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Ponce Pilate Novembre 2017 |
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Par
Patrick Berlier
|
PONCE PILATE
ET SES MYSTÈRES Personne n'ignore le nom de
Ponce Pilate, celui
qui eut à juger Jésus, le condamna à la
crucifixion, et s'en lava les mains. Le
théâtre et le cinéma l'ont mis en scène.
Jean Gabin et Jean Marais, entre
autres, ont interprété son rôle. Les Églises
d'Orient honorent Ponce Pilate
comme un saint, ainsi que son épouse. Les auteurs juifs le
dépeignent au
contraire comme un homme brutal et cruel. Mais il fut peut-être
seulement un
fonctionnaire appliqué, soucieux de faire respecter l'ordre
établi et
l'autorité de Rome dans une province qui était une
véritable poudrière. Ponce
Pilate et le grand prêtre Caïphe La Palestine était sous
domination romaine depuis
sa conquête par Pompée en 63 av. J.-C. Le pays
était divisé en plusieurs
contrées, dont les trois principales, la Samarie, la
Judée et l'Idumée (du nord
au sud) étaient depuis l'an 6 considérées comme
provinces impériales et placées
sous l'autorité d'un gouverneur romain. Les autres
contrées comme la Galilée
étaient laissées sous la gestion de souverains juifs
romanisés, les tétrarques.
L'ensemble des provinces romaines du Moyen-Orient, dont la Palestine,
était
placé sous l'autorité générale du
légat romain de Syrie. Les Juifs toléraient de
plus en plus mal cette situation, et de nombreuses tentatives de
rébellion
avaient déjà eu lieu. C'est dans ce contexte que Ponce
Pilate fut nommé à la
tête des trois provinces impériales en l'an 26, alors que
Tibère était
l'empereur de Rome. Deux ans plus tard, un certain Jésus de
Nazareth commença à
faire parler de lui. LE MYSTÈRE DES ORIGINES On ne sait rien de Ponce
Pilate avant sa
nomination en Judée. Sa date et son lieu de naissance restent
inconnus, ce qui
a laissé la place à des croyances diverses. Selon l'une
d'elles, il serait né à
Séville en Espagne. Une autre tradition bien établie,
mais aux racines
anciennes et obscures, le voit naître soit en Dauphiné,
soit à Lugdunum (Lyon).
C'est Claude de Rubys qui, le premier, s'en fit l'écho dans son Histoire
véritable de la ville de Lyon parue en 1604. Extrait
du livre de Claude de Rubys, où il est question de Ponce Pilate Mais l'historien lyonnais ne
prêtait aucun crédit
à ces croyances, en faisant remarquer à juste
raison : « s'il
eût été de ce pays, on
ne l'eût pas envoyé en exil à Vienne, comme le
porte son histoire, d'autant que
cela n'eût pas été un bannissement, mais un simple
renvoi en sa patrie, comme
on faisait pour les vieux soldats. » Le problème, c'est que
l'exil à Vienne, comme
nous le verrons, repose uniquement sur les affirmations de saint Adon,
évêque
de ce diocèse au IXe siècle, et n'est
étayé par aucun écrit de
l'époque. Quoiqu'il en soit, la rumeur d'une naissance à
Lyon a persisté, et
elle était encore rapportée par Aimé Vingtrinier,
érudit bibliothécaire de la
ville de Lyon à la fin du XIXe siècle. Le
père de Ponce Pilate
aurait été un fonctionnaire en poste à Lugdunum,
ville fondée en 43 av. J.-C.,
et il aurait possédé une élégante demeure
en bordure de l'une des trois voies
montant des rives de la Saône vers la cité romaine,
située sur le plateau
formant aujourd'hui la colline de Fourvière. Cette voie, la plus
ancienne de
Lyon encore ouverte à la circulation automobile, est l'actuelle
Montée
Saint-Barthélemy. C'est là que Ponce Pilate serait
né, en 19 av. J.-C. Maquette
de Lugdunum – En jaune : la voie au bord de laquelle se serait
élevée la
maison natale de Ponce Pilate (Musée
gallo-romain de Fourvière) Le nom même de Ponce
Pilate a été sujet à bien
des interprétations. Tous les évangélistes le
nomment simplement Pilate. Seul
Luc, dans le second prologue de son Évangile, donne son nom
complet, lorsqu'il
précise le contexte historique sous lequel commença
l'histoire de Jésus : « L'an
quinze du principat de
Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de
Judée, et Hérode tétrarque de
Galilée, Philippe, son frère, tétrarque du pays
d'Iturée et de Trachonitide, et
Lysanias tétrarque d'Abilène, sous le pontificat d'Anne
et Caïphe » (Évangile
selon saint Luc, 3, 1 – 2). Tibère étant
empereur (César) de Rome depuis l'an
14, l'an 15 de son règne correspond donc à l'an 28. C'est
l'année où Jean
Baptiste quitta le désert de Judée pour venir
prêcher sur les bords du
Jourdain, où il rencontra Jésus et lui donna le
baptême, acte marquant le début
de sa vie publique et de son ministère. On trouve dans le Nouveau
Testament seulement
trois mentions du nom complet Ponce Pilate. Outre la
précédente, tirée de
l'Évangile de Luc, la seconde mention est dans les Actes des
Apôtres
rédigés par Luc, et la troisième dans la Première
épître à Timothée
rédigée par Paul : « Car,
en vérité, c'est une
ligue que, dans cette ville, Hérode et Ponce Pilate, avec les
nations et les
peuples d'Israël, ont formé contre ton saint serviteur
Jésus que tu avais oint
pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient
déterminé
d'avance. » (Actes, 4, 27). « Je
te prescris devant Dieu
qui donne la vie à toutes choses, et Christ Jésus qui a
rendu témoignage devant
Ponce Pilate par sa belle profession » (I Timothée, 6,
13). Il a fallu attendre le XXe
siècle,
l'année 1961 précisément, avec la
découverte d'une pierre gravée à
Césarée,
pour confirmer le nom Ponce Pilate (Pontius Pilatus en latin)
annoncé par ces
trois versets du Nouveau Testament. Césarée était
la ville de Judée préférée
des Romains, c'est là que Pilate résidait le plus
souvent, ne se rendant à
Jérusalem que lors des fêtes juives pour superviser le
service d'ordre. À
