"LA GRANDE AFFAIRE"
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"LA TERRE SAINTE"







"POURQUOI LA TERRE SAINTE DANS LA GRANDE AFFAIRE"


     Terre Sainte ! Deux mots qui sonnent comme claquait au vent l’étendard Beaucéant des Templiers, qui un temps tenta d’y imposer ses valeurs. Blanc et noir, argent et sable en termes héraldiques alambiqués, des couleurs antagoniques qui ne sauraient mieux symboliser les oppositions dont cette terre, toujours, fut l’objet. Terre de conquêtes et de reconquêtes, terre de places fortes et de batailles, terre d’empires et de royaumes : les mondes sont éphémères, mais la terre est éternelle. Cette terre est mère et fille à la fois, femme toujours, et même figuration chtonienne de la femme essentielle, comme on peut le comprendre en lisant le Cantique des Cantiques :

« Tu es belle ma compagne, comme Tirça, charmante comme Jérusalem, les courbes de tes hanches sont comme des colliers, ton nombril est un bassin arrondi, où le vin épicé ne saurait manquer, tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d’une gazelle, tes yeux sont les piscines de Hechbôn, près de la porte de Bat-Rabbim, ton nez est comme la tour du Liban, qui guette du côté de Damas, ta tête sur toi est comme le Carmel et les flots de ta tête sont comme la pourpre, un roi est pris à leurs tresses. »

(Traduction Émile Osty)

Terre d’Israël comparée au corps d’une femme ! Rien n’a jamais été écrit de plus beau et de plus poétique pour personnifier une terre, car sainte elle fut, elle est, et elle sera. Sur cette terre de Canaan et de Phénicie, la grande Égypte des Pharaons étendit son empire durant plus de quatre siècles. Vers la fin de cette époque, Moïse et les siens quittaient l’Égypte, et au terme d’un long exode ils trouvèrent leur terre promise. Mais successivement cinq autres empires l’occupèrent et se la disputèrent : les Assyriens, Nabuchodonosor à la tête de son empire néo-babylonien, les Perses, Alexandre le Grand et enfin Rome. Sept civilisations différentes, sept cultures, en moins de deux mille ans d’histoire. Sept religions aussi, mais la Terre Promise de Palestine attendait son vrai Dieu, qui devait la choisir pour y faire don aux hommes d’un Fils unique. Les Assyriens croyaient en un Dieu tout puissant, Ahoura Mazda, qui déjà leur avait donné son fils Mithra, né dans une grotte un 25 décembre… Des siècles plus tard, par le cycle de l’éternel recommencement, l’histoire se renouvela et Jésus naquit dans une grotte un 25 décembre… Les lieux sacrés ne se déplacent jamais, les hommes s’y succèdent, y cumulent leurs vies, et les arcanes mystiques s’y pérennisent au fil des religions. Dans le même temps, les légionnaires romains adoptaient le culte de Mithra et le ramenaient à Rome, puis en Gaule, où les religions mithriaques et chrétiennes furent longtemps au coude à coude.

La foi chrétienne finit par s’imposer, en sachant rassembler en un puissant amalgame les fondements essentiels des religions qui l’avaient précédée. C’est ainsi qu’elle adopta le principe celtique de la pérégrination, du saint déplacement vers l’absolu, le pèlerinage. Alors quoi de plus beau et de plus fondamental que de d’aller se recueillir, au moins une fois avant de mourir, sur la terre où le Christ était né et avait donné sa vie pour le rachat du monde ? La Palestine, vidée de ses tribus juives par la Diaspora, conquise par les Byzantins puis par les Arabes, devenue Terre Sainte après la conversion de Constantin, s’ouvrait aux Chrétiens. Charlemagne avait su nouer des relations d'estime avec le sultan Haroun Al Rachid. Moyennant un écot à payer aux Arabes tolérants, les Fatimides, pour accéder à Jérusalem, les Chrétiens purent librement venir honorer les lieux saints. Mais la situation devait changer radicalement. En 1078, Jérusalem passa aux mains des Turcs Seldjoukides, convertis à l’Islam, particulièrement intégristes et xénophobes. Dès lors les Chrétiens furent rançonnés, chassés, quand ils n’étaient pas purement et simplement passés au fil du cimeterre.

Parmi ces pèlerins se trouvait un ancien soldat devenu moine : Pierre l’Ermite. Celui-ci revint en Europe, porteur d’un appel au secours de Siméon, le patriarche des Chrétiens, et il parvint à convaincre les grands de ce monde, comme les plus humbles, de partir délivrer les lieux sacrés profanés par les infidèles. En 1095 au concile de Clermont, le pape Urbain II, rallié à la cause, prêcha la sainte croisade. Il est utile de préciser quelle influence elle eut sur la société occidentale, engoncée dans une féodalité fruste et souvent brutale, où l’on ne songeait guère qu’à guerroyer contre son voisin, tout en pressurant une foule de serfs, taillables et corvéables à merci. Avec la guerre sainte, tout changeait : finies les querelles, les anciens ennemis alliaient leurs forces pour aller délivrer le Saint Sépulcre, les riches aidaient les pauvres. Ceux-ci, d’ailleurs, las d’attendre les armées régulières des nobles et des chevaliers, longues à monter leur expédition, quittèrent l’Europe au cri de « Dieu le veut », une croix rouge cousue à la hâte sur leur surcot, et se dirigèrent en bandes immenses vers Constantinople, puis vers l’Asie mineure. Le voyage, long et éprouvant, semé d’embûches, se termina tragiquement sous les coups des cavaliers turcs. Le 21 octobre 1096, l’armée populaire d’occident était anéantie.

