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BALADE SUR LES COTEAUX DU JAREZ






Présenté par
Patrick Berlier






Septembre
2021


Samedi 10 juillet 2021, quelques uns des amis et sympathisants des Regards du Pilat se retrouvent pour leur balade annuelle. En 2020, nous avions dû annuler pour cause de crise sanitaire, mais la situation s'étant améliorée en cet été 2021, la balade a pu être organisée. Nous avons choisi comme thème les coteaux du Jarez, entre la Barollière (Saint-Paul-en-Jarez) et la Croix de Paraqueue (Saint-Chamond). Certains de nos amis se sont désistés, dont Guy pour raison de santé, nous craignons d'être bien peu nombreux, mais Guy nous a envoyé des amis à lui, qui eux-mêmes sont venus avec des amis, si bien que nous nous retrouvons une douzaine au départ. C'est sous un beau soleil que nous quittons le domaine de la Barollière, et par un chemin herbeux nous prenons la direction de Bayolle-le-Bas, hameau bien connu pour ses vergers.

 

Le hameau de Bayolle-le-Bas

À gauche les vergers sous leurs filets de protection

 

Puis nous poursuivons sur le chemin qui doit nous emmener au hameau de la Daviarie. Malheureusement un peu plus loin une haie l'a envahi, elle s'avère infranchissable, et de toutes façons, de l'autre côté plus de chemin. Nous devons marcher « hors piste » en suivant, à l'estime, la direction de la Daviarie. Finalement nous atteignons ce hameau, pas par le chemin prévu, mais l'essentiel est d'y arriver.

Ensuite c'est un bout de route, puis un chemin bien tracé montant au hameau du Mont. À nouveau un bout de route, puis un autre chemin, encore plus raide, pour rejoindre la D 36-E montant de Saint-Chamond et se dirigeant sur le col du Planil. Nous la suivons sur quelques centaines de mètres, puis prenons à droite le sentier conduisant à la Croix de Paraqueue.

 

Arrivée sur la Croix de Paraqueue

 

Cette colline peu élevée (632 m) offre néanmoins une vue dominante sur Saint-Chamond et les bourgades de la vallée du Gier, comme Saint-Julien-en-Jarez, l'Horme, etc. Une grande croix s'élève au point le plus haut de la colline, érigée là le 27 octobre 1901 à l'occasion du jubilé, en remplacement d'une croix beaucoup plus ancienne. Renversée par un coup de vent le 30 avril 2012, elle a été restaurée et remise en place l'année suivante.

 

Remise en place de la croix de Paraqueue en 2013

(Photo paroisse Saint-Ennemond)

 

Le support du socle, en forme de pyramide tronquée, qui était bien délabré, a été consolidé pour l'occasion. Toute cette opération a été financée par le Ministère de la Culture, le Conseil Général, les Associations et les habitants de Saint-Chamond et de Saint-Martin-en-Coailleux, ainsi que le rappelle une plaque apposée sur le socle.

 

La croix sur son nouveau socle

 

Le nom Paraqueue interpelle. Non, on n'y vient pas tirer le diable par la queue ! Jadis on trouvait également l'orthographe Paraquet. Son étymologie est sujette à plusieurs variantes. Une première fait venir ce nom du latin paries aquae, falaise de l'eau. Il y a en effet une petite falaise, trois ou quatre mètres de haut, côté est de la colline. Elle marque l'affleurement des micaschistes lamelleux, dont de nombreuses pierres émergent ça et là sur la crête.

 

Photo aérienne de 1965 (image IGN)

Vue prise en hiver et en fin d'après-midi,
la falaise est nettement visible par son ombre

 

Y a-t-il eu des sources, au niveau de ce talus, qui motiveraient le nom falaise de l'eau ? Difficile à dire. Cependant il faut noter que la colline est sur l'ancienne commune de Saint-Martin-en-Coailleux (aujourd'hui rattachée à Saint-Chamond), nom qui s'est trouvé écrit jadis Aqualieu, le lieu de l'eau. Il y a également à proximité le lieu-dit Bagnarat, où dit-on les Romains avaient installé des bains.

Une autre étymologie latine voit dans Paraqueue les mots parata pour protégé, défendu (une citadelle ou oppidum) et cauda (queue) dans le sens de terrain allongé. Les deux étymologies ne sont pas incompatibles.

Enfin il convient de relever qu'en langue celtique le préfixe para (brillant) indique un lieu bien exposé au soleil, et nous allons voir que cela s'applique tout-à-fait à la Croix de Paraqueue.

