Juin
2017











Par notre Ami
Patrick Berlier

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QUAND SAINT-SAUVEUR-EN-RUE

APPARTENAIT AUX MOINES DE LA CHAISE-DIEU

 

Saint-Sauveur-en-Rue est une bourgade du Pilat méridional à la frontière du Vivarais, sur la route entre Bourg-Argental et le col du Tracol donnant accès au Velay. Ce village, tranquille aujourd'hui, a pourtant une histoire...

 

SAINT-SAUVEUR AU CŒUR DE LA RUE

Toute la région du sud du Pilat, située de part et d'autre du col du Tracol – jusqu'à Riotord au sud-ouest, et jusqu'à Bourg-Argental au nord-est – portait jadis un nom particulier, dont il ne reste plus beaucoup de traces : la Rue. Seuls le village de Saint-Sauveur-en-Rue, et le petit hameau de Ru au nord de celui-ci, gardent encore dans leurs noms le souvenir de cette ancienne contrée. Le nom Rue ne doit rien semble-t-il au mot rue. Il paraît venir du gaulois roto, gué ou passage. C'est précisément le passage du Tracol qui serait ainsi désigné, passage jadis fort étroit qu'il fallait franchir « en se tracoulant », c'est-à-dire en sa faufilant entre deux parois rocheuses. Une autre étymologie fait dériver Rue du latin rivus, désignant un ruisseau. Quoiqu'il en soit, que l'on préfère l'étymologie gauloise ou romaine, on écrit Saint-Sauveur-en-Rue comme on écrit Aix-en-Provence ou Bourg-en-Bresse, pour signifier que la localité est située au cœur de cette région, qui aujourd'hui est partagée entre les départements de la Loire et de la Haute-Loire.

 

L'ancienne région de la Rue autour du Tracol
(carte postale ancienne)

 

Le village tire évidemment son nom du vocable de son église. L'appellation Saint Sauveur est une autre façon de désigner Jésus-Christ sauveur des hommes. Généralement, les paroisses ainsi dédiées au Christ sont placées aux frontières de plusieurs diocèses. C'est vrai pour Saint-Sauveur-en-Rue, qui jadis appartenait au diocèse de Vienne, mais à la frontière des diocèses de Lyon et du Puy-en-Velay. La borne commune était alors constituée par la célèbre Pierre des Trois Évêques, ce que j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'expliquer sur ce même site.

La création de la commune de Saint-Régis-du-Coin en 1858 a changé les frontières, et surtout la création du diocèse de Saint-Étienne en 1970 a changé la donne. Mais Saint-Sauveur-en-Rue reste encore aujourd'hui à la frontière de trois diocèses : Saint-Étienne (auquel la paroisse appartient désormais), le Puy et Viviers, le point commun étant matérialisé par la Croix de Cellarier, dite encore Croix des Trois Mitres, dans la forêt de Taillard.

 

Croix de Cellarier

 

Voilà pour le cadre disons sémantique et religieux. Voyons le cadre géographique. Cette région, que l'on désignait sous le nom de Rue, est constituée par deux combes diamétralement opposées, le Tracol constituant le seuil entre les deux et le passage de l'une  à l'autre. Côté sud-ouest la combe est occupée par le ruisseau de Saint-Meyras, coulant du nord-est au sud-ouest, et côté nord-est la combe est occupée par la Déôme, coulant du sud-ouest au nord-est. L'immense forêt de Taillard couvre quasiment tout le flanc sud des deux combes, le flanc nord étant partagé entre forêts, prairies et terres cultivées.

