RUBRIQUE
R-L-C
Mars
2008


Par le grand Spécialiste
Patrick Berlier


Viens, suis-moi, de Cucugnan à Lille
(La seconde partie)


où il est question d’un paysage à trouver, de bizarreries à cerner,
de Langue des Oiseaux à traduire, et de messages subliminaux ...



Cap Leucate

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      Résumé du premier épisode (publié en janvier 2008 – <à lire ou relire en rubrique archives>) : dans une brocante du nord de la France, Jean-François Deremaux trouve une édition des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet. À la page du Curé de Cucugnan, une image pieuse a été placée là par une main inconnue. Elle représente un jeune prêtre en soutane rencontrant le Christ dans la campagne, sa croix sur l’épaule, qui lui dit « Viens, suis-moi »… Coïncidence ? Ce prêtre offre un certain air de famille avec l’abbé Bérenger Saunière. C’est d’autant plus piquant que Cucugnan n’est qu’à une quarantaine de kilomètres de Rennes-le-Château. Ce premier volet n’avait d’autre but que de démontrer, sur un ton volontairement léger qui restera de règle pour le second, que le hasard pouvait venir s’immiscer dans une affaire déjà bien compliquée.


     Ce prêtre dessiné sur l’image pieuse est-il ou non l’abbé Saunière ? Nous ne le saurons jamais, sans doute. Et cela serait tellement extraordinaire que la probabilité d’une réponse positive doit donner le vertige. Aussi allons-nous oublier un peu cette possibilité, sans la rejeter totalement non plus, pour ce second volet, et nous attacher à débusquer quelques curiosités.



L’image « Viens, suis-moi »


    Que représente la scène ? Un prêtre d’un côté, Jésus de l’autre. Le tableau offre donc deux centres d’intérêt, ce qui en art pictural constitue un piège dans lequel de nombreux peintres amateurs se sont souvent laissés prendre. Un seul centre d’intérêt dans un tableau, attirant le regard de l’observateur, est en général préférable. Deux centres d’intérêt risquent de laisser trop « errer » l’œil, qui va de l’un à l’autre sans pouvoir se fixer sur l’un d’eux. Mais l’artiste auteur de l’image n’est sûrement pas un débutant, il applique les règles de l’art concernant la composition d’une œuvre. Il évite soigneusement en effet de laisser du vide entre les deux centres d’intérêt, et place un lien pour les unir : les deux bras à demi tendus, la main droite de Jésus masquant la main gauche du prêtre. Comme je l’expliquerai plus loin, Jésus est le centre d’intérêt dominant, et surtout il y a entre les deux personnages un centre d’intérêt primordial mais totalement subliminal.

            Ensuite le peintre n’a pas placé l’abbé et le Christ en symétrie par rapport au centre du tableau. En fait l’axe vertical de Jésus sépare la scène en deux parties inégales, l’axe vertical du prêtre marquant le centre de la plus grande de ces deux parties. S’il n’y avait pas la croix, la scène paraîtrait « bancale ». Outre le fait qu’elle facilite l’identification du Christ, la croix permet de remplir l’espace à droite. Il faut remarquer enfin que les deux personnages sont calqués sur la même posture : vus de trois-quarts avant, jambes droites légèrement tendues en arrière, bras droits de même, pieds gauches tournés vers l’avant, pieds droits presque à l’équerre, tournés vers l’observateur, visages de profil légèrement penchés vers l’avant. On sent que le prêtre cherche à imiter son Seigneur. Seuls changent pour Jésus la position de la main gauche et de la tête.

Les deux visages ont des structures identiques : mêmes pommettes légèrement saillantes, même mâchoire volontaire, même nez. Les deux hommes paraissent aussi avoir le même âge, soit 33 ans. Le visage de Jésus est classiquement entouré d’un nimbe crucifère, mais il est à noter que la croix de ce nimbe reste verticale et ne suit pas l’inclinaison de la tête, comme c’est parfois le cas. La taille un peu plus haute du Christ, et le nimbe qui entoure sa tête, contribuent à en faire le centre d’intérêt dominant.

            Trois mains sont visibles, la main gauche du prêtre étant masquée par le bras droit de Jésus. La main gauche du Christ, plus grosse que la droite, paraît singulièrement gantée. Mais il faut surtout observer la main droite de l’abbé. Son index paraît n’avoir que deux phalanges, la première est parallèle aux autres doigts mais la seconde fait un geste impossible en masquant en partie le médius pour venir effleurer l’annulaire. Quand je prononce ce mot à haute voix, les oiseaux me soufflent : « l’âne nul erre ». Et si l’on tient compte des fougères au milieu desquelles marche le prêtre, l’abbé qui semble déjà nous dire « parmi les fous j’erre » tient sans doute à préciser qu’il n’est pas un fou mais un âne nul, autrement dit un simple d’esprit, à qui, c’est bien connu, le royaume des cieux appartient.