Césarée Ponce Pilate fit construire un sanctuaire en
l'honneur de l'empereur
Tibère (le Tiberiéum), dédié au grand
empereur Auguste qui depuis sa mort était
considéré comme un dieu, et cette fameuse pierre portait
sa dédicace. La
pierre gravée de Césarée Il manque des fragments, mais
il est possible de
reconstituer avec une bonne probabilité la totalité de
l'inscription. Plusieurs
solutions ont été proposées, la plus plausible est
celle-ci (en rouge les
lettres effacées) : AVGVSTIS TIBERIÉVM Soit en français :
« Pour le divin
Auguste ce Tiberiéum, que Ponce Pilate préfet de
Judée a construit et
consacré ». Quelles sont l'origine et la
signification du nom
Ponce Pilate ? Des auteurs anciens ont donné des versions
souvent
fantaisistes. Ainsi le prieur Chartreux Dom Polycarpe de la
Rivière se croit-il
obligé de les rapporter dans son livre Mystère
sacré de notre Rédemption (1621),
en s'appuyant sur ce qu'avait écrit avant lui l'historien
Nicolas de Lyre (XVe
siècle) dans un ouvrage rédigé en latin : « Pilate,
au rapport de Lyra,
qui ne l'approuve pas non plus, que la chose me semble incroyable, est
le nom
propre de Pilate composé de celuy de sa mère qui se
nommait Pila, et du nom de
son père Ate surnommé Ponce, à cause de l'isle
Poncie où il fut envoyé par les
Romains » Lyra (Nicolas de Lyre) ne
l'approuvait pas, mais
le rapportait quand même ; Dom Polycarpe traduit ses propos
et trouve la
chose incroyable, mais pourtant il en parle lui aussi. C'est à
se demander s'il
n'y a pas un message caché derrière tout cela... Il est
bien peu vraisemblable
que la mère de Ponce Pilate eût été
nommée Pila (colonne, ou paume, balle,
pelote) et son père Ate surnommé Ponce parce qu'il fut
envoyé dans l'île Ponce
ou Poncie, qui est au large de Naples. La formation des noms romains
est
parfaitement connue, et ils ne sont jamais un mélange du nom des
parents. Ils
obéissent à l'usage des tria nomina, la
règle des trois noms, à savoir
un prænomen (prénom), un nomen (nom
patronymique) et un cognomen
(surnom, à l'origine). Si Ponce était un surnom et Pilate
un nom patronymique,
comme semblait le suggérer Lyra, Ponce serait placé
après Pilate et non avant,
et de plus ce nom-là serait le plus célèbre des
trois, car on connaissait les
gens d'abord par leur cognomen, puis par leur nomen, et
facultativement par leur prænomen. Nicolas
de Lyre (ou Lyra), inspirateur de Dom Polycarpe de la Rivière Dans le nom latin Pontius
Pilatus, Pontius est le
patronyme, le nom de la gens à laquelle Ponce Pilate
appartenait, à
savoir le clan des Pontius, originaires des Abruzzes, dont un
ancêtre
s'illustra lors des guerres samnites. Quant à Pilatus, c'est un
mot latin
signifiant « armé d'un javelot » (pilum)
qui était l'arme
typique des légionnaires romains. Il s'agit là sans doute
d'un titre
honorifique, un « javelot d'honneur »
décerné pour fait d'armes
remarquable, qui est devenu un surnom. Si l'on ignore quelle fut la
carrière de Ponce
Pilate avant sa nomination en Judée en l'an 26, on sait
cependant avec
certitude qu'il appartenait à l'ordre équestre,
importante classe sociale de
citoyens romains, qui formait la cavalerie au sein de l'armée.
Il n'était
cependant pas d'une haute noblesse. Il n'existe aucun portrait connu de
Ponce
Pilate. Les artistes qui l'ont représenté ont
imaginé, sans grand risque de se
tromper, un homme solide, dans la force de l'âge, aux traits
virils marqués par
la vie militaire, cheveux courts et rasé de près, selon
la mode romaine. Les
cinéastes ont choisi pour son rôle des acteurs
répondant à ces critères. L'affiche
du film avec Jean Marais dans le rôle de Ponce Pilate LE MYSTÈRE DE LA
FONCTION Pendant des siècles,
Ponce Pilate a été présenté
comme le procurateur de la Judée. On se fondait pour cela sur
les versions
anciennes des Évangiles, comme le Codex Bezæ,
manuscrit du Ve
ou VIe siècle découvert à Lyon en 1562
par le théologien protestant
Théodore de Bèze, où l'on trouve pour le second
prologue de Luc le mot grec épitropeyentos,
dérivé d'épitropos qui est
l'équivalent du latin procurator. Les
évangélistes utilisent parfois, en d'autres occasions, le
mot grec hègémôn,
signifiant « celui qui commande ». Les
traductions actuelles
emploient généralement le mot
« gouverneur ». Puis la découverte de
la pierre gravée de Césarée a remis en question
cette certitude, puisque Ponce
Pilate y est qualifié de préfet (præfectus),
terme qui prévaut
aujourd'hui puisqu'il est, si l'on peut dire, gravé dans le
marbre. Alors Ponce
Pilate était-il procurateur, gouverneur ou préfet ?
Et quelle différence,
d'ailleurs, entre ces termes ? À Rome, les
procurateurs étaient des fonctionnaires
impériaux travaillant dans l'administration civile. Ils
appartenaient, pour la
plupart, à l'ordre équestre. Ils pouvaient
contrôler les revenus dans les
provinces impériales, ou même faire office de gouverneurs
pour des provinces de
moindre importance, comme l'était la Judée. Les
préfets étaient des officiers
en charge d'une unité militaire ou de l'administration
chargée de rendre la
justice dans les provinces. Ils appartenaient aussi à l'ordre
équestre. Les
deux fonctions étaient donc assez semblables, si ce n'est que
procurateur était
un titre civil et préfet un grade militaire. Or Ponce Pilate avait toute
l'autorité pour
commander les troupes stationnées en Judée, il pouvait
même demander des
renforts à la province de Syrie, dont le légat
supervisait toute la région,
Ponce Pilate étant, selon la hiérarchie romaine, son
subordonné. Sa fonction
l'amenait aussi à rendre la justice, et il était le seul
habilité à prononcer
la peine capitale, depuis que les Juifs avaient perdu le
« droit de glaive ».
