Un Coin Sympa








Présenté par
Patrick Berlier




Août
2011

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Pour ce quatrième volet de notre rubrique, nous montons, par une belle journée ensoleillée d’hiver, vers les plateaux enneigés du haut Pilat, royaume des sports nordiques, pour fureter entre le Bessat et Tarentaise, où plusieurs hameaux joliment exposés au soleil de midi invitent à une balade tranquille et bucolique. Les promeneurs nombreux savent-ils que ces lieux sont aussi chargés d’histoire ? On croit voir errer l’ombre d’un père Chartreux entre les noirs sapins, à l’orée des bois. Serait-ce Dom Nicolas Malard, prieur de Sainte-Croix-en-Jarez de 1667 à 1675, qui signa l’acte par lequel la chartreuse acquit une grande partie de ces terres ? Suivons-le, il sera notre guide en ces lieux riants.


Les Palais



UNE FLÂNERIE AUTOUR DES PALAIS



Nous quittons le Bessat et prenons la direction de Tarentaise, face à ce vent d’ouest que l’on nomme ici « la traverse ». Dès la sortie du village la route longe deux prairies légèrement pentues, où en ce jour d’hiver s’égaient de nombreux enfants amateurs de luge. Sur le premier plan du Bessat, dressé vers 1760, ces champs sont nommés « prés des Chartreux ». C’est le 25 janvier 1673 que les Chartreux de Sainte-Croix-en-Jarez achetèrent un vaste domaine au Bessat, composé de bois, prés, terres, jardins, bâtiments, granges et scieries. « À cette époque, la chartreuse était prospère, et nous avons pu réaliser de nombreuses acquisitions à titre onéreux », nous confie notre guide. Cela signifie que contrairement à l’usage cartusien qui veut qu’une maison de l’ordre ne puisse posséder que ce que l’on veut bien lui donner, la chartreuse a acquis ce domaine sur ses fonds propres. Dom Malard se propose aimablement de nous détailler les diverses possessions des Chartreux, au fur et à mesure de notre promenade entre le Bessat et Tarentaise. Passé le parking, se présente la Croix Blanche, haute croix de pierre érigée suite à une mission en 1882, typique de la mode néoceltique de la fin du XIXe siècle.


Extrait du plan du Bessat en 1760 :
noter les prés des Chartreux, en contrebas du village



LES PALAIS

Nous poursuivons sur la route, mais un peu plus bas nous prendrons la bifurcation à gauche, petite route peu fréquentée qui descend entre les chalets au style savoyard. Nous voici donc arrivés à notre objectif principal pour cette flânerie, les Palais, drôle de nom pour un modeste hameau ! Les linguistes ne sont pas d’accord entre eux pour déterminer son étymologie. Michel Achard, ancien responsable du fonds ancien de la Bibliothèque Municipale de Saint-Étienne, et auteur d’une petite brochure bien pratique « Le Bessat de A à Z », où il nous apprend une foule de détails sur son village, explique savamment que ce nom, cité dès 1390, désignerait un lieux clos de pieux (pal) selon certains, ou un replat (palle), selon d’autres. Les légendes et les croyances populaires se sont chargées de trouver une version plus romanesque. On dit que François Ier, au retour des guerres d’Italie, aurait fait étape en ces lieux et y aurait planté ses tentes. Ou que lors des guerres de religion, les Palais étaient le lieu du campement du chef de l’une des armées qui s’affrontèrent non loin d’ici.


Les Palais, vue générale



Nous tournons à gauche sur un chemin qui se dirige vers la forêt. Nous sommes ici à l’orée du Grand Bois, lequel constituait la majeure partie du domaine des Chartreux, qui l’exploitaient pour son bois. Il en reste des traces dans la toponymie : le Bois des Pères, vers l’ancien tremplin de saut à ski, ou la Sagne du Moine (sagne = source, en patois local). Le Furan coule en contrebas, ce n’est encore qu’un modeste ruisseau. Les Chartreux possédaient « trois scies sur le Furens», nous dit Antoine Vachez dans son livre de référence sur Sainte-Croix-en-Jarez. Les archives de la chartreuse signalent qu’à la Révolution ils en avaient au moins cinq. Dom Malard nous montre de sa canne un vieux mur de pierres grises, dans le creux du vallon : « ce qu’il reste de l’une des scieries », marmonne-t-il avec émotion. La Révolution est passée par là… Les biens des Chartreux ont été confisqués, les moines réduits à la misère, écrasés d’impôts pour des propriétés qu’ils ne pouvaient même plus exploiter… Les Archives Départementales de la Loire conservent encore les suppliques du prieur Dom Livinhac, réclamant simplement justice, et les réponses enflammées des révolutionnaires.