Évoquons maintenant le cadre historique. La région fut occupée dans les temps les plus anciens. Côté nord de la vallée, le Rocher de Chaléat servit d'abri sous roche sans doute dès la préhistoire. On trouve des deux côtés des sites mégalithiques, que ce soit au-dessus du hameau des Fournaches au nord, ou autour de Burdignes au sud, sans oublier la Pierre Ratière qui fut le but de notre balade en août 2016 :

 http://regardsdupilat.free.fr/confins.html

 

Rocher de Chaléat

 

À l'époque gallo-romaine, une grande route reliait les vallées du Rhône et de la Loire, allant de Saint-Pierre-de-Bœuf au Puy-en-Velay. Elle permettait le commerce entre ces deux grandes vallées et les régions traversées ou limitrophes : Dauphiné, Pilat, nord du Vivarais et Velay. Entre autres marchandises, le sel tiré des salins de Méditerranée, qui remontait la vallée du Rhône et suivait cette voie pour passer en Auvergne, ce qui lui valut le nom de route du sel. Empruntée d'abord seulement par les marchands, elle connut une autre destinée lorsque vers le Ve siècle le Puy commença à devenir un lieu de pèlerinage marial. Il y eut un premier monastère à Saint-Sauveur à l'époque carolingienne. Mais les temps étaient encore troublés. En 725, des Sarrasins venus d'Espagne pillèrent la région et massacrèrent les moines. Charles Martel chassa les Sarrasins de France peu de temps après, et de leur côté les Espagnols entreprirent leur reconquista. L'Europe retrouva la paix pour un temps.

Lorsque au Xe siècle, Gothescalc l'évêque du Puy-en-Velay fut le premier à partir pour Saint-Jacques-de-Compostelle, instituant l'un des plus importants pèlerinages de la chrétienté, la route devint très fréquentée par les pèlerins désireux de se rendre au Puy pour prendre le départ du pèlerinage. Dès lors, il devenait indispensable d'assurer leur sécurité et leur hébergement, et le petit village de Saint-Sauveur devint un lieu tout désigné pour l'accueil des pèlerins.

Toutes les régions du sud du Pilat constituaient alors le Viennois ultra-rhodanum, seul territoire du comté de Vienne situé en rive droite du Rhône. La partie de ce territoire englobant Bourg-Argental, Burdignes, Montchal et Saint-Sauveur, était alors placée sous l'autorité temporelle des Rostaing, vassaux du Dauphin du Viennois, établis depuis les environs de l'an mille à Argental, petit fief dont ils avaient pris le nom. En 1061, Artaud Ier d'Argental décida de donner Saint-Sauveur et ses dépendances à l'abbaye bénédictine de la Chaise-Dieu, nouvellement fondée, et à son abbé Robert, pour l'établissement d'un prieuré. Arrêtons-nous un instant sur ce saint abbé et sur son abbaye.

 

L'ABBAYE DE LA CHAISE-DIEU

Robert de Turlande est né en 1001 ; il était le fils cadet d'une grande famille d'Auvergne. La tradition voulait alors que seul l'aîné succède à son père à la tête du domaine familial, les autres fils avaient le choix entre épouser une riche héritière, se consacrer au métier des armes, ou entrer en religion. Comme les deux premières perspectives ne l'attiraient guère, Robert choisit la troisième alternative. Il fut placé chez les chanoines de Brioude, où il fut reçu en 1026. Peu satisfait du manque d'austérité dans la vie de chanoine, il entreprit un long voyage qui l'emmena jusqu'à Rome, et finalement au monastère du Mont Cassin, où il étudia la règle de saint Benoît, laquelle lui paraissait mieux répondre à ses aspirations.

 

Robert de Turlande
(statue dans l'abbaye de Lavaudieu, Haute-Loire – photo Pymouss Wikipédia)

 

De retour en Auvergne, avec quelques compagnons, le 28 décembre 1043 Robert s'arrêta au sommet d'une petite colline, à la frontière du Velay, du Livradois et du Forez, dans une clairière où s'élevaient les ruines d'une chapelle. Le lieu était isolé, loin de tout, et la belle histoire dit que Robert y vit un signe de Dieu. En réalité cette installation était calculée. Robert prit possession des lieux pour y fonder une Maison de Dieu. La construction dura plusieurs années et le monastère, appartenant à l'ordre des Bénédictins, vit le jour en 1050, recevant l'approbation royale et pontificale deux ans plus tard. L'abbaye acquit rapidement une grande renommée, comptant jusqu'à trois cents moines, recevant des donations de la part de toutes les grandes familles d'Auvergne.