C'est précisément pour cette raison que Jésus lui
fut présenté, mais nous y
reviendrons. Cependant, c'est lui aussi qui se chargeait de lever les
impôts,
fonction qui était celle du procurateur. On peut donc conclure
que le titre de
Ponce Pilate en Judée était bien avant tout celui de
préfet, mais qu'il
remplissait aussi accessoirement la fonction ingrate de procurateur. Deux textes vont nous
permettre d'illustrer le
rôle de Ponce Pilate sur l'armée. Ils sont extraits des Antiquités
judaïques
de l'auteur romain d'origine judéenne Flavius Josèphe,
qui vécut au Ier
siècle. Flavius
Josèphe « Il
avait eu l'idée, pour
abolir les lois des Juifs, d'introduire dans la ville les effigies de
l'empereur qui se trouvaient sur les enseignes, alors que notre loi
nous interdit
de fabriquer des images [...] Quand le peuple le sut, il alla en masse
à
Césarée et supplia Pilate pendant plusieurs jours de
changer ces images de
place. Comme il refusait, disant que ce serait faire insulte à
l'empereur, et
comme on ne renonçait pas à le supplier, le
sixième jour, après avoir armé
secrètement ses soldats, il monta sur son tribunal,
établi dans le stade pour
dissimuler l'armée placée aux aguets. Comme les Juifs le
suppliaient à nouveau,
il donna aux soldats le signal de les entourer, les menaçant
d'une mort
immédiate s'ils ne cessaient pas de le troubler et s'ils ne se
retiraient pas
dans leurs foyers. Mais eux, se jetant la face contre terre et
découvrant leur
gorge, déclarèrent qu'ils mourraient avec joie
plutôt que de contrevenir à leur
sage loi. Pilate, admirant leur fermeté dans la défense
de leurs lois, fit
immédiatement rapporter les images de Jérusalem à
Césarée. » « Pilate
amena de l'eau à
Jérusalem aux frais du trésor sacré, en captant la
source des cours d'eau à
deux cents stades de là. Les Juifs furent très
mécontents des mesures prises au
sujet de l'eau. Des milliers de gens se réunirent et lui
crièrent de cesser de
telles entreprises, certains allèrent même jusqu'à
l'injurier violemment, comme
c'est la coutume de la foule. Mais lui, envoyant un grand nombre de
soldats
revêtus du costume juif et porteurs de massues dissimulées
sous leur robes au
lieu de réunion de cette foule, lui ordonna personnellement de
se retirer.
Comme les Juifs faisaient mine de l'injurier, il donna aux soldats le
signal
convenu à l'avance, et les soldats frappèrent encore bien
plus violemment que
Pilate le leur avait prescrit, châtiant à la fois les
fauteurs de désordre et
les autres. Mais les Juifs ne manifestaient aucune faiblesse, au point
que, surpris
sans armes par des gens qui les attaquaient de propos
délibéré, ils moururent
en grand nombre sur place ou se retirèrent couverts de
blessures. Ainsi fut
réprimée la sédition. » (Antiquités
Judaïques, Livre XVIII,
chapitre 3) Ces textes présentent
Ponce Pilate comme un homme
arrogant, pragmatique, brutal et cruel. Mais ils ont été
rédigés par un auteur
d'origine juive, qui avait conservé sa religion, et qui a sans
doute forcé le
trait. Les évangélistes, à l'inverse, laissent de
Pilate l'image d'un homme
lâche et indécis, faible de caractère, ne sachant
comment se dépêtrer du procès
de Jésus qui lui était imposé, reportant
finalement sur les Juifs toute
l’infamie de sa crucifixion. Tout cela sans doute pour ne pas froisser
la
susceptibilité de la censure romaine, au moment de la diffusion
des textes
saints dans un empire romain qui commençait à s'ouvrir au
christianisme. LE MYSTÈRE DU
PROCÈS À une date que la
tradition fixe en l'an 33, mais
qui fut plus vraisemblablement l'an 30, Jésus vint à
Jérusalem pour la Pâque
juive. Nous avons vu que Luc situait en l'an 28 le début de
l'histoire de
Jésus. Or d'après l'Évangile attribué
à Jean, Jésus participa à trois fêtes
successives de la Pâque, en 28, 29 et 30 par conséquent.
Cette fête commémorait
le souvenir de la dixième plaie d'Égypte, lorsque les
Hébreux étaient retenus
en captivité par le Pharaon, et que, selon ce que dit la Bible,
Dieu lui envoya
dix plaies pour l'obliger à les libérer. La
dixième plaie, la plus terrible,
fut la mort de tous les premiers nés. Pour épargner les
premiers nés hébreux,
Dieu donna des instructions précises à Moïse :
chaque famille devrait tuer
un mouton, le rôtir et le manger, et se servir de son sang pour
marquer les
portes de leurs maisons. Ainsi le fléau sauterait par-dessus
sans les toucher. Les évangélistes
ne sont pas d'accord entre eux
sur des points de détail, mais tous disent, en substance, que
Jésus réunit ses
disciples pour un dernier repas. C'était le jeudi soir de la
Pâque. Les Juifs
célébraient le repas pascal normalement le vendredi soir,
mais les Galiléens
venus à Jérusalem avaient le droit de
célébrer le repas pascal le jeudi soir,
puisqu'ils devaient consacrer le vendredi à rentrer chez eux,
tout déplacement
étant proscrit le samedi (jour du sabbat). Il y eut donc
vraisemblablement du
mouton au menu de ce dernier repas, au cours duquel Jésus
désigna à Jean celui
qui allait le trahir : Judas Iscariote. Les grands prêtres juifs