 

La colline de Paraqueue en hiver (vue de Chavanol)

 

La colline est en effet un site mégalithique majeur du Pilat, même si malheureusement les roches à cupules et à bassins ont aujourd'hui disparu sous la végétation qui a envahi le site : broussailles, ronces, genêts et arbustes. Pour les évoquer, il faut faire appel à d'anciennes photos des années 80, époque où les pierres étaient encore accessibles, ou à des images aériennes encore antérieures.

 

Photo aérienne de 1950 (image IGN)

Le site mégalithique était alors bien dégagé

 

C'est sur le versant est de la colline, et en contrebas du sommet, que se trouvaient ces roches, en fait au sommet de la petite falaise. On y descendait depuis la croix par un sentier, qui existe toujours, mais qui aujourd'hui s'enfonce rapidement dans une végétation dense, ce qui n'était pas le cas il y a quarante ans. Une première pierre, proche du sentier, présentait une petite cupule ronde très nette.

 

Une première cupule très marquée (1981)

 

Un peu plus loin, sur de grands bancs de rocher, trois cupules alignées sur une plaque, puis des groupes en nombre croissant, deux, trois et quatre cupules.

 

Plusieurs groupes de cupules (1981)

 

Enfin tout au bord de la falaise une grosse cupule solitaire. Tout cet ensemble étant aujourd'hui caché sous une épaisse végétation, on ne peut qu'en évoquer le souvenir en examinant de vieux clichés.

 

Une dernière cupule solitaire (1981)

 

Le site mégalithique de Paraqueue se situe sur un axe sur lequel sont alignés cinq pierres mystérieuses du Jarez, toutes orientées vers le soleil levant en été. Ainsi l'étymologie celtique prend-elle tout son sens. Le site de Paraqueue est véritablement « brillant » et « bien exposé au soleil ». Cet axe prend naissance sur le site du « Chapeau de Napoléon », nom moderne de la Roche Boutelière située sur une colline (602 m) dominant Terrenoire, au sud-est de Saint-Étienne. 9 km plus loin l'axe passe par la Croix de Paraqueue (632 m).

 

À Paraqueue, dans l'axe du soleil levant

 

Encore 5 km et voici la Pierre du Diable de Farnay, au sommet de la colline, non loin de la Madone (605 m). Encore 5 km et on arrive aux Roches de Marlin (657 m), formant l'extrémité orientale de cet axe de 19 km, quasiment horizontal. Entre les deux derniers points, c'est le beau pseudo-dolmen des Loives, 1,5 km en contrebas de la colline de Marlin. Rappelons que cet axe est matérialisé sur la Pierre qui Chante par la ligne allant de « l'œil gauche » au « bout du nez » du visage humain se dessinant sur la roche. Pour plus de détails, voir notre dossier En suivant le regard de la Pierre qui Chante, en ligne sur ce site.

 

Plan schématique de l'alignement des sites mégalithiques

 

Notre balade se poursuit l'après-midi par les hameaux situés sur les coteaux du Jarez. Le sentier est bucolique, bien ombragé ce qui est appréciable par cette chaude journée, l'une des rares de ce mois de juillet 2021 bien froid et pluvieux. Après le hameau des Sagnolles, voici celui du Pizay. Il nous faut descendre encore pour passer une petite vallée.

 

Sur le sentier

 

Nous franchissons par un gué le ruisseau l'Onzion. Il forme ici un petit bassin naturel, quelques décimètres de profondeur, c'est suffisant pour que certains aillent s'y mettre au frais et y patauger avec un plaisir non dissimulé.

 

Baignade improvisée dans l'Onzion

 

Une remontée, et voici l'enchaînement des hameaux terminés en « arie » : la Laudarie, l'Héritarie, la Montanarie, la Daviarie. Ces terminaisons sont très fréquentes et révèlent des anciens noms de domaines, forgés à partir des patronymes des familles qui les possédaient. Soit, dans l'ordre, les domaines des familles Laudier, Héritier, Montan (ou Montagne), et Davier.

 

Panorama des hameaux du Jarez

 

Juste avant la Daviarie, nous montons à droite pour rejoindre la croix de Bayolle et le hameau de Bayolle-le-Haut, typique des hameaux du Jarez avec ses bâtiments aux murs de micaschiste. Nous suivons la petite route, et se présente à gauche l'ancienne chapelle Saint-Ignace, datant du début du XVIIe siècle, dont il ne reste plus que les murs.

Pour tout savoir sur l'origine et l'aspect de cette chapelle, il faut faire appel à un auteur bien connu, Jean Combe, qui nous a laissé tant de livres érudits sur le Pilat. Il évoquait la chapelle Saint-Ignace dans son livre Histoire du Mont Pilat des Temps perdus qu XVIIe siècle, écrit en 1964.