Robert mourut en 1067 et fut canonisé trois ans plus tard par le pape Alexandre II. Le 18 août 1095 l'église abbatiale fut consacrée par le pape Urbain II. La première croisade ayant été prêchée par ce même pape, l'abbaye de la Chaise-Dieu servit de banquier, en consentant des prêts au chevaliers désireux d'y prendre part.

 

La Chaise-Dieu
(carte postale ancienne)

 

Ce sont les moines de la Chaise-Dieu qui, en 1096, recueillirent les dernières volontés de Guillaume, comte du Lyonnais, alors en lutte contre les archevêques de Lyon, et qui se donnait dans cet acte le titre parfaitement virtuel de comte de Forez. Le comté de Forez n'avait alors aucune existence effective, cela correspondait juste à la zone de repli que les comtes s'étaient ménagés dans la partie occidentale de leurs terres, dans l'inquiétude de l'issue du conflit. Le document, pieusement gardé par les moines, est aujourd'hui conservé par les Archives Départementales de la Haute-Loire. Il est naturellement rédigé en latin. La partie qui nous intéresse, encadrée dans l'image ci-dessous, est celle-ci : Anno aut ab incarnatione dni mllo xcvi Willelmus comes forensis... Ce qui signifie (en tenant compte des abréviations) : En l'année de l'incarnation du Seigneur 1096 Guillaume comte de Forez...

 

Testament du comte Guillaume.

(Archives Départementales de la Haute-Loire)

 

LE PRIEURÉ DE SAINT-SAUVEUR

Revenons à Saint-Sauveur-en-Rue. Le Cartulaire du prieuré, recueil de chartes rédigé en latin selon l'usage de l'époque, a collationné au fil du temps les 233 actes le concernant. En 1881 le comte de Charpin-Feugerolles, qui en était le dépositaire, en a publié une traduction en français, ce qui nous apprend les termes de la donation fondatrice :

« Artaud d'Argental, par le conseil & du consentement de Fie, son épouse, & des autres chevaliers d'Argental, donne à l'abbaye de la Chaise-Dieu, en la main de Robert, abbé dudit lieu, l'église de Saint-Sauveur & ses dépendances, pour y établir un monastère de religieux. »

Arthaud ne se limita pas à cette seule donation, il la compléta ainsi :

« De plus, & cela de l'avis de Léger, archevêque de Vienne, il lui donne encore toutes les églises qui se trouvaient dans sa seigneurie, savoir : celles du château d'Argental, de Bourg-Argental, de Burdinie [Burdignes], de Vanosc, de Riotort & de Saint-Genest. »

Cela signifie que les curés de toutes ces paroisses étaient nommés par les prieurs, et que le prieuré percevait les dîmes. En outre Artaud autorisa le prieuré à posséder tout ce qui lui viendrait par donation, achat ou échange. Dans ses premières années d'existence, le prieuré agrandit son domaine surtout par des acquisitions, preuve qu'il disposait de moyens financiers conséquents.

Enfin il y a un alinéa qui fut d'actualité jusqu'à une époque très récente :

« Il lui concède en outre, dans ses forêts, tout le bois nécessaire pour la construction & le chauffage du monastère & du village, le droit de prendre les eaux nécessaires et de faire paître les troupeaux dans tout son mandement. »

Le legs stipulait que tous les habitants qui viendraient à s’installer autour du prieuré auraient à perpétuité la jouissance des prairies et de la forêt. Les propriétaires qui étaient possessionnés sur les anciennes dépendances du prieuré, sur les communes de Saint-Sauveur-en-Rue et de Saint-Régis-du-Coin, ont conservé jusqu'en 2013, sous le nom de droit d'affouage, la possibilité de prendre du bois dans la forêt de Taillard. Ainsi, après avoir été bien seigneurial puis ecclésiastique, cette forêt présentait la particularité d’être un bien sectionnal, c’est à dire qu’elle était la propriété indivise des descendants directs des premiers habitants groupés autour du monastère. Ceux-ci portaient le titre d’ayant droits, avant qu'une loi ne vienne supprimer leurs privilèges en 2013.

