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Patrick Berlier |
Août
2008 |
Pour cette seconde édition
de notre nouvelle rubrique, après la Croix de Pilherbe près
de Chuyer nous allons poursuivre notre balade dans ce même secteur,
en nous rapprochant de Pélussin. Le paragraphe sur la Croix Blanche,
où nous avions croisé la vieille voie romaine de Condrieu à
Pélussin, se concluait d’ailleurs sur cette invite à continuer
la promenade : on pourrait suivre
la voie romaine en direction de Pélussin ; après les terres
où elle disparaît, on la retrouve, intacte mais couverte de
broussailles, dans le bois. Puis après les Auberges, autre toponyme
typique, elle a été remplacée par une petite route qui
en conserve le tracé, et descend vers la Guintranie. Là s’élève
une autre croix, qui elle aussi sans doute a remplacé une borne milliaire.
La distance entre la Croix Blanche et la Guintranie est exactement celle
d’une lieue gauloise, soit 2426 m, la valeur en usage dans notre région.
Nous vous proposons donc : ![]() Le Second Épisode |
UNE FLÂNERIE ![]() AUTOUR DE LA GUINTRANIE |
Ce hameau
est à 2 km au nord de Pélussin, sur la D 19 conduisant à
Chuyer. Ses maisons anciennes, à l’architecture traditionnelle du
Pélussinois, s’adossent au coteau qui les protège du vent du
nord, et s’ouvrent vers le sud. L’exposition est parfaite, et l’ensoleillement
garanti. Avec le doux climat de Pélussin, on se croirait presque en
Provence, il n’y manque que le chant des cigales. La Guintranie est un très
vieux hameau, déjà cité en 1375 dans un terrier de Virieu.
Son nom terminé en ie indique un toponyme forgé à
partir d’un nom de famille : ce fut sans doute un domaine appartenant
à une famille Guintran. De la même manière, deux hameaux
voisins évoquent les familles qui jadis possédaient ces domaines :
la Guillaumade pour famille Guillaume, la Bonnetarie pour la famille Bonnet
![]() La Guintranie au printemps |
LA CROIX
DE PESTE Au
carrefour de la Guintranie se dresse cette croix dont nous parlions précédemment,
qui remplaça une borne milliaire romaine. C’est un haut monument,
dont le croisillon se dresse à plus de 3 m de hauteur. Il porte sur
le dé une date que l’on déchiffre probablement comme étant
l’année 1602. Le croisillon se remarque à cause des protubérances
dont il est orné : ils symbolisent les bubons de la peste, fléau
qui s’abattit sur Pélussin à cette époque et tua une
bonne partie de ses habitants. Les bubons sont classiques des croix de peste.
Les personnes atteintes de la terrible maladie se hissaient sur la croix
pour s’y frotter et espérer guérir par la grâce d’une
intervention divine, mais la plupart du temps ils ne faisaient que déposer
sur la croix des purulences porteuses du virus. Quand on sait que dans le
même temps les biens portants faisaient la même chose à
titre préventif, on comprend qu’au lieu de protéger les fidèles,
les croix de peste furent au contraire un vecteur de transmission de l’épidémie. ![]() La croix de la Guintranie |
LA VOIE ROMAINE ET LE MOULIN Quittons la Guintranie par le chemin en descente
qui s’amorce sous la croix. Il se transforme très rapidement en une
magnifique « pavière », c’est-à-dire
un chemin pavé qui n’est autre qu’un très beau vestige de la
voie romaine, entre deux murettes de pierres sèches. On remarque encore
par endroits la trace du fossé à droite, et des petits bancs
sont aménagés dans la murette de gauche, pour souffler un peu
dans la côte assez rude (pour ceux qui la prenaient dans l’autre sens).
Une vue magnifique se dégage sur les sommets du Pilat : Pic des
Trois Dents, Crêt de l’Œillon, Chaux de Toureyre, Chirat-Rochat.
La voie romaine sous la Guintranie, et le hameau du
Moulin
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Au bas de la descente agréable, on rejoint
le Moulin, hameau bien nommé construit non loin d’un ancien moulin,
dont on remarque encore le bief qui lui amenait les eaux de la Valencize.
La voie romaine franchissait ce ruisseau, sans doute par un pont qui a dû
être remplacé par le pont actuel. À proximité,
s’élève une autre croix, bien modeste celle-là, en bois
et assez mal en point. Mais elle est plantée au sommet d’un appareillage
de pierres taillées, qui contraste avec la discrétion de la
croix. Une pierre plate, qui a pu servir d’autel, ou tout au moins a été
utilisée pour déposer des offrandes, est enchâssée
dans un socle en U, couronné par des pierres en arc de cercle, dont
le dé supportant la croix. On imagine toute une dévotion autour
de ce petit monument rural. ![]() La croix du Moulin Le pont
passé, voici à droite un chemin herbeux qui est l’ancienne
voie romaine. Elle remonte en direction de la D 19, et le chemin semble s’arrêter
là. En réalité la voie romaine se poursuivait en direction
du Mas, on en devine le tracé par une haie, entre deux champs, qui
doit encore recouvrir ses vénérables pavés. On la retrouve
un peu plus haut, dans le bosquet sous Vaubertrand, où elle croisait
la voie de Saint-Chamond à Pélussin. À ce carrefour,
le voyageur gallo-romain venant de Condrieu avait donc le choix entre plusieurs
directions : à gauche Pélussin, qu’il atteignait très
rapidement, à droite Saint-Chamond par le col de la Croix de Montvieux,
tout droit Doizieu par le Collet du même nom. Ce carrefour n’existe
plus, mais quelques dizaines de mètres plus haut on voit encore l’endroit
où la voie ferrée de la « Galoche » croisait
la voie romaine, ce qui était sans doute peu banal.
