RUBRIQUE
R-L-C
Janvier
2008


Par le grand Spécialiste
Patrick Berlier


Viens, suis-moi, de Cucugnan à Lille


Ou comment les grains de sel du hasard viennent ajouter une nouvelle énigme
à l'affaire de Rennes-le-Château, qui était déjà bien compliquée !



    Cette histoire commence au mois de mai de l’année 2003, alors que je guide un groupe d’amis en randonnée dans le Pays de Sault, en Provence. Je leur ai réservé la surprise d’une halte au château de la Gabelle, qui domine les plateaux désertiques entre les villages de Ferrassières et Saint-Trinit, au milieu des lavandes. Derrière les murs de l’austère forteresse se cache un havre de paix : un gîte d’étape, des chambres d’hôtes « haut de gamme », dont une chambre nuptiale réservée aux voyages de noces, dans la plus grosse tour du château. Mais aussi une boutique de produits bios, et une librairie ancienne. Le tout géré par une « baronne » énergique, particulièrement accueillante. C’est dans cette librairie que je trouve, pour un prix fort modeste, une édition des Contes provençaux de Joseph Roumanille, l’un des six compagnons de Frédéric Mistral fondateurs du Félibrige.

 
Là où tout a commencé : le château de la Gabelle

             Cette édition, entièrement en provençal, contient une version du célèbre Curé de Cucugnan immortalisé par Alphonse Daudet. En réalité, on sait très bien que Daudet avait un « nègre » en la personne de Paul Arène, poète et littérateur provençal, qui est le véritable auteur de plusieurs Lettres de mon moulin, dans lesquelles on reconnaît son style vif et frais. C’est le cas pour le Curé de Cucugnan. En amoureux de la Provence je connais un peu sa langue, tout au moins si je ne suis pas capable de soutenir une conversation en provençal, j’arrive par contre à traduire un texte. Dans ce conte de Roumanille je m’aperçois très vite qu’il y a un préambule que Paul Arène a amputé. Ainsi au début de l’histoire le curé monte en chaire en disant : « Je veux vous parler d’un trésor ! Je sais où il se trouve. Il rendra riches tous les Cucugnagnais ». Car c’est un trésor énorme, et l’abbé dans sa grande bonté veut le partager avec tous ceux qui assisteront à la messe le dimanche suivant. Les bigotes se chargent de répandre la bonne nouvelle, inutile de préciser qu’au jour dit l’église est pleine, et c’est seulement là que débute l’histoire bien connue. Le trésor, c’est celui que tout chrétien trouve en oubliant ses biens terrestres pour se tourner vers Dieu. Mais un curé qui découvre un trésor fabuleux, cela nous rappelle quelque chose, n’est-ce-pas ?

 Le hasard est d’autant plus merveilleux que Cucugnan ne se trouve pas en Provence, comme on pourrait le croire, mais dans le département de l’Aude, à moins de 50 km de Rennes-le-Château. C’est un adorable village, niché entre les châteaux cathares de Peyrepertuse et Quéribus. En 1858 son prêtre, désespéré de voir ses paroissiens déserter l’église, décide de raconter en chaire un imaginaire voyage dans l’autre monde. Partant à la recherche de ses ouailles décédées, il ne les trouve ni au Paradis, ni au Purgatoire : elles sont toutes en Enfer ! Les paroissiens prennent le récit pour argent comptant et l’effet est immédiat et radical. Cucugnan redevient un modèle de piété. L’histoire viendra aux oreilles d’un nommé Blanchot de Brenas, magistrat siégeant à Yssingeaux en Haute-Loire. Le juge, poète à ses heures, est charmé par ce récit lors d’un voyage dans les Corbières. Il publie l’histoire en 1859. Elle sera reprise en langue provençale par Joseph Roumanille, et finalement adaptée en français par son ami Paul Arène pour les Lettres de mon moulin. Parallèlement, le troubadour Achille Mir réécrit l’histoire en occitan. C’est la version que l’on peut découvrir aujourd’hui au théâtre de Cucugnan.


 
Cucugnan : vue générale


      Quelques mois plus tard, j’écris un article sur ce sujet pour l’excellent bulletin Pégase, publié par Michel Vallet alias Pierre Jarnac, à l’instigation de notre ami Roger Corréard, également fidèle de cette revue. Cet article intitulé Le trésor du curé de Cucugnan paraît en octobre 2003 dans le numéro 9 de Pégase. Parmi les autres collaborateurs occasionnels de la revue, se trouve Jean-François Deremaux, qui a mis en lumière les liens entre Le château des Carpathes de Jules Verne et l’affaire de Rennes-le-Château. Jean-François est également un ami commun à Roger et à Michel Barbot. Ayant apprécié mon texte et la version édifiante du préambule du Curé de Cucugnan de Roumanille, dont je donne la traduction dans mon article, Jean-François se met en quête de dénicher une belle édition des Lettres de mon moulin. Notre ami est un chineur, il fait les brocantes et les vide-greniers de sa région, dans la banlieue de Lille. Et dans une bourse multi-collections il trouve une édition en simili-cuir du livre de Daudet, qu’il acquiert pour un euro symbolique.
 
