aucune conclusion de ce rapprochement, j’observe, c’est tout. Je laisse aux rêveurs le soin d’imaginer l’abbé Saunière, lors d’une excursion pilatoise, relevant ou photographiant ce bas-relief, pour en confier ensuite une copie à Henri Giscard, son ami et « très cher frère » si l’on en croit certains. Et je laisse à ces mêmes rêveurs le soin d’imaginer pourquoi ledit Giscard a placé l’original de son œuvre à Lyon, au bas de la montée conduisant du vieux Lyon au domaine de l’Angélique, où siégeait la société du même nom.


Et tant que nous en sommes à rêver, occupation essentielle pour la santé psychique de l’être humain, continuons à juxtaposer des photos.

 

À gauche la croix fournie par Henri Giscard pour orner l’église de Rennes-le-Château, plus précisément le groupe d’anges surmontant le bénitier. À droite la croix de Pilherbe près de Chuyer dans le Pilat, érigée en 1876. Là encore je m’abstiendrai de tout commentaire, rappelant cependant qu’une certaine mode « celtisante » a fleuri un peu partout en cette seconde moitié du XIXe siècle.


J’ajoute pour conclure qu’Henri Giscard est encore le créateur du chemin de croix de l’église de Rennes-le-Château, qui a fait couler tant d’encre et de salive, et que notre église de Tarentaise possède elle aussi un chemin de croix dû au talent de ce statuaire toulousain. Mais cela fera l’objet d’un autre dossier, prochainement…


Lien vers les bases de données du Ministère de la Culture : http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/patrimoine/


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