Détail de la main du prêtre


     Examinons ensuite la croix. Elle doit peser un poids respectable ! Cette représentation de Jésus avec la croix sur l’épaule n’est qu’une « image d’Épinal », guère conforme à la réalité. On sait que les condamnés à mort ne transportaient sur les épaules que la traverse de la croix (ce qui était déjà une dure épreuve) laquelle était ensuite fixée par un jeu de tenon et mortaise sur un pieu fiché dans le sol en permanence. Les deux plus grandes branches de la croix ne s’assemblent pas selon un angle droit de 90°, mais forment un angle de 82°. De plus la branche supérieure n’est pas dans le prolongement de la branche inférieure. Ces déformations ne sont pas dues à la perspective, il s’agit au contraire d’une façon de « casser » la perspective. Cela n’apparaît pas au regard du fait que la croix est en partie masquée par les personnages. Des peintres comme Van Gogh ou Cézanne ont souvent utilisé cette technique, qui préfigurait le cubisme et l’art moderne. L’image, réalisée en 1933 ou peu avant, s’inscrit ainsi tout à fait dans la mode artistique de l’époque, tout en restant d’apparence classique.

La scène de cette impossible rencontre s’articule sur deux espaces différents. À gauche est un cadre verdoyant : le bas de la croix et les pieds de l’abbé sont en partie masqués par la végétation. À droite est un cadre plus aride, caractérisé par un arbre sec et tordu, sur lequel poussent quelques rares feuilles. On remarque aussi que le ciel très nuageux à gauche laisse progressivement place à un ciel plus lumineux à droite. Si sur terre on passe du Paradis terrestre des origines à une plus dure réalité des choses, par contre un ciel serein nous est promis, c’est sans doute le message. En arrière-plan se découpe à droite la silhouette d’une falaise, composée de deux avancées vues en enfilade, l’une derrière l’autre. Paysage imaginaire ou réel ?




Détail du paysage d’arrière-plan



     Lorsque notre ami Michel Barbot examina cette image, il eut l’idée de regarder sur le calendrier à quoi correspondait la date du 9 décembre figurant au dos. Ce jour-là on fête sainte Léocadie. Michel fit le rapprochement avec Leucate, une presqu’île du Golfe du Lion, au niveau des Corbières. Connue dès le 1er siècle, Leucate fut sans doute colonisée par les Grecs. Tout comme son homologue grecque Leucade, Leucate doit son nom au grec leukas (blanc), elle comporte une cité du même nom, et une église dédiée à saint Pierre. Côté mer, ses falaises hautes de 60 m forment deux avancées qui ont pour nom Cap des Frères et Cap Leucate. Ceci n’était qu’une hypothèse de travail, bien sûr. Mais il se trouve que parmi les collègues de travail de Michel il y en a un originaire de cette région. Michel lui montra l’image, il reconnut sans hésitation le Cap Leucate. Certes cela n’est pas une preuve absolue. Et à ce petit jeu, on peut aussi comparer l’image à une photo du Cap Blanc-Nez, près de Calais, totalement à l’opposé de Leucate mais surtout plus proche de Lille, la région d’origine de l’image, donc plus logique comme décor de fond.




Le Cap Blanc-Nez



     Dans nos correspondances, entre Jean-François Deremaux, Michel Barbot, Roger Corréard et moi-même, nous sommes allés très loin dans l’analyse, si loin qu’il ne serait pas raisonnable de le rapporter ici, contrairement à ce que l’on peut aborder librement dans un courrier privé. Juste à titre d’exemple, pour le fun, une « oisellerie » qui a bien plu à tout le monde… L’aide que l’abbé peut apporter, en soulevant la croix de la main gauche (en admettant qu’il puisse y arriver), est dérisoire et plus symbolique que réelle. En fait, l’abbé joue ici le rôle attribué à Simon de Cyrène dans les évangiles. Alors là encore les oiseaux me titillent pour prononcer :



Six monts, deux scient Rennes

    Cette version m’arrange bien, évidemment, car elle permet de faire revenir Rennes-le-Château sur le devant de la scène. La phrase nous invite à considérer six des montagnes qui entourent Rennes, dont deux qui doivent le « scier », c’est à dire que si l’on tendait une corde d’un sommet à l’autre elle passerait par le milieu du village. Or il suffit d’ouvrir une carte de la région pour constater que deux montagnes sont justement diamétralement opposées par rapport à Rennes-le-Château. Il y a côté nord-nord-ouest le Mont-Sec, près d’Antugnac où notre abbé Saunière exerça un temps son ministère, et côté sud-sud-est la Serre de Bec, près du Bézu. Il resterait à déterminer quels sont les quatre autres monts désignés par cette formule, mais si la démonstration est amusante, en vérité elle ne débouche sur rien de concret sur le terrain.

            Mais je voudrais surtout attirer l’attention sur cette image subliminale entre les deux personnages. Ses contours sont dessinés par les deux bras symétriques, par la main de Jésus, et par le bas de la croix. C’est un calice qui apparaît lorsqu’on regarde l’image avec un peu d’attention. Sa base est même dessinée, de manière imperceptible, par le contour du nuage que prolongent des traits à peine plus sombres. De même, juste au-dessus de la branche de la croix, un nuage souligne le contour supérieur, dont les bords viennent s’encastrer entre le menton et l’épaule de l’abbé, et entre le nimbe et l’épaule de Jésus. Ce calice est bien évidemment le Graal, qui est ainsi transmis au prêtre par Jésus de manière invisible...




Un Graal subliminal



      Un prêtre qui ressemble à l’abbé Saunière… Un paysage à découvrir… Tout un langage à décrypter… Et le Graal en cerise sur le gâteau… Avouons qu’avec cette image, et un rien d’imagination, Dan Brown aurait de quoi écrire une suite au Da Vinci code !

Patrick BERLIER



Cap Leucate

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