étaient excédés par cet
homme se disant Fils de Dieu, chose à laquelle ils ne croyaient
nullement. Ils
considéraient au contraire les propos de Jésus comme un
blasphème, crime puni
de mort dans leur Loi. Ils avaient donc décidé de le
tuer, ou plutôt de le
faire tuer par Pilate. Car ainsi que Jésus l'avait
prophétisé à Nicodème (Jean,
3, 14) son destin était d'être
« élevé », c'est-à-dire
cloué sur une
croix dressée. Pour cela il était indispensable qu'il
fût livré finalement à
l'autorité romaine, seule habilitée à prononcer
une telle sentence. Mais Jésus
parvenant toujours à s'échapper in extremis, seul un de
ses proches pouvait le
trahir, et ce rôle fut endossé par Judas. Le fit-il pour
l’appât du gain, les
fameux trente deniers prix de sa trahison, ou le fit-il sur l'ordre
secret de
Jésus, se sacrifiant pour qu'ainsi fût accomplie la
prophétie ? Les avis
restent partagés aujourd'hui. Lorsque Judas quitta la table du
dernier repas,
personne ne fut surpris car c'était lui qui détenait la
bourse commune et les
disciples pensèrent que Jésus lui avait demandé
d'aller faire des emplettes. Jésus
lui dit : « Ce que tu fais, fais-le bien
vite ». Personne ne
comprit le sens de ces paroles, qui, il est vrai, peuvent se comprendre
de
multiples façons. Le
dernier repas du Christ et de ses disciples (Copie
de la Cène de Philippe de Champaigne, Musée des
Beaux-Arts, Lyon) L'autre élément
nécessaire et indispensable au
destin du Christ, ce fut donc Ponce Pilate. Jésus, suite
à son arrestation dans
le jardin de Guethsémani, où il s'était rendu avec
les disciples après le
repas, fut conduit devant le grand prêtre Caïphe dans son
palais. C'était donc
la nuit du jeudi au vendredi. Caïphe était celui qui avait
convaincu les
prêtres de tuer Jésus. Mais les Juifs ne disposant plus du
pouvoir de condamner
à mort, il fallait trouver un prétexte pour le
déférer devant Ponce Pilate, lui
seul pouvant prononcer la peine capitale. On peut quand même
s'étonner de
l'hypocrisie de cette décision, les Juifs ne se privant pas
d'exécuter par
lapidation les femmes adultères ou ceux qu'ils
considéraient comme
blasphémateurs, comme ce sera le cas pour Étienne. Un
besoin impérieux, la
réalisation de la prophétie, les poussa, sans même
qu'ils s'en rendissent
compte, à ne pas tuer eux-mêmes Jésus, car une
lapidation n'eut pas permis de
« l'élever ». Ils décidèrent
donc de le livrer à Pilate, seule
condition pour qu'il fût crucifié et en conséquence
« élevé ». Mais
de quoi l'accuser pour que cela fût crédible ? Les
prêtres reprochaient
seulement à Jésus de prétendre être le Fils
de Dieu, ce qui pour eux était un
grave blasphème méritant la mort, mais Pilate se
moquerait bien sans doute de
cette accusation. Alors ils ont inventé une fable :
présenter Jésus comme
revendiquant d'être le roi des Juifs, ce qui pouvait
s'avérer comme une menace
pour la puissance romaine. Au matin du vendredi de la
Pâque, Jésus fut amené
à Pilate, qui résidait alors dans la forteresse d'Antonia
pour diriger les
troupes assurant le maintien de l'ordre pendant la fête.
Caïphe refusant d'y
entrer pour ne pas être souillé par ce bâtiment
impie, Pilate dut venir sur le
perron, et c'est là qu'eut lieu la première confrontation
avec Jésus.
L'interrogatoire se fit probablement en grec, alors langue universelle.
Mais à
l'inverse de Jésus, Pilate ne devait ni entendre ni parler le
grec couramment,
aussi leur dialogue prit-il parfois des tournures curieuses, ce que de
savants
hellénistes ont décelé dans le texte originel en
grec de l'Évangile de Jean.
Ponce Pilate questionna Jésus, qui systématiquement
répondit à côté, par des
phrases énigmatiques, ou garda le silence. Voyons ce que
rapportent chacun des
évangélistes. Pour Matthieu : « Jésus
comparut devant le
gouverneur. Et le gouverneur l'interrogea en disant : ''C'est toi
le roi
des Juifs ?'' Jésus déclara : ''C'est toi qui
le dit.'' Et comme il
était accusé par les grands prêtres et les anciens,
il ne répondit rien. Alors
Pilate lui dit : ''Tu n'entends pas ce dont ils témoignent
contre
toi ?'' Et il ne lui répondit sur aucun point, de sorte que
le gouverneur
était fort étonné. » (Matthieu, 27, 11 – 14) Marc et Luc écrivent
à-peu-près la même chose.
Seul Jean s'étend plus longuement sur la confrontation des deux
hommes. Il
rappelle tout d'abord les raisons qui ont poussé les Juifs
à livrer Jésus à
Pilate : « Pilate
sortit donc dehors
vers eux, et il dit : ''Quelle accusation portez-vous contre cet
homme ?'' Ils répondirent et lui dirent : ''Si cet
homme n'était pas
un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré.'' Pilate donc
leur dit :
''Prenez-le, vous, et jugez-le selon votre loi.'' Les Juifs lui
dirent :
''Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu'un.'' C'était
pour que la
parole de Jésus s'accomplît, celle qu'il avait dite pour
signifier par quelle
genre de mort il devait mourir. » (Jean, 18, 28 – 32) Pilate et Jésus
entrèrent alors dans le prétoire
et se retrouvèrent face à face, sans les grands
prêtres restés à l'extérieur.