 

Vestiges de la chapelle Saint-Ignace à Bayolle

 

L'auteur posait tout d'abord la question concernant le saint à qui cette chapelle fut dédiée lors de sa construction en 1601. Il ne pouvait pas s'agir de saint Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus (les Jésuites), qui ne fut canonisé qu'en 1622. Alors probablement était-ce saint Ignace d'Antioche, l'un des Pères de l'Église, qui fut le disciple des premiers apôtres, dont le culte aurait été introduit dans la région par quelque membre de la suite de Jacques Mitte de Chevrières. Jean Combe nous décrit ensuite cette chapelle :

« La façade, dépourvue de toute ornementation, s'ouvre sur une petite cour dallée. L'extrême richesse intérieure faisait jadis un singulier contraste, avec la simplicité et le dépouillement de l'extérieur.

« L'intérieur très homogène est au contraire d'une richesse étonnante qu'une inscription courant au-dessus de l'autel semble expliquer et justifier : Domine dilexi decorem domus tuae, ce qui très exactement signifie ''Seigneur, je me suis plu à orner ta maison''. »

L'auteur explique que les murs étaient couverts de lambris aux moulures et sculptures très fouillées, qui rehaussaient et accentuaient « les dorures des chapiteaux, des modillons, des frises, des rinceaux se détachant sur un fond vernissé d'une tonalité bleutée très douce ».

Quant au plafond, il était divisé en caissons à cadres s'irradiant du centre vers les côtés. Un grand médaillon évidé et de forme elliptique garnissait le milieu de la boiserie, d'où s'échappaient des guirlandes de fleurs et de fruits faisant ressortir des têtes d'anges. Illustrant le livre de Jean Combe, un dessin de Louis Plaine montre le retable avec son grand tableau de la Descente de croix. Ce dessin constitue le dernier témoignage  de la magnificence de cette chapelle, qui était éclairée par quatre grandes fenêtres rectangulaires.

 

Le retable de la chapelle Saint-Ignace à Bayolle

(Dessin de Louis Plaine)

 

Hélas, déjà à l'époque de la rédaction de ce livre, des vandales étaient venus piller la chapelle Saint-Ignace. Des « amateurs d'antiquités » avaient trouvé là un moyen facile de s'approprier des œuvres d'art, qu'aucun classement par les Monuments Historiques n'avait permis de protéger. Au début des années 80, il était encore possible de pénétrer dans l'ancienne chapelle. Puis le temps a fait son œuvre, et le toit aux tuiles vernissées a fini par s'effondrer.

Un peu plus loin, se présente l'un des panneaux du « sentier du patrimoine » de Saint-Paul-en-Jarez. Il rappelle la légende de la célèbre « Dame de Jarez », qui aurait habité dans ces parages. L'occasion est trop belle pour raconter une nouvelle fois cette histoire.

C'était il y a bien longtemps, à l'époque médiévale. Les habitants du Jarez vivaient dans la peur. En effet, de temps à autre une terrible ogresse enlevait quelques uns de leurs enfants, pour les tuer et les dévorer. Les pauvres gens auraient bien voulu se débarrasser d'elle, mais l'épouvantable femme était riche et puissante, puisqu'elle appartenait à la noblesse. C'était la Dame de Jarez, la veuve du seigneur de Saint-Chamond. Autant dire qu'elle était intouchable. Pendant de longues années cette situation perdura, et périodiquement quelques enfants disparaissaient.

Jusqu'au jour où quelqu'un eut une idée. Qui ? On ne sait pas, ou plutôt on ne veut pas savoir, car il paraît que cette idée-là était celle d'une femme, or en ce temps-là, c'est bien connu, les femmes ne pensaient pas. Cette idée, elle était simple : puisqu'il était impossible de contrer l'ogresse par la force, pourquoi ne pas utiliser la ruse ? Comment ? On allait inviter la Dame de Jarez à un banquet, on prétendrait lui servir des enfants sacrifiés pour elle, mais en réalité on lui ferait manger des petits cochons. Il faut dire que les femmes du Jarez connaissaient une recette donnant au cochon de lait une saveur incomparable. À défaut de penser, elles savaient cuisiner, il faut au moins leur reconnaître cette qualité.

 

Portrait de la Dame de Jarez

(Dessin de Joanny Condamin d'après une peinture sur bois jadis conservée à la cure de Saint-Julien-en-Jarez)

 

Des émissaires furent envoyés à la Dame de Jarez. Elle accepta l'invitation. Au jour dit, on lui servit trois cochons de lait, nappé d'une sauce alléchante et odorante. L'ogresse n'y vit que du feu. Elle trouva cette façon d’accommoder les petits enfants si excellente, qu'elle ne voulut plus prendre la peine de les enlever, les tuer et les dévorer tout cru. Elle exigea de ses serfs qu'ils lui servent ce plat le premier dimanche de chaque mois. Les enfants étaient sauvés, les paysans n'avaient plus qu'à élever un grand nombre de cochons.