 

Gravure ancienne représentant le village de Saint-Sauveur-en-Rue
On remarque les deux tours du prieuré, et l'église primitive

(Dessin de Félix Thiollier, 1889)

 

Lorsque Artaud d'Argental fit sa donation aux moines de la Chaise-Dieu, saint Robert était encore à la tête de l'abbaye. Il la quitta provisoirement pour devenir le premier prieur de Saint-Sauveur. Il fut remplacé de son vivant par un nommé Guy, Robert s'en retournant dans son abbaye pour y mourir en 1067. C'est ce Guy qui en 1066 acheta à Hugues de Vaugelas, pour 230 sous, le fief de Rue situé à moins d'un kilomètre au nord de Saint-Sauveur. C'est une belle maison forte, avec deux tours carrées et des poivrières aux angles du toit en façade, qui ne sont pas sans faire penser à celles du château de Bobigneux, ou du château d'Argental, dans la même région. La bâtisse massive s'ouvre par un perron à large escalier sur un jardin clos joliment exposé au soleil de midi. Elle forme aujourd'hui l'essentiel du hameau de Ru, qui a perdu son E final au cours des âges.

 

La maison forte de Ru

(photo prise en automne 2003)

 

Furent ensuite prieurs de Saint-Sauveur : Gaston, et Hugues ou Hugon. À l'occasion de la bénédiction de l'abbaye de la Chaise-Dieu par le pape Urbain II, en 1095, d'innombrables donations furent faites au prieuré de Saint-Sauveur, comme en témoigne encore le Cartulaire.

Le prieur Hugues était encore à la tête de Saint-Sauveur pour la bénédiction de l'église abbatiale par Guy de Bourgogne, archevêque de Vienne et futur pape Calixte II, à une date qui reste sujette à caution : 1090 selon le Cartulaire, vers 1115 selon les historiens. Guy de Bourgogne donna au prieuré les églises de Saint-Julien-Molin-Molette et Saint-Appolinard.

 

EN FEUILLETANT LE CARTULAIRE

Le rôle du prieuré était essentiellement l'accueil des pèlerins et marchands sur la route du Puy-en-Velay. Il proposait un soutien spirituel, tout en offrant le gîte et le couvert, sans oublier l'aspect sanitaire pour les soins prodigués aux malades ou blessés. On peut imaginer aussi qu'il percevait des taxes sur les marchandises transitant par là, au moins en nature. Enfin il offrait aussi du personnel pour aider les muletiers dans la dure montée du Tracol, des hommes rudes qui méritèrent le nom de « Picatios », soit en patois « pique-culs », leur fonction consistant essentiellement à piquer les fesses des ânes et mulets pour les faire avancer. Picatios est devenu aujourd'hui le surnom des habitants de Saint-Sauveur-en-Rue. Percevant encore des dîmes sur toutes les paroisses placées sous sa juridiction, le prieuré s'enrichit rapidement et n'allait pas tarder à exciter les convoitises.