Pilate dit à Jésus : « ''C'est
toi, le roi des
Juifs ?'' Jésus répondit : ''Est-ce de
toi-même que tu dis cela, ou
d'autres te l'ont-ils dit de moi ?'' Pilate répondit :
''Est-ce que
je suis Juif, moi ? C'est ta nation et les grands prêtres
qui t'ont livré
à moi ; qu'as tu fait ?'' Jésus
répondit : ''Mon royaume à moi
n'est pas de ce monde. Si mon royaume à moi était de ce
monde, mes gens à moi
auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux
Juifs ; mais non, mon
royaume à moi n'est pas d'ici.'' Pilate lui dit donc : ''Tu
es donc roi,
toi ?'' Jésus répondit : ''C'est toi qui le
dit : je suis roi. Moi,
c'est pour cela que je suis né, et c'est pour cela que je suis
venu dans le
monde : pour rendre témoignage à la
vérité ; quiconque est de la
vérité écoute ma voix.'' Pilate lui dit :
''Qu'est-ce que la
vérité ?'' » (Jean, 18, 33 – 38) Pilate était totalement
décontenancé par les
réponses de Jésus, puisqu'il ne sut répondre que
par cette formule lapidaire
qui est un vrai sujet de philosophie : « Qu'est-ce que
la
vérité ? », soit « ti estin
aletheia » dans le texte
grec de l'Évangile de Jean. En fait, Pilate ne saisissait sans
doute pas toutes
les nuances de ce mot aletheia, composé d'un a
privatif, suivi de
leth qui veut dire « caché,
latent ». Aletheia, que
Pilate assimilait au latin veritas, signifiait donc plus
précisément
« ce qui n'est pas caché ». En tous cas, les
réponses sibyllines de Jésus
n'étaient pas celles qu'aurait faites un agitateur politique,
susceptible de se
rebeller contre l'autorité romaine. Pilate commençait
à comprendre que cet
homme ne présentait aucun danger pour Rome, et ne trouvant aucun
motif de
condamnation à mort il se proposait de le relâcher. Luc ajoute – et il est le seul
à donner cette
précision – que Pilate envoya alors Jésus
comparaître devant Hérode, car il
était Galiléen et relevait donc de sa juridiction. Cet
Hérode-là était
naturellement Hérode Antipas, le tétrarque de
Galilée, fils du roi Hérode le
Grand. Hérode questionna Jésus, qui ne répondit
rien. Il ne crut pas,
évidemment, à sa royauté, même au sens
mystique. Il le traita avec mépris, le
considéra comme un fou, et le renvoya à Pilate. « Et
Hérode et Pilate devinrent deux amis le jour-même, alors
qu'auparavant ils se
haïssaient », ajoute Luc (23, 12). Cette
amitié soudaine est pour
le moins surprenante, car tout opposait ces deux hommes. Hérode
Antipas menait
une vie de débauche et ne reculait devant aucun crime : il
avait fait
décapiter Jean Baptiste uniquement pour plaire à sa
belle-fille Salomé. Ponce
Pilate au contraire se présentait comme un solide et impartial
représentant de
l'ordre. Mais tous deux libéraux, chacun à sa
manière, ils finirent par trouver
un terrain d'entente. Déplacements
de Jésus durant sa dernière nuit LE MYSTÈRE DE BARABBAS À ce niveau-là
du récit, les quatre évangélistes
sont d'accord pour voir Pilate revenir sur le perron devant les
prêtres et la
foule des Juifs afin de leur exposer ses conclusions, disant qu'il ne
voyait
rien à reprocher à Jésus et proposant de le
libérer. C'est à ce moment-là
qu'intervient l'épisode Barabbas, curieusement singulier quand
on l'examine
soigneusement. Voyons comment les évangélistes le
racontent. Pour
Matthieu : « À
chaque fête, le gouverneur
avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui
qu'elle voulait. On
avait alors un prisonnier fameux appelé Barabbas. Tandis qu'ils
se trouvaient
assemblés, Pilate leur dit : ''Qui voulez-vous que je
relâche, Barabbas ou
Jésus, celui qui est appelé Christ ?'' Car il savait
que c'était par envie
qu'ils l'avaient livré […] Mais les grands prêtres et les
anciens persuadèrent
aux foules de réclamer Barabbas et de faire périr
Jésus. Prenant la parole, le
gouverneur leur dit : ''Lequel des deux voulez-vous que je
relâche ?'' Ils dirent : ''Barabbas.'' » (Matthieu,
27, 15 – 18 et 20 - 21) Cette coutume de
relâcher un prisonnier est fort
surprenante, car aucun écrit romain ne mentionne un tel
privilège. Les seuls
textes qui en parlent sont bien les Évangiles, et si tous
emploient presque les
mêmes termes, avec plus ou moins de détails, c'est que les
quatre évangélistes
avaient sans doute une source commune et unique. Marc ajoute seulement
que ce
brigand avait été arrêté lors d'une
sédition pour avoir commis un meurtre. Les
évangélistes mettent donc en scène un Pilate
contraint de relâcher Barabbas,
alors qu'il espérait, par ce stratagème, trouver le moyen
de libérer Jésus sans
perdre la face. Au
cinéma, Ponce Pilate laisse à la foule le choix entre
Jésus et Barabbas Mais qui était vraiment
Barabbas ? Son nom
en araméen signifie « fils du
père ». Dans les versions antiques de
l'Évangile de Matthieu, ce brigand est nommé Jésus
Barabbas, ce qui signifie
donc « Jésus fils du père ».
Jésus était un prénom fort courant, mais
seul Jésus de Nazareth pouvait donner à Dieu le nom de
« Père »,
étant selon la foi chrétienne la deuxième personne
de l'hypostase à trois
composantes : Père, Fils et Esprit Saint.. Il était
donc lui aussi
« Jésus Fils du Père ». Si pour les
théologiens, qui se fondent sur les
quatre évangélistes, Barabbas le brigand a bien
existé, pour beaucoup d'auteurs
Jésus et Barabbas ne sont qu'un seul et même homme.
L'épisode Barabbas ne serait
qu'une fiction, ou plutôt un procédé
littéraire pour dissocier les deux natures
de Jésus, la divine et l'humaine. Ainsi, lorsque la foule criait
« libérez
Barabbas », elle demandait la libération de
Jésus, le Fils de Dieu, alors
que les grands prêtres réclamaient la crucifixion de
Jésus, l'homme qui se
prenait pour Dieu. En imaginant cette
scène, Pilate relâchant
Barabbas, les évangélistes ont voulu signifier qu'en cet
instant était accompli
un geste hautement symbolique : l'essence divine de Jésus,
le Fils de
Dieu, était libérée, alors que son essence
humaine, le Fils de l'homme, était
envoyée à la crucifixion, pour que fût accomplie la
prophétie. Ainsi Pilate
devenait-il parfaitement l'instrument du destin du Christ, sans avoir
à se
reprocher, en son âme et conscience, le crime de déicide.
C'est tout au moins
la conclusion à laquelle on peut arriver si l'on
considère que Jésus et
Barabbas désignaient les deux natures d'un même individu.