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LE PONT DU MAS ET LES CARRIÈRES DE MEULES
Restons pour ce qui nous concerne sur cette D 19 atteinte par l’ancienne voie, et tournons à droite en direction du Pont du Mas, par lequel la route franchit la Valencize. Mais avant d’y arriver, nous allons descendre à droite dans le pré, pour franchir le ruisseau par l’ancien Pont du Mas, toujours en place entre les arbres. Il est probable que ce vieux pont est celui du chemin muletier qui abandonna le tracé de la voie romaine, jugée trop pentue, pour un profil de terrain moins accidenté suivant davantage les courbes de niveau. Le pont franchi, nous voici dans un pré où émergent quelques pierres grises, les amateurs de pendules et de géobiologie vous en diraient long sur les vertus énergétiques qu’ils leur prêtent. Après tout pourquoi pas, nous négligeons sans doute aujourd’hui bien des curiosités que nous offre la nature. Un chemin s’amorce au bout du pré, il va nous ramener vers la petite route de la Guintranie.
Le vieux pont du Mas |
Mais dans l’immédiat nous tournons
à gauche, pour accéder quelques mètres plus loin à
la D 19. Là, dans le pré de l’autre côté de la
départementale, une roche paraît avoir été « entamée »
comme une molette de beurre. Elle présente quatre traces d’enlèvement
de meules, dont une horizontale, très nettement marquée, souvent
remplie d’une eau saumâtre. À proximité on voyait encore
il y a une vingtaine d’années une meule intacte, jamais détachée
de son socle de pierre. J’en ai publié une photo dans mon Guide
du Pilat et du Jarez, la brochure n° 12 consacrée à
Pélussin. Elle a disparu peu après cette publication.
![]() Trace d’enlèvement de meule, roche près
du Pont du Mas |
Reprenons la route de la Guintranie. Peu après s’amorce à droite un chemin, souvent boueux hélas, descendant sur le Moulin. Avant d’arriver à ce hameau, à gauche dans un pré, une autre belle ancienne carrière de meules nous attend. Il y en avait beaucoup dans tout ce secteur. Déjà en 1202 un texte signale que les carriers devaient une redevance au prieuré de Saint-Julien-en-Jarez, propriétaire des lieux semble-t-il, pour chaque meule enlevée. Du Moulin nous remontons sur la Guintranie. |
Le
long des maisons du hameau, un sentier herbeux permet de remonter sur la
D 19. On remarque au passage à gauche un beau mur de pierres appareillées,
soutenant une terrasse de culture. La route franchie, nous poursuivons par
le chemin en face. La vue se dégage et permet d’admirer le panorama
sur les sommets du Pilat. Dans un bosquet à droite, plusieurs pierres
arrondies offrent des silhouettes curieuses, voire des bassins ou traces
de meules. Puis nous arrivons au hameau de Judy, ou
« Chez Judy », où nous croisons le sentier Béatrice
de Roussillon. Inutile de préciser que la fondatrice de la chartreuse
de Sainte-Croix-en-Jarez n’est jamais venue par ici, ce sentier marque en
fait la continuation jusqu’au Rhône du sentier historique de Châteauneuf
à Sainte-Croix. Il date de l’époque où le Parc Naturel
Régional du Pilat privilégiait les grands sentiers en ligne
traversant le Pilat, avant d’arriver plus raisonnablement à la création
de sentiers en boucle. Une croix modeste en fer s’élève au
carrefour, bien cachée par les ramures de quelques arbustes. Les géobiologues
considèrent que ses branches se terminent par des « éclateurs »,
ornements en forme de panelle (feuille de peuplier) ou d’as de pique, permettant
la dispersion correcte des énergies.
![]() Panorama sur le Pilat depuis les hauteurs de la Guintranie |
Poursuivant
toujours notre chemin, en direction du hameau de Mazanon, nous voici devant
une croix de fer bordant le chemin. Elle présente la particularité
d’être ornée d’une ancre de marine, attachée par une
chaîne. Certes le Rhône, et ses mariniers, n’est pas si loin,
mais cette croix à l’ancre interpelle tout de même le promeneur
qui la découvre. En fait l’ancre de marine est le symbole, un peu
oublié, de l’espérance, l’une des trois vertus théologales.
Pour le chrétien, l’âme après la mort de l’enveloppe
terrestre embarque sur un navire qui jettera l’ancre sur les terres de la
vie éternelle. Le symbole, sans doute bien intellectuel, est un peu
oublié aujourd’hui, mais on le rencontre encore fréquemment
dans de vieux cimetières, d’où provient certainement cette
croix qui ne doit rien aux mariniers du Rhône. ![]() Curieuse croix de marine ornant la base de la croix |
Plus loin après les maisons de Mazanon, un bosquet à droite abrite bien des roches creusées de cupules ou bassins. Le lieu est paisible, et invite à marquer une pause. C’est l’heure d’un pique-nique champêtre et rustique, seulement troublé par le chant des oiseaux et le doux bruit du vent dans les branches. Tout est propice à la rêverie, nous poursuivrons plus tard notre découverte des coins sympas du Pilat… À bientôt ! |
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Toutes nos félicitations
Patrick
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