 

Photo ancienne du village de Saint-Sauveur-en-Rue

(extraite de l'ouvrage Forez-Velay par Louis Pize, 1953)

 

La lignée d'Artaud d'Argental s'éteignit rapidement, et la seigneurie tomba entre les mains des Pagan, originaires du Vivarais. Commença alors une période de tracasseries pour les moines de Saint-Sauveur. Aymon Pagan et son fils Guigues se livrèrent à des actes de brigandage envers le prieuré. Parallèlement, Aymon Pagan cherchait querelle à Hugues et Gaudemard de Montchal, au sujet de leur château, vassal d'Argental, et de la ville de Saint-Sauveur. En signe de paix, en 1168 Aymon Pagan donna ses deux filles en mariage aux deux frères de Montchal. Au final, le seigneur d'Argental finit par réaliser ses erreurs et fit amende honorable par une charte signée en 1174, et dûment enregistrée dans le Cartulaire :

« Aymon Pagan & sa femme, dame d'Argental, par le conseil de Robert, archevêque de Vienne, libèrent le prieuré & la ville de Saint-Sauveur de toute exaction & de toute mauvaise coutume, défendant sous peine de malédiction, à leur fils Guigues & ses héritiers de faire aucun mal & aucune violence aux habitants, & confirment toutes les concessions faites jadis aux religieux par Artaud d'Argental. »

Le fils n'a pas vraiment dû obéir à son père, et il poursuivit ses mauvaises actions, avant de reconnaître lui aussi ses fautes, par une charte signée en 1190 :

« Guigues Pagan, du consentement de sa femme Faine, à raison des violences qu'il avait exercées contre l'église de Saint-Sauveur & de 640 sous qu'il lui avait extorqués, lui concède le lieu dit des Chanabairils, avec ses habitants, et confirme toutes les donations faites au monastère par son prédécesseur Artaud d'Argental. »

 

Montgilier, à l'orée de la forêt de Taillard
ancienne possession du prieuré donnée par Guigues Pagan

 

En 1195, un Guigues Pagan le Doux, probablement le fils du précédent, au moment de partir en outremer, sans doute pour tenter de gagner son paradis en prenant part à la croisade, fit plusieurs donations au prieuré de Saint-Sauveur, dont le domaine de Montgilier et la terre d'Aiguebelle en forêt de Taillard. Il reçut en retour un mulet et un petit pécule pour son voyage.

C'est en 1242 que Saint-Sauveur compléta son nom par la mention « en-Rue », pour éviter la confusion avec d'autres Saint-Sauveur. Cette même année, une sentence arbitrale prononcée par les chevaliers d'Argental vint mettre un terme provisoire aux tracasseries entre les moines de Saint-Sauveur et les Pagan. Par cet acte, toute juridiction sur la ville de Saint-Sauveur était attribuée au prieur, les sentences prononcées contre les homicides devant être mises à exécution par un troisième Guigues Pagan, fils ou petit-fils du précédent, le prénom devant être héréditaire. À noter que le prieur de ce temps appartenait lui-même à la famille Pagan. Mais son successeur Artaud de Mastre aura à nouveau des démêles avec les Pagan en 1259, et encore en 1275 et en 1281.

 

Blason des Pagan

(église de Bourg-Argental)

 

En 1272 un conflit opposa le prieuré de Saint-Sauveur aux Templiers de Marlhes, qui contestaient la dîme prélevée. Une transaction entre le prieur et Rémond dit de Chambaron, précepteur du Temple, arbitrée par Silvion, recteur de l'église de Vanosc, et Pierre de Marlhes, chevalier, aboutit à cet accord, mentionné par le Cartulaire :

« Le prieur de Saint-Sauveur percevra, annuellement, pour tout droit sur les dîmes [...] quatre mettencs de seigle à la mesure de Saint-Didier. Le précepteur fait remise à la maison de Saint-Sauveur des redevances en argent & en avoine qu'il était en droit de lever... etc. »

Le mot mettenc semble être une unité de mesure, sans doute un dérivé du vieux français met, désignant un vase servant à mesurer, dont la capacité variait selon les régions. Un nouveau conflit opposa le prieuré de Saint-Sauveur aux Templiers de Marlhes en 1281. Leurs territoires respectifs et voisins durent être délimités précisément. Le prieur dut s'engager à absoudre les hommes dépendants de la maison du Temple qui avaient été excommuniés.