Rentré chez lui, Jean-François ouvre naturellement cet ouvrage à la page du Curé de Cucugnan. Une petite feuille de papier pliée en quatre tombe alors du livre. Il la ramasse, la déplie, et découvre une de ses images pieuses que l’on distribuait jadis lors des premières communions. Elle mesure 8 x 12 cm environ. C’est une litho en noir et blanc, qui représente un jeune curé rencontrant dans la campagne le Christ portant sa croix. Jésus du geste l’invite à le suivre, l’image est d’ailleurs sous-titrée : « Viens, suis-moi ». Jean-François comprend que l’on ait choisi la page du Curé de Cucugnan pour insérer cette image pieuse, elle colle assez à l’histoire du curé qui va chercher ses ouailles dans l’au-delà. Mais où l’affaire devient vraiment curieuse, c’est que le jeune prêtre représenté sur cette image paraît offrir une ressemblance troublante avec l’abbé Saunière !

 
L’image « Viens, suis-moi »

 Là il me faut ouvrir une parenthèse, et revenir à notre présent. Avant de me décider à écrire cette chronique hasardeuse que vous êtes en train de lire, j’ai voulu prendre l’avis de nos deux amis Christian Doumergue et Daniel Dugès, des spécialistes reconnus de Rennes-le-Château. Pour Christian, il n’y a guère de ressemblance entre le prêtre de l’image pieuse et l’abbé Saunière, l’homme sur l’image ayant des traits beaucoup trop anguleux, la mâchoire en particulier. Pour Daniel au contraire, la ressemblance est indéniable. Chacun jugera, au final… Daniel m’a envoyé une photo de Saunière jeune où, en effet, on constate un certain air de famille avec le curé de l’image. Listons les ressemblances : les cheveux courts, les pattes taillées au niveau des yeux, le front haut, le nez droit. Et les dissemblances : l’implantation des cheveux sur le front, avec cette calvitie naissante pour l’abbé de l’image, que l’on ne retrouve pas chez Saunière, la mâchoire en effet trop anguleuse, le menton plus pointu et moins prononcé que le menton volontaire et carré de Bérenger Saunière.

 
À gauche : détail de l’image pieuse.

À droite : photo de Bérenger Saunière jeune

 Pourtant, d’où vient le fait qu’au premier regard on est tenté de voir l’abbé Saunière dans ce portrait ? Il faut aller à Rennes-le-Château, sur la tombe de Bérenger Saunière, pour entrevoir une solution. Ce monument a été récemment déplacé et installé dans le domaine de l’abbé, ce qui signifie qu’il faut payer pour aller se recueillir sur sa tombe, ce que déplorent tous les habitués du lieu. Mais ceci est une autre histoire ! La tombe est ornée d’un bas-relief, déjà ancien et récupéré de l’emplacement primitif, reproduisant le portrait de l’abbé Saunière. Et là, oui, nous retrouvons le début de calvitie, avec ce caractéristique décrochage en demi-cercle de la chevelure, et la mâchoire anguleuse, en plus des autres points de concordance déjà notés avec notre image. Seul le menton reste dissemblable. Pourquoi ces différences ? En fait, le bas-relief a, selon toutes apparences, été réalisé à partir de la photo bien connue, apparaissant dans tous les livres, que l’on a pris pendant longtemps pour une photo de Bérenger Saunière, mais qui en réalité est celle de son frère Alfred Saunière, prêtre également. Il suffit de comparer une photo du bas-relief, convertie en négatif noir et blanc, avec la photo célèbre, comme nous le montrons ci-dessous, et le verdict est sans appel. C’est Alain Féral qui découvrit la confusion et rétablit la vérité, au début des années 90, mais le bas-relief était déjà réalisé. Il est quand même curieux qu’on l’ait réutilisé pour ainsi orner, en connaissance de cause, la nouvelle tombe de Bérenger avec le portrait d’Alfred, sans même placer une notice explicative, mais là encore c’est un autre problème !


Comparaison entre le bas-relief et la photo d’Alfred Saunière

 Revenons à notre image pieuse. En la retournant, Jean-François apprit par les indications portées au verso qu’elle datait du 9 décembre 1933, et qu’elle avait été produite par les « œuvres des douze apôtres », créées à Lille en cette même année 1933, dont le but était de financer les vocations sacerdotales. Il faut encore remarquer le décor de cette étrange rencontre dans la campagne entre un jeune curé et le Christ. À droite on voit un arbuste sec et tordu, portant quand même quelques feuilles. Image assez classique pour symboliser la résurrection. En arrière-plan, un paysage de falaises. Jean-François y voit une certaine ressemblance avec la falaise de fond des Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin, mais c’est peut-être pousser le fantasme un peu loin. Dans un prochain article, nous essaierons d’identifier ces falaises, et surtout nous verrons quels subtils messages subliminaux véhicule cette image, qui n’est pas dénuée de mystères.

 Représente-t-elle ou non l’abbé Bérenger Saunière ? Ou son frère Alfred ? Ou la ressemblance n’est-elle que le fruit du hasard ? Impossible de conclure… Vous pensez peut-être que Lille est bien loin de Rennes-le-Château ou de Cucugnan, bien trop loin pour qu’il y ait un lien quelconque ? C’est ce que nous dicte la raison, en effet. Mais voici un élément de réflexion significatif : la principale richesse de Cucugnan est une statue de la Vierge enceinte, en bois polychrome du XVIIème siècle. Celle-ci fut volée en 1981, et retrouvée… dans une consigne de la gare de Lille.

à suivre ...

Patrick BERLIER
 

Retrouvez la suite dès le 1er Mars ...