En restant dans cette
logique, on peut estimer que lorsque Jésus crucifié
s'exclama « Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? », ce
n'est pas à Dieu son
Père qu'il faisait ce reproche mais à la part divine de
lui-même. LE MYSTÈRE DE
L'ÉPOUSE Matthieu est le seul
évangéliste à intercaler
dans son texte, avec l'épisode Barabbas, un court passage
où il est question de
l'épouse de Ponce Pilate : « Tandis
qu'il siégeait au
tribunal, sa femme lui envoya dire : ''Ne te mêle pas des
affaires de ce
juste, car j'ai beaucoup souffert en songe à cause de
lui.'' »
(Matthieu,
27, 19) C'est la seule mention,
très brève, de la femme
de Pilate. On se demande d'ailleurs comment Matthieu pouvait
connaître la
teneur de son message, mais si selon ce texte « sa femme
lui envoya
dire », cela laisse penser que le message fut oral, donc
plus ou moins
audible par tous. En tous cas cela laisse imaginer l'épouse
comme une mystique
pro-chrétienne. Il faut consulter les textes apocryphes, en
particulier l'Évangile
de Nicodème écrit au IVe siècle,
pour apprendre que cette femme
portait le nom de Claudia Procula (elle est appelée Procla dans
les écrits
coptes éthiopiens). Dans ce nom, Claudia était donc son nomen
et Procula
son cognomen, le prænomen restant inconnu. Le
nom Claudia indique
que cette femme appartenait à la gens Claudia,
d'où étaient originaires
également les empereurs Tibère et Claude. L'épouse
de Ponce Pilate appartenait
donc à une haute noblesse, ce qui peut expliquer la
réussite sociale de son
mari, et ce qui explique surtout le fait que Ponce Pilate ait pu
emmener son
épouse avec lui en prenant son poste en Judée, ce qui
n'était pas l'habitude
romaine. Jean
Gabin et Edwige Feuillère Claudia Procula semble
être née à Narbonne, si
l'on se réfère à un texte apocryphe, une
série de lettres écrites par elle à
l'attention de son amie d'enfance Fulvia Hersila (voir à ce
sujet Claudia
Procula, femme de Ponce Pilate par Christian Doumergue, sur
ce même site).
Comment rencontra-t-elle Ponce Pilate ? L'histoire ne le dit
pas... Tout
au plus peut-on imaginer – dans l'hypothèse d'un Pilate natif de
Lyon – qu'elle
l'a connu en allant voir son parent le futur empereur Claude, né
à Lyon comme
on le sait avec certitude. La tradition voit Claudia Procula se
convertir à la
religion chrétienne, ou tout au moins être favorable
à la mouvance chrétienne,
amie de Marie-Madeleine et favorisant son voyage en Gaule, lequel
n'aurait été
pour elle qu'un retour vers son pays natal. À ce titre elle est
considérée
comme sainte par les Églises d'Orient. LE MYSTÈRE
DU LAVEMENT DES MAINS Reprenons la lecture de
l'Évangile de Matthieu,
qui est le seul a raconter l'épisode du lavement des mains : « Pilate
leur dit : ''Que
ferai-je donc de Jésus, celui qui est appelé
Christ ?'' Ils dirent
tous : ''Qu'il soit crucifié !'' Celui-ci
déclara : ''Quel mal
a-t-il donc fait ?'' Et eux criaient plus fort : ''Qu'il soit
crucifié !'' Pilate, voyant que cela ne servirait à
rien, mais qu'il en
résultait plutôt du tumulte, prit de l'eau et se lava les
mains devant la
foule, en disant : ''Je suis quitte de ce sang. À vous de
voir !'' Et
répondant, tout le peuple dit : ''que son sang soit sur
nous et sur nos
enfants !'' » (Matthieu, 27, 22 – 25) « S'en laver les
mains », pour
signifier que l'on se dégage de toute la responsabilité
d'un acte, est devenu
une expression courante et proverbiale. Pourtant Ponce Pilate a-t-il
vraiment
accompli ce geste, que seul Matthieu rapporte ? Se laver les mains
n'était
pas une coutume romaine, mais une coutume judaïque. Elle tire ses
origines
d'une prescription du Deutéronome. Si l'on venait
à trouver un cadavre
dans la campagne, victime d'un meurtre, sans que l'on sache qui l'avait
frappé,
les anciens de la ville la plus proche se livreraient à un
sacrifice rituel
pour prouver leur innocence. Pour cela ils devraient choisir une
génisse qui
n'ait pas encore travaillé, ils la conduiraient vers un torrent
et lui
briseraient la nuque. « Et
tous les anciens de cette
ville qui sont les plus proches du cadavre, laveront leurs mains
au-dessus de
la génisse dont la nuque a été brisée sur
le torrent. Ils prendront la parole
et diront : ''Nos mains n'ont pas répandu ce sang, et nos
yeux n'ont rien
vu. Accorde l'expiation à ton peuple Israël, que tu as
libéré, ô Yahvé, et ne
mets pas un sang innocent au milieu de ton peuple Israël !''
Et de ce sang
l'expiation sera faite pour eux. » (Deutéronome,
21, 6 – 8) On retrouve deux allusions
à cette coutume
ancestrale dans le Livre des Psaumes : « Je
lave mes mains dans
l'innocence » (Psaumes, 26, 6) « C'est
donc en vain que j'ai
gardé mon cœur pur, lavé mes mains dans
l'innocence. » (Psaumes,
73, 13) Il n'est certes pas impossible
que Ponce Pilate
ait été mis au courant de cette coutume, et qu'il ait
voulu faire un geste
fort, compréhensible par les Juifs puisque puisant dans leurs
racines. Mais il
n'est pas impossible non plus que Matthieu ait rajouté ce
détail – qui n'est
pas repris par les autres évangélistes – pour disculper
Pilate et faire porter
tout le poids de la faute sur les Juifs, lesquels acceptèrent,
d'après ce
texte, que le sang de Jésus fût sur eux pour
l'éternité. Ponce
Pilate se lavant les mains LE MYSTÈRE DE LA
CONDAMNATION Nous nous tournons cette fois
vers l'Évangile de
Jean pour relever quelques détails. Pilate était sorti
dehors une nouvelle
fois, avec Jésus portant la couronne d'épines et le
manteau de pourpre, des
attributs grotesques dont les soldats l'avaient affublé pour se
moquer de sa prétendue
royauté. « Pilate
leur dit :
''Voici l'homme.'' » (Jean, 19, 5) Cette phrase a
été interprétée de bien des
façons. Pour certains, c'était une manière
supplémentaire de mettre les Juifs
en face de leur responsabilité. Pour d'autres, c'était la
reconnaissance
implicite par Pilate du caractère unique de Jésus. « Pilate
leur dit :
''Prenez-le, vous, et crucifiez-le ; car pour moi, je ne trouve
pas en lui
de motif de condamnation.'' Les Juifs lui répondirent :
''Nous avons,
nous, une Loi, et selon cette Loi il doit mourir, parce qu'il s'est
fait Fils
de Dieu.'' » (Jean, 19, 7) Pilate
s'adresse à la foule en montrant Jésus Les Juifs reconnaissaient
enfin qu'ils voulaient
faire mourir Jésus à cause de ce qu'ils
considéraient comme un blasphème. C'est
la première fois qu'ils employaient devant Pilate l'expression
« Fils de
Dieu », objet des accusations portées contre
Jésus, et véritable raison
pour laquelle ils le livraient à Pilate, seul capable de le
faire crucifier.