En 1296 toute la partie sud du Pilat, ce Viennois ultra-rhodanum qui jusque là avait appartenu au comté de Vienne, passa au comté de Forez, suite au mariage de son comte Jean Ier avec Alix de la Tour, fille du Dauphin du Viennois. Cette terre qui constituait sa dot prit désormais le nom de Forez Viennois.

En 1390 le prieur Bernard Vigier fit réédifier le prieuré de Saint-Sauveur, et surtout « ceindre la ville de fossés & de tours, à l'occasion de la guerre qui s'était déclarée entre les Français & les Anglais ». C'était le début de la guerre de cent ans. Ces fortifications causèrent la jalousie de Bourg-Argental, jalousie bien mal placée d'ailleurs, car Saint-Sauveur-en-Rue pouvait jouer le rôle de verrou sur la route du Puy, protégeant Bourg-Argental d'une éventuelle attaque venue de l'ouest.

Le Cartulaire poursuit ainsi sur de nombreuses pages le recensement de tous les faits divers qui ont émaillé son histoire. Il s'arrête à la date du 19 avril 1607 lorsqu'une bulle papale de Paul V décide de donner le prieuré de Saint-Sauveur aux Jésuites de Tournon, qui depuis longtemps souhaitaient l'annexer. Les moines bénédictins partis, quelques Jésuites tentèrent de maintenir une présence religieuse à Saint-Sauveur-en-Rue, mais le temps des grands pèlerinages commençait à décliner, ce qui entraîna aussi le déclin du prieuré. Les Jésuites finirent par céder la place à quelques prêtres du coin, qui durent cesser leur activité à la révolution.

 

L'ancienne église de Saint-Sauveur-en-Rue, vue du côté de l'entrée

(Photo de Félix Thiollier, 1889)

 

L'ÉGLISE ABBATIALE

Après la révolution, l'église abbatiale servit d'église paroissiale, remplaçant avantageusement l'église du village devenue trop petite. Comme elle existait encore en 1900, il en existe des photos, des plans, des dessins d'architecture et des descriptions. Les images montrent une église romane modeste, à la façade sobre dont les angles sont renforcés par des contreforts. Un portail à deux archivoltes, soutenues par des colonnes, est surmonté par une fenêtre à deux baies géminées encadrées de colonnettes. Un clocheton prolonge élégamment le pignon. Peu d'ouvertures, l'intérieur devait être assez sombre. Un clocher massif, de plan carré, à baies géminées, s'élève au-dessus du chœur. On devine que des chapelles latérales ont été rajoutées après la construction, qui à l'origine devait offrir le plan classique en forme de croix.

 

Autre photo de l'ancienne église abbatiale, vue du côté du chevet

 

Concernant l'aspect intérieur, nous pouvons nous référer en particulier à Félix Thiollier, qui dans son remarquable ouvrage Le Forez pittoresque et monumental (1889) en a laissé une précieuse description :

« À l'intérieur, l'abside semi-circulaire est décorée en son pourtour par cinq arceaux en plein-cintre soutenus par des colonnettes jumelles couronnées de chapiteaux, les uns à feuillages, les autres à figures (têtes d'hommes crachant des serpents, évêque bénissant). L'arc triomphal est un peu brisé. Deux colonnettes à chapiteaux feuillagés le supportent. Le transept est voûté en berceau, la nef de trois travées voûtées en berceau un peu surbaissé ; cette voûte pourrait bien être plus moderne que les murs qui la supportent et avoir remplacé un lambris ; à la première travée, sur un chapiteau au midi, sont sculptés des damnés précipités dans l'enfer ; à l'intersection de la nef et du transept, coupole sur trompes. Dans la nef au-dessus de la porte d'entrée, tribune du XVIe siècle établie sur une voûte à nervures dont la clé porte les armes du prieur Nectaire de Saint-Nectaire, d'azur à cinq fusées d'argent accolées, celle du milieu chargée d'une escarboucle de (gueules?) ; chapelles latérales des XVe, XVIe et XVIIe siècles. À la clé de voûte de la chapelle à droite du chœur, convertie aujourd'hui en sacristie, les armes du prieur Renaud Blot de Chauvigny, écartelé aux 1 et 4 de sable au lion d'or, aux 2 et 3 d'or à trois bandes d'azur. »