Si bien que quelques années plus tard, la population ayant augmenté, un jour que la Dame de Jarez venait déguster ses petits enfants à la mode du Jarez, à peine s'était-elle attablée que quatre paires de bras musculeux, ceux de quatre jeunes hommes solides, s'emparèrent d'elle et la jetèrent dans un cachot. On jugea l'ogresse, et on la condamna à mort pour tous ses crimes passés.

En ce temps-là, c'est l'écartèlement qui constituait la manière d'exécuter la peine capitale. On alla chercher la Dame de Jarez pour la conduire en place publique à Saint-Chamond. Quatre solides percherons furent attachés à ses quatre membres, et les chevaux aiguillonnés partirent vers les quatre points cardinaux. Il ne resta de l'ogresse que le tronc mutilé et la tête, la cinquième partie ou quintaine.

Pendant des siècles on célébra dans le village de Saint-Paul-en-Jarez, à l'occasion de la « vogue des dindes » , l'exécution de la Dame de Jarez sous le nom de « Tir à la Quintaine ». Un petit château en bois, représentant celui de l'ogresse, était démoli, d'abord à coups de pierres, puis par un système pyrotechnique qui libérait des quantités de poudres colorées. En fait c'était le stock de poudres de crayons de couleurs des défuntes usines Marquise, jadis installées au bord du Dorlay. Cette fête se pratiquait encore dans les années 80-90.

Revenons sur notre chemin. Nous voici devant une belle demeure ancienne, avec une tour. Serait-ce celle de la Dame de Jarez ? Il était alors l'usage, au cas où l'époux viendrait à décéder avant sa femme, de lui léguer par testament un manoir où elle pourrait venir se retirer, ce que l'on nommait un douaire. Et il est vrai que les terres de Bayolle appartenaient jadis à la famille de Jarez. Toutefois, il est bien peu probable que cette demeure-là, qui ne paraît pas remonter à une époque aussi reculée, ait été celle de la Dame de Jarez. D'ailleurs une tradition semblable désigne une autre maison, dans la vallée du Dorlay. Mais laissons une part au rêve.

 

Maison ancienne à Bayolle : celle de la Dame de Jarez ?

 

Et en vérité, qui était-elle, cette Dame de Jarez ? Et d'où vient cette réputation d'ogresse ? Pour avoir la réponse, il faut ouvrir le livre de Noël Gardon, Mon Pilat, étymologies, rêves et... réalités. Cet excellent ouvrage, écrit par un érudit, est une mine d'informations incomparable. Noël Gardon explique qu'au XIIIe siècle Béatrix de Roussillon (sœur de Guillaume de Roussillon), épouse de Gaudémar II de Jarez, se trouva au décès de son époux avec des enfants à charge, et la seigneurie de Saint-Chamond sur laquelle il lui fallut bien régner. C'est elle qui dut en rendre hommage au comte de Forez, par un acte reconnaissant sa suzeraineté sur ladite seigneurie. Cette charte d'hommage, datée de 1290, rédigée en français de l'époque, et non en latin, commençait ainsi :

« A très noble baron et à très honorable et à son très cher seigneur, à Jehan, comte de Forez, Béatrice de Roussillon, dame de Jareys, tueris et cureris de ses enfants salu et vrays amour... »

Il fallait comprendre bien sûr « Béatrix de Roussillon, Dame de Jarez, tutrice et curatrice de ses enfants ».

Ce texte fut exhumé des archives au XVIIIe siècle, à l'occasion d'une procédure engagée par les habitants de Saint-Chamond pour ne pas payer l'impôt sur les grains. Les contestataires voulurent trouver dans les chartes anciennes la justification de cette exonération. Or ce passage, rédigé dans la calligraphie de l'époque, fut mal compris. La préposition « et », entre tueris et cureris, ressemblait à un « de », et comme elle était quasiment accolée à cureris, on a cru voir un seul mot. De plus, le « r » lié au « i »était bien peu visible, et le « c » ressemblait à un « v ». Alors on lut « tueis devureis », que l'on traduisit à tort par « tueuse dévoreuse ».

 

Un acte médiéval, rédigé en français de l'époque

(ce parchemin, découvert à Saint-Paul-en-Jarez, a été déposé en 2020 aux Archives Départementales de la Loire)

 

Ainsi naquit la légende de la Dame de Jarez tueuse et dévoreuse d'enfants. Dans la réalité, Béatrix de Roussillon fut une dame très généreuse, qui fit de nombreux dons aux pauvres, avant de s'éteindre en 1305.

C'est en rêvant au passé disparu, alors que l'orage gronde dans le lointain, que nous terminons cette belle balade sur les coteaux du Jarez.




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