Jusqu'alors, ils lui avaient fait croire que Jésus
prétendait être le roi des
Juifs. « Lors
donc que Pilate
entendit cette parole, il eut encore plus peur et il entra de nouveau
dans le
prétoire. Et il dit à Jésus : ''
« D'où es-tu, toi ? '' Mais
Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit
donc : '' Tu ne me parles
pas... à moi ! Ne sais-tu pas que j'ai pouvoir pour te
relâcher et pouvoir
pour te crucifier ? '' Jésus répondit : '' Tu
n'aurais aucun pouvoir
contre moi, s'il ne t'avait été donné d'en
haut ; voilà pourquoi celui qui
m'a livré à toi a un plus grand péché.'' » (Jean,
19, 8 – 11) Ces mots tendaient à
disculper Ponce Pilate, qui
fut dès lors encore plus convaincu de l'innocence de
Jésus, lequel ne prétendit
jamais être le roi des Juifs, bien qu'il fût de sang royal
et de la lignée de
David. Il cherchait à le relâcher. Mais les Juifs
vociférèrent : « Si
tu relâches cet homme, tu n'es pas ami de
César » (Jean, 19, 12). L'expression
« ami de
César » était un titre que l'empereur
décernait à des personnages
importants, rois ou sénateurs. Or Ponce Pilate était
seulement un membre de l'ordre
équestre à la tête d'une
province mineure, il ne possédait pas le statut social pour
mériter ce titre.
Cette phrase était donc plutôt un avertissement, voire une
menace :
« si tu relâches Jésus tu ne deviendra jamais
ami de César parce tu auras
provoqué notre colère ». « Pilate
dit aux Juifs :
''Voilà votre roi.'' Et ils vociférèrent
donc : ''À mort ! À
mort ! Crucifie-le !'' Pilate leur dit :
''Crucifierai-je votre
roi ?'' Les grands prêtres répondirent : ''Nous
n'avons de roi que
César.'' » (Jean, 19, 14 – 16) Belle hypocrisie de part et
d'autre ! De la
part de Pilate, qui persistait à présenter Jésus
comme le roi des Juifs, alors
qu'il savait qu'il n'en était rien, et de la part des grands
prêtres qui
juraient qu'ils n'avaient de roi que l'empereur de Rome. Les
Évangiles
dépeignent Ponce Pilate comme un homme n'arrivant pas à
se décider, et
finissant par se ranger à l'avis de la foule pour ne pas
être à l'origine d'une
révolte qui lui coûterait sûrement sa place. Mais
c'est une attitude qui ne
semble guère être celle d'un préfet habitué
à la fermeté. La réalité dut être
bien différente, avec un Ponce Pilate décidé
à imposer la loi de Rome. Que lui
importait, après tout, la mort d'un homme, Jésus, qui
s'exprimait par énigmes
et qu'il prenait sûrement pour un dérangé. Il
venait déjà de condamner à mort
les deux larrons qui allaient être crucifiés ce
jour-là. Une crucifixion de
plus ou de moins, à une époque où elles
étaient courantes et banales, cela ne
changerait pas l'avenir de l'humanité. Sans doute le
pensait-il... Alors Ponce Pilate signa la
condamnation à mort
de Jésus, et commanda son exécution sur la croix,
châtiment réservé aux
fauteurs de trouble. Jésus fut donc conduit au Golgotha, le Mont
du Crâne en
araméen, éminence située hors des remparts de
Jérusalem, au nord-ouest de la
ville, et lieu habituel des crucifixions. Jésus fut cloué
sur la croix centrale
entre les deux larrons, et on plaça au-dessus de lui, comme il
était de
coutume, un petit écriteau, le titulus, portant en
quelques mots, écrits
en hébreu, en latin et en grec, l'objet de la condamnation. Reconstitution
de l'écriteau en trois langues « Pilate
avait aussi rédigé un
écriteau, qu'il fit placer au-dessus de la croix. Il y
était écrit :
''Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs'' […] Les
grands prêtres des Juifs
disaient donc à Pilate : ''Tu ne dois pas
écrire : Le roi des Juifs,
mais que celui-là a dit : Je suis le roi des Juifs.''