À l’orée du Grand Bois, dans le creux du
vallon, ruine de l’une des scieries des Chartreux



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Nous revenons à la route, et poursuivons notre chemin vers Tarentaise. Peu après à droite, une plaque commémorative est placée contre le rocher. Elle rappelle un fait historique : ici le 28 octobre 1816 saint Marcellin Champagnat eut la révélation de sa vocation future en allant visiter un moribond de 17 ans, lequel ignorait tout de Dieu. Marcellin décida alors de consacrer sa vie à l’éducation des enfants, et commença à réunir quelques disciples, qui deviendront la Congrégation des Frères Maristes, répandue aujourd’hui dans le monde entier.


La plaque dédiée à la mémoire
de Marcellin Champagnat




Se présente à nous la partie basse du hameau des Palais, qui jadis portait le nom de Villelonge. Là les Chartreux devaient compléter leur domaine par l’acquisition en 1699 d’un pré, et en 1707 de diverses terres, d’un jardin, d’une grange et d’une maison. Difficile de les localiser avec certitude, les noms de ces lieux comme le Coignet ou la Font ont disparu. Le Pré Chavasson est devenu Péchevasson. C’est là que s’élève la Madone de Tarentaise, qui par son attitude semble prendre le Ciel à témoin et dire « Mon Dieu, que les Bessataires sont bêtes ! », tandis que celle du Bessat qui fait lui face semble lui répondre, en baissant les bras, « Que voulez-vous que j’y fasse ? » Dans ce hameau qui fut Villelonge, une vieille maison se remarque par son linteau de porte dont la clé de voûte, datée de 1807, est gravée d’inscriptions peu aisées à déchiffrer : sans doute les noms des propriétaires, écrits de manière malhabile ?


Clé de voûte gravée



GODEMARD

Un peu plus bas nous prenons la route de gauche, pour accéder au hameau de Godemard. Ce nom rappelle le souvenir de Gaudemar II de Jarez, seigneur de Saint-Chamond, qui possédait ces lieux au XIIIe siècle. En 1673 Godemard fut vendu aux Chartreux par Jean Ravachol, avocat au Parlement, ainsi que des prés et des terres au hameau voisin du Châtelard.


La maison de Godemard, dans
le dernier rayon du soleil hivernal




Notre guide, Dom Nicolas Malard, admire la vieille maison qui s’élève là, bien restaurée, joliment exposée, puis il nous entraîne sous les ramures du sapin voisin. Voici la Croix de Godemard, discrète et peu visible, surtout depuis qu’on l’a descendue de son piédestal de pierres mal assemblées, au sommet duquel elle menaçait de s’effondrer. Elle se retrouve à même le sol, simplement plantée dans son socle de pierre cubique, où l’on devine encore les lettres A P. La croix est composée de deux branches de fer plat, œuvre sans doute des Chartreux forgerons, mais qui présentent la particularité d’être ancrées, c’est-à-dire terminées par un motif en forme d’ancre. La croix ancrée était jadis l’apanage des meuniers : y aurait-il un moulin à proximité ? Dom Malard, qui en ces lieux semble retrouver un peu de vigueur, nous entraîne par un chemin proche, qui s’avère être une voie pavée, jusqu’aux ruines situées en contrebas, sur le cours du Furan. Des pierres moussues qui s’élèvent de la verdure luxuriante de ce creux humide, dernier vestige du moulin des Chartreux, comme nous l’apprend notre guide.


La modeste croix de Godemard



PRAROUET ET LES CITADELLES

Par la route nous poursuivons jusqu’au hameau de Prarouet. L’ancienne maison forte des seigneurs de Saint-Chamond, dont Béatrix de Roussillon, veuve de Gaudemar II, fit hommage à Jean, comte de Forez, en 1290, passée entre les mains de la famille Mazenod, fut acquise par les Chartreux le 17 avril 1696. Ceux-ci devaient considérablement la remanier, et en faire une « maison de campagne », destinée à surveiller et à gérer l’immense domaine du Bessat. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détails un jour ou l’autre.

Il est temps de rentrer. Par un chemin pentu nous remontons en direction des Citadelles, autre possession des Chartreux. La toponymie, bien curieuse en ces lieux, aurait-elle gardé le souvenir d’anciennes fortifications, comme le prétend la tradition ? Une belle croix de fer forgée s’élève à l’entrée d’une vieille ferme. Encore une œuvre des Chartreux forgerons ? Plutôt le travail d’un artisan qui s’est inspiré des croix chartreuses, avec cette boule figurant le monde, supportant la croix aux branches en V nimbées de rayons.



« Tous roses de fraîcheur et de soleil couchant », comme l’a dit le poète, nous revenons tranquillement vers le Bessat. À l’approche du village, Dom Nicolas Malard semble se diluer le mur de neige bordant la route… N’était-il qu’un rêve ? Pour nous réchauffer le corps et l’esprit, nous allons terminer la journée en dégustant un bon chocolat chaud. À bientôt pour un nouveau coin sympa.


Patrick Berlier dit Le Druide


Merci pour ce beau sujet où l'on a apprécié de prendre de la hauteur



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