 

L'église actuelle

 

En 1900 l'église était devenue très vétuste et sa restauration fut confiée à un architecte lyonnais bien connu, Sainte-Marie Perrin, disciple et successeur de Pierre Bossan, le concepteur de la basilique de Fourvière. Sainte-Marie Perrin décida de reconstruire purement et simplement l'édifice, dans un style néo-roman inspiré du style byzantin, ce qui était alors à la mode, tout en conservant l'esprit du bâtiment originel. Le parement extérieur est en granite du pays, les éléments décoratifs sont en pierre de Volvic.

 

Chapiteau aux têtes d'hommes crachant des serpents

(Dessin à la plume d'après photo)

Quelques pierres sculptées de l'ancienne église furent conservées, et entreposées à l'extérieur contre le chevet, sous la protection d'un arceau à demi fermé par une grille. La plus curieuse est le chapiteau orné de têtes d'hommes crachant des serpents qui se recourbent en s'entrelacent pour leur lécher les oreilles de leurs langues fourchues. Ce chapiteau n'est plus en place. Renseignement pris, il aurait été mis à l'abri dans un lieu plus sûr, et n'est donc plus visible. Classé Monument Historique au titre d'objet, la Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine du Ministère de la Culture en conserve une photo  :

 

Chapiteaux aux têtes d'hommes crachant des serpents

(Crédit : Ministère de la Culture, France - Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine - avec son aimable autorisation)

Parmi les pierres sculptées qui restent exposées dans ce petit dépôt lapidaire, la seule encore vraiment intéressante est celle où l'on peut voir le blason du prieur Renaud Blot de Chauvigny, tel que le décrivait Félix Thiollier.

 

Blason du prieur Renaud Blot de Chauvigny

 

LES VESTIGES DU PRIEURÉ

Le prieuré de Saint-Sauveur, avec son église abbatiale, occupait un emplacement situé dans la partie est du village actuel. Il formait un quadrilatère d'environ 100 m de côté, aujourd'hui traversé par les deux routes départementales, la D 503 et la D 22. Seuls les bâtiments au sud de la D 503 ont à-peu-près subsisté, bien qu'ayant subi de forts remaniements au cours des siècles. Cette partie, traversée par la rue de la Vialle, forme la bordure du village à son angle sud-est. On remarque tout de même aux deux angles les restes de deux tours rondes. Celle de l'est ornant la Maison de Retraite. À l'entrée de la rue de la Vialle on peut voir encore l'arc d'une vieille porte ogivale, qui était peut-être l'entrée du prieuré. L'église actuelle occupe la place de l'église abbatiale. De l'autre côté se trouvait le bourg avec son église paroissiale, dont les curés étaient nommés par les prieurs.

 

Entrée de la rue de la Vialle – la Pietà et l'ancienne porte

 

Enfin il faut remarquer la sculpture d'une Pietà naïve du XVIe siècle, représentant, au pied de la croix, Marie penchée sur le Christ mort, entourée de deux personnages : à gauche saint Jean l'Évangéliste, main droite sur le cœur, tenant de l'autre main un livre fermé (son Évangile) ; à droite sainte Marie-Madeleine tenant un vase à parfum. Cette œuvre se trouvait primitivement en façade d'une maison rue de la Vialle, elle a été déplacée assez récemment sur une façade perpendiculaire, donnant sur le petit espace voisin nouvellement aménagé, où elle est mieux visible, et protégée derrière une vitrine.

 

La Pietà, hier et aujourd'hui
(à gauche, dessin de Félix Thiollier, 1889



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