Pilate
répondit : ''Ce que j'ai écrit, je l'ai
écrit.'' » (Jean,
19, 19 et 21 – 22) Le choix du mot
« Nazôréen » semble
signifier que Jésus était un Nazir, homme qui faisait le
vœu de se consacrer à
Dieu en s'abstenant de consommer de l'alcool et en refusant de couper
ses
cheveux, selon les préceptes annoncés par le Livre
des Nombres, chapitre
6. Les commentateurs de la Bible remarquent que ce nom désignait
bien à
l'origine un Nazir, mais qu'il a subi l'attraction d'autres mots
hébreux, soit
de notsri qui désignait un chrétien, soit de
Nazareth, ville présentée
comme lieu d'origine de Jésus. Quant à la suite de
l'inscription, « le roi
des Juifs », c'était en vérité une
manière pour Ponce Pilate de se venger
des prêtres juifs qui l'avaient pris pour un imbécile en
lui racontant cette
fable du roi des Juifs. Après la mort de
Jésus, Joseph d'Arimathie qui
était son disciple vint demander l'autorisation à Pilate
d'enlever son corps,
et Pilate le permit. La suite de l'histoire est bien connue. C'est la
dernière
fois qu'il est question de Ponce Pilate dans le récit
évangélique. Pour savoir
ce qui advint de lui, il faut faire appel à d'autres sources. LE MYSTÈRE DE LA FIN Ponce Pilate resta en poste en
Judée encore six
ans après la crucifixion de Jésus. Il aurait pu y rester
encore plus longtemps
sans doute ; apparemment il donnait toute satisfaction,
réussissant à
maintenir l'ordre dans une province difficile, à
l'insécurité permanente. Des rumeurs
font état d'un rapport qu'il aurait adressé à
l'empereur Tibère pour lui narrer
ces événements et établir la divinité du
Christ, sur la foi de ses miracles, de
sa résurrection et de son ascension. Mais il est probable que ce
rapport soit
un apocryphe chrétien. On imagine mal le préfet d'une
province lointaine écrire
à l'empereur pour lui demander d'ajouter un nouveau dieu au
panthéon romain. Des événements
tragiques allaient précipiter la
chute de Ponce Pilate. En effet, à plusieurs reprises il se
livra semble-t-il à
des répressions musclées. Déjà du temps de
Jésus il avait maté dans le sang une
sédition de Galiléens : « En
ce même temps, survinrent
des gens qui l'informèrent sur les Galiléens dont Pilate avait
mêlé le sang à
celui de leurs sacrifices. » (Luc, 13, 1) Cela signifiait que la
répression avait eu lien
dans le Temple, au moment où les Galiléens se livraient
à des sacrifices
rituels d'animaux, une pratique courante à l'époque dans
le judaïsme. Par
« Galiléens » il faut comprendre sans
doute qu'il s'agissait de
membres du mouvement de rébellion fondé en l'an 6 par
Judas le Gaulanite dit
aussi Judas le Galiléen. En 36 Ponce Pilate commanda
à son armée de
disperser un attroupement pouvant présenter un caractère
dangereux. Des
Samaritains excités et armés s'étaient
massés en nombre pour faire l'ascension
du Mont Garizim, où ils espéraient trouver des vases
sacrés enfouis là par
Moïse. C'est Flavius Josèphe qui raconte la chose, et sa
relation est sans
doute à prendre avec des pincettes. « Mais
Pilate se hâta
d'occuper d'avance la route où ils devaient monter en y envoyant
des cavaliers
et des fantassins, et ceux-ci, fondant sur les gens qui
s'étaient rassemblés
dans le village, tuèrent les uns dans la mêlée,
mirent les autres en fuite et
en emmenèrent en captivité beaucoup, dont les principaux
furent, mis à mort par
Pilate, ainsi que les plus influents d'entre les fuyards. Une
fois ce trouble calmé, le
conseil des Samaritains se rendit auprès de Vitellius,
personnage consulaire,
gouverneur de Syrie, et accusa Pilate d'avoir massacré les gens
qui avaient
péri ; car ce n'était pas pour se révolter contre
les Romains, mais pour
échapper à la violence de Pilate qu'ils s'étaient
réunis à Tirathana. Après
avoir envoyé un de ses amis, Marcellus, pour s'occuper des
Juifs, Vitellius
ordonna à Pilate, de rentrer à Rome pour renseigner
l'empereur sur ce dont
l'accusaient les Juifs. Pilate, après dix ans de séjour
en Judée, se hâtait de
gagner Rome par obéissance aux ordres de Vitellius auxquels il
se pouvait rien
objecter; mais avant qu'il ne fût arrivé à Rome,
survint la mort de
Tibère. » (Antiquités
judaïques, Livre XVIII, chapitre 4) Cavalerie
romaine (Détail
de la colonne Trajan, Rome) Malgré leur mauvaise
foi évidente (« ce
n'était pas pour se révolter contre les Romains, mais
pour échapper à la
violence de Pilate qu'ils s'étaient réunis »)
Vitellius écouta les
Samaritains et céda à leur demande en renvoyant Ponce
Pilate à Rome. Ce
Vitellius était le légat de Syrie, déjà
évoqué, commandant la région. Ponce
Pilate ne pouvait en effet se soustraire à ses ordres. Le temps
qu'il arrivât à
Rome, vraisemblablement en février 37, Tibère
était mort et avait été remplacé
par Caligula. De quelle nature fut la confrontation entre les deux
hommes ? On l'ignore, car à partir de cet instant
l'histoire perd toute
trace de Ponce Pilate. Et dès lors nous entrons dans le domaine
des légendes. Pour l'Église copte
d'Éthiopie, Pilate périt dans
l'arène. Dès lors il aurait gagné les palmes du
martyre, au point d'être honoré
comme un saint par cette Église. Selon une autre version, Pilate
fut contraint
de se suicider sur l'ordre de Caligula. Son corps fut jeté dans
le Tibre, mais
ses eaux n'en voulurent pas. On envoya sa dépouille en Gaule,
à Vienne, où elle
fut jetée dans le Rhône. Les eaux n'en voulurent pas non
plus. Alors on envoya
le cadavre encore plus loin, en Helvétie, et il fut jeté
dans le Lac Léman. Une
troisième fois, les eaux le rejetèrent. Finalement, on
enterra ce qui restait
de son corps sur les pentes d'une montagne près de Lucerne, qui
depuis est
nommé le Mont Pilate. Parmi les légendes les
plus répandues, il y a
celle de l'exil à Vienne, qui repose sur les écrits de
saint Adon, évêque de ce
diocèse au IXe siècle. Là, Ponce Pilate
aurait été exécuté dans sa
prison, ou se serait pendu. Pendant longtemps, la pyramide romaine du
boulevard
Fernand Point a été considérée comme le
tombeau de Pilate. En réalité il s'agit
de la pyramide qui décorait le terre-plein central du cirque
où avaient lieu
les courses de chars. Il y a aussi toutes les légendes qui lient
Ponce Pilate
au massif du Pilat, mais ces légendes-là sont bien
connues, il est inutile de
les rappeler une nouvelle fois. Pyramide
ornant le boulevard F. Point à Vienne Si Ponce Pilate n'avait pas
croisé le chemin du
Christ, il serait resté un obscur fonctionnaire romain, et son
nom serait
inconnu. Mais voilà, Pilate, comme Judas, fut l'outil
nécessaire à
l'accomplissement de la destinée de Jésus. Sans la
trahison de Judas, sans le
jugement de Pilate, c'est Jésus lui-même qui serait un
inconnu, et le monde
serait sûrement bien différent, mais cette
réalité-là ne pouvait sans doute pas
exister. Sauf peut-être dans un univers parallèle... |
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