Un an et un jour plus tard, l’armée des féodaux mettait le siège devant Antioche. La ville résista de longs mois, et les Croisés ne durent la victoire qu’à un miracle : l’apparition de saint André leur indiquant l’emplacement de la lance qui avait percé le flanc du Christ. L’ennemi fut dit-on terrorisé à la vue de Raymond de Saint-Gilles portant la sainte lance. Antioche prise, s’ouvrait la route de Jérusalem. La ville sainte tomba le 15 juillet 1099, et le massacre de ses habitants musulmans dura huit jours. Les parties basses de la cité furent inondées de sang, selon les chroniques de l’époque. Il ne restait plus aux croisés qu’à élire un chef chargé de veiller sur ce nouveau royaume. Godefroy de Bouillon fut choisi, mais il refusa le titre de roi, « ne voulant pas porter une couronne d’or là où le fils de Dieu avait eu la tête ceinte d’épines. »

Baudoin Ier puis Baudoin II lui succédèrent. Chacun agrandit le royaume latin de Jérusalem, jusqu’à en faire un véritable empire, où l’on oublia bien vite l’esprit de la croisade. Malgré la création d’ordres de chevalerie comme les Templiers, les Teutoniques, les Hospitaliers, qui tentèrent de le perpétuer, on revint aux vieux principes féodaux, en ayant à disposition tout le peuple arabe à opprimer. Celui-ci ne tarda pas à se rebeller. La veille de Noël de l’an 1144, la ville d’Edesse fut reprise aux croisés, et les Chrétiens massacrés. Lorsque la nouvelle parvint en Europe, Bernard de Clairvaux, abbé de Citeaux, fustigea à Vézelay une foule immense et prêcha une seconde croisade, à laquelle même des rois ou empereurs prirent part. Seul le roi de France Louis VII et son armée parvint à Jérusalem, le reste des troupes ayant été massacré en route. Peu après, Guy de Lusignan, que l’on disait aussi beau que bête, se fit sacrer roi de Jérusalem. Violant les accords de son prédécesseur avec Saladin, sultan d’Égypte, il attaqua sans relâche les caravanes se rendant à la Mecque. La riposte fut brutale, les Chrétiens écrasés le 4 juillet 1187 durent céder nombre de places fortes, dont Jérusalem.

Et une troisième croisade s’ébranla, menée par Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion. Et ainsi de suite, toujours sur le principe du recommencement éternel, chaque victoire des Musulmans déclanchant une nouvelle guerre sainte. Les places furent reprises, puis cédées à nouveau. Ce tragique jeu des chaises musicales dura un peu plus d’un siècle, durant lequel cinq autres croisades furent décidées. Mais chaque jour les Chrétiens perdaient un peu plus de terrain, et leur royaume finit par se réduire à une étroite bande de terre, qui n’avait plus guère de sainte que le nom. Le 18 mai 1291, la dernière citadelle chrétienne, Saint-Jean d’Acre, tombait à son tour sous les coups des Mamelouks d’Égypte. La Terre Sainte revenait aux mains des Arabes, et l’histoire pouvait continuer sous un nouveau visage. Un peu plus de deux siècles plus tard, en 1516, elle changeait une nouvelle fois de mains en étant conquise par les Ottomans lors de l'irrésistible expansion de leur empire, que Soliman le Magnifique allait peu après amener à son apogée.

Le flamboyant empire régna sur la Palestine durant quatre siècles exactement. En 1916 les Arabes, soutenus par l’Angleterre, se révoltèrent contre les Ottomans, alliés de l’Allemagne. De puissants intérêts étaient en jeu en cette période de guerre mondiale ; le contrôle de la région, et les alliances que l’on pouvait y contracter, s’avérant crucial pour l’avenir. Les Anglais, qui avaient mis un pied en Palestine pour combattre les Ottomans, s’y installèrent une fois la guerre terminée, sous couvert de la Société des Nations, encourageant par ce mandat l’installation d’immigrants juifs venus de Russie, avant de la freiner sérieusement en 1939. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le peuple Juif, qui venait de payer un très lourd tribut à la folie du nazisme, décida que le temps du Juif errant était terminé, et programma le retour des fils prodigues sur la terre de leurs ancêtres, installation favorisée par l’ONU qui décida en 1947 de partager la Palestine en deux états, un arabe et un juif. Le 14 mai 1948 l’État d’Israël était créé, entraînant les guerres et les troubles que l’on connaît. Terre Sainte, sans doute, mais sera-t-elle un jour Terre de Paix ?

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